Date : 01/06/2014 Pays : FRANCE Page(s) : 137-138 Diffusion : (480538) Périodicité : Mensuel Surface : 184 % interview JEUNESDJIHADISTES «ILFAUTMIRE SURGIR L'eNMNT QUI EXISTEeNCORE SOUSL'eMPRISE DOUNIA BOUZAR,anthropologue du fait religieux et membre de l'Observatoire de la laïcité, lutte contre le processus d'endoctrinement de l'islam radical. Ellese bat aux côtés de familles d'adolescent(e)s séduit(e)s et embarqué(e)s par extrémistes. des Et radiographie les signesavant-coureurs de cette aliénation pour espérer garder le contact. ParCatherine Durand Combien sont-ils, ces jeunes Français ré cemment convertis à l'islam ou radicalisés, partis mener le djihad en Syrie ? Leurs proches meurtris se sentent aban donnés par les autorités et la société, qui ne comprennent pas que leurs en fants ont été victimes d'un endoctrine ment sectaire fulgurant. Fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam, Douma Bouzar nous explique comment elle vient en aide à certaines familles. Marie Claire: Quand votre livre* est sorti, en janvier dernier, des familles vous ont appelée au secours... Dounia Bouzar: Oui, des mères, des des épouses, des femmes jamais des hommes me disent, soulagées : « On nous a baladées. Nos amis, l'assis tante sociale, le psy et même les poli ciers nous ont répété : "Votre enfant est !" converti, c'est son droit Vous compre nez, vous, que cela ne peut pas être reli gieux ce qu'il a. » Je savais que le dis cours radical avait amélioré ses techniques d'emprise. Mais, il y a dix (1/2) EDITIONS DE L'ATELIER ans, cela touchait des jeunes défavorisés, en rupture scolaire. Aujourd'hui, ils sont issus de tous milieux sociaux et culturels athées, juifs, musulmans, catholiques, pratiquants ou non... Ils ou elles ont entre 14 et 21 ans et présentent deux points communs: enfants, déjà, ils rêvaient d'aider le monde, et tous ont subi une perte brutale, le décès d'un proche ou le divorce de leurs parents. Une épreuve vécue comme une injustice par ces jeunes hypersensibles. Dans ces trente familles que je suis actuellement, dont cinq seulement sont d'origine maghrébine, l'ado a basculé en deux mois. Encore un Johan qui a grandi dans la cité avec des copains marocains, je peux comprendre. . . mais que, dans un village breton, des ados se soient radicalisées devant leur ordinateur, c'est hal lucinant ! 98 0Zodu basculement se fait par Internet, le contact physique inter vient dans un deuxième temps. Savez-vous qui se cache derrière ces sites? Avec un pseudo et l'apparence d'une «endoctrinée», j'ai fréquenté ces sites pendant six mois, et j'ai été bluffée. Ceux qui réalisent ces vidéos sont fran Page 4 çais et intelligents : ils connaissent le dis cours actuel sur l'islam. Ce ne sont plus les vidéos haineuses «A bas les mé créants ! » d'il y a dix ans. Aujourd'hui, l'emprise mentale est construite sur des arguments qui mélangent du vrai et du faux. C'est un montage qui mêle les re cherches scientifiques sur l'avènement du monde, le big bang et des extraits de prêches manipulant le Coran. Ces vidéos sont longues, peu à peu la vigilance intel lectuelle s'émousse, et au bout de deux heures, on vous annonce que la fin du monde est proche. Ces gourous surfent sur une culture mélan geant le retour du Messie, l'antéchrist et le Madhi le dernier imam. La conclu sion est qu'on va tous mourir, et si ces jeunes meurent en martyrs en voulant sauver la Syrie (que les intégristes font passer pour la terre promise), ils peuvent emmener soixante-dix personnes qu'ils aiment au paradis avec eux. C'est la ver sion islamique de l'Apocalypse. Comment, via ces sites, le processus d'endoctrinement se met-il en place? Ces jeunes, qui ont tous l'impression de ressentir la même chose, vivent l'extase de groupe via les réseaux sociaux. Le v Tous droits de reproduction réservés Date : 01/06/2014 Pays : FRANCE Page(s) : 137-138 Diffusion : (480538) Périodicité : Mensuel Surface : 184 % interview «NOTREFILLEESTPARTIEEN SYRIEPOUR MOURIR. CE N'ESTPLUSELLE.ELLE : "JE MANGE BIEN,JE N'AI PLUSFROID, INCH CONVERTIS-TOI, ALLAH, ON SEREJOINTAU PARADIS!"» discours est bien rodé : «Le malaise que tu ressens ne vient pas de toi, c'est le signe que Dieu t'a élu(e). Tu appartiens à un groupe supérieur qui détient la vé rité pour sauver le monde en déclin. Les autres sont jaloux, ils vont venir te mettre le doute. .. » Alors ils ne parlent plus avec leurs proches, perdent tout esprit critique, sont en état d'hypnose et de mimétisme. L'emprise du groupe est forte, et le basculement, rapide. Quels symptômes devraient alerter les parents? La rupture scolaire. Candy, 18 sur 20 de moyenne en classede seconde, tombe à 2 et répète : «A l'école, on m'enseigne le diable ! » Puis l'ado a un nouveau téléphone mobile, signe qu'un réseau physique est intervenu, et fuit ses co pains qui « ne peuvent pas compren dre ». Même dans des familles qui man gent halal ou casher, il ou elle refuse désormais les yaourts, la mayonnaise. . . prétextant qu'il y a de la gélatine de porc, que c'est un complot des indus triels français. Résultat : on ne prend plus les repas ensemble. Dernier indi cateur, le réseau tente de provoquer la rupture familiale, et c'est là que j'essaie d'intervenir. Comme le cas de cet ado en région parisienne son réseau est allé jusqu'à organiser un cambriolage pour détruire les albums photo de la famille. Les souvenirs parasitent l'adhé sion au groupe. Souvent, les pères cra quent et sont prêts à les jeter dehors, les mères, elles, sentent le piège et font tout pour éviter la rupture. Comment pensez-vous faire de la prévention ? Il faut sensibiliser l'école, la police, les élus, les imams. . . Dire que ce sont des dérives sectaires. Arrêter de suspecter les musulmans pratiquants d'être radi caux et de valider les radicaux comme des musulmans ordinaires. L'amalgame profite aux radicaux, qui jouent sur la confusion entre secte et religion. Exemple : un ado arrache un poster au collège en disant : « C'est ma religion, elle interdit les images ! » On traite le problème par le biais de la laïcité : « La religion, c'est chez toi. » Du coup, per sonne ne s'alerte, sauf que ce sont les idoles, pas les images, qui sont inter dites dans le Coran. Si Pierre dit : « La Bible m'empêche de regarder une sil houette », on l'envoie chez le psy, mais si c'est Mohamed, on dit que c'est l'is lam. Notre représentation de l'islam nous rend laxistes face aux radicaux. Autre exemple :une famille catholique a obtenu un séjour en pédopsychiatrie pour leur fils endoctriné. Il a dit aux psys que sa mère était castratrice: « Mes parents sont racistes, ils ne sup portent pas que je devienne musul man ! » Son groupe radicalisé a eu le droit de venir le voir, pas eux. Vous avez commencé à travailler avec ces familles, quelles sont les techniques pour contrer l'endoctrinement? Nous travaillons avec des spécialistes des sectes. Face à la ritualisation, qui sépare, on oppose des rituels qui ressoudent. Il faut faire surgir l'enfant qui existe encore sous l'emprise. Pour ça, les familles doivent travailler l'affectif avec des pho tos, raviver les souvenirs, bons ou mau vais. Il ne faut surtout pas discuter reli gion ou essayer de les raisonner, mais faire miroir et répéter ce qu'ils disent: «Ah bon, tu penses que l'école, ça ne sert à rien parce que c'est la fin du 138 (2/2) EDITIONS DE L'ATELIER Page 5 monde ? » Leur faire comprendre qu'ils récitent des absurdités plutôt que leur asséner: «Tu dis n'importe quoi ! » Ce sont des techniques : faire agrandir les photos de famille, travailler sur les odeurs de la maison, le du gâteau préféré, le parfum de leur mère... Et, évidemment, cacher les passeports, couper Internet et le mobile. Parmi ces djihadistes français partis en Syrie, il y a des jeunes filles. Sait-on ce qu'elles deviennent? On a parlé de prostitution, je n'y crois pas. Mais le mariage, oui. Le groupe is lamiste syrien envoie un texto à la fa mille : « On va marier votre fille, merci de donner votre consentement. » Ils s'en moquent bien. J'ai des témoignages la jeune fille craque, mais le téléphone coupe aussitôt. C'est compliqué de savoir ce qu'elles deviennent. Des familles en core en contact disent : « Ce n'est plus elle, on n'arrive pas à échanger deux phrases. Elle répète : "Je mange bien, je n'ai pas froid, convertis-toi, inch Allah, !" on se rejoint au paradis Notre fille est partie en Syrie pour mourir. » m Ces sectaires «Désamorcer l'islam dérives (*) radical, l'islam.»,LesEditionsdel'Atelier. quidéfigurent POURPLUSD'INFORMATIONS Contactez le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam en écrivant à [email protected], ou Dounia Bouzar, à [email protected]. Par ailleurs, pour alerter les autorités, l'anthropologue a lancé une pétition, «Rendez-nous nos enfants», et réalisé un vidéoclip que vous pouvez visionner sur marieclaire.fr. Reagissez à cet article ^ur les forums de marieclaire.fr Tous droits de reproduction réservés