Prise en charge thérapeutique des patients infectés par le VIH

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Synthèse
J Pharm Clin 2012 ; 31 (2) : 89-103
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Prise en charge thérapeutique
des patients infectés par le VIH :
synthèse des recommandations
du rapport Yeni
Treatment of HIV-infected patients,
synthesis of french guidelines (Yeni report)
Julie Giraud 1 , Benjamin Bonnet 1 , Muriel Bocquentin 1 , Aurélie Barrail-Tran 1,2 , Anne-Marie Taburet 1
1 Département de pharmacie clinique, Hôpital Bicêtre, APHP, Hôpitaux Universitaires Paris Sud
<[email protected]>
2 Faculté de pharmacie, EA4123 Barrières physiologiques et réponses thérapeutiques, Université Paris Sud
Résumé. La prise en charge thérapeutique des patients infectés par le VIH s’est considérablement améliorée ces
dernières années du fait de la mise sur le marché de médicaments antirétroviraux efficaces, avec des formulations
galéniques améliorées, telles que des doses par unité de prise plus importantes ou des formes associant plusieurs
antirétroviraux et la mise sur le marché de molécules mieux tolérées. Une multithérapie est nécessaire pour éviter
la sélection de virus mutés résistants ; en première ligne de traitement, un traitement puissant associant deux
analogues nucléosidiques et un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse ou un inhibiteur de la
protéase associé à une faible dose de ritonavir est recommandé. Il n’en demeure pas moins que le traitement
du VIH est un traitement à vie et que le maintien d’une efficacité optimale sur le long terme nécessite non
seulement un traitement efficace mais également une adhésion du patient à son traitement. Cet article décrit
les principaux médicaments disponibles, avec leurs caractéristiques pharmacologiques et virologiques, puis les
différentes stratégies thérapeutiques recommandées par le rapport d’experts publié en 2010 sont présentées.
Mots clés : VIH, recommandations françaises, stratégie thérapeutique, antirétroviraux
Abstract. A number of drugs are now available to inhibit HIV replication. Treatment of patients has improved as
new drugs have better pharmaceutical formulation, such as fixed dose combination and tolerance has improved. A
combination of two nucleoside analogs and a non nucleoside reverse transcriptase inhibitor or a protease inhibitor
combined to a low dose of ritonavir (boost) is recommended as first line regimen to avoid selection of viral strain
with resistance mutations. However, antiretroviral treatment needs to be administered daily throughout one’s life,
and patient adherence needs to be optimal to avoid treatment failure. This article describes antiretroviral drugs
available in France and therapeutic strategies recommended for sustained efficacy and improved tolerance.
Key words: HIV, French guidelines, therapeutic strategy, antiretroviral drugs
L
es premiers cas de sida, ou syndrome d’immunodéficience acquise, ont été décrits en juin 1981
aux États-Unis chez de jeunes homosexuels masculins, puis très rapidement également en Europe. Compte
Tirés à part : A.-M. Taburet
tenu des caractéristiques épidémiologiques de ce syndrome, un virus transmissible par voie sexuelle et
par voie sanguine a été rapidement suspecté comme
agent responsable. Le déficit immunitaire profond et la
présence de polyadénopathies persistantes, qui accompagnent le plus souvent cette maladie, ont orienté la
Pour citer cet article : Giraud J, Bonnet B, Bocquentin M, Barrail-Tran A, Taburet AM. Prise en charge thérapeutique des patients infectés par le VIH :
synthèse des recommandations du rapport Yeni. J Pharm Clin 2012 ; 31(2) : 89-103 doi:10.1684/jpc.2012.0210
89
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J. Giraud, et al.
recherche vers un virus dont le refuge serait les cellules
immunes des organes lymphoïdes. C’est ainsi qu’à partir de cellules lymphoïdes ganglionnaires d’un patient fut
identifié, dès 1983, un rétrovirus humain encore inconnu
à l’époque, dénommé quelques années plus tard, le virus
de l’immunodéficience humaine (VIH). En 1985, la notion
de variabilité génétique du VIH était évoquée par l’analyse
de virus de différents patients et, en 1986, un second
virus, apparenté au premier, mais génétiquement distinct,
était découvert chez des patients originaires d’Afrique de
l’Ouest, et atteints eux aussi, d’un sida. Ces virus, de la
même famille, furent alors dénommés VIH-1 et VIH-2.
Le VIH affecte le système immunitaire en infectant
les cellules centrales de ce système : les cellules porteuses du récepteur CD4, lymphocytes CD4 et cellules
de la lignée monocytaire et macrophagique présentatrices
d’antigènes. Il s’ensuit un déficit de l’immunité cellulaire,
d’évolution progressive dominé par un déficit à la fois
quantitatif et qualitatif des lymphocytes T CD4, cible principale du virus.
Les virus VIH possèdent une enveloppe composée de
deux glycoprotéines : la gp120 reconnaissant le récepteur
cellulaire lymphocytaire CD4 et la gp41 transmembranaire qui assure la fusion virus/cellule cible. À l’intérieur,
la capside (protéine p24, protéine p17) renferme deux
brins d’ARN génomique et trois enzymes : la transcriptase inverse, une intégrase et une protéase. Ce sont ces
enzymes qui permettent la transcription du génome et
l’intégration de l’ADN proviral dans l’ADN cellulaire.
Les traitements antirétroviraux ont beaucoup évolué
ces dernières années. Certes le traitement est un traitement à vie car il n’est pas possible à l’heure actuelle
d’éradiquer le virus qui est intégré dans le génome
humain, mais seulement de diminuer sa multiplication
et donc l’ARN-VIH du plasma ou charge virale. Les
« trithérapies » disponibles sont efficaces et permettent
en diminuant la charge virale en dessous du seuil de
détectabilité, une restauration immunitaire. Les formes
galéniques ont été améliorées permettant de diminuer le
nombre de comprimés à ingérer et certains traitements
peuvent être administrés en une prise par jour ce qui
facilite l’observance.
Les principaux médicaments disponibles et les stratégies thérapeutiques basées sur le rapport d’experts
coordonné par le Pr Yeni en 2010, vont être décrits dans
la suite de cet article.
Caractéristiques
pharmacologiques
des antirétroviraux
Les molécules antirétrovirales agissent au niveau des différentes étapes du cycle de multiplication du virus dans
90
la cellule hôte. On distingue ainsi 6 classes pharmacologiques :
– les inhibiteurs nucléosidiques ou nucléotidiques de la
transcriptase inverse du VIH (INTI). Ils bloquent la transcription de l’ARN viral en ADN proviral en se substituant
aux nucléotides endogènes ;
– les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase
inverse du VIH (INNTI) dont la finalité est identique aux
INTI, mais le mode d’action par inhibition directe de
l’enzyme diffère ;
– les inhibiteurs de protéase virale (IP). Ils agissent en
inhibant le clivage des protéines virales et donc la formation de nouveaux virions ;
– les inhibiteurs d’intégrase qui bloquent l’intégration de
l’ADN viral dans le génome cellulaire ;
– les inhibiteurs d’entrée, inhibiteur du co-récepteur
CCR5. Ils agissent en inhibant l’entrée au niveau cellulaire
des virus à tropisme R5 ;
– les inhibiteurs de fusion de la particule virale avec la
cellule, empêchent l’entrée du virus dans la cellule.
Les formes galéniques et spécialités des différentes
classes thérapeutiques sont résumées dans le tableau 1.
Le tableau 2 synthétise les données pharmacocinétiques
à prendre en compte pour optimiser le traitement.
Les inhibiteurs nucléosidiques
de la transcriptase inverse
En France, 6 inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase
inverse (emtricitabine, lamivudine, zidovudine, didanosine, stavudine, abacavir) et 1 inhibiteur nucléotidique de
la transcriptase inverse (ténofovir) disposent d’une AMM.
Les INTI sont des analogues de bases (purique ou
pyrimidique) qui seront intégrés dans l’ADN par la transcriptase inverse. À l’instar des nucléotides endogènes
qui doivent être triphosphorylés pour être intégrés dans
la structure de l’ADN par l’ADN polymérase, les inhibiteurs nucléosidiques nécessitent pour être actifs, une
triple phosphorylation dont la première est assurée par
une kinase cellulaire, les deux suivantes nécessitant des
kinases virales. Le ténofovir, analogue nucléotidique de
l’adénine, est actif sous forme de ténofovir diphosphate,
dont la phosphorylation dépend d’une kinase cellulaire.
Celui-ci reste donc actif sur certains virus résistant aux
INTI et dans les cellules quiescentes (macrophages, lymphocytes en phase latente).
Compte tenu de leur proximité structurale, la zidovudine et la stavudine (analogues de la thymidine) sont
antagonistes, par inhibition compétitive au niveau de la
transcriptase inverse. Il n’est pas non plus recommandé
d’associer didanosine et ténofovir.
Les caractéristiques pharmacocinétiques des INTI sont
résumées ci-après. D’une manière générale ils sont bien
absorbés par voie orale avec une bonne biodisponibilité
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Recommandations du rapport Yeni
Tableau 1. Synthèse des formes commerciales disponibles et posologies des différents antirétroviraux.
Nom commercial
DCI
Formes
disponibles
Posologie
par jour
NPJ*
Recommandations
Atripla®
Ténofovir
Emtricitabine
Efavirenz
Comprimés
300/200/600 mg
1 cp
1
À prendre le soir
au coucher
À jeun
Combivir®
Zidovudine
Lamivudine
Comprimés
300/150 mg
2 cp
2
Kivexa®
Abacavir
Lamivudine
Comprimés
600/300 mg
1 cp
1
Trizivir®
Zidovudine
Lamivudine
Abacavir
Comprimés
300/150/300 mg
2 cp
2
Truvada®
Tenofovir
Emtricitabine
Comprimés
300/200 mg
1 cp
1
Au cours d’un repas
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Formes combinées
Inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse
Emtriva®
Emtricitabine
Gélules 200 mg
Solution buvable
(10 mg/mL)
200 mg
1
(VHB)**
Epivir®
Lamivudine
Comprimés 150, 300 mg
Solution buvable
(10 mg/mL)
300 mg
1 ou 2
(VHB)
Retrovir®
Zidovudine
Gélules 100, 250 mg
Comprimés 300 mg
Solution buvable
(10 mg/mL)
Solution injectable 200 mg
600 mg
2
Videx®
Didanosine
Comprimés 25, 50, 100, 150, 250 mg (si < 65 kg)
200 mg
400 mg (si > 65 kg)
Gélules 125, 200, 250,
400 mg
Poudre pour solution buvable
(2 et 4 g => 10 mg/mL)
1
À prendre en dehors
des repas
Viread®
Tenofovir
Comprimés 245 mg
245 mg
1
Au cours d’un repas (VHB)
Ziagen®
Abacavir
Comprimés 300 mg
Solution buvable
(20 mg/mL)
600 mg
1 ou 2
Allèle HLA B*5701 négatif
Inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse
Intelence®
Etravirine
Comprimés 100 mg
400 mg
2
Au cours du repas ou
avec un grand verre d’eau
Sustiva®
Efavirenz
Comprimés 200,600 mg
Solution buvable
(30 mg/mL)
600 mg
1
En dehors des repas, le soir
CI grossesse
Viramune®
Nevirapine
Comprimés 200 mg
Solution buvable
(10 mg/mL)
200 mg
puis
400 mg
1
puis
2
Augmentation posologie
au bout de 15 jours
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
91
J. Giraud, et al.
Tableau 1. (Suite)
Nom commercial
DCI
Formes
disponibles
Posologie
par jour
NPJ*
Recommandations
Aptivus®
Tipranavir
Comprimés 250 mg
1 000 mg
2
À prendre de préférence
avec un repas
Conservation
au réfrigérateur
Crixivan®
Indinavir
Gélules à 100, 200,
400 mg
800-1 200 mg
2
Boire au moins
1,5 L d’eau
Invirase®
Saquinavir
Comprimés à mg
Gélules à 200 mg
2 000 mg
2
À prendre 2 h
après le repas
Kaletra®
Lopinavir
Ritonavir
Comprimés à 100/25 mg
ou 200/50 mg
Sirop (80/20 mg/mL)
800 mg
2
Conservation du sirop
1 mois à moins 25 ◦ C
Norvir®
Ritonavir
Comprimés à 100 mg
Solution buvable
(80 mg/mL)
A chaque prise d’IP
Prezista®
Darunavir
Comprimés à 300, 400,
600 mg
800 à 1 200 mg
1 ou 2
À prendre
pendant les repas
Reyataz®
Atazanavir
Gélules à 150, 200,
300 mg
300 mg
1
À prendre
pendant les repas
Telzir®
Fos-amprenavir
Comprimés 700 mg
Suspension buvable
(50 mg/mL)
1 400 mg
2
Raltegravir
Comprimés à 400 mg
800 mg
2
Maraviroc
Comprimés à 150, 300 mg
300 à 1 200 mg
2
Posologie en fonction
des associations
Enfuvirtide
Solution injectable
(90 mg/mL)
180 mg
2
SC
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Inhibiteurs de protéase
Inhibiteur d’intégrase
Isentress®
Inhibiteur d’entrée
Celsentri®
Inhibiteur de fusion
Fuzéon®
* NPJ : nombre de prise journalière ; ** activité sur le virus de l’hépatite B (VHB).
(> 60-75 %) à l’exception du ténofovir (40 %) et de la
didanosine qui est détruite à pH acide et dont la forme
pharmaceutique est gastro-résistante. Ils sont peu fixés
aux protéines plasmatiques et éliminés dans les urines
sous forme inchangée, sauf la zidovudine et l’abacavir
qui sont en partie glucuronoconjugués (seul l’abacavir
ne nécessite pas d’adaptation de sa posologie en cas
d’insuffisance rénale sévère) et la didanosine éliminée
pour partie en hypoxanthine.
La toxicité mitochondriale des INTI peut expliquer
un certain nombre des effets indésirables observés avec
cette classe : lipoatrophie, neuropathie, pancréatite, myo-
92
pathie. Cette toxicité est associée biologiquement à une
acidose lactique. La sévérité et le délai d’apparition de
la toxicité mitochondriale sont variables en fonction des
molécules et des associations de molécules entre elles.
Du fait de cette toxicité importante pour la stavudine, sa
prescription n’est plus recommandée. Le ténofovir a un
profil métabolique plus favorable. Il possède cependant
une toxicité tubulaire rénale, responsable en début de
traitement d’hypophosphorémie, d’élévation de la créatininémie, et exceptionnellement d’insuffisance rénale. Ils
présentent tous une mauvaise tolérance digestive (nausées, vomissements, diarrhées).
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Recommandations du rapport Yeni
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Tableau 2. Synthèse de la pharmacocinétique des molécules antirétrovirales.
DCI
Élimination
rénale
Métabolisme
Abacavir
<5%
Glucuronoconjugaison et dérivé
carboxylé
Didanosine
40-50 %
Didéoxyribose et hypoxantine
Emtricitabine
80 %
-
Lamivudine
60-80 %
-
Tenofovir
70-80 %
-
Zidovudine
15-25 %
Glucuronoconjugaison
Efavirenz
<1%
CYP 2B6
Etravirine
<1%
CYP 3A4, 2C9, 2C19
Nevirapine
< 15 %
CYP 2B6 principalement et CYP 3A4
Atazanavir
< 10 %
Darunavir
< 10 %
Fosamprenavir
<5%
Indinavir
10 %
Adaptation de la posologie
en cas d’insuffisance rénale
INDUCTEURS enzymatiques
Risque interactions médicamenteuses
Hépatique +++ CYP3A4
principalement
Lopinavir
<3%
Ritonavir
<5%
Saquinavir
<3%
Tipranavir
< 15 %
Raltegravir
30-35 %
Glucuronoconjugaison
Maraviroc
24 %
CYP 3A4
L’abacavir est responsable chez certains patients de
réactions d’hypersensibilité pouvant être sévères, en
particulier lors de la réintroduction après arrêt. Les
patients porteurs de l’allèle HLA B*5701 ont un risque
supérieur et l’abacavir ne doit pas être prescrit. Compte
tenu des résultats des études, il est recommandé de faire
un génotype HLA B*5701 avant de débuter un traitement
par l’abacavir. Chez les patients porteurs de l’haplotype
(fréquence des réactions d’hypersensibilité d’environ
50 %), l’abacavir ne doit pas être prescrit sauf en l’absence
d’alternative thérapeutique, après avoir pesé le rapport
bénéfice/risque. Dans ce cas, l’information du patient sur
les signes d’alerte d’une réaction d’hypersensibilité devra
être claire et la surveillance clinique renforcée.
Administrés en monothérapie, la sélection de virus
mutés résistants est rapide. Deux mécanismes différents
expliquent la résistance aux inhibiteurs nucléosidiques
et nucléotidiques. L’excision de l’analogue nucléosidique
déjà incorporé est conférée par les mutations appelées
TAM (thymidine analog mutations). Elles sont sélectionnées séquentiellement par les analogues de la thymidine,
zidovudine et stavudine. Les TAM sont responsables
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Commentaires
INHIBITEURS enzymatiques
Risque interactions médicamenteuses
(le tipranavir est également inducteur de
transporteurs, interactions très complexes)
Adaptation en cas d’IR si associé
à des inhibiteurs enzymatiques
d’une résistance à l’ensemble des INTI, sauf à la lamivudine, et cela à des niveaux divers. Cette résistance
croisée est variable en fonction du nombre de TAM et de
l’INTI. L’autre mécanisme de résistance est la diminution
d’incorporation des nucléosides ou nucléotides artificiels
au profit de nucléotides naturels, ce qui confère généralement un haut niveau de résistance à tous les INTI.
Il faut noter que dans cette classe d’antirétroviraux, la
barrière génétique (apparition de résistance au médicament antirétroviral en fonction du nombre de mutations
virales) est variable selon les molécules et en particulier
très faible pour la lamivudine et l’emtricitabine.
Les inbiteurs non nucléosidiques
de la transcriptase inverse
Il existe actuellement 3 inhibiteurs non nucléosidiques de
la transcriptase inverse (INNTI) : la nevirapine, l’efavirenz
et l’etravirine.
Ce sont des inhibiteurs non compétitifs, donc irréversibles, de la transcriptase inverse du VIH-1. Ils sont
non actifs vis-à-vis du VIH-2. Ils inhibent la synthèse de
93
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J. Giraud, et al.
l’ADN viral par diminution de l’activité de la transcriptase
inverse. En se fixant au niveau d’une poche hydrophobe
adjacente au site catalytique de l’enzyme ils modifient la
conformation et la mobilité. Ils sont caractérisés par une
activité antivirale importante.
Les antirétroviraux de cette classe présentent des
demi-vies plasmatiques longues (> 25 h), ils sont éliminés
par les cytochromes P450 (CYP) hépatiques et possèdent
des propriétés d’induction enzymatiques. Leurs caractéristiques pharmacocinétiques sont complexes, en particulier
une non-linéarité concentration/dose qui explique que
l’augmentation des concentrations ne soit pas proportionnelle à l’augmentation de la dose administrée. On estime
que l’état d’équilibre est en général atteint au bout de 10
à 15 jours de traitement.
D’un point de vue général, leur biodisponibilité est
bonne (50-90 %), et l’alimentation n’a aucun effet sur
celle-ci. Cas particulier de l’efavirenz pour lequel un repas
riche en graisse augmente la biodisponibilité, qui pourrait
augmenter les effets indésirables. Il est donc recommandé
de le prendre en dehors des repas.
Le métabolisme est hépatique, faisant intervenir les
CYP450 (surtout 2B6 et 3A4 pour la névirapine et
principalement 2B6 pour l’efavirenz ; l’étravirine est
métabolisée par les CYP3A4, CYP2C9 et CYP2C19. Ces
médicaments sont également inducteurs des CYP450. Ils
sont responsables d’une auto-induction qui, au-delà de
2 semaines, entraîne une diminution de la demi-vie et
des concentrations à l’équilibre. C’est pourquoi au bout
de deux semaines de traitement, la posologie de la
névirapine est doublée pour éviter les sous-dosages et
donc l’échec thérapeutique. En raison de leur métabolisme et en l’absence d’étude, les INNTI sont à utiliser
avec une extrême vigilance chez les patients atteints
d’insuffisance hépatique sévère, si leur prescription ne
peut être évitée. La demi-vie de l’efavirenz est prolongée (48 h vs 23 h, avec un risque de « surexposition » et
d’augmentation de toxicité) chez des patients présentant
certains allèles du gène codant un CYP2B6 (CYP2B6*6)
non fonctionnel, plus fréquents chez les patients d’origine
africaine que d’origine caucasienne (36 à 60 % vs
22-29 %).
Bien que la tolérance des INNTI reste d’une manière
générale bonne, chaque molécule entraîne des effets
indésirables. En effet, la fréquence des hypersensibilités
à la névirapine (toxicité cutanée et hépatique) reste non
négligeable. L’efavirenz expose à des effets indésirables
neurosensoriels fréquents, mais en général transitoires,
en début de traitement et peut induire un syndrome
dépressif quoique cet effet survienne rarement. Il est
donc recommandé de l’administrer le soir, au coucher.
Quant à l’étravirine (INNTI de nouvelle génération), il
a démontré une bonne tolérance mais le recul reste
limité.
94
Les INNTI sont des molécules pour lesquelles la barrière génétique est faible, avec une résistance croisée
entre les INNTI de première génération (névirapine, efavirenz). L’étravirine reste fréquemment actif malgré une
résistance à l’efavirenz et/ou à la névirapine.
Les inhibiteurs de protéase
Huit inhibiteurs de protéase sont commercialisés. Les plus
anciens sont le saquinavir, le ritonavir et l’indinavir. Les
plus récemment mis sur le marché sont le lopinavir associé au ritonavir, le fosamprenavir (juillet 2004), l’atazanavir
(octobre 2005), le tipranavir (octobre 2005) et le darunavir (janvier 2006). Ils n’ont pas tous la même indication,
qui repose surtout sur leur tolérance et la possibilité
d’administration en une prise quotidienne, comme nous
le verrons par la suite. Tous sont associés à une faible dose
de ritonavir qui augmente les concentrations et améliore
donc les caractéristiques pharmacocinétiques de l’IP associé. Le nelfinavir bien que réintroduit après son retrait du
marché en 2007 n’est pratiquement plus utilisé, car il est
très mal toléré (au niveau digestif surtout) et le plan de
prise est complexe et contraignant (5 comprimés trois fois
par jour).
Les inhibiteurs de protéase bloquent la phase tardive
de la maturation virale. Ils sont donc actifs sur les cellules chroniquement infectées. La protéase du VIH clive
les polypeptides précurseurs produits par le VIH, permettant de générer les protéines structurelles et enzymatiques
du virion. En présence d’un inhibiteur de protéase, des
virions immatures sont produits, incapables d’infecter de
nouvelles cellules.
La biodisponibilité des IP est souvent faible, du fait
d’un premier passage hépatique. Ils sont d’abord en partie métabolisés dans les entérocytes et en partie éliminés
via les transporteurs d’efflux : ils sont ensuite métabolisés
dans le foie par les cytochromes P-450 (CYP), en particulier le CYP3A, pour lesquels ils ont une forte affinité,
ce qui leur confère des propriétés inhibitrices. Certains
IP, en particulier le tipranavir, sont par ailleurs inducteurs des enzymes et/ou transporteurs. La prise des IP
avec un repas augmente leurs concentrations et est donc
recommandée. D’une manière générale, les IP sont de
puissants inhibiteurs des CYP450 ce qui peut engendrer
de nombreuses interactions médicamenteuses, celles-ci
sont résumées dans le tableau 3.
Le ritonavir est un inhibiteur puissant du CYP3A.
Administré à faible dose (100 mg ou 200 mg, 1 ou 2 fois
par jour), il augmente de façon importante les concentrations plasmatiques des IP associés. Associés au ritonavir,
les inhibiteurs de protéase voient leurs demi-vies et
leurs concentrations augmentées. C’est pourquoi à l’heure
actuelle, tous les IP sont utilisés en association avec une
faible dose de ritonavir (IP/r) qui varie en fonction de l’IP
associé.
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Recommandations du rapport Yeni
Tableau 3. Interactions médicamenteuses impliquant les inhibiteurs de protéases (IP).
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Interactions des IP sur les ARV
IP associés
ARV cible
Contrainte
Commentaires
Lopinavir, darunavir, atazanavir
Ténofovir
AD
Augmentation de 30 % des concentrations de ténofovir
et risque de néphrotoxicité ; renforcer la surveillance
Darunavir
Etravirine
PE
Diminution des concentrations d’étravirine par l’IP
mais efficacité démontrée
Atazanavir
Raltégravir
PE
Augmentation de 50 % des concentrations de raltégravir
(inhibition UGT1A1) ; association non recommandée
IP
Maraviroc
PE
Augmentation des concentrations de maraviroc
Adaptation de posologie nécessaire réservée aux spécialistes
Médicaments associés
Contrainte
Commentaires
Cisapride (retiré de la vente)
Astémizole (retiré de la vente)
Pimozide
CI
Risque de torsade de pointe par allongement de l’intervalle QT
Antimigraineux dérivés de l’ergot
de seigle
(ergotamine dihydroergotamine)
CI
Risque d’ergotisme
Agonistes dopaminergiques
(bromocriptine, lisuride,
carbergoline, pergolide)
CI
Risque d’ergotisme
Simvastatine, atorvastatine
CI
Effets indésirables augmentés avec risque de rhabdomyolyse
Association possible avec pravastatine, fluvastatine et
rosuvastatine
Inhibiteur de phosphodiesterases
Sidénafil, vardénafil, tadalafil
AD
Augmentation des concentrations de l’inhibiteur de
phosphodiestérase (PD)
Diminution de posologie de l’inhibiteur de PD nécessaire
Fluticasone
AD
Le ritonavir augmente les concentrations du corticoïde inhalé
Association possible avec budésonide et beclométasone
Quinine, Halofantrine
AD
Augmentation de leur concentration, surveiller l’ECG
Préférer la méfloquine, mais surveiller la tolérance
Atovaquone
AD
Atazanavir, lopinavir, darunavir, tipranavir diminuent de 50 %
la concentration d’atovaquone
Préférer la doxycycline pour la prophylaxie antipaludéenne
Tacrolimus, cyclosporine
AD
Augmentation des concentrations résiduelles
des anticalcineurines
Renforcer le STP
AVK
PE
Des cas de modification de l’INR ont été rapportés avec les IP
Renforcer la surveillance de l’INR
Pilules contraceptives
PE
Diminution d’efficacité des pilules contraceptives
Possibilité de prescrire des pilules normodosées
Interactions des IP sur les autres médicaments
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
95
J. Giraud, et al.
Tableau 3. (Suite)
Interactions des ARV sur les IP
Médicaments associés
Contrainte
Commentaires
Ténofovir
AD
Diminution de 25 % des concentrations d’atazanavir ; dans ce
cas toujours associer l’atazanavir au ritonavir
INNTI
PE
Caractère inducteur des INNTI diminue les concentrations des
IP
Prise en charge spécialisée
Médicaments associés
Contrainte
Commentaires
Rifampicine
CI
Diminution importante des concentrations de l’IP
Association avec la rifabutine possible car induction
enzymatique moindre mais en diminuant la posologie
de la rifabutine
Millepertuis
CI
Diminution des concentrations de l’IP
IPP
PE
Diminution de l’absorption et donc des concentrations
de certaines IP
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Interactions de certains médicaments sur les IP
CI : contre-indication ; AD : association déconseillée ; PE : à prendre en compte ; STP : suivi thérapeutique pharmacologique (par dosage des molécules).
L’oubli de prise est probablement plus délétère pour
les schémas thérapeutiques en monoprise quotidienne
par rapport à ceux en deux prises par jour, en particulier pour les IP/r dont la demi-vie est courte. Les données
des essais récents font réserver la monoprise des IP/r
(lopinavir, darunavir, fosamprénavir) aux patients naïfs de
traitement antirétroviral.
D’une manière générale, la tolérance aux inhibiteurs
de protéase est médiocre avec des effets indésirables
communs à tous les IP : intolérance digestive (gastralgie, vomissements, diarrhées) plus fréquente en début
de traitement et réversible en cas de poursuite de celuici ; altération du goût, irritation de la gorge, sécheresses
cutanée et buccale ; asthénie et céphalée.
La toxicité hépatique révélée par une élévation des
transaminases nécessite une surveillance régulière. La
lipodystrophie fréquemment observée peut se révéler
soit par une lipoatrophie (diminution de la graisse sous
cutanée) soit par une lipohypertrophie (augmentation de
la graisse périviscérale tronculaire). Cette lipodystrophie
est le plus souvent associée à des anomalies lipidiques
et à une insulinorésistance. Chez les patients hémophiles, des cas d’aggravation du syndrome hémorragique
comprenant des hématomes cutanés spontanés et des
hémarthroses ont été signalés. À ces effets indésirables
communs, il faut ajouter les effets indésirables propres à
chaque inhibiteur de protéase. Ainsi à titre d’exemple on
peut citer l’hyperuricémie, la leucopénie sous ritonavir,
96
l’hyperbilirubinémie fréquente sous atazanavir, l’anémie
hémolytique, la lithiase urinaire, l’insuffisance rénale sous
indinavir, les diarrhées fréquentes sous nelfinavir, la toxicité cardiaque et les ulcérations buccales sous saquinavir.
L’atazanavir semble être associé moins fréquemment
à des anomalies lipidiques. La tolérance clinique, notamment digestive, et lipidique sont meilleures avec le
darunavir.
Pour des raisons d’efficacité virologique et immunologique, ainsi que pour des raisons de tolérance et de
facilité de prise, l’atazanavir, le darunavir et le lopinavir (mauvaise tolérance digestive mais facilité de prise
puisqu’une formulation avec le ritonavir existe) sont les
trois IP prescrits en première intention.
Parce qu’ils ont une barrière génétique plus élevée
que les INNTI, les IP n’entraînent que rarement des résistances précoces à l’ensemble des médicaments de la
classe quand les concentrations plasmatiques sont insuffisantes, notamment du fait d’une observance imparfaite.
Les inhibiteurs de l’intégrase
Les inhibiteurs de l’intégrase constituent une nouvelle
classe d’antirétroviraux. Le raltégravir est pour le moment
le seul représentant de cette classe (AMM en 2010).
L’elvitégravir est en cours d’essais cliniques de phase III.
Les inhibiteurs de l’intégrase du VIH bloquent
l’intégrase et préviennent donc l’insertion du génome viral
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Recommandations du rapport Yeni
dans le génome humain. Le raltégravir bloque essentiellement le VIH avant même qu’il n’ait pu altérer le matériel
génétique humain. Les cellules humaines ne possèdent
pas d’intégrase, donc la toxicité et les effets indésirables
du raltégravir restent mineurs.
Les inhibiteurs d’intégrase sont actifs tant sur le VIH1
que sur le VIH2.
Le raltégravir est caractérisé par une grande variabilité de la biodisponibilité notamment après un repas
riche en graisse (augmentation de l’AUC de 19 %), une
forte liaison aux protéines plasmatiques (environ 83 %),
et un métabolisme hépatique indépendant des CYP450
mais impliquant l’UGT1A. La demi-vie du raltégravir est
de 9 heures ce qui nécessite 2 administrations par jour à
12 heures d’intervalle. Afin de limiter la variabilité de la
biodisponibilité, il est recommandé de prendre la raltégravir en dehors des repas.
Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés
sont : diarrhées, asthénie, céphalées et démangeaisons.
Des troubles du système nerveux ont été mis en évidence
(insomnie, cauchemar, sensation vertigineuse), mais globalement, le raltégravir est bien toléré et ses effets
indésirables sont comparables à ceux du groupe placebo
dans les essais cliniques.
Le manque de données concernant la tolérance au
long court, la sélection plus rapide et plus importante de
variants résistants (vs IP/r) ainsi que son prix font que
le raltégravir n’est pour l’instant pas recommandé pour
un premier traitement antirétroviral. Il est utilisé dans les
cas où il faut limiter le risque d’interactions médicamenteuses et chez les patients à haut risque cardio-vasculaire.
Il est essentiellement indiqué chez les patients en échec
thérapeutique.
La sélection de mutations de résistance au raltégravir est observée principalement quand celui-ci est utilisé
dans une combinaison d’antirétroviraux ne comportant
aucune autre molécule pleinement active. Dans le cadre
de l’utilisation du raltégravir en relais chez des patients
ayant une charge virale indétectable, il convient d’être très
vigilant sur l’efficacité des molécules associées et de bien
vérifier dans le dossier clinique et dans l’historique des
tests de résistance que celles-ci sont bien complètement
actives. La barrière génétique de cette famille est faible
et une seule mutation peut induire d’emblée une résistance complète à ces molécules. Il convient donc d’être
très vigilant et de n’autoriser aucune réplication résiduelle
sous traitement comportant un inhibiteur d’intégrase. De
plus, il n’est pas recommandé d’utiliser cette classe de
médicaments dans des combinaisons antirétrovirales non
validées par des essais cliniques.
D’une manière générale, l’absence d’interaction
majeure du raltégravir avec les autres médicaments et les
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
antirétroviraux est à souligner, hormis le fait qu’il faut
adapter la posologie du raltégravir en cas d’association
avec la rifampicine.
L’inhibiteur d’entrée
Il s’agit là d’une nouvelle classe d’antirétroviraux dont le
seul représentant est le maraviroc. Celui-ci agit en inhibant
l’entrée du VIH dans la cellule par effet allostérique après
liaison au co-récepteur CCR5.
Le maraviroc est un antagoniste du co-récepteur CCR5
du VIH-1 indispensable à l’entrée du virus dans la cellule.
Ce co-récepteur peut être de nature CCR5, CXCR4 ou bien
le virus peut posséder les deux types de co-récepteurs :
on le dit à tropisme mixte. Avant toute prescription, il
y a lieu de s’assurer que le tropisme viral est de type
CCR5 exclusif, la molécule étant inefficace sur les souches
virales de tropisme CXCR4 ou mixte.
La biodisponibilité du maraviroc est médiocre, de
l’ordre de 25-35 %. C’est un substrat de la pompe d’efflux
P-glycoprotéine et du CYP3A. Son administration avec un
petit-déjeuner riche en graisses diminue les concentrations plasmatiques de 33 % chez des volontaires sains.
Le maraviroc est lié approximativement à 76 % aux
protéines plasmatiques humaines et sa demi-vie est de
l’ordre de 13 h ce qui nécessite deux prises par jour.
La dose quotidienne à administrer devra tenir compte
des antirétroviraux associés, en particulier si l’association
comporte du ritonavir inhibiteur puissant du CYP3A et
du degré d’insuffisance rénale. Il est donc recommandé
d’utiliser avec prudence le maraviroc en association avec
des inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques et chez les
patients ayant une insuffisance rénale (clairance de la
créatinine < 80 mL/min).
Le maraviroc reste dans l’ensemble bien toléré hormis
quelques troubles digestifs pouvant survenir en début de
traitement, en particulier nausées et élévation des transaminases. D’autres effets généraux ont été rapportés :
asthénie, insomnie, vertige et rash.
La résistance au maraviroc par mutation est rare et
incomplètement caractérisée.
Cet inhibiteur d’entrée est indiqué essentiellement
chez des patients en multi-échec virologique. Sa prescription complexe doit rester du domaine de spécialistes.
L’inhibiteur de fusion
L’enfuvirtide est le seul représentant de cette classe, c’est
un peptide de 36 acides aminés, actif seulement contre
le VIH-1. Après sa fixation sur la cellule cible il inhibe le
réarrangement interne de la protéine virale d’enveloppe
transmembranaire fusogène gp 41, empêchant ainsi le
rapprochement du virus et de la cellule cible.
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J. Giraud, et al.
La structure chimique de l’enfuvirtide nécessite une
administration par voie sous-cutanée deux fois par jour,
car il est dégradé par voie orale, et sa résorption
sous-cutanée est bonne (70 %). Son métabolisme est indépendant du CYP3A, seules des peptidases interviennent
dans sa métabolisation, le transformant en acides aminés.
Sa demi-vie d’élimination est d’environ 8 heures justifiant
une administration biquotidienne.
L’inconvénient majeur de l’enfuvirtide se manifeste
par une mauvaise tolérance à court terme. En effet, une
réaction au site d’injection est observée chez la plupart
des patients, souvent limitée à une induration ou une
gêne modérée. Du fait de la complexité d’administration
sous-cutanée, de la reconstitution des flacons, des réactions locales, une éducation thérapeutique du patient est
nécessaire pour permettre un maintien de l’observance du
patient.
L’inconvénient de l’administration sous-cutanée
biquotidienne de cet antirétroviral conduit à le proposer
uniquement dans les situations où il n’y a pas possibilité
d’avoir trois molécules pleinement actives, c’est-à-dire
chez les patients en échec de plusieurs lignes de traitement et pour lesquels les alternatives thérapeutiques sont
limitées.
Les formes combinées
L’apparition de formes combinées a permis une réelle
simplification du schéma thérapeutique du patient, et
ainsi une meilleure adhésion des patients à leur traitement. Actuellement 6 spécialités sont commercialisées
sous forme d’associations de plusieurs molécules. Le
tableau 4 liste les noms de spécialités et les DCI des médicaments entrant dans leur composition. Les posologies
sont résumées dans le tableau 1.
Les stratégies thérapeutiques
et recommandations
Quand débuter le traitement
et quels patients traiter ?
L’objectif principal du traitement antirétroviral est
d’empêcher la progression vers le stade sida en maintenant ou en restaurant un nombre de lymphocytes
CD4 > 500/mm3 . Pour atteindre ce but, le traitement
antirétroviral doit rendre indétectable dans le plasma,
l’ARN-VIH (ou charge virale < 50 copies/mL), ce qui maximalise la restauration immunitaire et minimise le risque de
sélection de virus résistants.
Outre l’efficacité immunovirologique, le traitement
permet de réduire la transmission du virus, d’améliorer
la qualité de vie du patient et d’améliorer la tolérance.
Afin d’éviter la sélection rapide de virus mutés résistants
lors de monothérapie antirétrovirale, la polythérapie, ou
plus généralement, la trithérapie combine plusieurs antirétroviraux appartenant à des classes pharmacologiques
différentes. Selon les dernières recommandations du rapport Yeni 2010, résumées dans le tableau 5, l’introduction
d’un traitement antirétroviral repose sur le rapport des
bénéfices et inconvénients de la trithérapie à vie.
Chez les patients symptomatiques (infection opportuniste majeure, autre affection de la catégorie C de
la classification CDC 1993 ou symptômes marqués
ou récidivants de la catégorie B) et chez les sujets
asymptomatiques ayant un nombre de lymphocytes
CD4 < 350/mm3 , l’introduction d’un traitement antirétroviral a été démontrée comme significativement nécessaire.
Tout retard d’initiation représente une perte de chance en
terme de survie pour le patient.
Chez les patients asymptomatiques ayant un nombre
de lymphocytes CD4 compris entre 350 et 500/mm3 , plusieurs études montrent l’intérêt de la mise en route d’un
traitement. Cependant, le caractère traumatisant de ce
type de traitement nécessite une bonne compréhension
par le patient des enjeux de la maladie et une bonne préparation à sa mise en place. C’est pourquoi, il est parfois
préférable de ne pas précipiter l’initiation du traitement,
et d’attendre une adhésion complète du malade, ce qui en
sera d’autant plus bénéfique sur son observance future.
Chez les patients asymptomatiques ayant un nombre
de lymphocytes CD4 > 500/mm3 , dans certaines conditions, il est envisageable de débuter un traitement
antirétroviral. A l’heure actuelle, les données étant insuffisantes pour ces patients, un traitement sera introduit
s’il existe des facteurs de mauvais pronostic tels qu’une
charge virale élevée (> 100 000 copies/mL), un pourcentage de CD4 < 15 % des lymphocytes totaux, une chute
rapide des CD4, des facteurs de risque cardiovasculaire
ou encore l’âge avancé du patient (> 50 ans), une coinfection virale (VHB, VHC).
Les perspectives de grossesse chez les femmes doivent
faire envisager une thérapeutique pour limiter la transmis-
Tableau 4. Spécialités et DCI des spécialités commercialisées.
Atripla®
Trizivir®
Combivir®
Kivexa®
Truvada®
Kaletra®
Ténofovir
Emtricitabine
Efavirenz
Zidovudine
Lamivudine
Abacavir
Zidovudine
Lamivudine
Abacavir
Lamivudine
Ténofovir
Emtricitabine
Lopinavir
Ritonavir
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Recommandations du rapport Yeni
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Tableau 5. Synthèse des recommandations quant au moment de l’instauration
du premier traitement antirétroviral.
Situations
Recommandations
Patients symptomatiques,
Patients asymptomatiques
ayant un nombre de lymphocytes
CD4 < 350/mm3
Début d’un traitement antirétroviral
sans délai
Patients asymptomatiques ayant
un nombre de lymphocytes CD4
compris entre 350/mm3
et 500/mm3
Débuter un traitement antirétroviral,
mais attendre que le patient soit prêt
Patients asymptomatiques ayant
un nombre de lymphocytes
CD4 > 500/mm3
Données insuffisantes pour
recommander l’instauration
systématique d’un traitement
antirétroviral. Le traitement sera
fonction de la charge virale et des
comorbidités du patient
sion du virus au fœtus. De même, dans les néphropathies
liées aux VIH, le pronostic de la maladie est grandement
amélioré lorsqu’un traitement est mis en place.
Les patients co-infectés par le virus de l’hépatite B
ou C demandent une prise en charge particulière. En
effet, la réplication du VIH aggrave l’évolution des lésions
hépatiques induites par le VHC, ce qui constitue un
argument majeur en faveur de l’introduction d’un traitement. Par ailleurs, ce traitement antirétroviral primera
sur l’introduction du traitement de l’hépatite C. En ce qui
concerne la co-infection avec le virus de l’hépatite B, si
un traitement antiviral est nécessaire, alors quel que soit
le taux de CD4, un traitement sera instauré. Le choix
des molécules à utiliser en première ligne sera orienté
par leur efficacité sur le VHB, et devra comporter deux
agents actifs sur les deux virus (emtricitabine, lamivudine,
ténofovir).
Enfin, pour les patients qui ne répondent pas aux trois
situations précédentes, aucun traitement n’est débuté,
mais leur profil sera réévalué tous les 3 à 6 mois, en
fonction de leur charge virale et du taux de lymphocytes
CD4.
Avant toute initiation de traitement, il est recommandé
de faire un test génotypique de résistance afin de choisir
les molécules les plus actives. Ce test est normalement
effectué à l’annonce du diagnostic et doit être renouvelé
au moment de la mise en place du traitement.
Lors d’une initiation d’antirétroviraux, l’objectif est
de rendre la charge virale indétectable (< 50 copies
ARN-VIH/mL) à 6 mois. On s’assurera de la décroissance progressive de la charge virale plasmatique, avec
à 1 mois une diminution d’au moins de 2 log10 copies/mL
et à 3 mois la charge virale devra être inférieure à
400 copies/mL.
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Les patients débutant un traitement avec une charge
virale très élevée ou des lymphocytes très bas, n’atteignent
leurs objectifs qu’après plus de 6 mois de traitement.
Les schémas thérapeutiques
Le schéma de première ligne pour les patients naïfs est
une trithérapie associant deux inhibiteurs nucléosidiques
de la transcriptase inverse (INTI) avec un inhibiteur non
nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) ou un
inhibiteur de protéase (IP). Le choix des molécules sera
fonction de la tolérance à court et long terme. De même
la qualité de vie du patient doit être prise en compte
pour lui proposer un schéma avec un nombre de prises
mieux adapté. Les associations recommandées en première intention sont synthétisées dans le tableau 6.
D’après le dernier rapport d’experts, pour la première
trithérapie, deux associations d’INTI doivent être utilisées
préférentiellement : ténofovir + emtricitabine (Truvada® )
et abacavir + lamivudine (Kivexa® ). Ces deux associations
offrent une simplicité d’emploi (une seule prise par jour),
une efficacité et tolérance idéale pour un premier traitement.
L’association ténofovir + emtricitabine (Truvada®) a
montré une activité virologique plus qu’immunologique,
c’est pourquoi elle doit être préférée chez les patients avec
une charge virale très importante (> 5 log10 copies/mL).
Les deux molécules étant actives sur le virus de l’hépatite
B, le Truvada® sera privilégié lors de co-infection VIHVHB. En revanche chez les patients présentant un
risque d’insuffisance rénale, il sera nécessaire d’évaluer
le bénéfice-risque de l’association, sachant qu’elle n’est
pas recommandée chez les insuffisants rénaux sévères.
Un suivi rapproché de la fonction rénale sera systématique pour tous les patients, avec un calcul de la clairance
de la créatinine à l’initiation du traitement, tous les mois
pendant la première année, puis tous les 3 mois.
La non infériorité de l’association abacavir + lamivudine (Kivexa® ) vis-à-vis du Truvada® a été
démontrée. Mais à cause d’un risque d’hypersensibilité
à l’abacavir la prescription du Kivexa® nécessite une
recherche préalable de l’allèle HLA B*5701. Seuls les
sujets non porteurs de cet allèle pourront bénéficier de
cette association.
Enfin
l’association
zidovudine + lamivudine
(Combivir® ) n’est plus utilisée en première intention du
fait des intolérances à la zidovudine et de sa double prise
quotidienne. Cependant dans certaines circonstances
(femmes enceintes, nécessité d’une bonne diffusion
cérebro-méningée) le Combivir® reste l’association de
choix.
En ce qui concerne le choix de la 3e molécule, il n’y
a pas d’argument décisif pour l’une ou l’autre des deux
classes proposées précédemment.
99
J. Giraud, et al.
Tableau 6. Choix préférentiels pour un premier traitement antirétroviral.
2 INTI
INNTI
Commentaires
Ténofovir/Emtricitabine
(Truvada® )
Efavirenz 600 mg × 1
Précaution INTI en cas d’insuffisance rénale
2 INTI
IP/r
Commentaires
Atazanavir/r 300/100 mg × 1
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Ténofovir/Emtricitabine
(Truvada® )
Darunavir/r 800/100 mg × 1
Précaution INTI en cas d’insuffisance rénale
Lopinavir/r 400/100 mg × 2
(ou 800/200 mg × 1)
Atazanavir/r 300/100 mg × 1
Abacavir/Lamivudine
(Kivexa® )
Lopinavir/r 400/100 mg × 2
Malgré les effets neurosensoriels de l’efavirenz, celuici doit être préféré à la névirapine plus complexe
d’utilisation (commencer à doses réduites pendant deux
semaines), et ayant montré dans deux essais cliniques une
réponse virologique inférieure.
Pour les inhibiteurs de protéase, leur utilisation n’est
envisageable que potentialisé par du ritonavir, pour
renforcer leur efficacité. Il est recommandé d’utiliser
préférentiellement l’atazanavir/r, le darunavir/r, ou le
lopinavir/r. Le saquinavir/r (présentant des risques
d’augmentation du QT), le fosamprénavir/r et l’indinavir/r
(ayant un intérêt pour les encéphalites du VIH via sa
bonne diffusion cérébrale) s’administrent en deux prises
quotidiennes et leur tolérance n’est pas optimale, ce qui
explique qu’ils ne soient pas utilisés en première intention.
Chez les patients avec un taux de lymphocytes CD4 < 100/mm3 , l’ajout d’enfuvirtide permet une
meilleure réponse virologique à 6 mois mais n’améliore
pas la restauration des lymphocytes CD4.
Devant un échec virologique, il faut investiguer le
patient sur son observance, ses éventuels effets indésirables, ses potentielles interactions médicamenteuses via
une auto-médication. Il est également important de vérifier que le virus à l’origine, par le test génotypique de
départ, est bien sensible au traitement en cours, et si
besoin de réaliser un dosage plasmatique des antirétroviraux.
Il faut considérer trois types d’échec virologique :
– la non réponse au traitement est définie comme une
réduction insuffisante de la charge virale plasmatique
(moins de 2 log10 copies/mL à 1 mois d’un 1er trai-
100
Uniquement si HLA B*5701 négatif
Uniquement si CV < 100000c/mL
tement, ou moins de 1 log10 copies/mL à 1 mois
d’un nouveau traitement pour échec virologique avec
multirésistance) ;
– lorsque 6 mois ou 1 an après l’instauration du traitement
la charge virale est, respectivement, supérieure à 200 et
50 copies/mL alors le patient est dit en échec initial ;
– enfin, le rebond virologique correspond à une réascension de la charge virale (> 50 copies/mL) après une
période de succès virologique, confirmé sur deux prélèvements consécutifs.
Si les causes de l’échec thérapeutique sont identifiées,
une modification de traitement tentera de les corriger.
Ainsi s’il s’agit d’un défaut d’adhésion, le passage en
monoprise quotidienne pourra simplifier le traitement ;
en cas d’intolérance, un changement de traitement pourra
être discuté.
Les choses ne sont pas si simples lorsqu’il existe
une ou plusieurs mutations du virus rendant certaines
molécules inactives. En général, ces cas compliqués sont
discutés au cours de réunions pluridisciplinaires, où virologue(s), clinicien(s), pharmacologue(s) s’associent pour
trouver le meilleur schéma thérapeutique possible, avec
pour objectif une charge virale plasmatique inférieure à
50 copies/mL au long court.
De manière idéale, lors d’un échec thérapeutique les
secondes lignes de traitement doivent contenir trois molécules actives (c’est-à-dire soit appartenant à une classe
encore jamais utilisée, soit une classe déjà utilisée mais
sans résistances génotypiques démontrées).
S’il n’existe plus qu’une seule molécule active sur le
virus, le traitement dépendra du rapport bénéfice-risque
évalué par le taux de lymphocytes CD4 :
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Recommandations du rapport Yeni
– CD4 > 200/mm3 : le traitement n’est pas modifié, seule
une surveillance clinique et biologique des taux de CD4
sera préconisée ;
– CD4 < 200/mm3 avec un risque de progression de la
maladie : les molécules déjà utilisées seront recyclées et
associées, afin d’optimiser le traitement, tout en maintenant une prophylaxie contre les maladies opportunistes ;
– CD4 < 100/mm3 avec un risque élevé de progression
clinique : tout ajout d’une seule molécule entraînera un
bénéfice clinique.
En ce qui concerne la place des nouvelles molécules dans la stratégie thérapeutique du VIH, elles sont
réservées aux échecs virologiques et leur prescription est
l’affaire de spécialistes.
Le tableau 1 résume les différentes molécules utilisables actuellement, et leurs posologies.
Prises en charge particulières
Accidents d’exposition
Un accident d’exposition au sang (AES) est défini comme
tout contact accidentel avec du sang ou du liquide biologique potentiellement contaminant via des rapports
sexuels non protégés, ou encore suite à une effraction
cutanée, projection sur une muqueuse ou peau lésée. Cet
accident peut engendrer une transmission de n’importe
quel germe. En pratique on redoute surtout la contamination par le VHC, VHB et le VIH.
Dans un cas d’AES il est très important d’évaluer le
niveau de risque. Celui-ci peut être important en cas
d’accident avec une aiguille de prélèvement veineux ou
artériel contenant du sang, mais est relativement minimisé
lors d’une piqûre à travers des gants.
Ensuite il convient de définir le risque de transmission en fonction du statut sérologique du patient source.
Si le patient est traité avec une charge virale indétectable
depuis plusieurs mois le risque est bien plus faible que
lorsque le patient est infecté et non traité. Mais dans la
plupart des cas le statut virologique du patient n’est pas
connu, et une sérologie d’urgence n’est pas réalisée à
chaque fois, contrairement aux recommandations.
L’indication d’un traitement d’exposition doit mettre
en jeu une évaluation du rapport bénéfice-risque de la
mise en route d’une trithérapie.
Ce traitement post-exposition est d’autant plus efficace
qu’il est administré dans les plus brefs délais. Tous les
acteurs de santé doivent s’unir pour s’efforcer de raccourcir au maximum ce délai afin de commencer le traitement
dans les 4 premières heures suivant l’exposition. Il peut
être initié au plus tard 48 h après l’exposition, mais son
efficacité en est réduite.
Les groupes d’experts recommandent une trithérapie
associant deux INTI et un IP/r. L’association Truvada®
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(ténofovir + emtricitabine) un comprimé par jour, et
Kaletra® (lopinavir/r) deux comprimés deux fois par jour
est à utiliser en première intention. Le Combivir® (zidovudine + lamivudine) sera préféré chez les femmes enceintes
ou en cas d’insuffisance rénale. L’utilisation d’abacavir,
névirapine ou efavirenz n’est pas recommandée du fait
des risques de survenue d’effets indésirables graves.
Le traitement post-exposition devra, dans la mesure du
possible, être adapté à l’historique des traitements antirétroviraux du patient source.
L’initiation du traitement dans ce contexte est prévue pour une durée de 48 à 96 h, à l’issue desquelles le
patient est revu par un médecin référent VIH. Au cours de
cette consultation, ce dernier pourra être amené à modifier le schéma thérapeutique, voir l’interrompre selon
le contexte. Si la décision de poursuivre le traitement
est adoptée, la durée totale de la prescription atteindra
28 jours. Un suivi biologique, clinique (à la recherche des
signes de primo-infection VIH) et de tolérance est effectué à 2 et 4 semaines. Une surveillance sérologique est
réalisée jusqu’au quatrième mois.
En l’absence de traitement post-exposition, la sérologie sera suivie jusqu’à six semaines après l’exposition,
lorsque le patient source était séropositif ou de statut
inconnu.
Femme enceinte et prévention
de la transmission materno-fœtale
Il est important de faire comprendre à toutes les patientes
infectées par le VIH que la grossesse n’est pas contreindiquée, mais elle doit être strictement encadrée. En
effet, le désir d’enfant s’inscrit dans un contrat avec les
professionnels de santé pour une prise en charge optimale. Sans traitement, la transmission mère-enfant peut
atteindre 15 à 20 % pour le VIH-1. Il a été montré
qu’une charge virale indétectable au troisième trimestre
et à l’accouchement est un moyen efficace de prévention de la transmission. Il est donc nécessaire que toutes
les femmes enceintes soient sous un traitement efficace.
L’objectif est de prévenir le mieux possible la transmission
materno-fœtale, tout en limitant les risques de résistance
et de toxicité pour la mère et pour l’enfant.
Seule la zidovudine possède une AMM chez la femme
enceinte, à l’inverse l’efavirenz est le seul antirétroviral
contre indiqué en début de grossesse.
Le concept de la prévention de la transmission mère
enfant est simple. Si la charge virale de la mère est indétectable pendant la grossesse et au terme, alors il suffira
de mesures prophylactiques simples à l’accouchement et
chez le nouveau-né. En revanche cette prophylaxie sera
renforcée lorsque la réplication virale est mal contrôlée.
Le traitement relève d’une décision collaborative, pluridisciplinaire, qui ne doit pas être prise dans l’urgence,
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J. Giraud, et al.
sauf en cas de diagnostic très tardif. La stratégie thérapeutique au cours de la grossesse repose sur une trithérapie
comportant deux INTI et un IP/r.
En première intention il est recommandé d’utiliser la
zidovudine avec la lamivudine, avec comme alternative
possible l’abacavir. Pour le choix des inhibiteurs de protéase il est préférable d’utiliser les molécules ayant des
données cliniques telles que le lopinavir/r.
Quelle que soit la charge virale de la mère au moment
de l’accouchement, une prophylaxie de la transmission
virale au nouveau-né par la zidovudine est recommandée, avec une dose de charge de 2 mg/kg en 1 h et une
dose d’entretien à 1 mg/kg/h jusqu’au clampage du cordon. La césarienne ne doit être proposée que pour les
femmes non contrôlées virologiquement (charge virale
supérieure à 400 copies/mL à 36SA), car elle n’a pas
démontré d’efficacité supérieure. Chez les femmes avec
charge virale indétectable il est possible de ne pas faire
de perfusion systématique d’AZT après discusssion multidisciplinaire et en l’absence de complication obstétricale.
Mais cette pratique est à évaluer dans les cohortes.
Après l’accouchement, une prise en charge et une surveillance accrue du nouveau-né doivent être établies. La
zidovudine en monothérapie est la seule molécule détenant une AMM pour cette indication. Cependant d’autres
molécules telles que la lamivudine ou la névirapine sont
utilisables.
Si à la naissance le nouveau-né avait un risque faible
de transmission (mère avec une charge virale inférieure à
100 copies/mL sous prophylaxie et accouchement sans
complications) alors il est important d’introduire de la
zidovudine dans les douze premières heures de vie à
2 mg/kg toutes les 6 heures et ce pendant 6 semaines (la
durée de traitement pouvant être diminuée à 4 semaines
sans augmentation de la transmission).
Le traitement préventif du nouveau-né doit être renforcé lorsque le risque de transmission est élevé (la
mère n’a pas reçu de prophylaxie, ou la prophylaxie
a été trop courte pour contrôler la charge virale en
fin de grossesse, ou une charge virale restée élevée à
l’accouchement, ou un accouchement à risque). Trois
schémas possibles de renforcement peuvent être proposés pour une durée totale de 4 semaines, à commencer
le plus tôt possible dans un délai maximum de 48 à
72 heures : zidovudine + lamivudine + lopinavir/r (avec les
difficultés d’administration et de tolérance de l’IP), zidovudine + lamivudine + névirapine en dose unique (à la
naissance), zidovudine + lamivudine + névirapine en une
prise quotidienne pendant 15 jours. Les deux derniers
schémas présentent comme inconvénient majeur un
risque de résistance à la névirapine en cas d’infection du
nourrisson.
La prise en charge du prématuré est un peu particulière : il faut adapter les posologies de zidovudine. Si la
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naissance a lieu entre 30 et 35 SA, la zidovudine à 2 mg/kg
se donnera toutes les 12 heures pendant 15 jours puis
toutes les 8 heures les deux semaines suivantes. Les prématurés de moins de 30SA seront traités 4 semaines par
de la zidovudine à 2 mg/kg toutes les 12 heures.
Dernier point clé de la prévention de la transmission
materno-fœtale, l’allaitement doit être proscrit pour limiter
le risque de contamination, puisque des particules virales
se trouvent dans le lait.
Conclusion
Ce qu’il faut retenir
La prise en charge des patients infectés par le VIH
fait intervenir plusieurs disciplines complémentaires et
le pharmacien joue un rôle important qui repose sur
l’information et la prévention de l’automédication. En
effet, cela peut conduire à des interactions médicamenteuses majeures pouvant aller jusqu’à des exacerbations
de toxicité ou à l’inverse des échappements thérapeutiques par inefficacité. Par exemple, chez les femmes, il
faudra être très vigilant vis-à-vis de la contraception orale.
L’adhésion (ou observance) est un message clé à faire
passer aux patients. Il est au centre de la prise en charge
du VIH, étant donné qu’une observance inférieure à 95 %
augmente fortement le risque d’échappement thérapeutique, avec une re-ascension de la charge virale. Une prise
régulière du traitement selon son schéma de prescription
permet de limiter le risque de sélection de virus mutants,
l’archivage des mutations et un échec thérapeutique.
Il est également fortement conseillé de respecter la
prise d’antirétroviraux à heure régulière. Les médicaments
en deux prises par jour doivent être espacés de 12 heures.
Si le patient oublie sa prise le premier réflexe est de
regarder les recommandations dans le RCP spécialité par
spécialité, afin de trouver si des conduites à tenir particulières sont mentionnées (dépendant de la cinétique
de chaque molécule). Ensuite il faut expliquer au patient
qu’un oubli est rattrapable mais il faut que cet événement
reste exceptionnel. Si le médicament oublié s’administre
en une seule prise par jour, il est conseiller de le prendre
immédiatement, même en cas de retard important (1520 h) et de conserver au minimum 4 heures entre les deux
prises (6 heures pour le darunavir). Lorsque la prise du
médicament est biquotidienne on peut reprendre le traitement jusqu’à la huitième heure habituelle de la prise.
Toute abstention thérapeutique est à proscrire.
Autre notion à toujours garder à l’esprit : le traitement
antirétroviral est un traitement à vie. Il est donc primordial
que le patient soit entouré par les professionnels de santé
et que le patient comprenne son traitement. C’est la raison
pour laquelle des programmes d’éducation thérapeutique
ont été mis en place dans de nombreuses structures hospitalières. Il peut être également utile d’orienter le malade
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
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Recommandations du rapport Yeni
isolé vers des associations de patients ; des informations
utiles peuvent être trouvées sur le site du groupement
interassociatif Traitement et Recherche Thérapeutique ou
TRT5 (http://www.trt-5.org/). En effet, dans cette pathologie le dialogue permet au patient de lever les zones
d’ombre sur sa maladie, son traitement, sa vie quotidienne, et surtout de se sentir en sécurité. En établissant
une relation de confiance avec le patient, le médecin et
le pharmacien (au cours des renouvellements mensuels
du traitement) devront détecter les effets indésirables, les
signes de démotivation du patient. . ., pour ainsi l’orienter
vers des spécialistes.
À l’heure actuelle la prise en charge d’un patient VIH
est associée à une efficacité remarquable. Plus de 80 % des
patients traités sont en succès thérapeutique. Les multithérapies permettent de conserver ou de retrouver une
qualité de vie acceptable. De plus, l’amélioration des
formes galéniques, la prise en charge des effets indésirables ont grandement amélioré le confort du patient [1-6].
J Pharm Clin, vol. 31 n◦ 2, juin 2012
Conflits d’intérêts : Anne-Marie Taburet a coordonné le
chapitre pharmacologie du rapport 2010 sur la prise en
charge des patients VIH (rapport Yeni).
Références
1. Yeni P, ed. Prise en charge médicale des personnes infectées par
le VIH. Rapport d’experts 2010. Paris : La documentation française,
2010
2. Girard PM, Katlama C, Pialoux G. VIH. Paris : Doin, 2011.
3. Calop J, Limat S, Fernandez C. Pharmacie clinique et thérapeutique. 3e édition. Paris : Masson, 2008.
4. Dariosecq JM, Taburet AM, Girard PM. Infection VIH : mémento
thérapeutique. Paris : Doin, 2009.
5. Pilly E. Maladies infectieuses et tropicales. Paris : CMIT, 2011.
6. RCP des différents médicaments cités : Atripla® , Combivir® ,
Kivexa® , Trizivir® , Truvada® , Emtriva® , Epivir® , Retrovir® , Videx® ,
Viread® , Ziagen® , Intelence® , Sustiva® , Viramune® , Aptivus® ,
Crixivan® , Invirase® , Kaletra® , Norvir® , Prezista® , Reyataz® , Telzir® ,
Isentress® , Celsentri® , Fuzéon® .
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