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I
NTRODUCTION
“Chef-d'œuvre”, “maître-livre”, “Opus magnum”, ce ne sont que quelques-uns des
qualificatifs qui reviennent le plus souvent lorsqu'est évoquée l'Étoile de la Rédemption
de Franz Rosenzweig. Considérées en elles-mêmes, de telles louanges n'ont rien
d'exceptionnel – de nombreux ouvrages appartenant à l'histoire de la philosophie se
voient attribués les mêmes termes et les mêmes expressions. Mais dans le cas de
l'Étoile, ces qualificatifs ont une intonation particulière, une intonation plus habitée que
celle généralement réservée aux classiques de la philosophie. On ne parle pas du chef-
d'œuvre de Rosenzweig comme on parle du chef-d'œuvre d'un autre philosophe. À côté
du respect que l'on éprouve face à la puissance d'une pensée, c'est l'admiration vis-à-vis
de l'expression de cette pensée qui se fait entendre ; une admiration qui a peu à voir
avec le fonctionnalisme implicite de la phrase de Boileau : « ce qui se conçoit bien
s'énonce clairement ». Ne participant pas de cette exigence de clarté qui, bien que
légitime, conduit à faire du langage l'instrument de la pensée, Rosenzweig privilégie
une pensée langagière (Sprachdenken) dont le développement conceptuel ne peut être
abstrait de la temporalité de son expression. S'ajoute à cela le fait que cette
revalorisation du statut du langage vis-à-vis de la pensée se trouve lié au contexte
littéraire dans lequel l'Étoile a été rédigée. « Nous avions alors abouti à la lumière d'un
midi du monde, où l'ombre idéaliste que jetaient les choses créées à travers les rayons
obliques du soleil brillant dans le monde matutinal s'est ratatinée jusqu'à disparaître
complètement
1
.» À la lecture d'un tel passage – un parmi d'autres -, traitant du rapport
des concepts de l'idéalisme au nouveau monde ouvert par la Sprachdenken, il est
1
Franz R
OSENZWEIG
, L'Étoile de la Rédemption (ER), Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2003, p.
267.