M I S E A U P O I N T Atteintes neurologiques au cours de la maladie cœliaque de l’adulte Neurological complications of celiac disease ● Kouroche Vahedi*, Katayoun Vahedi** P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ La maladie cœliaque (MC) est une entéro p athie autoimmune fréquente induite par l’ingestion de gluten. …/… nase antibodies is useful for the diagnosis of celiac disease. A gluten free diet may not reverse the neurological disorders in association with celiac disease. Keywords: Celiac disease – A n t i e n d o mysial and antitransglutaminases antibodies – Ataxia – Peripheral neuropathy. ■ Les anticorps anti-endomysium et antitransglutaminases de classe IgA permettent le dépistage de la MC. ■ L’ ataxie cérébelleuse et les neuro p athies périphériques sont les manife s t ations neuro l ogiques les plus fréquentes de la MC. ■ Les manifestations neurologiques de la MC peuvent être présentes en l’absence de toute manife s t ation dige s t ive. Leur mécanisme reste encore inconnu. ■ Dans la majorité des cas, elles évoluent indépendamment du régime sans gluten et des suppléments en vitamines et oligo-éléments. Mots-clés : Maladie cœliaque – A n t i c o rps anti-endomy s i u m et antitransglutaminases – Ataxie – Neuropathie périphéri q u e. S U M M A RY S U M M A RY Most frequent neurological disord e rs associated with celiac disease include cerebellar ataxia and peri p h e ral neuropathy. Their underlying mechanisms and the nat u re of their assoc i ation with celiac disease are uncl e a r. These non-specific neurological disorders may precede the diagnosis of the enteropathy and may even be the sole clinical manife s t ation of the d i s e a s e. Detection of antiendomysial and antitra n s g l u t a m i…/… * Service d’hépato-gastroentérologie et d’assistance nutritive, hôpital Lariboisière, Paris. ** Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris. 316 a maladie cœliaque (MC) est une entéro p athie autoimmune induite par l’ingestion de gluten chez des sujets génétiquement prédisposés (1). Elle se traduit classiquement par une lésion at rophique caractéristique de la muqueuse de l’intestin grêle (figures 1, 2), régressive après exclusion aliment a i re du gluten de blé et des prolamines équivalentes des autre s céréales réputées toxiques (le seigle, l’orge et dans une moindre mesure, l’avoine) ( 2 ) . Il s’agit d’une maladie fréquente, sa prévalence réelle (en tenant compte des formes cliniquement silencieuses) est estimée entre 1 et 4,5 % de la population dans les pays occidentaux (1). Le dépistage séro l ogique de la MC augmentera i t L a. b. c. d. Fi g u re 1. Aspects endoscopiques du duodénum chez un sujet norm a l : A. sans coloration ; B. après coloration par le bleu de méthylène. Aspects endoscopiques du duodénum chez un malade cœliaque ; C. aspect atrophique de la muqueuse avec disparition des plis ; D. aspect cara c t é ri s t i q u e en mosaïque après coloration par le bleu de méthylène. …/… La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 9 - novembre 2004 …/… n’ont été re t rouvées que chez 35 % des sujets port e u rs d’anticorps antigliadines, alors que 65 % avaient une sensibilité au gluten avec comme organes cibles le cervelet et les nerfs périphériques (4). Une at rophie villositaire duodénale a été re t rouvée chez 77 % de patients présentant une épilepsie associée à des calcifications intracérébrales ; inve rsement, 42 % des adultes cœliaques atteints d’épilepsie avaient des calcifications intracérébrales (5). Les syndromes cliniques sont multiples, peuvent être associés entre eux, intéressent le système nerveux périphérique et centra l : ataxie cérébelleuse, é p i l epsie avec ou sans calcifications intracérébrales, syndrome cordonal postéri e u r, encéphalopathie et anomalies de la substance bl a n ch e. Histologiquement, des lésions de démy élinisation, une perte neuronale avec gliose fibri l l a i re et hy p e rt rophie astrocy t a i reassociées à des degrés va ri ables d’infi l t ration lymphocy t a i re et infl a m m at o i re ont été décrites dans les atteintes centrales (4). Dans la majorité des cas, l’atteinte neuro l ogi q u e, centrale ou périphérique, progresse de manière indépendante, malgré le RSG et les suppléments en vitamines et oligo-éléments. Le mécanisme des manifestations neuro l ogiques de la MC est inconnu. Des fa cteurs immu n o l ogiques, nutritionnels, t oxiques ou métaboliques (carence en vitamine E) ont été évoqués (6). L’ ataxie cérébelleuse et la neuro p athie périphérique constituent les manife s t ations neuro l ogiques les plus fréquemment associées à la maladie cœliaque (tableau). Figure 2. Aspects histologiques de la muqueuse duodénale chez un sujet normal ; A. villosités normales et chez un sujet cœliaque ; B. at rophie villositaire totale, hypertrophie cryptique, hypercellularité intra-épithéliale et du chorion. l’incidence de la MC : la sensibilité et la spécificité des anticorps anti-endomysium et antitransglutaminases de classe IgA dans le d é p i s t age de la MC sont pro ches de 100 %, la sensibilité des antic o rps antigliadines de classes IgA et IgG est d’env i ron 60 à 90 % et leur spécificité entre 80 et 100 % (2). Le traitement de la MC repose sur le régime sans gluten (RSG) strict et définitif. Les manifestations extra-intestinales associées à la MC sont : la dermatite herp é t i fo rm e, le diabète insulino-dépendant, la cirr h o s e b i l i a i re pri m i t ive et le déficit sélectif en IgA, et les maladies autoimmunes de manière générale ( 2 ) . Les manifestations neurologiques de la MC sont ra re s , mais parfois sévère s , et doivent être systématiquement recherchées (3). Elles peuvent non seulement précéder le diagnostic de MC, mais aussi en être la seule manife station (2). Leur prévalence, rapportée à une population d’adultes suivis plus de 10 ans pour une MC, varie entre 5 et 8 % (4), mais leur prévalence réelle semble plus import a n t e. Les hommes et les sujets âgés semblent être plus fréquemment atteints. Dans un travail concernant 147 adultes atteints d’un syndrome neuro l ogique central ou péri p h é rique inexpliqué, des anticorps antigliadines étaient présents dans 57 % des cas, c o n t re 12 % dans le gro u p e des sujets sains : les lésions histologiques cara c t é ristiques de MC La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 9 - novembre 2004 Tableau. Manifestations neurologiques rap p o rtées au cours de la maladie cœliaque. Ataxie cérébelleuse (atrophie cérébelleuse) Ataxie-myoclonie progressive (syndrome de Ramsay-Hunt) Neuropathies périphériques Épilepsie Calcifications intracérébrales Anomalies de signal de la substance blanche cérébrale à l’IRM Myélopathie Myosite Polymyosite Thrombose veineuse cérébrale Démence Troubles psychiatriques (dépression, psychose, anorexie mentale) L’ATAXIE CÉRÉBELLEUSE Décrite dès 1966 au cours de la MC, elle en représente la manifestation neurologique la plus fréquente. Une série de 28 adultes atteints de MC et d’ataxie cérébelleuse progressive non expliquée par les autres causes (tox i q u e, c a rence en vitamine E, d é g é n é re scence spino-cérébelleuse, dysthyroïdies, acanthocytose) a été rapportée (7) ; l’ataxie était à nette prédominance statique, avec une at rophie cérébelleuse à l’IRM dans 21 % des cas, dont l’importance semblait corrélée à la durée d’évolution de l’at a x i e ; ch e z 65 % des malades, une neuro p athie péri p h é rique était associée, et seuls 43 % des malades avaient des symptômes digestifs (7). Récemment, une étude anglaise a montré une prévalence de MC 317 M I S E A U P O I N T Figure 3. Atrophie cérébelleuse (A) et vermienne (B) à l’IRM cérébrale chez un patient de 66 ans atteint de maladie cœliaque sévère et d’un syndrome de R a m s ay-Hunt (ataxie-myo clonie progre s s ive) résistant au régime sans gluten. Lésion cort i c o - s o u s - c o rticale pariétale droite et lésion de la substance bl a n ch e pariétale gauche découverte à l’IRM (T2) chez le même patient (C). de 38 % parmi les patients atteints d’ataxie sporadique idiop athique (8). A l o rs que la totalité de ces patients présentait un ou plusieurs signes neurologiques, seuls 13 % d’entre eux avaient un signe ga s t ro-intestinal (8). La re ch e rche d’une MC doit donc être systématique en présence d’une ataxie cérébelleuse inexpliquée (9), y compris chez l’enfant. L’ atteinte cérébelleuse au cours de la MC est liée à une destruction des cellules cérébelleuses de Purkinje, déclenchée par la prise de gluten (7). La présence d’infiltrats ly mphocytaires au niveau du cervelet, des cordons postérieurs de la moelle et des nerfs péri p h é riques plaide pour un mécanisme immunologique à l’ori gine d’une destruction neuro n a l e ; le rôle pathogénique des anticorps antineuronaux par ailleurs a été évoqué. Des anticorps dirigés contre les cellules de Purkinje ont été détectés dans le sérum des patients souff rant de MC atteints d’ataxie, avec une réactivité croisée entre les anticorps antigliadines et certains épitopes des cellules de Purkinje (4). Il semble exister une relation e n t rela durée d’exposition au gluten et la sévérité de l’ataxie et de l ’ at rophie cérébelleuse ( 7 ) ; ceci explique peut-être le cara c t è re réversible ou non de l’ataxie cérébelleuse, selon la durée d’évolution de celle-ci, après mise sous RSG strict (9). La dégénérescence cérébelleuse semble être indépendante d’une carence en vitamine E au cours de la MC, même si quelques cas d’at t e i n t e cérébelleuse accompagnée d’un déficit en vitamine E ont été rap p o rtés chez des adultes atteints de MC. Une fo rme particulière de syndrome cérébelleux associé à la MC est le syndro m e d’at a x i e - myoclonie progressive (ou syndrome de Ramsay - H u n t ) . Le tableau clinique comporte une ataxie cérébelleuse progre s s ive, des myo clonies et des crises d’épilepsie (10). O u t re l’at ro p h i e cérébelleuse, des anomalies de la substance blanche cérébrale ( hy p e rsignaux T2) peuvent être observées sur l’IRM cérébra l e (figure 3) (10). Les formes typiques surviennent après l’apparition des manife s t ations intestinales de la MC, celles-ci ayant tendance à régresser après mise sous RSG. L’histologie duodénale est souvent norm a l e. La re ch e rche d’anticorps antigliadines dans le liquide céphalorachidien peut être utile au diagnostic, surtout lorsqu’il existe peu ou pas de symptômes digestifs, ceci laissant supposer un mécanisme auto-immun et une production locale 318 d ’ a n t i c o rps antigliadines IgA et IgG au niveau du système nerveux central. L’évolution peut se fa i re ve rs une démence, i n d épendamment du régime sans gluten. Le traitement est symptom atique (benzodiazépines, valproate de sodium, carbamazépine) ; les immunosuppresseurs sont le plus souvent inefficaces (10). LES NEUROPATHIES PÉRIPHÉRIQUES Les neuro p athies péri p h é riques constituent la deuxième manifestation neurologique associée à la MC. Il peut s’agir, par ordre de fréquence, d’une polyneuropathie axonale sensitive ou sensitivo - m o t ri c e, de mononeuro p at h i e s , d’une neuro p at h i e motrice pure, ou de poly n e u ro p athies mixtes axonales et démy élinisantes (6). Le mécanisme phy s i o p at h ogénique de la neuropathie périphérique de la maladie cœliaque est encore incertain. Une neuro p athie carentielle est souvent suspectée, mais rarement démontrée. La présence d’anticorps antigangliosides a été rapportée (11). Sous RSG, les symptômes cliniques peuvent s’améliorer chez certains patients, a l o rs que chez d’autres les signes de neuro p athie péri p h é rique ap p a raissent sous un régime bien conduit. LES AUTRES MANIFESTATIONS NEUROLOGIQUES Des lésions multifocales de la substance bl a n che touchant les pédoncules cérébelleux, le tronc cérébral, le cervelet ou les régions paraventriculaires, se rehaussant plus ou moins après gadolinium et re s p o n s ables de tro u bles neurologiques fo c a u x d’installation progre s s ive, ont été décrites au cours de la maladie cœliaque ( 6 ) . Ces anomalies de la substance bl a n che cérébra l e p e u vent s’associer à une synthèse intrathécale d’immu n og l o buline. Des hypersignaux T2 de la substance blanche cérébrale ont été re t rouvés dans 20 % des cas sur une série de 75 e n fa n t s atteints de MC (12). Aucune corr é l ation entre ces anomalies et le suivi du régime sans gluten n’a été observée. La Lettre du Neurologue - vol. VIII - n° 9 - novembre 2004 L’association entre épilepsie et MC reste incert a i n e. La prévalence de la MC est de l’ord re de 2 % chez les patients adultes épileptiques (13). Il peut s’agir d’épilepsie partielle occipitale ou généralisée. La présence de calcifications occipitales bilatérales est alors fréquente, y compris chez l’enfant. Une fréquence plus é l evée d’anticorps antigliadines a été notée chez les enfa n t s épileptiques, c o m p a rativement aux sujets contrôles. La MC est souvent lat e n t e, pouvant être diagnostiquée avant l’épilep s i e, et le rôle du RSG sur la fréquence des crises comitiales n’est pas encore bien établi. Une MC a été diagnostiquée chez quelques patients atteints de démence précoce (avant l’âge de 60 ans) accompagnée d’at ro p h i e c o rt i c a l e, non réve rs i ble après institution d’un RSG. Des cas de myo s i t e s , de poly myosites et de neuro myotonies ont éga l e m e n t été rap p o rtés ( 4 ) . De ra res cas de thrombose des veines hépatiques ou cérébrales au cours de la MC sont décrits. Enfin, certains tro u bles psychiatriques (anxiété, dépression, schizophrénie, anorexie mentale) ont été re t rouvés chez des patients atteints de MC, semblant régresser après institution d’un régime sans gluten (2). ■ 3. Wills AJ. The neurology and neuropathology of coeliac disease. Neuropathol R B I B L I O G R A P H I Q U E S 12. K i e s l i chM, Erra z u riz G, Posselt HG et al. Brain wh i t e - m atter lesions in celiac 1. Farrell RJ, Kelly CP. Celiac sprue. N Engl J Med 2002;346:180-8. 2. Vahedi K, Bouhnik Y, Matuchansky C. Maladie cœliaque de l’adulte. Gastroenterol 13. Hernandez MA, Colina G, Ortigossa L. Epilepsy, cerebral calcifications and Appl Neurobiol 2000;26:493-6. 4. Hadjivassiliou M, Gibson A, Davies-Jones GA et al. Does cryptic gluten sensitivity play a part in neurological illness? Lancet 1996;347:903-4. 5. Gobbi G, Bouquet F, Greco L et al. Coeliac disease, epilepsy, and cerebral calcifications. Lancet 1992;340:439-43. 6. Ghezzi A, Filippi M, Falini A, Zaffaroni M. 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