Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
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Mise au point
concerne l’influence des corticoïdes de synthèse
sur le dosage du cortisol endogène. L’homologie de
structure de certains d’entre eux avec le cortisol induit
une réaction croisée variable d’un corticoïde à l’autre.
Avec la technique de dosage utilisée au laboratoire, la
réaction croisée avec la prednisolone (structure très
proche de celle du cortisol avec sa fonction hydroxyle
sur le carbone 11) est très importante (> 100 %) alors
qu’elle est négligeable avec la prednisone (0,3 %). Pour
la dexaméthasone, la réaction croisée est quasi nulle
(< 0,1 %), ce qui est d’ailleurs une condition sine qua
non pour la réalisation des tests de freination de l’axe
corticotrope. Pour un certain nombre d’hormones
naturelles administrées par voie exogène (hydrocorti-
sone, hormone de croissance [GH]), le dosage ne peut
évidemment pas faire la part entre sécrétion endo-
gène et administration exogène. Cela peut être le cas
également pour certains médicaments antagonistes.
En effet, ces derniers ont une structure très proche de
l’agoniste − ce qui leur permet de se fixer au récepteur
tout en étant inactifs −, cette structure très proche
étant souvent reconnue par la technique de dosage.
En fonction de la concentration de ce médicament et
de la technique utilisée, il peut y avoir une sur- ou une
sous-estimation de la concentration. L’exemple type
de ce cas de figure est le pegvisomant (Somavert®),
antagoniste du récepteur de la GH employé dans le
traitement de l’acromégalie et dont l’administration
thérapeutique oblige à écarter le dosage de la GH
dans le suivi des patients concernés (8).
✓
Le médicament induit une augmentation de la
concentration en protéine de transport et donc une
augmentation de la quantité d’hormone liée à cette
protéine : la concentration plasmatique de l’hormone
totale n’est plus le reflet de la concentration d’hormone
libre, seule forme biologiquement active (cas clinique 2).
✓
Le médicament modifie l’équilibre hormone libre/
hormone liée.
L’interférence des médicaments sur le dosage des
hormones libres concerne essentiellement les hor-
mones thyroïdiennes, principales hormones plas-
matiques estimées sous leur forme libre en pratique
quotidienne (9-12). En effet, le dosage du cortisol libre
se fait principalement dans des fluides où seule la
forme libre est filtrée (salive, urines). Quant à la testos-
térone libre, son dosage reste spécialisé. La thyroxine
étant liée à l’albumine (5 à 10 %), à la transthyrétine
(15 à 20 %) et à la thyroxine binding globulin (TGB)
[75 à 80 %], tout médicament se fixant sur l’une de
ces 3 protéines de transport déplace potentiellement
l’équilibre thyroxine libre/thyroxine liée. Cependant,
ce mécanisme ayant lieu in vivo, la discordance thy-
roxine libre/TSH n’est que très transitoire puisque les
variations du taux de T4 libre entraînent rapidement
une adaptation physiologique de l’axe thyroïdien. En
revanche, pour l’héparine, les choses peuvent être
différentes puisque le déplacement de l’équilibre
T4 libre/liée initié in vivo peut continuer in vitro et
donc se majorer. En effet, l’héparine, même de bas
poids moléculaire, stimule la lipoprotéine lipase
endothéliale qui active l’hydrolyse des triglycérides
en glycérol et acides gras, acides gras qui déplacent
ensuite les hormones thyroïdiennes de leur fixation
sur l’albumine. Il s’ensuit une libération d’hormones
thyroïdiennes libres qui vont perdurer dans le tube de
prélèvement (13, 14). L’amélioration des techniques de
dosage depuis une dizaine d’années a permis cepen-
dant de minimiser ce phénomène. Les interférences
analytiques les plus fréquentes sont résumées dans
le tableau.
Exemples d’interférences analytiques
À propos d’un cas clinique d’hypercorticisme
Ce cas clinique décrit, (cas clinique 2) les interfé-
rences résultant de la prise d’estramustine chez un
patient de 80 ans. L’estramustine (Estracyt®) est une
association d’un antimitotique (moutarde azotée)
et d’estrogènes. Chez ce patient, la discordance
entre des valeurs très élevées de cortisol sanguin
(dosage du cortisol total) et des valeurs normales
de cortisol libre urinaire (CLU) et de cortisol salivaire
(dosages du cortisol libre) s’explique par l’augmen-
tation importante de la protéine de transport du
cortisol, la cortisol binding globulin (CBG). En effet,
Tableau. Principales interférences médicamenteuses analytiques.
Dosages Médicaments Mécanismes Conséquences
T4L / T3L
Déplacement
équilibre libre/lié
Furosémide,
salicylates, AINS…
In vivo transitoire T4L
Héparine In vitro artéfactuelle T4L
GH Pegvisomant Dosage du médicament ou artéfactuelle
de la GH
Estradiol
Estrogénothérapie
Contraceptifs oraux
OP’DDD
[SHBG] [E2] total
Cortisol
Estrogénothérapie
Contraceptifs oraux
OP’DDD
[CBG] [cortisol] total
Prednisone
Prednisolone…
Réaction croisée artéfactuelle cortisol
E2 : estradiol ; CBG : cortisol binding globulin ; SHBG : sex hormone binding globulin.