Mini-revue Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ; 22, n° 5 : 257-63 Génétique du rétrécissement aortique Hervé Le Marec1,2,3, Jean-Jacques Schott1,2,3, Vincent Probst1,2,3 1 Inserm, UMR915, institut du thorax, CHU de Nantes, 44000 Nantes, France CNRS, ERL3147, Nantes, 44000 France 3 Université de Nantes, Nantes, 44000 France <[email protected]> Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 2 Résumé. Le rétrécissement aortique calcifié (RAC) est la maladie valvu- laire la plus fréquente ; elle atteint 2 à 5 % de la population âgée et représente la deuxième indication de chirurgie cardiaque en France. On distingue une forme congénitale de RAC, caractérisée par une malformation de la valve dont la plus fréquente est la bicuspidie et une forme acquise ou dégénérative qui a remplacé la forme rhumatismale, devenue plus rare. Avant 70 ans, la bicuspidie aortique est la plus fréquente, alors que la forme dégénérative est prépondérante chez le patient plus âgé. L’âge, le sexe masculin, le taux de Lp(a), de LDL, l’hypertension artérielle et le tabagisme sont des facteurs associés au RAC. L’étude de la génétique du rétrécissement aortique n’a débuté que récemment ; cependant, les données de génétique clinique et d’épidémiologie génétique déjà disponibles montrent que l’hypothèse génétique n’est pas à négliger. Ainsi, le taux d’héritabilité de la bicuspidie est de près de 90 % et trois locus sur les chromosomes 18, 5 et 13 ont été identifiés. L’intervention d’une mutation du gène NOTCH1 a également été démontrée ; ce gène intervient dans le développement embryonnaire des valves aortiques, et son altération semble favoriser la bicuspidie aortique. Même si de nombreux arguments laissent penser qu’il existe une prédisposition à développer un RAC, il existe peu de preuves du caractère héréditaire de cette affection. Des travaux récents de notre équipe ont permis d’identifier des formes familiales de rétrécissement aortique dégénératif. Une liaison significative a été mise en évidence dans le chromosome 16. Les données concernant la génétique du rétrécissement aortique restent encore limitées, il est cependant fort probable qu’il existe une prédisposition génétique à cette maladie. La découverte du rôle de NOTCH1 constitue une avancée majeure ; la constitution de grandes collections d’ADN et de tissus de patients opérés permettra certainement de grandes avancées dans ce domaine. doi: 10.1684/stv.2010.0492 Mots clés : bicuspidie, calcification vasculaire, gène NOTCH1 Abstract The Genetics of Aortic Stenosis Tirés à part : H. Le Marec Calcified aortic stenosis (AS) is the commonest valvular disease : it affects 2 to 5% of the eldrely an dis the second indication for cardiac surgery in France. There is a congenital form of calcified AS characterised by a STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 257 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 258 valvular malformation, usually a bicuspid valve, and an acquired or degenerative form which has replaced the rheumatic form which has become less common. Before the age of 70, bicuspid aortic valve is commoner whereas the degenerative form is commoner in the more elderly patients. Age, male gender Lp(a) and LDL cholesterol levels, hypertension and smoking are factors associated with calcified AS. The study of the genetics of AS has only just begun: however, the available data of genetic clinical and epidemiological studies suggests that the genetic hypothesis cannot be neglected. The heritability of bicuspid aortic valves is nearly 90% and 3 loci on chromosomes 18, 5 and 13 have been identified. The effect of a mutation of the NOTCH1 gene has also been demonstrated: this gene intervenes in the embryonic development of the aortic valve and an abnormality seems to predispose to bicuspid aortic valves. Although many observations suggest that there is a predisposition to calcified AS, there is little proof of the hereditary nature of this disease. Recent studies by our group have identified familial forms of degenerative AS. A significant liaison has been demonstrated on chromosome 16. The data on the genetics of AS remains limited but a genetic predisposition to this disease is very probable. The discovery of the role of NOTCH1 was a major advance: the constitution of large banks of DNA and tissues of operated patients will certainly result in large advances in this field. Key words: bicuspid valve, calcifid aortic stenosis, gene NOTCH1 L e rétrécissement aortique calcifié (RAC) est la plus fréquente des maladies valvulaires, il touche en effet 2 à 5 % de la population âgée. Il est caractérisé par un épaississement et des calcifications des feuillets (sigmoïdes) et de l’anneau valvulaires, responsables d’un obstacle à l’éjection du ventricule gauche. Ses conséquences sont la création d’un gradient de pression entre le ventricule et l’aorte initiale responsable d’une hypertrophie progressive du ventricule gauche. C’est la deuxième cause de chirurgie cardiaque en France, car il n’existe pas d’autre solution thérapeutique que le remplacement valvulaire dont l’indication devient indiscutable quand surviennent les symptômes tels que l’insuffisance cardiaque, les syncopes d’effort, voire l’angor. Le coût de cette chirurgie est élevé et ses conséquences cliniques potentiellement sévères chez des sujets âgés plus fragiles. Enfin, les problèmes posés par cette pathologie risquent de se majorer avec les avancées de la médecine qui ont prolongé considérablement l’espérance de vie. Il existe deux grandes formes de RAC de l’adulte, une forme congénitale caractérisée par une malformation de la valve, dont la plus fréquente est la bicuspidie, et une forme dite acquise ou « dégénérative » maintenant beaucoup plus fréquente que la forme rhumatismale devenue rare. Ces deux formes sont caractérisées par le développement progressif d’un remodelage du tissu valvulaire qui va se scléroser et se calcifier. Les valves bicuspides sont peu sténosantes au début de la vie mais vont se calcifier plus rapidement que les valves tricuspides normales. Ces bicuspidies seront responsables de RAC serrés survenant plus tôt dans la vie. Ainsi, avant 70 ans, la bicuspidie aortique représente plus de 50 % des causes de rétrécissement aortique, alors qu’après 70 ans, c’est la forme dite « dégénérative » qui devient prépondérante [1]. Pendant de nombreuses années, le rétrécissement aortique a été considéré comme un processus inéluctable, dégénératif, lié au vieillissement et donc non modulable par une approche préventive. La recherche de facteurs prédisposant à cette affection n’était pas une préoccupation bien que des études aient montré qu’un faible pourcentage (5 %) d’octogénaires étaient atteints de rétrécissement, modéré à sévère, et que 14 % étaient porteurs de calcifications de la valve aortique [2, 3], ce qui laisse supposer l’existence de facteurs de prédisposition individuels qui ont été peu explorés. Le caractère héréditaire de ces anomalies valvulaires a donc été complètement ignoré, l’attention des cliniciens se portant essentiellement sur les stratégies de prise en charge des valvulopathies aortiques et plus particulièrement sur la date de la chirurgie cardiaque. Comme pour les dystrophies valvulaires myxoïdes, pour lesquelles les bases génétiques deviennent maintenant évidentes [4], il est probable que le rétrécissement aortique soit STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. le résultat d’un processus lent de remodelage où un déterminisme génétique et de nombreux facteurs environnementaux vont déclencher une succession d’événements qui vont progressivement transformer une valve apparemment saine en un appareil valvulaire profondément remanié (figure 1). Le développement de thérapeutiques ciblées permettant de ralentir ou d’éviter l’évolution vers un rétrécissement aortique sévère devrait donc venir de l’identification des facteurs initiaux du processus, des facteurs de risque et de la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que les cliniciens et les chercheurs se sont penchés avec plus d’attention sur la physiopathologie de ces atteintes valvulaires. La recherche s’est orientée dans deux grandes directions. La première a consisté à étudier les facteurs cliniques et biologiques associés au rétrécissement aortique et à rechercher, au niveau des valves pathologiques explantées lors de la chirurgie cardiaque, la présence de modifications anatomiques et moléculaires pouvant orienter vers un mécanisme physiopathologique. La seconde direction, plus récente, a été toute différente. Elle est basée sur l’évidence que le rétrécissement aortique ne touche qu’une faible proportion de sujets âgés, suggérant l’existence d’une prédisposition individuelle, probablement génétique, à développer un RAC. Elle consiste donc à rechercher des facteurs génétiques prédisposant à ces atteintes. au risque de rétrécissement aortique. L’analyse des valves atteintes a conduit à la mise en évidence de nombreux processus. Les contraintes mécaniques et le shear stress pourraient expliquer la survenue plus précoce des atteintes sur valves bicuspides mais ne constituent pas en soi une cause de rétrécissement aortique. Les dépôts lipidiques sousendothéliaux, l’accumulation de LDL oxydés, d’apolipoprotéines, la présence de cellules spumeuses, de cellules de l’inflammation, de cytokines pro-inflammatoires ont conduit à évoquer des mécanismes similaires à ceux des lésions athéroscléreuses [5]. D’autres études ont suggéré le rôle du système rénine-angiotensine [6]. Enfin, beaucoup d’éléments sont en faveur d’un processus cellulaire impliquant la transformation de fibroblastes de la valve aortique en cellules ostéoblaste-like [7]. Actuellement, le rôle d’un certain nombre de facteurs cliniques identifiés, tels que l’hypercholestérolémie, n’a pas été confirmé par des études d’intervention qui, quand elles ont été bien menées, se sont révélées négatives [8]. De ces échecs, deux types de conclusions peuvent être tirés : soit l’intervention est trop tardive sur un remodelage moléculaire et tissulaire déjà très avancé, soit les mécanismes identifiés ne sont que la conséquence d’autres facteurs initiaux qui représentent probablement la cible clé des interventions thérapeutiques mais qui restent encore à identifier. Études physiopathologiques Approches de génétique dans le rétrécissement aortique Dans une grande étude (Cardiovascular Health Study) [3], l’âge, le sexe masculin, le taux de Lp(a), de LDL cholestérol, l’hypertension et le tabagisme apparaissaient associés Plusieurs techniques de génétique sont possibles, chacune ayant des avantages et des inconvénients : l’approche gènecandidat, les études d’association et la génétique inverse. Valve tricuspide Valve bicuspide Facteurs impliqués NOTCH1 Locus Chr18, 5, 13 TGF β1 ApoE VDR Récepteur α œstrogène Locus chr16 Gènes Age Facteurs de risque : Shearstress, HTA, syndrome métabolique hypercholestérolémie, diabète… Environnement 0 Moléculaire : Runx2/Cbfa1 Cellulaire : Différenciation ostéoblastique, calcifications, dépôts lipidiques, inflammation Remodelage Sténose 50 70 Figure 1. Représentation schématique de l’évolution du rétrécissement aortique dit « dégénératif » et du rétrécissement aortique sur biscupidie ainsi que des facteurs hypothétiquement liés à leur développement. Le rétrécissement aortique sur bicuspidie est caractérisé par la présence d’un obstacle à l’éjection du ventricule gauche dès l’enfance, suivi d’un remaniement calcifié plus précoce. Les défauts génétiques initiaux qui restent en partie hypothétiques vont être responsables, en conjonction avec les facteurs environnementaux, d’un remodelage moléculaire et cellulaire aboutissant au rétrécissement aortique calcifié. STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 259 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Approche gène-candidat L’approche gène-candidat est une approche risquée tout particulièrement quand la physiopathologie n’est pas claire. Elle consiste à rechercher des anomalies de séquence dans des gènes choisis pour leur possible implication dans la maladie. À côté du fait que cette approche ne permet pas de vraies avancées dans la compréhension d’une maladie (elle ne fait que confirmer des hypothèses déjà émises), ce type de technique peut apporter de fausses conclusions, car les polymorphismes, même rares, ne sont pas exceptionnels. Dans ce cadre, les résultats doivent obligatoirement être complétés par une approche fonctionnelle, prouvant l’implication du gène muté et, idéalement, par la démonstration de la liaison entre l’anomalie de séquence et la ségrégation de la maladie dans une ou plusieurs familles. Études d’association Les études d’association visent à mettre en évidence, dans la population, un déséquilibre de liaison entre un phénotype et un polymorphisme. Elles exposent aux mêmes risques que l’approche gène-candidat quand elles sont limitées à l’étude d’un gène choisi pour sa potentielle implication dans la physiopathologie de la maladie. Par ailleurs, cette technique, qui nécessite une population témoin bien appariée, est très dépendante de la taille de l’échantillon et de la fréquence des polymorphismes dans la population étudiée. Ce déséquilibre peut survenir par chance, ce qui rend absolument nécessaire la réplication de l’étude sur plusieurs cohortes. L’approche génome entier, rendue possible par les nouvelles technologies de biologie moléculaire et l’utilisation de puces SNP, est plus performante mais nécessite de grandes cohortes. Dans tous les cas, le phénotype doit être le plus précis possible, mais les approches de déséquilibre de liaison peuvent se révéler peu efficaces et nécessiter de très grandes cohortes si la maladie est très hétérogène sur le plan génétique, de nombreux gènes pouvant être responsables d’un phénotype final commun. Génétique inverse (linkage) L’approche de loin la plus performante repose sur le linkage et consiste à rechercher, dans de grandes familles sur plusieurs générations, une liaison entre le phénotype et une région du génome commune aux sujets atteints. Cette technique, comme les études GWAS, présente le grand intérêt de faire abstraction de toute hypothèse physiopathologique jusqu’à l’identification du locus. Ces deux approches, GWAS et linkage, peuvent d’ailleurs être couplées et rendre la démarche plus performante. Une fois le locus identifié, il faudra séquencer les gènes à la recherche d’une anomalie de séquence dont il faudra vérifier la ségrégation dans la ou les familles, éliminer un polymorphisme rare, puis confirmer le 260 rôle fonctionnel de ces mutations. Cette technique a l’inconvénient de nécessiter de grandes familles sur plusieurs générations, ce qui n’est pas toujours réalisable, particulièrement quand le phénotype est d’apparition tardive. C’est le cas du RAC qui apparaît chez des sujets âgés dont le statut des ascendants est souvent difficile à retrouver et celui de la descendance souvent indéterminé, les sujets étant trop jeunes pour avoir développé la maladie. Enfin, si la pénétrance est variable ou s’il existe de fréquentes phénocopies, cette technique de génétique inverse peut être difficile à mettre en œuvre. La génétique du rétrécissement aortique n’a réellement débuté qu’au cours de ces dernières années, et les connaissances sont encore parcellaires, mais les résultats déjà disponibles y compris les données de génétique clinique et d’épidémiologie génétique montrent que l’hypothèse génétique n’est pas à négliger et représente un enjeu majeur dans la démarche physiopathologique. Génétique de la bicuspidie aortique La bicuspidie aortique présente l’avantage d’être identifiable dès les premières années de la vie et de pouvoir plus facilement en tracer le caractère héréditaire. Dans les années 1990 et 2000, plusieurs travaux de recherche clinique ont montré que l’origine de la biscuspidie aortique était essentiellement génétique. Une fréquence anormale de biscupidie avait été retrouvée chez les apparentés au premier degré de sujets atteints de cette affection et surtout une large étude américaine a montré que le taux d’héritabilité de la biscuspidie était de près de 90 % [9]. Le même groupe, par une approche d’analyse de liaison, a pu identifier trois locus sur les chromosomes 18, 5 et 13 [10]. Ces travaux n’étaient pas focalisés sur le RAC, mais essentiellement sur la bicuspidie. Un pas important a été franchi quand le gène NOTCH1 a pu être mis en cause [11]. La voie de NOTCH1 a en effet été identifiée par une démarche de linkage dans une famille américaine d’origine espagnole, où la ségrégation d’une pathologie aortique était certaine sur quatre générations. Dix sujets étaient porteurs d’une atteinte valvulaire aortique et, parmi ceux-ci, six étaient porteurs d’une biscuspidie et trois avaient des valves calcifiées sans bicuspidie. Une analyse de liaison génétique a permis de localiser le gène en cause dans une région de 9 cM (environ 3 Mbases) en 9q34-35 entre le marqueur D9S1826 et D9qter, avec un LOD score significatif de 3,5 à 0 % de recombinaison. Parmi les 30 gènes connus se trouvait NOTCH1, dont le séquençage a permis d’identifier une mutation présente chez tous les sujets atteints et absente chez les sujets sains. Cette mutation R1108X est responsable d’un codon stop prématuré qui doit se traduire par une protéine tronquée. STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. L’étude d’une autre petite famille espagnole atteinte de bicuspidie a permis d’identifier une délétion d’une base (H1505del) dans ce même gène chez tous les sujets porteurs de valves bicuspides. Cette seconde anomalie est responsable d’un décalage du cadre de lecture dont les conséquences sont : 74 acides aminés incorrects suivis d’un codon stop. Dans les deux cas, la protéine codée est probablement non fonctionnelle, responsable d’une haplo-insuffisance. Ces familles sont toutes deux atteintes de bicuspidies qui, on le sait, favorisent le développement précoce d’un rétrécissement calcifié. Des mutations de NOTCH1 ont été retrouvées dans deux autres cas sporadiques de bicuspidie. La question qui se pose est de savoir si NOTCH1 est uniquement responsable de la biscuspidie ou si ce gène joue aussi un rôle dans le développement de calcifications comme le suggère la présence, dans la grande famille étudiée, de trois sujets atteints de RAC, apparemment sans bicuspidie. NOTCH1 code pour un récepteur de membrane probablement impliqué dans l’embryogenèse cardiaque comme le montre l’abondance des transcrits dans le mésenchyme de la chambre de chasse qui va donner naissance aux valves puis, après septation, dans les feuillets de la valve aortique [12]. Par ailleurs, chez le poisson et la grenouille, NOTCH1 semble jouer un rôle important dans le développement des valves [13]. Ces données plaident pour la responsabilité de NOTCH1 dans la bicuspidie qui est supposée favoriser, par les modifications hémodynamiques qu’elle induit, le développement des calcifications. Un des mécanismes proposés pour le développement des calcifications passe par l’induction de la différenciation des cellules valvulaires (fibroblastes et myoblastes) en ostéoblastes. Dans les modèles animaux développant des calcifications, un certain nombre de gènes sont up-régulés, tels que ceux codant pour l’ostéocalcine, l’ostéopontine et Runx, faisant évoquer l’implication de régulateurs de la transcription de ces gènes dans le développement du RAC. Dans les conditions normales, NOTCH1 active la famille des Hrt (hairy-related transcriptional repressors) qui inhibent l’activation Runx2, un activateur de l’expression d’ostéocalcine. Dans ces conditions, une mutation perte de fonction de NOTCH1 qui est fortement exprimée dans les valves pourrait favoriser le développement des calcifications valvulaires via la baisse d’activation des Hrt levant l’inhibition de Runx et favorisant l’expression de gènes de la différenciation osseuse. Ainsi, la découverte de NOTCH1 représente un pas important dans la compréhension des mécanismes conduisant au développement du rétrécissement aortique. Il faut cependant noter qu’il semble que les mutations de NOTCH1 soient rarement retrouvées y compris dans les bicuspidies et que d’autres gènes sont pro- bablement impliqués. Les familles de gènes jouant un rôle dans la différenciation ostéogénique et fortement exprimés dans les valves cardiaques représentent cependant une piste privilégiée pour la recherche de facteurs génétiques prédisposant au RAC. Génétique du rétrécissement aortique calcifié dit « dégénératif » Le rétrécissement aortique « dégénératif » qui survient sur des valves qui initialement semblaient normales est caractérisé par une expression tardive dans la vie, généralement après la soixantaine. Cela rend son étude génétique beaucoup plus difficile, car les techniques de génétique inverse sont difficilement utilisables dans des pedigrees où une seule génération apparaît atteinte. Il est, en effet, rarement possible de disposer connaître le phénotype et de disposer de l’ADN des parents de patients atteints de rétrécissement aortique dégénératif. Le challenge que représente l’identification des facteurs génétiques de cette maladie peut être abordé de différentes manières mais dans tous les cas nécessite la mise en place d’efforts considérables pouvant associer l’épidémiologie génétique, la recherche de gènes candidats ou les études d’association. L’épidémiologie génétique Même si de nombreux arguments cliniques font penser qu’il existe une prédisposition à développer un RAC, il existe actuellement peu de preuves du caractère héréditaire de cette affection. Les premiers éléments de preuve ont été apportés par un travail d’épidémiologie génétique qui a été débuté au début des années 2000 par notre équipe [14]. La région de Nantes a pour particularité d’avoir un seul centre de chirurgie cardiaque et un taux de fuite extrêmement limité, ce qui fait que depuis plusieurs décennies, tous les rétrécissements aortiques diagnostiqués dans notre région et nécessitant un geste chirurgical sont opérés dans le service de chirurgie cardiaque du CHU de Nantes. Une deuxième particularité de notre région est la très faible mobilité de sa population. En effet, en dehors des grandes villes, l’étude généalogique de la population montre que pour un individu né dans une commune rurale, les ancêtres, sur six générations, sont retrouvés à plus de 90 % dans un rayon de 10 km. En tenant compte de ces caractéristiques, nous avons rapporté le nombre de cas opérés sur dix ans à la population existant dans leurs communes d’origine à la période de leur naissance. Il s’agit bien sûr d’une évaluation approximative de la prévalence du rétrécissement aortique dégénératif sévère dans les différentes communes de notre région, mais les résultats obtenus ont été suffisamment clairs pour orienter notre recherche génétique. En effet, le STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 261 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. nécessite d’adapter l’approche de génétique inverse à la problématique d’une seule génération atteinte avec certitude, mais nos premiers résultats devraient ouvrir la voie à l’identification des facteurs génétiques impliqués dans le rétrécissement aortique dit « dégénératif ». taux de rétrécissements aortiques sévères variait de 1 à 100 selon les communes, et des foyers à très forte prévalence ont été facilement identifiés, les communes présentant les taux les plus élevés étant environnées de communes, ellesmêmes, à forte prévalence (figure 2). Il a aussi été noté que les communes à fort brassage de population mais à forte densité médicale, telles que les grandes villes, présentaient un faible taux de rétrécissements aortiques opérés. Ces données nous ont amenés à concentrer nos efforts de recherche génétique et généalogique sur quelques communes de notre région. Nous avons ainsi pu identifier des formes « familiales » de rétrécissement aortique dit « dégénératif » dans les communes à forte prévalence. Même si un facteur environnemental ne peut être exclu, l’identification de grandes familles atteintes de rétrécissement aortique est le premier élément de preuve en faveur du caractère héréditaire de cette affection. Nous avons poursuivi ce travail par une étude de la population âgée de plus de 60 ans originaire d’une commune à très forte prévalence et complété le travail par une analyse généalogique, sur plus de dix générations, des sujets porteurs d’un rétrécissement aortique. Cela nous a permis d’identifier un ancêtre commun à 40 sujets atteints. La généalogie de ces communes est complexe et Dans la grande cohorte HyperGEN (Hypertension Genetic Epidemiology Network), dont le principal objectif était d’identifier les facteurs génétiques prédisposant à l’hypertension, 1 871 frères et sœurs issus de 858 familles ont été inclus et ont bénéficié d’une échocardiographie. Dans cette cohorte, la présence de calcifications et/ou d’épaississement des valves avec ou sans sténose a été recherchée [15]. Il faut d’emblée noter que les critères de diagnostic (d’inclusion) ne correspondent pas au rétrécissement aortique. Trois cent quatre-vingt-seize individus issus de 319 familles remplissaient les critères composites de diagnostic, alors que 1 475 frères et sœurs n’étaient pas atteints. Cent quarante-deux sujets porteurs de calcifications provenaient de familles où deux ou plus de deux frères et sœurs étaient atteints. À partir de ces données, malgré la perte de puissance qu’aurait pu apporter l’analyse des parents, une approche d’analyse de liaison dite de Sib-pairs basée sur la comparaison entre frères et sœurs des zones de génome Lorient Vannes E C Main cities Administrative limits Departement Parish inhabitants Cases per 1,000 mhabitants by parishes* from 5 to 9,4 from 4 to 5 from 3 à 4 from 2 to 3 from 1 to 2 from 0,09 to 1 no case SaintNazaire Nantes "A" Families affected by CAVS Note: the parishes of birth of patients are determined by the french social security number Sources::Nantes Sources NantesHospital Hospitalfiles filesof of patients operated for CAVS (19922002), INSEE (National Institute of Statistics and Economic Studies): General Census of the Population, 1926,1931,1936. TES-CEI DE LA RECHERCHE VM SCIENTIFIQUE R Cholet Atlantic *Only the parishes with more than casesare arerepresented represented three ases AN CENTRE NATIONAL W A N TA N I BIO . CNR ocean D Paris Les Sables d'Olonne La-Roche sur-Yon B NANTES Atlantic ocean France Mediteranean sea 0 25 km Figure 2. En bas à gauche, cartographie de la prévalence du rétrécissement aortique dégénératif dans la région nantaise. Les zones les plus rouges correspondent aux communes possédant la prévalence la plus élevée. Il existe clairement des zones à très forte prévalence, jusqu’à 100 fois supérieure à celle d’autres groupes de communes. La recherche de cas familiaux dans les zones à forte prévalence (A, B, C, D) a permis d’identifier des familles dans lesquelles le nombre de sujets atteints ne correspond pas à la fréquence attendue du rétrécissement aortique et suggérant une prédisposition génétique au développement de cette maladie. 262 STV, vol. 22, n° 5, mai 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. partagées et différentes a permis d’identifier une liaison significative (LOD score de 3,14) dans une large région de 105,6 cM du chromosome 16 (16q22,1-q22,3). À côté de cette approche d’épidémiologie génétique, d’autres techniques ont été appliquées pour tenter d’identifier des gènes de prédispositions au rétrécissement aortique. Les études d’association qui recherchent un déséquilibre de liaison entre le polymorphisme d’un gène et le rétrécissement aortique ont été utilisées avec des résultats souvent discordants ou peu fiables. En effet, ces études ont été le plus souvent réalisées sur des échantillons de petite taille, parfois sans réel groupe témoin apparié et sans étude de réplication, ce qui en limite leur portée scientifique. L’allèle 4 de l’ApoE a été ainsi mis en cause dans une première étude [16] comportant un effectif réduit de 43 patients atteints dans une cohorte de 802 patients, mais récemment, une nouvelle étude de taille plus importante (538 patients avec rétrécissement aortique appariés à 536 patients non atteints) a exclu cette association [17]. L’allèle B du gène codant pour le récepteur de la vitamine D a été impliqué par une étude de 100 patients porteurs de RAC appariés à 100 patients indemnes de cette pathologie, mais cette étude dont l’échantillon est faible n’a pas été répliquée [18]. Enfin, une petite étude de 41 patients appariés à 41 témoins a retrouvé une association entre un polymorphisme du gène codant pour le récepteur α aux estrogènes ainsi que dans celui codant pour le TGF-β1 [19]. Conclusion Actuellement, les données concernant la génétique du rétrécissement aortique restent encore limitées, mais nous disposons d’informations solides concernant l’implication d’une prédisposition génétique, il reste cependant à identifier les gènes impliqués. La découverte du rôle de NOTCH1, même s’il est probablement rarement en cause, même dans les bicuspidies, constitue une avancée remarquable. Dans cette pathologie, une anomalie initiale inconnue conduit à un remodelage valvulaire complexe aboutissant au rétrécissement aortique. Les avancées passeront vraisemblablement par la création de larges biocollections d’ADN et de tissus de patients atteints bien phénotypés. La meilleure compréhension de la complexité des mutations génétiques qui ne se limitent pas aux mutations classiques dans les séquences codantes (mutations dans les régions régulatrices, réarrangements, nombre variable de copies, etc.), l’utilisation, sur de grandes cohortes, des outils modernes de génétique, tels que les études d’association sur génome entier, couplés aux approches de génomique à la recherche de variation d’expression de gènes dans les valves pathologiques devraient apporter des infor- mations capitales pour la compréhension des mécanismes physiopathologiques du rétrécissement aortique et, à terme, l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques permettant de prévenir son évolution. ■ Conflit d’intérêts : aucun. Références 1. Passik CS, Ackermann DM, Pluth JR, Edwards WD. Temporal changes in the causes of aortic stenosis: a surgical pathologic study of 646 cases. Mayo Clin Proc 1987 ; 62 : 119-23. 2. Lindroos M, Kupari M, Heikkila J, Tilvis R. 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