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Mutations de KRAS et cétuximab : un pas de plus
vers l’identification de marqueurs prédictifs de la réponse
aux thérapies ciblées
● A. Lièvre*, J.P. Spano**
e développement des thérapies ciblées dans le traitement du cancer a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la prise en charge des malades. Ces nouveaux médicaments ciblent des protéines impliquées dans des
voies de signalisation ayant pour rôle la transduction du signal
du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire aboutissant
à l’augmentation de la croissance cellulaire en favorisant la prolifération cellulaire et l’angiogenèse tout en diminuant le processus apoptotique. Les voies de signalisation ainsi ciblées sont
impliquées dans la carcinogenèse de différents tissus et sont généralement activées dans les cancers. En effet, une des propriétés
des cellules tumorales est d’avoir acquis une indépendance visà-vis des facteurs de croissance, ce qui implique l’existence de
mécanismes activant les différentes voies de signalisation de
manière indépendante de l’interaction ligand-récepteur. Plusieurs
mécanismes d’activation de ces voies ont été décrits : surexpression du récepteur par augmentation de leur nombre ou par
amplification du gène de ce dernier, surexpression de ses ligands,
mutation activatrice du récepteur, inactivation de gènes répresseurs (pertes alléliques, mutations ponctuelles, méthylation des
régions promotrices).
Plusieurs thérapies ciblées ont, à l’heure actuelle, montré leur
efficacité dans différentes localisations tumorales solides, que ce
soit dans les tumeurs stromales digestives, où l’imatinib a constitué une révolution thérapeutique rarement rencontrée auparavant
en oncologie, ou, de manière moins révolutionnaire mais sans
nul doute efficace, dans les cancers du sein ainsi que dans les
cancers bronchiques ou colorectaux.
Si l’altération des voies de signalisation intracellulaires peut
induire leur activation au cours de la carcinogenèse, elle peut
aussi moduler l’efficacité des thérapies ciblées en modifiant la
cible ou les voies de signalisation qui lui sont connectées. Ainsi,
il a été montré que la présence et la localisation des mutations
activatrices de c-KIT étaient un facteur prédictif de la réponse à
l’imatinib et de la survie des patients ayant une tumeur stromale
digestive traitée par cette drogue (1). De même, la présence d’une
mutation activatrice dans le domaine kinase du REGF (récepteur
de l’EGF) est associée à une réponse chez plus de 80 % des
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* Service d’hépato-gastroentérologie et oncologie digestive, hôpital AmbroiseParé, Boulogne, et Inserm U775, Paris.
** Service d’oncologie médicale, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
malades atteints d’un cancer pulmonaire non à petites cellules et
traités par les inhibiteurs de l’activité tyrosine kinase du REGF
que sont l’erlotinib et le géfitinib (2, 3).
L’identification des altérations génétiques somatiques a donc un
intérêt en termes de classification nosologique des tumeurs, mais
également en termes de prédiction de la réponse ou de la résistance aux nouvelles thérapies ciblées. Ce dernier volet apparaît
primordial au regard du nombre croissant de combinaisons efficaces dans le traitement des cancers ; lequel traitement nécessite
le développement d’outils d’aide à la décision pour le clinicien
afin d’identifier les patients pouvant réellement bénéficier de ces
thérapies ciblées et, ainsi, de proposer à chacun des malades la
stratégie thérapeutique la plus efficace et la moins toxique, tout
en limitant, si possible, son coût.
Dans le cadre du traitement du cancer colorectal, le cétuximab a
montré son efficacité en cas de maladie métastatique résistante à
l’irinotécan (4, 5). Cet anticorps recombinant chimérique dirigé
contre un épitope du REGF, en empêchant la liaison de son ligand
au récepteur, inhibe l’autophosphorylation activatrice de ce dernier au niveau de son domaine tyrosine kinase intracellulaire et
possède ainsi une activité antagoniste sur les deux voies de signalisation intracellulaire situées en aval du REGF et induites au cours
de la carcinogenèse colorectale : la voie MAPK (mitogen activated protein kinase) et la voie phosphatidylinositol-3-kinase
(PI3K)/AKT. Alors que le marquage immunohistochimique de
1 % des cellules tumorales par des anticorps spécifiques anti-REGF
(quelle que soit son intensité) constitue un prérequis à l’utilisation
du cétuximab dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché, il a été montré depuis que le niveau d’expression du REGF
en immunohistochimie n’était pas corrélé à la réponse à cette thérapie ciblée. Notamment, l’obtention d’un taux de réponse objective de 25 % dans une série de cancers colorectaux n’exprimant
pas le REGF (6) suggère que le niveau d’expression intratumorale
du REGF n’est pas un bon facteur prédictif de la réponse au cétuximab dans le cancer colorectal. Cela pourrait être expliqué par des
facteurs liés à la sensibilité des techniques utilisées, aux critères
analysés (pourcentage de cellules marquées ou intensité du marquage ou les deux), au seuil de positivité choisi et à la qualité de
l’analyse immunohistochimique, qui sont probabalement à l’origine des discordances d’expression de l’EGFR au niveau de la
tumeur. En outre, certaines études ont mis en évidence l’absence
de corrélation entre le niveau d’expression du REGF observé au
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sein de la tumeur primitive colorectale et celui observé au sein des
métastases (7). Une équipe italienne (8) a récemment montré que
le nombre de copies du gène du REGF, mesuré par hybridation
fluorescente in situ (FISH) sur coupe en paraffine, était corrélé à
la réponse au cétuximab. Dans cette étude, l’amplification du gène
du REGF était associée à une meilleure réponse tumorale ; elle
constitue donc un facteur prédictif de réponse au cétuximab dans
les cancers colorectaux potentiellement intéressant. Ces résultats
vont dans le même sens que de récentes études rapportant une association significative entre la réponse aux inhibiteurs de tyrosine
kinase du REGF et le nombre de copies du gène dans les cancers
pulmonaires non à petites cellules (9, 10). En dépit de sa facilité
de réalisation, cette technique de FISH est coûteuse et n’est réalisée que dans peu de centres en France.
La meilleure connaissance de la cascade des effecteurs impliqués
dans les voies de signalisation de l’EGF a permis d’émettre
l’hypothèse selon laquelle la modulation d’activateurs ou d’inhibiteurs de la cascade de phosphorylation sous-jacente à l’interaction du ligand avec son récepteur était un des mécanismes possibles de la résistance au cétuximab. Une telle modulation
pouvant être secondaire à une mutation d’un des effecteurs des
voies de signalisation de l’EGF, nous avons analysé les séquences
de différents gènes candidats (BRAF, KRAS et PI3KCA) dans
une série de 30 malades traités par cétuximab pour un cancer
colorectal métastatique (11). Cette analyse a permis de montrer
que l’absence de mutation de KRAS (mutations habituellement
présentes dans environ 40 % des tumeurs colorectales) était associée à une bonne réponse au cétuximab. Joints aux données de
l’étude de M. Moroni et al. (8), qui avaient déjà analysé une partie des séquences de ces gènes (ainsi que celles du REGF) et
trouvé une tendance non significative en faveur de la corrélation,
les résultats de cette récente étude montrent que la probabilité de
réponse au cétuximab est dix fois supérieure pour les malades
sans mutation de l’oncogène KRAS comparativement aux
malades dont la tumeur était mutée KRAS. Des données tout à
fait similaires ont été obtenues dans les cancers pulmonaires non
à petites cellules, où la présence de mutations de KRAS étaient
corrélée à une résistance aux inhibiteurs de tyrosine kinase du
REGF (12), voire à un effet délétère de ces agents (3). L’autre
point intéressant concerne l’amplification du gène du REGF.
Dans notre étude, cette amplification n’était observée que chez
les malades répondeurs au cétuximab. Cependant, cette amplification du REGF n’était présente que chez 10 % des malades,
c’est-à-dire avec une fréquence bien moindre que celle qui avait
été rapportée par M. Moroni et al. (30 %), ce qui semble étonnant compte tenu du faible pourcentage de polysomie du bras
chromosomique où est localisé le gène codant le REGF (bras
court du chromosome 7) dans les tumeurs colorectales (13). Deux
publications récentes relatives à de larges séries de malades viennent d’ailleurs confirmer cette fréquence en rapportant une augmentation significative du nombre de copies du gène du REGF
dans seulement 10 à 15 % des cancers colorectaux (14, 15).
Ces résultats constituent un pas de plus vers l’identification de marqueurs prédictifs de la réponse ou de la résistance au cétuximab et
nécessitent par conséquent d’être validés de manière prospective
sur de plus larges séries de malades, ce d’autant que de nouveaux
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anticorps anti-REGF intégralement humains, tels que le panitumumab (ABX-EGF), sont actuellement en cours d’essai dans le
cancer colorectal, avec des résultats tout à fait intéressants. Si la
mise en évidence de tels marqueurs moléculaires prédictifs de la
réponse ou de la résistance aux anticorps anti-REGF semble être
un objectif réalisable dans un avenir proche, celle de marqueurs
prédictifs de la réponse aux anticorps anti-VEGF, autre biothérapie efficace dans le cancer colorectal, apparaît moins évidente et
demeure un challenge de taille pour les années à venir. Une des
raisons de ce manque d’évidence pourrait résider dans le fait que
la cible de cette thérapie antiangiogénique n’est pas la cellule tumorale elle-même mais la cellule endothéliale, dont l’analyse individualisée semble difficile. De nombreux champs restent donc à
explorer, et la recherche est particulièrement active dans le domaine
de la prédiction de la réponse aux thérapies ciblées dans le traitement du cancer, notamment dans le cancer colorectal.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
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