Mille milliards de dollars pour sauver l`économie mondiale

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Le groupe des États économiquement les plus forts (G20) sest entendu
sur un paquet de mesures pour combattre la crise économique et nan-
cière mondiale. Le Premier ministre du pays te, Gordon Brown, estime :
« Un nouvel ordre mondial émerge et nous entrons par conséquent dans une
nouvelle ère de coopération internationale ». C’est à coup sûr une exagération.
Des principes pour la forme du système nancier ont été battus à la
conférence, avec plus de régulation pour les banques, les hedge funds et les
murations des dirigeants. Les pas concrets ne sont pas clairs. Est restée
ouverte aussi la manière de se barrasser des cdits et des titres toxiques.
C’est ce que le FMI, soutenu par de nombreux économistes, considérait pour-
tant comme une condition importante pour combattre avec succès le crise -
nancière.
Quels sont les résultats concrets ? D’abord l’augmentation de la dotation
permettant au FMI de disposer de 500 milliards de dollars, ainsi que des droits
de tirage additionnels de 250 milliards de dollars. Par ailleurs, un paquet de
250 milliards de dollars a été allo au commerce international et les fonds
des banques de développement ont été augmens. L’ensemble de ces mesures
se monte à 1 100 dollars. L’élargissement des lignes de cdit est à coup sûr
une contribution à la stabilisation de l’économie mondiale mais la mise en
œuvre concrète prendra un certain temps.
Mille milliards de dollars
pour sauver l’économie mondiale
Crise économique mondiale et alternatives
Joachim Bischoff
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Mille millards de dollars pour sauver l’économie mondiale
Depuis des années, nous voyons le fossé entre les annonces de ce type de
sommets et leur mise en œuvre pratique. Il y a de petits progs mais il n’y a
pas eu jusquici de cision marquant un changement d’époque. Cela sera encore
le cas avec le sommet de Londres. Les déclarations nales consistent en promes-
ses, vite oubliées, violées sans vergogne et qui, dans le meilleur des cas, nont pas
de contenu. Pour les responsables politiques participant, le plus important était de
donner aux électeurs l’impression qu’on essaie ensemble de sortir de la crise.
Où en sommes-nous en n de compte ?
La crise nancière qui a éclaté en 2007 s’est transformée à partir du sec-
teur étroit des prêts hypothécaires c’est-dire des crédits sur des terrains
tis en une crise nancre et une crise du crédit mondiales. Il n’est plus
contestable que la suite nous a confrontés à la croissance de l’économie
elle, ce qui veut dire que l’industrie, les services et le commerce mondial
sont en forte régression.
La thèse d’une cession mondiale, forte, ayant pris cette fois une forme
plus aig mais clôturant le cycle économique conjoncturel, donne une image
fausse du développement social. Nous sommes confrontés à une crise vère.
De mon point de vue, le bat pour savoir s’il s’agit d’une crise sysmique
ou de l’effondrement de l’économie capitaliste apporte peu d’explications.
Je soutiens par conséquent quil s’agit d’une « crise du scle », que l’on peut
comparer à maints égards à la crise économique mondiale des années 1930 1.
Certes, la action à la rupture structurelle dans l’accumulation motaire
et celle du capital n’a pas été une diminution des revenus ou une politique
nancière et scale restrictive pour les budgets publics, contrairement à ce
qui s’est passé dans les anes 1920. Que les sociétés capitalistes s’engagent
durablement dans une phase ationniste et pressive dépendra pour une
large part de l’importance et de la forme de l’intervention des États.
Les problèmes ls à la crise du siècle dureront pendant au moins une ou
deux riodes d’un cycle économique (4 à 6 ans). Ce sont les programmes
anticrise qui ont été adoptés n 2008 qui décideront de la longueur et du -
roulement de la crise économique. Ils sont certes beaucoup mieux adaps
que dans les anes 1930 mais restent cependant insufsants par rapport à ce
qu’il faudrait. La crainte des effets négatifs de l’apport de crédits publics agit
comme un élément de blocage des mesures anticrise. Keynes faisait remar-
quer à juste titre : « Le long terme induit en erreur dans l’action quotidienne.
À long terme nous serons tous morts. Les économistes (et les politiques) se
rassurent à bon compte quand ils se contentent de dire, en riode de tempête,
que la mer redeviendra calme quand la tempête sera pase ». Jusqu’ici rien
n’indique que la tempête faiblisse et, dans cette mesure, il existe toujours des
possibilités d’inuencer son cours.
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Joachim Bischoff
Double stratégie de la gauche politique
Fondamentalement, la gauche politique doit adopter une stratégie double
de conquête de l’hégémonie politique. D’un côté il s’agit, au cours du pro-
cessus de crise, de mettre le olibéralisme, à qui la crise a enlevé les bases
économiques et sociales de son action politique, conceptuellement aussi sur la
touche dans le cadre des politiques anticrise. D’un autre té, on peut avancer
sur cette base vers une économie solidaire, avec de nouveaux rapports entre le
marché et la régulation publique par la société.
Dans sa prise de position sur les programmes conjoncturels allemands,
l’économiste Heiner Flassbeck dit avec raison : « L’Allemagne est dans la
phase économique la plus difcile de l’après-guerre. L’auto-stabilisation de
la conjoncture n’est pas en vue. Contrairement à ce qui se passait au cours
des crises prédentes, il n’existe pas de zones et de secteurs économiques
dans le monde qui montreraient une tendance au retour de la croissance et
pourraient jouer le rôle de contrepoids à la dépression. L’Allemagne n’est pas
moins mais davantage menae par une récession globale à cause de la part
exorbitante des exportations et une faible demande interne due à la faiblesse
des salaires réels depuis plusieurs années […] À côté de sa dimension mon-
diale, le moment présent est aussi cisif sur le plan de la temporalité : plus
la phase de décroissance sera longue, plus elle sera large et forte. Le ralen-
tissement conduit à la stagnation, la stagnation à la récession et la récession
peut donner une dépression durable. En même temps, l’ination, qui était, il
y a peu, le probme principal, se transforme en diminution notable et rapide
de l’augmentation des prix et en tendanceationniste qui peut devenir une
vraie déation […] La crise des marchés nanciers et celle de la conjoncture
se renforcent mutuellement. Beaucoup continuent à ignorer le problème cen-
tral de la crise. Ce que nous vivons, ce n’est pas un reux cyclique normal,
comme il en existe régulièrement, mais une chute sévère de l’investissement
global, dont la cause est d’abord le fait que, pendant et après la crise nan-
cière, la formation des prix, qui est cisive pour les investisseurs, a connu un
glissement important, à très grande vitesse, et partout dans le monde. » 2. Cette
appréciation vaut pour les autres principaux pays capitalistes.
Les conclusions découlant de ce schéma de « crise du siècle »
1. Nous sommes confrontés à un système nancier insolvable et à un sys-
me bancaire en faillite qui doit être recapitalisé. Jusqu’ici on pensait que les
crédits ou les garanties publics pourraient rendre aux actifs dévalorisés leur
valeur marchande pase. Marx déjà dénonçait cette illusion pour surmonter
une crise nancre : un processus social de reproduction qui se veloppe
à partir du cdit ne peut naturellement pas être assaini par une banque, par
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Mille millards de dollars pour sauver l’économie mondiale
exemple la banque d’Angleterre, qui redonnerait à tous les perdants, grâce à
son statut de banque centrale, le capital qui fait défaut en rachetant les valeurs
dévalorisées à leur valeur nominale ancienne.
Les volumes nanciers fortement gonés auparavant ont é duits par la
crise. C’est la raison pour laquelle la nationalisation des institutions nanciè-
res n’est pas une solution en soi mais seulement un pas décisif vers un partage
organisé de la perte de valeur. Cela concerne aussi bien les corrections de la
valeur des titres de toute nature que l’annulation des crédits qui ne peuvent
plus être recouverts. L’idée qu’on pourrait assainir la situation par l’injection
de crédits publics et de garanties de l’État est une erreur qui ne fait que pro-
longer le processus d’adaptation à la crise.
2. Nous sommes nalement devant une conjoncture qui est aussi dégra-
e et même davantage, à l’échelle du monde que la crise du siècle des
anes 1930. Dans un sysme productif la croissance économique des
années passées était due pour l’essentiel au développement du crédit, la ques-
tion des liquidités devient la question clé quand le boom du crédit prend n
et que les actifs sont fortement valorisés. Quand la cosion du processus
de reproduction repose sur le crédit, que le crédit tarit brusquement, que seul
le paiement en espèces subsiste, la crise et une demande forte de liquidis
deviennent inévitables. La critique de l’économie politique consire cela
comme une phase particulre du processus de crise : « C’est le moment
particulier des crises du marché mondial qui s’appelle crise monétaire. Le
summum bonum qu’en de pareils moments on appelle à grands cris, comme
la richesse unique, c’est l’argent, l’argent comptant, et toutes les marchan-
dises, précisément parce que ce sont des valeurs d’usage, paraissent, auprès
de lui, des choses inutiles, des futilis, des jouets. Cette subite conversion
du système du crédit en sysme monétaire ajoute l’épouvante théorique à la
panique pratique et les agents de la circulation demeurent consters devant
l’imtrable mystère de leurs propres rapports économiques. » (Karl Marx,
Critique de l’économie politique).
La crise nancre sulte fondamentalement du fait qu’une grande partie
des actifs, de titres de toute nature (c’est-à-dire des droits à une part future de
la richesse sociale), a été brutalement dévalorisée. La crise est là précisément
lorsqu’on ne peut plus payer avec ces actifs mais avec de l’argent. La fonction
de la monnaie comme moyen de paiement s’impose dans les crises nanciè-
res ; l’enchaînement des paiements est pertur parce que la possession de
liquidités devient le principe essentiel.
3. En troisme lieu, certaines dettes doivent être effaes. C’est le cas, par
exemple pour celles des nages privés aux États-Unis, en Grande-Bretagne,
en Australie, en Irlande, en Espagne, en Grèce, etc. Dans la mesure où, à
moyen terme, on ne peut s’attendre au nivellement des revenus et à la dispari-
tion de la fracture sociale, une réforme du système nancier risque de tourner
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Joachim Bischoff
à vide. Une des raisons essentielles de la formation de la bulle sur les marcs
nanciers est la concentration de la richesse sociale. Une correction substan-
tielle de cette répartition inégale des revenus et des richesses est la condition
du succès de la stabilisation. Par ailleurs il faut mettre n à la privatisation de
formes importantes de la curité sociale et revenir sur celles qui ont eu lieu
(retraites, santé, éducation).
4. Aller vers un nouveau système économique et nancier est indispensable.
La crise a mont que le pilotage des marchés et des capitaux sans régulation
politique et contle mocratique a conduit de nouveau à une catastrophe
sociale. C’est pourquoi le contrôle démocratique et la coopération interna-
tionale sont nécessaires. La surveillance nancière au plan national et la
coopération internationale entre les institutions de régulation et les auto-
rités de surveillance, notamment au sein de l’UE, doivent être renforcées
et démocratisées. À l’échelle du monde, il faut imposer des limites au li-
bre-échange non régulé et à la mobilité illimitée du capital. Un nouvel ac-
cord international doit corriger les faiblesses du gime de l’après-guerre de
Bretton Woods et privilégier dans la durée la stabilité nancière, la justice
scale, la justice sociale, au détriment de la libre circulation des capitaux, des
marchandises et des services. Les droits sociaux et les acquis historiques des
salariés doivent être garantis.
Au regard de la crise économique la plus vère depuis les années 1930, qui
a é provoquée par un effondrement du sysme nancier, la fense contre
les risques systémiques et la mise en œuvre d’une nouvelle régulation du sec-
teur nancier sont au centre des politiques actuelles. La thèse est certainement
pertinente : sans stabilisation du secteur nancier, il n’y aura pas de reprise
économique durable.
Nous devons prendre conscience du double caractère du système du crédit :
« Si le crédit est le levier principal de la surproduction et de la spéculation à
l’exs, il en est ainsi parce que le pros de reproduction, naturellement très
élastique, est forcé à l’extme, ce qui est à ce qu’une grande partie du
capital social est appliquée par des individus qui n’en sont pas proprtaires et
qui s’en servent avec bien moins de prudence que les capitalistes produisant
avec leurs propres capitaux. Les entraves et les limites immanentes que la
mise en valeur du capital oppose à la production dans la soc capitaliste
sont donc continuellement brisées par l’organisation du crédit, qui accélère
le développement matériel des forces productives et la création du marché
mondial, base matérielle de l’anement de la nouvelle forme de production.
La dissolution de l’ancienne forme est d’autre part actie par les crises dont
le crédit accentue la fréquence. Le crédit a donc ce double caracre d’être,
d’une part, le pivot de la production capitaliste, le facteur qui transforme en
un colossal jeu de spéculation l’enrichissement par le travail d’autrui et qui
rane à un nombre de plus en plus restreint ceux qui exploitent la richesse
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