Le journal des soins infirmiers du chum Vol.12 - N o 2 - Ét é 2012 Le recours à la contention physique aux soins intensifs Catherine Derval, inf. M.Sc. Catherine Derval est conseillère en soins spécialisés par intérim, regroupement oncologie et hématologie. Le recours à la contention physique inter­ pelle le personnel des établissements de soins aux plans éthique, légal et clinique. Les infirmières des soins intensifs sont particulièrement confrontées à des situa­ tions où la sécurité du patient peut être compromise, parce que son état de santé est critique et les risques de complications élevés. Craignant de graves préjudices, les infirmières ont tendance à recourir d’emblée à la contention physique pour tous les patients ventilés mécaniquement. Or, les études démontrent que la conten­ tion représente aussi un risque pour le patient (Maccioli et al., 2003; Poulain et al., 2004). Comment donc concilier situations critiques et recours judicieux aux contentions? Un gage de sécurité pour qui? Aux soins intensifs, on ne peut éliminer le recours à la contention; toutefois son utilisation doit constituer la dernière option, même si elle apparaît la solution optimale pour prévenir l’interférence aux traitements lorsque le patient est agité ou présente un risque d’agitation. C’est d’ailleurs la principale raison invoquée par les infirmières des soins intensifs pour recourir à des contentions. Une fois en place, les infirmières sont réticentes à assumer le risque et les conséquences possibles d’un retrait de ces mesures de contrôle (Happ, 2000). Les professionnels de la santé des soins intensifs doivent composer avec l’état critique des patients et le danger imminent et grave si le patient enlève son tube endotrachéal ou un cathéter essentiel à sa survie. Plusieurs études démontrent pourtant que l’utilisation d’une contention physique, comme les attaches aux poignets, n’est pas une garantie contre l’auto-extubation (Balon, 2001; Birkett, Southerland et Leslie, 2005; Chang, Wang et Chao, 2008; Curry et al., 2008). Le tableau 1 répertorie les réactions possibles de l’application des contentions aux plans physique et psychologique. À titre d’exemple, plus d’un tiers des patients mani­ festeraient des réactions psychologiques telles que la colère, l’anxiété, l’agitation, la dépression, une augmentation de la confusion et une détérioration cognitive. >> s uite à la pa ge suivante Journée du savoir infirmier Le 7 mai dernier avait lieu au CHUM la Journée du savoir infirmier. Instaurée en 2010 par le Conseil des infirmières et infirmiers, cette activité est une occasion de faire connaître les divers projets mis en place par les infirmières, les infirmières auxiliaires ou des étudiantes en sciences infirmières. La communauté du CHUM était également invitée à découvrir les réalisations de leurs collègues des soins infirmiers. À la fin de la journée et après la compilation des votes des visiteurs, le prix coup de cœur d’une valeur de 550 $ a été remis à Mmes Pamela Gariépy, infirmière du 5e Le Royer, et Chi Quan Bach, infirmière en soins de pieds (pratique privée) pour leur présentation Infirmières, avez-vous regardé mes pieds ? Les présentations suivantes ont respectivement obtenu les 2e et 3e places : L’évaluation systématique des arythmies par Nathalie Duchesne, infirmière du 4e Le Royer, Marie-Carla Thermidor, conseillère en soins spécialisés, et Chantale Couture, conseillère en soins infirmiers, et L’approche motivationnelle par quatre étudiants de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal. Toutes nos félicitations ! > > su i te d e l a pa g e 1 Le jugement infirmier au cœur de la décision La décision d’utiliser des mesures de contention s’inscrit dans une activité réservée à l’infirmière depuis l’entrée en vigueur de la loi 90. Malgré ce droit acquis, l’infirmière a la responsabilité de fonder cette décision sur un jugement clinique, dans la perspec­ tive de contribuer à une diminution de l’utilisation des mesures de contrôle ou de les encadrer de façon sécuritaire et judicieuse à partir de son évaluation et compte tenu des risques de préjudice. ÉDITORIAL L’utilisation d’une mesure de contention est une activité profes­ sionnelle balisée par des aspects éthiques et légaux. Selon son évaluation de la condition physique et mentale du patient, l’infirmière décide, conjointement avec celui-ci, sa famille et l’équipe interdisciplinaire, de la mesure la plus appropriée au moment opportun, met en place la surveillance requise et évalue régulièrement la pertinence du maintien de la contention. Les notes au dossier et la mise à jour du PTI rendent compte du jugement infirmier. Nous voici de retour avec un contenu axé sur le partage des différentes activités (réalisées ou en cours) pour améliorer la qualité des soins dispensés à la clientèle. En effet, l’identification sécuritaire d’un patient est une préoccupation de tous les jours et nous vous sensibilisons à ce sujet; l’amélioration continue des pratiques profession­ nelles en matière de gestion des plaies de pression est prise en compte et parta­ gée; la Semaine de l’infirmière, en mai dernier, et la remise des prix Reconnaissance aux infirmières et aux infirmières auxiliaires du CHUM nous ont permis d’apprécier de nombreux modèles de rôle dans notre organisation; et la question des contentions physiques aux soins intensifs a fait l’objet d’un projet de maîtrise, lequel vous est également présenté. De plus, dès l’automne prochain, le développe­ ment des compétences de leadership et de raisonnement cliniques des infirmières sera aussi encouragé par des activités éducatives, proposées dans le cadre d’un projet de recherche mené par la Faculté des sciences infirmières, en partenariat avec le CHUM et le CHU Sainte-Justine. Voilà donc un survol du contenu du présent nu­ méro. Je profite également de cette tribune pour vous souhaiter de belles vacances et souligner la retraite bien méritée de notre collègue Céline Corbeil, directrice adjointe des soins infirmiers ! L’infirmière met aussi en œuvre des stratégies préventives des risques liés à leur utilisation et des mesures alternatives qui respectent le patient et sa famille. Le camouflage des cathéters, le soulagement de la douleur et la réorientation fréquente du patient ne sont que quelques exemples de stratégies. Un outil adapté à la réalité des soins intensifs Afin de guider les infirmières, un outil d’aide à la décision a été élaboré et validé par des infirmières des soins intensifs du CHUM (voir le tableau 2). Pour chaque élément figurant dans les encadrés, des stratégies sont proposées. Par exemple, un patient des soins intensifs admis depuis huit jours pour choc septique est intubé. Le rapport indique qu’il présente un délirium et des périodes d’agitation. À votre entrée dans la chambre, deux attaches aux poignets sont en place. Le patient est très calme en présence de sa conjointe. Celle-ci vous demande si elle peut faire quelque chose pour aider. Tel qu’indiqué dans le premier encadré, l’infirmière évalue l’état clinique du patient et la situation. La sécurité du patient est-elle compromise présente­ ment ? Le maintien de la contention est-il pertinent? Pourrait-on tenter de détacher les attaches en présence de la conjointe ? Si tel est le cas, quelles directives pourrait-on inscrire au PTI? Ces quelques questions contribuent à une prise de décision éclairée fondée sur un jugement clinique. Ainsi, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision si elle est justifiée par une démarche réflexive. Le recours à la contention constitue une décision réfléchie et concertée avec l’équipe interdisciplinaire. Afin d’outiller les infirmières des soins intensifs dans leur décision, l’algorithme décisionnel proposé trace les différentes dimensions à considérer. La conseillère en soins spécialisés peut aussi être consultée en situations complexes. tableau 1 Réactions physiques et psychologiques du patient à la suite de l’utilisation de contention physique Réactions Réactions physiquespsychologiques Immobilité, perte de masse osseuse et musculaire, faiblesse, risque de plaies de pression Détresse Incontinence, constipation Colère Frustration Déclin fonctionnel Anxiété Atteinte sensitive Agitation Séjour de soins prolongé : risque de contracter des infections nosocomiales Confusion Dépression Détérioration cognitive Bonne lecture ! Sylvie Dubois pag e 2 l’ ava n t- g a r d e 1 Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé, L.Q. 2002, c. 33. Vol. 12 No 2 - été 2012 tableau 2 Appliquer les mesures alternatives selon le contexte Résultat Références Évaluation de la situation : viser la collaboration et l’interdisciplinarité Quel est le risque pour le patient ? La sécurité du patient est-elle compromise ? Échelle de RASS et IC DESC Risque imminent échec Birkett, K.M., Southerland, K.A. et Leslie, G.D. (2005). Reporting unplanned extu­ bation. Intensive and Critical Care Nursing, 21(2), 65-75. Appliquer la contention la moins invasive pour la plus courte durée de temps Chang, L-Y., Wang, K.K. et Chao, Y-F. (2008). Influence of physical restraint on un­ planned extubation of adult intensive care patients: a case-control study. American Journal of Critical Care, 17(5), 408-416 Informer le patient et la famille de la situation : remise du Guide d’accueil aux soins intensifs à la famille En cas de refus d’application d’une contention : aviser le médecin intensiviste responsable prévoir une rencontre avec l’équipe interdisciplinaire réussite Curry, K., Cobb, S., Kutash, M. et Diggs, C. (2008). Characteristics associated with unplanned extubations in a surgical intensive care unit. American Journal of Critical Care, 17(1), 45-52. Documentation dans les notes infirmières (bilan 24 h), révision du plan de soins, ajustement au PTI Happ, M.B. (2000). Using a best practice approach to prevent treatment interfer­ ence in critical care. Progress in Cardiovascular Nursing, 15, 58-62. Surveillance q h & Réévaluation q 8h + PRN Évaluation du patient Identification des causes sous-jacentes à l’agitation (ex. : désordres métaboliques) Vérification des besoins de base Facteurs liés à la condition du patient : échelle de RASS, IC DESC, grade d’intubation Révision des antécédents du patient (ex. : abus alcool, histoire de délirium) Révision de la médication Facteurs contributifs liés à l’environnement (routine du patient) Fonctionnement antérieur à l’hospitalisation du patient Mesures alternatives Confort, positionnement des tubes et cathéters (camouflage) Soulagement de la douleur et de l’anxiété Réorientation du patient Personnalisation et regroupement des soins Diversion et stratégies de communication Modifications environnementales : ex. : limitation des stimuli Implication de la famille Surveillance accrue et visibilité Agents pharmacologiques Balon, J.A. (2001). Common factors of spontaneous self-extubation in a critical care setting. International Journal of Trauma Nursing, 7(3), 93-99. Documentation Motif et comportement (verbal et physique) État de conscience Mesures alternatives employées Type de contention Durée, fréquence (début et fin) Réactions Tentatives réussies ou non de retrait Information donnée au patient et à la famille Maccioli, G.A., Dorman, T., Brown, B.R., Mazuski, J.E., McLean, B.A., Kuszaj, J.M. et al. (2003). Clinical practice guidelines for the maintenance of patient physical safety in the intensive care unit : Use of restraining therapies American College of Critical Care Medicine Task Force 2001-2002. Journal of Critical Care Medicine, 31(11), 2665-2676. Surveillance Installation conforme Confort et positionnement Douleur, anxiété, agitation Signes vitaux Intégrité des points de pression Poulain, G., Vanpee, D., Swine, C. et Schoevaerdts, D. (2004). Réflexion sur l’usage de la contention dans un service de médecine gériatrique. Ethica Clinica, 34, 14-17. quiz éclair 1 Que fait-on une fois par année dans toutes les unités de soins, dans un but d’amélioration continue concer­ nant les plaies de pression ? 2 Quelles sont les caractéristiques d’une plaie de pression de stade II ? 3 Quels sont les outils de documentation sur la ges­ tion d’une plaie de pression ? 4 Quels sont les professionnels qui peuvent décider d’un plan de traitement d’une plaie de pression ? >> ré po n s e s à l a pa ge 4 l’ ava n t- g a r d e Vol. 12 No 2 - été 2012 pag e 3 Sylvie Vallée est adjointe à la Direction de la gestion de l’information, qualité performance et responsable de l’agrément au CHUM. Les soins infirmiers, la sécurité et les POR En préparation à une visite de certification, telle qu’Agré­ment Canada, nous devons réviser la conformité à certaines pratiques qui sont des compo­santes primor­ diales de la sécurité et de l’amélioration de la qualité. Ces pratiques sont connues sous le vocable POR (pour pratique organisationnelle requise) et sont exigées de tous les établissements de santé, quelle que soit leur mission. Saviez-vous que l’utilisation de deux identificateurs de client avant la prestation de tout service, de toute procédure ou de toute administration de médicament fait partie de la liste des 34 pratiques organisationnelles requises au CHUM ? La conformité à cette POR permet d’éviter des événe­ ments indésirables qui peuvent entraîner ou non diffé­ rentes conséquences sur le patient, selon la situation. L’utilisation de deux identificateurs est un moyen facile et sûr contribuant à diminuer le risque d’erreur sur la personne. L’identification posi­tive (par le patient lui-même), le bracelet d’identification, ou la référence à un proche (si le patient est inapte à répondre) sont les moyens les plus usuels pour vérifier l’identité du patient et ainsi être certain que l’on donne le bon soin ou le médicament à la bonne personne. La visite d’Agrément arrivant à grands pas (avril 2013), c’est le temps de réviser cette pratique et toutes les autres ! La sécurité, c’est l’affaire de nous tous au quotidien ! recherche Sylvie Vallée, inf. B.Sc. Approche intégrée de la formation initiale et continue des infirmières Étude 4 : Évaluation d’une activité de formation continue Au mois de septembre prochain, des infirmières du CHUM ayant entre 6 et 24 mois d’expérience seront sollicitées afin de participer à l’étude 4 de la recherche en sciences infirmières citée en titre. Ce programme de recherche vise à améliorer la sécurité des soins en rehaussant la formation sur le plan de la compétence du raisonnement clinique (réflexion et décision) et de la compétence du leader­ ship clinique (influence de personnes). L’étude 4 vise plus spécifiquement à évaluer la mise en œuvre, dans les milieux de travail, d’activités de formation visant le développement continu du raisonnement et du leader­ ship cliniques ainsi que leur effet sur le développement de ceux-ci. Les activités de formation, d’une durée de 30 minutes, seront animées par les assistantes infirmières-chef des unités ciblées. L’activité consiste à discuter d’une situation de soins ayant soulevé des émotions ou un questionnement. Il s’agit d’une démarche de réflexion collective au cours de laquelle, les infirmières sont invi­ tées à revoir l’interprétation de la situation et à proposer, analyser ainsi qu’à critiquer de nouvelles hypothèses. Cela, afin de planifier et intervenir de manière plus optimale dans le futur. Même si l’étude s’adresse aux infirmières ayant entre 6 et 24 mois d’expérience, toutes les infirmières des unités ciblées sont invitées à participer aux activités de formation afin d’enrichir l’échange et de partager leur expertise. Réponses du quiz éclair de la page 2 1 l’Avant-Garde est publié par la Direction des soins infirmiers du CHUM TROIS fois par année. Révision, correction et conception graphique Direction des communications Afin de faciliter la lecture des textes, L’Avant-Garde, de façon générale, utilise le terme « infirmière ». Il est entendu que cette désignation n’est nullement restrictive et englobe les infirmiers. À l’exception des entrevues personnelles, les articles de L’Avant-Garde peuvent être reproduits sans autorisation, avec mention de la source. Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Canada, 2012 ISSN : 1496-8983 © CHUM 2012 Bibliothèque nationale du Québec, 2012 Taux de prévalence des plaies de pression (effectué avril 2012 - demandez vos résultats à l’infirmière-chef de votre unité) 2 Lésion de l’épiderme ou du derme, ulcère superficiel, lit de plaie rouge-rosé, aucun tissu nécrotique (voir formation Convelearn à l’adresse www.convelearn.ca; mot de passe : chumform concernant l’évaluation d’une plaie et les traite­ ments ainsi que les documents de références dans l’intranet de la DSI : guide clinique, outil d’évaluation de plaies et suivi) 3 L’Avant-Garde est publié grâce à l’appui financier de la Fondation du CHUM. PTI, plan de soins et traitement, formulaire Évaluation et suivi de plaie (déploiement du formulaire jusqu’en février 2013) 4 L’infirmière, la stomothérapeute, le médecin (la CEPI peut évaluer la plaie, mais ne peut pas décider du traitement) pag e 4 l’ ava n t- g a r d e Vol. 12 No 2 - été 2012