L’Encéphale, 2006 ;
32 :
519-25, cahier 2
S 519
Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires
N. HAMDANI
(1, 2)
, P. GORWOOD
(1, 2)
(1) AP-HP, CHU Louis-Mourier, service de psychiatrie du Professeur Adès, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes cedex.
(2) INSERM U675, Faculté Xavier Bichat, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris.
INTRODUCTION
Les hypothèses biologiques ou génétiques ont dominé
les hypothèses éthiopathogéniques du trouble bipolaire
ce siècle dernier. L’efficacité du lithium et des antiépilep-
tiques sur la prévention et l’expression du trouble bipolaire
a conduit à l’élaboration de schémas causaux monoami-
nergiques. Les études familiales, de jumeaux et d’adop-
tion suggèrent une origine génétique à ce trouble. Récem-
ment, d’autres travaux ont ouvert la voie vers d’autres
pistes étiologiques des troubles bipolaires.
Le poids des facteurs stressants, la sensibilité aux ryth-
mes sociaux ou encore le fonctionnement cognitif des
sujets bipolaires a retenu un intérêt croissant. Actuelle-
ment, grâce au développement des techniques d’image-
rie, il est possible d’identifier des anomalies localisées ou
diffuses du cortex cérébral renforçant l’hypothèse d’une
origine neurodéveloppementale du trouble. Enfin, les étu-
des rétrospectives et prospectives d’enfants maltraités ou
hyperactifs ont permis une analyse plus longitudinale du
trouble bipolaire.
Dans cet article, nous nous proposons de passer en
revue les différentes hypothèses éthiopathogéniques des
troubles bipolaires afin de les appréhender dans leur
ensemble.
ÉVÉNEMENTS DE VIE STRESSANTS
ET TROUBLES BIPOLAIRES
En dehors de la vulnérabilité individuelle pour le trouble
bipolaire, de multiples facteurs participent à l’émergence
de la maladie et son évolution ultérieure. Dès sa descrip-
tion initiale, Kraeplin notait que les facteurs de stress psy-
chosociaux avaient une part déterminante dans la préci-
pitation des rechutes plutôt que dans l’émergence du
trouble. Les études analysant les événements stressants
avant une rechute dans le trouble bipolaire vont dans le
même sens, et retrouvent un excès d’événements de vie
stressants dans les 1 à 3 mois précédant la rechute, même
si cela est surtout vrai pour les premiers épisodes seule-
ment (pour revue, voire 29).
Il n’existe pas d’événement spécifiquement déclen-
cheur de rechute ; on retrouve néanmoins fréquemment
la perte d’un proche, le changement ou la perte d’un
emploi, les déménagements. D’autres facteurs précipi-
tants ont été soulevés, tels toxiques et drogues, dont il est
souvent difficile de savoir s’ils révèlent un trouble bipolaire
ou s’il s’agit d’épisodes purement « pharmaco-induits ».
De plus, un rôle spécifique de la réduction de sommeil a
été soulevé dans les rechutes maniaques. Notons que les
événements comme l’accouchement ou les « jet-lags »,
considérés comme inducteurs de manie, sont tous asso-
ciés à une baisse du sommeil. Qui plus est, la privation
de sommeil est réputée comme ayant des propriétés anti-
dépressives. Le sommeil a donc un rôle important dans
le déterminisme d’une rechute maniaque. Les bipolaires
privés d’une nuit de sommeil sont en effet sujets à des
décompensations maniaques (64).
Il apparaît donc nécessaire, lors de l’analyse des rechu-
tes du trouble bipolaire, de prendre en considération les
événements de vie, en différenciant d’une part le niveau
de stress induit et d’autre part l’impact sur le sommeil (et
le rythme de vie) que cet événement peut avoir. C’est ce
qu’ont fait Malkoff-Schwartz
et al.
(40) en évaluant de
manière discriminative tous les événements de vie (à par-
tir de la LEDS) vécus par 40 sujets souffrant de trouble
bipolaire en rechute (20 rechutes maniaques et 20 rechu-
tes dépressives). L’intensité du stress des événements
vécus durant les 8 semaines qui précédaient la rechute
était comparée à leur potentiel à modifier les rythmes
sociaux (et donc potentiellement du sommeil). Les auteurs
montrent que les sujets ont plus d’événements de vie
stressants avant leur nouvel épisode (le stress a bien un
N. Hamdani, P. Gorwood L’Encéphale, 2006 ;
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rôle), mais que pour les accès maniaques, les événe-
ments de vie qui interfèrent sur les rythmes sociaux des
sujets (typiquement changement d’emploi avec passage
à un travail de nuit) ont un pouvoir prédictif nettement plus
important. Le développement de prise en charge focalisé
sur les rythmes de vie
(Social Rythm Therapy)
par l’équipe
de Kupfer fournit une application pratique intéressante à
l’ensemble de ces travaux (18).
Les événements de vie stressants pourraient ainsi avoir
un impact décroissant au fur et à mesure de l’évolution de
la maladie, témoignant d’une sensibilité accrue (théorie de
Kindling
de Post).
La notion épidémiologique décrivant que le temps entre
chaque épisode est de plus en plus court au fur et à mesure
que le trouble bipolaire progresse est ancienne, évoquée
par Brew dès 1933. Robert Post a rapproché cette donnée
du phénomène de « Kindling » (littéralement « allumage »
ou « embrasement »), observé initialement chez le rat. La
stimulation électrique de l’amygdale du rat peut provoquer
des crises d’épilepsie à un certain seuil d’intensité élec-
trique. Lorsqu’on renouvelle l’expérience, on remarque
que des intensités de moins en moins importantes peu-
vent provoquer des crises d’épilepsie similaires, jusqu’à
obtention de crises épileptiques spontanées. Post consi-
dère donc que des stimuli particuliers peuvent provoquer
des modifications au long terme, comparables au phéno-
mène de sensibilisation. Ceci pourrait expliquer que les
premiers épisodes du trouble bipolaire soient provoqués
par des stimuli stressants sévères (dépressions alors
apparemment exogènes, plus « réactionnelles »), et que
les épisodes suivants soient plus autonomes (dépres-
sions dites endogènes). L’observation de ces données
épidémiologiques a été ensuite corrélée par Post aux
mécanismes de connexion inter-synaptique. Tout événe-
ment de vie stressant nécessitant un changement adap-
tatif met en effet en jeu un certain nombre de neurones
par le biais des neurotransmetteurs, à la base du déclen-
chement du potentiel d’action, mais sont aussi déclen-
cheurs d’une cascade de réactions. Le modèle du
« kindling » a l’avantage d’être cohérent au niveau des dif-
férents concepts mis en jeu : social (les événements de
vie stressants sont les stimuli déclencheurs), psychique
(la dépression peut être la réponse observée) et théra-
peutique (plusieurs anti-épileptiques – qui ont des vertus
neuroprotectrices – ont fait la preuve de leur efficacité
dans le trouble bipolaire).
Chez les femmes, l’accouchement peut constituer un
événement de vie stressant spécifique.
L’accouchement est associé à des modifications hor-
monales qui participent à un risque important de décom-
pensation thymique (pour revue, 23). Dans certaines
séries de trouble bipolaire, 20 % des femmes ont eu un
épisode maniaque pendant la période du
post-partum
. Les
frontières diagnostiques des psychoses puerpérales sont
parfois floues, notamment avec les troubles thymiques
non puerpéraux et les troubles de la personnalité. En effet,
la présentation clinique des psychoses puerpérales est
souvent proche des phases maniaques du trouble bipo-
laire en dehors de l’accouchement. De plus, le risque de
psychose puerpérale est beaucoup plus important chez
les femmes souffrant de trouble bipolaire, puisque l’on
retrouve jusqu’à 30 % de tels épisodes après un accou-
chement dans ce groupe à risque. Dans un même ordre
d’idée, le facteur de risque psychiatrique le plus important
pour la psychose puerpérale est l’existence d’antécédents
de troubles thymiques, et spécialement de troubles bipo-
laires. Le suivi de femmes souffrant de trouble bipolaire
retrouve 20 % de psychose puerpérale chez 82 femmes
pour une étude (9) et 30 % dans une autre série de
20 femmes (52). Enfin, le risque de nouvel épisode de psy-
chose puerpérale (au prochain accouchement) est évalué
entre 25 % et 30 %, ce qui en fait une pathologie récur-
rente, comme le trouble bipolaire. De fait, certains auteurs
proposent une mise systématique sous thymorégulateurs
des psychoses puerpérales.
ASPECTS COGNITIFS
ET QUALITÉ DES RELATIONS SOCIALES
COMME FACTEURS ÉTHIOPATHOGÉNIQUES
La qualité des relations interpersonnelles dans l’entou-
rage des patients bipolaires semble affecter l’évolution de
ce trouble. Des études prospectives montrent en effet qu’un
soutien social de mauvaise qualité s’accompagne de rechu-
tes plus fréquentes et d’une durée de rémission plus courte
(11, 34, 59). De même, l’intensité des émotions exprimées
par l’entourage semble corrélée à l’intensité des symptô-
mes maniaques et à une moins bonne évolution (22).
Les programmes psycho-éducatifs des sujets bipolai-
res et de leur entourage s’accompagnent d’une diminution
des taux de rechutes, de la durée des épisodes, de la fré-
quence des hospitalisations et d’une amélioration de la
compliance ultérieure (5, 55).
Dans une approche psychodynamique, les idées de
grandeur de l’épisode maniaque seraient une défense
pour lutter contre l’effondrement dépressif (37). Dans une
optique plus cognitive de la « défense maniaque », les
événements de vie seraient perçus comme une menace
dépressive chez un sujet présentant une faible estime de
soi, menant aux idées de grandeur. Manie et dépression
seraient donc deux états cognitivement proches. De rares
études ont tenté d’évaluer la vulnérabilité cognitive et le
modèle vulnérabilité-stress dans les troubles bipolaires.
Les sujets bipolaires ne semblent pas différer des sujets
unipolaires en terme de pensées négatives ou d’attitudes
inadaptées. Les sujets bipolaires pourraient par contre for-
muler d’avantage d’autocritiques que les sujets contrôles.
Les sujets souffrant d’épisodes hypomaniaques plus mar-
qués présentent de plus grandes difficultés au test de
Stroop émotionnel que les sujets présentant une hypoma-
nie légère. Ces patients semblent être plus sujets à l’auto-
critique, y compris en phase euthymique, et présenter plus
d’attitudes négatives et de ruminations (3).
Les sujets bipolaires euthymiques possèdent par con-
tre une meilleure estime de soi par rapport aux sujets uni-
polaires ou aux sujets contrôles. Ils présentent de même
plus de facilité sociale (sociotropie), de perfectionnisme,
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519-25, cahier 2 Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires
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mais ont une moins grande facilité à résoudre des tâches
cognitives (56).
Ces études rendent donc compte d’un profil cognitif
marqué par une grande sensibilité dans la dépendance
et l’attachement, ce que l’on retrouve de manière plus mar-
quée encore chez les sujets unipolaires.
Les études longitudinales montrent que l’état cognitif du
sujet bipolaire semble rester constant, quelle que soit la
phase de la maladie (2). Le style cognitif des sujets bipo-
laires pourrait prédire la décompensation. Ainsi, dans une
étude menée chez des sujets bipolaires de type I, une mau-
vaise estime de soi ou des idées négatives prédisent à
2 ans un épisode dépressif et même la sévérité des symp-
tômes (33). L’interaction « sociotropie » et « présence
d’événements négatifs » semble être de même prédictive
de la sévérité des symptômes chez les sujets bipolaires à
18 mois (27). De même, l’interaction « capacité d’autocri-
tique » et « présence d’événements positifs » est prédic-
tive de l’intensité des symptômes positifs à 4 mois. Enfin,
dans une étude incluant des sujets bipolaires en phase de
rémission et suivis pendant un an, les sujets en rechute se
distinguent par l’intensité de l’interaction « événements de
vie stressants » et « traits obsessionnels-extraversion »
(61).
À partir de cette riche littérature, les thérapies cognitives
se sont enrichies, basées sur des programmes de psy-
choéducation dans la reconnaissance des symptômes
prodromiques et les adaptations cognitives en préventif.
Cette approche semble bien réduire les décompensations
dépressives et maniaques (51).
FACTEURS DÉVELOPPEMENTAUX
DU TROUBLE BIPOLAIRE
Attachement et bipolarité
Certaines études se sont intéressées à la qualité du
soutien et du rôle protecteur des parents chez les sujets
bipolaires. Une première étude menée dans les familles
d’enfants bipolaires de type I montre que ces familles sont
caractérisées par des carences affectives, une absence
de relations intimes extra-familiales, des mères « domi-
natrices » et l’absence de père « émotionnel » ou « phy-
sique ». D’autres études montrent que l’évolution du trou-
ble bipolaire et l’intensité des symptômes sont liées à
l’attitude des parents (12). Les sujets bipolaires rapportent
une moindre attention et une attitude surprotectrice de la
part de leurs parents. Se basant sur un auto-question-
naire, Rosenfarb
et al.
, montrent que les sujets bipolaires
et unipolaires rapportent moins d’affection maternelle que
les sujets contrôles. De plus, les sujets bipolaires et uni-
polaires rapportent moins d’attachement à leur mère.
Enfin, les jeunes sujets bipolaires âgés de 7 à 16 ans, rela-
tent une moins bonne interaction parents-enfant, moins
de chaleur maternelle et une relation paternelle plus ten-
due et plus hostile comparativement aux sujets souffrant
d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité
(21).
Maltraitance et trouble bipolaire
Huit études ont tenté d’évaluer les antécédents de mal-
traitance chez les sujets bipolaires. Se basant sur un auto-
questionnaire d’abus, les sujets bipolaires rapportent plus
fréquemment de sévices physiques dans l’enfance que les
sujets unipolaires (32). Des antécédents d’abus sexuels
dans l’enfance ou de sévices physiques s’accompagnent
d’un âge de début plus précoce, des cycles plus rapides,
de gestes suicidaires plus fréquents, de manie plus sévère
et plus d’hallucinations auditives (28).
Une étude récente montre que les sujets bipolaires rap-
portent plus fréquemment des sévices physiques de la
part de leur mère, plus de sévices « émotionnels » de leurs
parents et ce en contrôlant l’âge de début de la maladie
et les antécédents familiaux de troubles de l’humeur.
Enfin, l’existence de maltraitance, précédant l’émergence
du trouble bipolaire, semble être un facteur déterminant
de décompensation du trouble (24).
Hyperactivité et trouble bipolaire
Étant donné l’existence de symptômes proches, voire
communs, à l’hyperactivité et à l’épisode maniaque (dis-
tractibilité, hyperactivité motrice, logorrhée), la comorbi-
dité de ces deux troubles pourrait être due à une conta-
mination diagnostique, plus qu’à une réelle comorbidité.
La technique proportionnelle (on ôte les items non spéci-
fiques, mais on restreint proportionnellement le nombre
de symptômes nécessaires au diagnostic) donne une
comorbidité de 69 %. De plus, la technique de soustrac-
tion (on élimine les items non spécifiques, mais l’on garde
le nombre d’items nécessaires pour faire le diagnostic)
révèle une comorbidité qui reste très élevée (48 %) (21).
L’hyperactivité de l’enfant a donc été récemment consi-
dérée comme un facteur de risque (ou une expression pré-
coce) du trouble bipolaire.
Selon une étude portant sur 300 patients de moins de
12 ans adressés pour prise en charge d’une hyperactivité,
16 % avaient en fait un diagnostic de trouble bipolaire. Une
fois écartés les enfants initialement étiquetés hyperactifs
qui en fait étaient bipolaires, l’étude montre qu’après 4 ans
de suivi, 12 % d’enfants hyperactifs finissent par révéler
un trouble bipolaire (7). Au total, un quart des enfants
hyperactifs ont, ou auront, un diagnostic de trouble bipo-
laire montrant combien le lien est étroit entre ces deux
troubles.
L’âge du sujet, et surtout l’âge de début, donnent des
informations importantes. Parmi les adolescents bipolai-
res, la comorbidité avec l’hyperactivité serait plus faible,
de l’ordre de 57 %.
Dans une optique pragmatique, c’est l’âge de début pré-
coce du trouble qui est le facteur déterminant pour la
comorbidité avec l’hyperactivité. Lorsque le trouble bipo-
laire commence durant l’enfance (avant 13 ans), l’hype-
ractivité comorbide est beaucoup plus importante (90 %)
que lorsque le trouble bipolaire débute durant l’adoles-
cence (de 13 à 19 ans) (60 %) (17). Seuls les sujets ayant
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un âge de début du trouble bipolaire inférieur à 19 ans pou-
vaient présenter une comorbidité avec l’hyperactivité
selon une étude (54). Au niveau thérapeutique, chez les
enfants bipolaires ayant des symptômes maniaques, les
thymorégulateurs sont efficaces, alors qu’antidépres-
seurs et amphétamines ne permettent pas d’obtenir une
amélioration réelle (7). En revanche, l’existence d’un trou-
ble maniaque avec hyperactivité comorbide est associée
à une moins bonne réponse au lithium.
HYPOTHÈSES NEURODÉVELOPPEMENTALES
DES TROUBLES BIPOLAIRES
Signes neurologiques mineurs,
anomalies électrophysiologiques
dans le trouble bipolaire
Les signes neurologiques mineurs, moteurs ou senso-
riels, témoignent d’anomalies cérébrales diffuses et illus-
trent l’hypothèse neurodéveloppementale du trouble psy-
chiatrique étudié. Fréquemment explorés dans la
schizophrénie, les études dans le trouble bipolaire restent
rares et contradictoires. L’étude Éthiopienne de Negash
et collaborateurs montre que les sujets bipolaires de type
I ont des performances sensorielles et motrices moins
bonnes par rapport aux sujets contrôles (48), touchant
électivement le champ de l’intégration audiovisuelle, le
champ moteur et surtout la coordination motrice complexe
(48). Ces mauvaises performances ne semblent pas
influencées par le nombre d’épisodes antérieurs ou la
sévérité de la maladie, suggérant qu’il s’agisse de mar-
queur prémorbide.
Sur le plan électrophysiologique, il a été montré des
anomalies de l’onde P50 qu’il est difficile de considérer
comme marqueur du trouble bipolaire en soi. L’onde P50
reflète le filtrage inhibiteur, phénomène électrophysiolo-
gique considéré comme impliqué dans la « mécanique »
des hallucinations. De fait, une étude récente montre que
les sujets bipolaires ayant présenté des symptômes psy-
chotiques présentent de manière significative une dimi-
nution du filtrage inhibiteur (reflété par l’onde P50 émous-
sée ou tardive) comparativement aux sujets bipolaires
« non psychotiques » et aux sujets contrôles (50).
Neuro-imagerie du trouble bipolaire
Grâce aux techniques d’imagerie (anatomique et fonc-
tionnelle), des anomalies métaboliques et volumétriques
du cortex cérébral des sujets bipolaires ont été décrites.
Les circuits impliqués semblent essentiellement fronto-
limbiques mais aussi temporaux et plus rarement hippo-
campiques.
Anomalies des lobes frontaux
Comparativement aux sujets normaux, les sujets bipo-
laires présentent un cortex préfrontal plus petit (39). La
taille du cortex préfrontal semble corrélée négativement
aux performances cognitives notamment pour les tâches
attentionnelles (mesurées par le CPT). De même, chez
les patients bipolaires on retrouve une diminution de la
densité du cortex cingulaire antérieur, région impliquée
dans la cognition et le contrôle de la motricité chez les
patients non traités. Ces observations se retrouvent chez
les adolescents (66). Notons que chez les familles de
sujets bipolaires, on retrouve une diminution volumétrique
de cette région comparativement aux sujets contrôles, y
compris chez des apparentés sains.
Les études d’imagerie fonctionnelle (PET-scan) mon-
trent des anomalies du cortex orbito-frontal aux tâches
verbales chez les patients maniaques ou euthymiques
comparativement aux sujets contrôles. On retrouve par
ailleurs, une hyperactivation du gyrus frontal inférieur et
du cortex cingulaire antérieur gauche lors de tâches déci-
sionnelles chez les patients en phase maniaque (53).
Les données neurochimiques complètent les données
d’imagerie et montrent que les métabolites tels que le N-
acétyl-aspartate, qui reflètent la viabilité des cellules neu-
ronales, sont diminués dans le cortex préfrontal des sujets
bipolaires (67) et l’hippocampe. D’autres métabolites, tra-
duisant le métabolisme énergétique des cellules neuro-
nales, sont retrouvés diminués dans le lobe frontal gauche
chez les sujets bipolaires en phase dépressive compara-
tivement aux sujets euthymiques (25).
Anomalies des lobes temporaux
L’amygdale est une région directement sollicitée dans
la reconnaissance des émotions comme la colère ou la
peur, que l’on retrouve altérée chez des enfants atteints
de trouble bipolaire (44). Chez les adultes bipolaires, cette
région est augmentée (8, 60) alors qu’elle semble dimi-
nuée chez les adolescents (10). De plus, la taille de
l’amygdale serait inversement corrélée à l’âge suggérant
une anomalie du développement de l’amygdale au cours
du temps chez les sujets bipolaires (10). Ce qui pourrait
expliquer les différences volumétriques de l’amygdale
chez les adolescents et les adultes atteints de troubles
bipolaires. Par contre l’hippocampe (impliquée notam-
ment dans la mémoire et la régulation du stress), ne sem-
ble pas différente chez les sujets bipolaires et les sujets
contrôles (10) bien qu’une étude de jumeaux discordants
pour le trouble bipolaire a montré une diminution du
volume de l’hippocampe droit chez le jumeau atteint (49).
Les ganglions de la base
On note une augmentation du volume du putamen chez
les sujets bipolaires comparativement aux sujets contrô-
les mais ces résultats semblent contradictoires. Chez les
adolescents, on retrouve une augmentation du volume du
putamen (14) ainsi qu’une augmentation bilatérale des
ganglions de la base (66). Cette structure a un intérêt par-
ticulier dans la mesure où elle présente des intercon-
nexions avec le cortex préfrontal et les régions limbiques
impliquées dans la régulation de l’humeur.
L’Encéphale, 2006 ;
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519-25, cahier 2 Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires
S 523
Les données en imagerie dans le trouble bipolaire sont
riches et hétérogènes. Peut-être est-il plus important de
rappeler que les différences sont décelables, pour le
moment, au niveau plus statistique (sur de grand groupe)
qu’individuel, n’autorisant pas l’utilisation de la RMN
comme aide au diagnostic, mais validant cette approche
comme un bon instrument de recherche.
NEUROBIOLOGIE DU TROUBLE BIPOLAIRE
Traditionnellement, les théories neurobiologiques du
trouble bipolaire se sont focalisées sur les hypothèses
monoaminergiques, notamment du fait de l’existence du
test de déplétion monoaminergique induite par la réser-
pine (antihypertenseur) qui est responsable de symptô-
mes dépressifs. L’efficacité des antidépresseurs tricy-
cliques ou des IMAO, qui s’accompagne d’une
augmentation synaptique de noradrénaline et de séroto-
nine, est venue renforcer ces hypothèses. Cependant,
l’idée qu’une monoamine isolée puisse expliquer le trouble
bipolaire a évolué vers l’implication de plusieurs systèmes
de neurotransmission.
Parallèlement aux recherches considérables sur la
sérotonine, certains travaux suggèrent une diminution de
la concentration de noradrénaline chez les patients uni-
polaires et une augmentation chez les sujets bipolaires
(42). De plus, une augmentation noradrénergique serait
annonciatrice d’un virage de l’humeur (6). Une perturba-
tion dopaminergique a aussi été suggérée dans les états
maniaques et dépressifs devant l’implication de ce neu-
rotransmetteur dans le contrôle de la motricité, l’hédonie
ou encore les fonctions cognitives. D’autres neurotrans-
metteurs semblent impliqués dans les troubles bipolaires
comme le système inhibiteur du GABA et excitateur du glu-
tamate, l’acétylcholine ou encore l’histamine (45).
Notons que l’augmentation intrasynaptique de certains
neurotransmetteurs conduit à l’activation en cascade des
systèmes de transduction puis à une augmentation des
facteurs neurotrophiques (BDNF) et à l’élaboration de pro-
téines cyto-protectives (bcl-2).
La liaison des neurotransmetteurs à leur ligand entraîne
en effet une cascade d’événements intracellulaires via un
couplage aux protéines G aboutissant à l’élaboration de
seconds messagers. Ces systèmes de transduction pour-
raient être impliqués dans le trouble bipolaire. Chez les
sujets bipolaires, on retrouve une augmentation périphé-
rique des protéines G (63), observations retrouvées dans
les études
post-mortem
. De même, la protéine kinase C,
protéine intracellulaire, impliquée dans la régulation de la
plasticité synaptique est augmentée chez les sujets bipo-
laires (19). Notons que le lithium atténue l’activation des
protéines kinases C dans l’hippocampe et le cortex frontal
à l’origine de modifications de la neuroplasticité (hypo-
thèse de l’action antimaniaque du lithium) (41). Le BDNF
(brain derived neurotrophic factor) est une neurotrophine
qui participe au développement, à la maturation et à la sur-
vie des neurones. Son rôle dans la plasticité synaptique
hippocampique est reconnu (16). Dans les modèles ani-
maux de dépression, le BDNF a un effet « antidépresseur
like » (58) tandis que le valproate augmente son expres-
sion (30). L’expression du BDNF est influencée par les
modifications d’hormones neuroendocriniennes (elles-
mêmes régulées par le stress) aboutissant à une vulné-
rabilité neuronale, notamment hippocampique (15).
Sur le plan hormonal, et en particulier après un accou-
chement, les modifications endocriniennes sont majeu-
res, complexes et rapides. Les nombreuses études por-
tant sur l’axe hypothalamo-cortico-surrénalien (axe HPA)
dans la dépression (à partir du lien repéré entre cortisol,
stress et dépression) sont, par exemple, une manière de
concevoir comment la période du post-partum est à ris-
que, puisque l’ACTH et le cortisol augmentent au moment
du travail pour décroître dès la quatrième heure après
l’accouchement. D’autres hormones comme les stéroïdes
(progestérone et œstrogène), la prolactine, les hormones
de l’axe thyréotrope (la TSH et la TRH) ou gonadotrope
(FSH et LH), sont aussi remaniées après l’accouchement.
Plus récemment, Wieck
et al.
(65) ont retrouvé une asso-
ciation entre l’augmentation de la sensibilité des récep-
teurs dopaminergiques au niveau hypothalamique et
l’émergence de psychose puerpérale après l’accouche-
ment. Cette hypersensibilité des récepteurs dopaminer-
giques pourrait être expliquée par l’effet psychotropique
de l’œstrogène. Il peut donc être intéressant de prendre
en considération l’étude de Hamilton qui réussit, ce qui n’a
pas toujours été le cas, à prévenir toute psychose puer-
pérale par une prescription d’œstrogènes prophylactique
à 40 femmes considérées comme à haut risque (26). De
plus, la description d’un cas de psychose de type puerpé-
ral chez une femme après exérèse d’une môle hydati-
forme ainsi que chez un homme transsexuel après
sevrage d’œstrogène va dans le même sens (31).
GÉNÉTIQUE DU TROUBLE BIPOLAIRE
Les études d’agrégation familiale plaident en faveur
d’une vulnérabilité génétique du trouble bipolaire. En effet,
si la prévalence du trouble est estimée entre 0,5 et 1,5 %
en population générale, ce risque augmente entre 5-10 %
si un apparenté au premier degré est atteint tandis que le
taux de concordance des jumeaux monozygotes atteint
40 à 70 % (35). De plus, les apparentés au premier degré
de sujets bipolaires sont 5 à 10 fois plus exposés au risque
de développer ce même trouble comparativement à la
population générale (43). Enfin, l’héritabilité, qui est le
pourcentage d’explication du phénotype observé (la mala-
die) due aux différences génétiques inter-individuelles, est
estimée autour de 80 % selon plusieurs études (36).
Actuellement, les données de la littérature suggèrent
l’interaction de plusieurs gènes avec des mécanismes
génétiques complexes (13).
Les études de liaison menées chez les sujets bipolaires
ou chez les paires de germains atteints ont identifié cer-
taines régions chromosomiques associées au trouble
bipolaire. Deux méta-analyses ont été menées à partir des
données du criblage du génome, et ont montré une liaison
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