
L’Encéphale, 2006 ;
32 :
519-25, cahier 2 Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires
S 523
Les données en imagerie dans le trouble bipolaire sont
riches et hétérogènes. Peut-être est-il plus important de
rappeler que les différences sont décelables, pour le
moment, au niveau plus statistique (sur de grand groupe)
qu’individuel, n’autorisant pas l’utilisation de la RMN
comme aide au diagnostic, mais validant cette approche
comme un bon instrument de recherche.
NEUROBIOLOGIE DU TROUBLE BIPOLAIRE
Traditionnellement, les théories neurobiologiques du
trouble bipolaire se sont focalisées sur les hypothèses
monoaminergiques, notamment du fait de l’existence du
test de déplétion monoaminergique induite par la réser-
pine (antihypertenseur) qui est responsable de symptô-
mes dépressifs. L’efficacité des antidépresseurs tricy-
cliques ou des IMAO, qui s’accompagne d’une
augmentation synaptique de noradrénaline et de séroto-
nine, est venue renforcer ces hypothèses. Cependant,
l’idée qu’une monoamine isolée puisse expliquer le trouble
bipolaire a évolué vers l’implication de plusieurs systèmes
de neurotransmission.
Parallèlement aux recherches considérables sur la
sérotonine, certains travaux suggèrent une diminution de
la concentration de noradrénaline chez les patients uni-
polaires et une augmentation chez les sujets bipolaires
(42). De plus, une augmentation noradrénergique serait
annonciatrice d’un virage de l’humeur (6). Une perturba-
tion dopaminergique a aussi été suggérée dans les états
maniaques et dépressifs devant l’implication de ce neu-
rotransmetteur dans le contrôle de la motricité, l’hédonie
ou encore les fonctions cognitives. D’autres neurotrans-
metteurs semblent impliqués dans les troubles bipolaires
comme le système inhibiteur du GABA et excitateur du glu-
tamate, l’acétylcholine ou encore l’histamine (45).
Notons que l’augmentation intrasynaptique de certains
neurotransmetteurs conduit à l’activation en cascade des
systèmes de transduction puis à une augmentation des
facteurs neurotrophiques (BDNF) et à l’élaboration de pro-
téines cyto-protectives (bcl-2).
La liaison des neurotransmetteurs à leur ligand entraîne
en effet une cascade d’événements intracellulaires via un
couplage aux protéines G aboutissant à l’élaboration de
seconds messagers. Ces systèmes de transduction pour-
raient être impliqués dans le trouble bipolaire. Chez les
sujets bipolaires, on retrouve une augmentation périphé-
rique des protéines G (63), observations retrouvées dans
les études
post-mortem
. De même, la protéine kinase C,
protéine intracellulaire, impliquée dans la régulation de la
plasticité synaptique est augmentée chez les sujets bipo-
laires (19). Notons que le lithium atténue l’activation des
protéines kinases C dans l’hippocampe et le cortex frontal
à l’origine de modifications de la neuroplasticité (hypo-
thèse de l’action antimaniaque du lithium) (41). Le BDNF
(brain derived neurotrophic factor) est une neurotrophine
qui participe au développement, à la maturation et à la sur-
vie des neurones. Son rôle dans la plasticité synaptique
hippocampique est reconnu (16). Dans les modèles ani-
maux de dépression, le BDNF a un effet « antidépresseur
like » (58) tandis que le valproate augmente son expres-
sion (30). L’expression du BDNF est influencée par les
modifications d’hormones neuroendocriniennes (elles-
mêmes régulées par le stress) aboutissant à une vulné-
rabilité neuronale, notamment hippocampique (15).
Sur le plan hormonal, et en particulier après un accou-
chement, les modifications endocriniennes sont majeu-
res, complexes et rapides. Les nombreuses études por-
tant sur l’axe hypothalamo-cortico-surrénalien (axe HPA)
dans la dépression (à partir du lien repéré entre cortisol,
stress et dépression) sont, par exemple, une manière de
concevoir comment la période du post-partum est à ris-
que, puisque l’ACTH et le cortisol augmentent au moment
du travail pour décroître dès la quatrième heure après
l’accouchement. D’autres hormones comme les stéroïdes
(progestérone et œstrogène), la prolactine, les hormones
de l’axe thyréotrope (la TSH et la TRH) ou gonadotrope
(FSH et LH), sont aussi remaniées après l’accouchement.
Plus récemment, Wieck
et al.
(65) ont retrouvé une asso-
ciation entre l’augmentation de la sensibilité des récep-
teurs dopaminergiques au niveau hypothalamique et
l’émergence de psychose puerpérale après l’accouche-
ment. Cette hypersensibilité des récepteurs dopaminer-
giques pourrait être expliquée par l’effet psychotropique
de l’œstrogène. Il peut donc être intéressant de prendre
en considération l’étude de Hamilton qui réussit, ce qui n’a
pas toujours été le cas, à prévenir toute psychose puer-
pérale par une prescription d’œstrogènes prophylactique
à 40 femmes considérées comme à haut risque (26). De
plus, la description d’un cas de psychose de type puerpé-
ral chez une femme après exérèse d’une môle hydati-
forme ainsi que chez un homme transsexuel après
sevrage d’œstrogène va dans le même sens (31).
GÉNÉTIQUE DU TROUBLE BIPOLAIRE
Les études d’agrégation familiale plaident en faveur
d’une vulnérabilité génétique du trouble bipolaire. En effet,
si la prévalence du trouble est estimée entre 0,5 et 1,5 %
en population générale, ce risque augmente entre 5-10 %
si un apparenté au premier degré est atteint tandis que le
taux de concordance des jumeaux monozygotes atteint
40 à 70 % (35). De plus, les apparentés au premier degré
de sujets bipolaires sont 5 à 10 fois plus exposés au risque
de développer ce même trouble comparativement à la
population générale (43). Enfin, l’héritabilité, qui est le
pourcentage d’explication du phénotype observé (la mala-
die) due aux différences génétiques inter-individuelles, est
estimée autour de 80 % selon plusieurs études (36).
Actuellement, les données de la littérature suggèrent
l’interaction de plusieurs gènes avec des mécanismes
génétiques complexes (13).
Les études de liaison menées chez les sujets bipolaires
ou chez les paires de germains atteints ont identifié cer-
taines régions chromosomiques associées au trouble
bipolaire. Deux méta-analyses ont été menées à partir des
données du criblage du génome, et ont montré une liaison