Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires N. HAMDANI (1, 2), P. GORWOOD (1, 2) INTRODUCTION Les hypothèses biologiques ou génétiques ont dominé les hypothèses éthiopathogéniques du trouble bipolaire ce siècle dernier. L’efficacité du lithium et des antiépileptiques sur la prévention et l’expression du trouble bipolaire a conduit à l’élaboration de schémas causaux monoaminergiques. Les études familiales, de jumeaux et d’adoption suggèrent une origine génétique à ce trouble. Récemment, d’autres travaux ont ouvert la voie vers d’autres pistes étiologiques des troubles bipolaires. Le poids des facteurs stressants, la sensibilité aux rythmes sociaux ou encore le fonctionnement cognitif des sujets bipolaires a retenu un intérêt croissant. Actuellement, grâce au développement des techniques d’imagerie, il est possible d’identifier des anomalies localisées ou diffuses du cortex cérébral renforçant l’hypothèse d’une origine neurodéveloppementale du trouble. Enfin, les études rétrospectives et prospectives d’enfants maltraités ou hyperactifs ont permis une analyse plus longitudinale du trouble bipolaire. Dans cet article, nous nous proposons de passer en revue les différentes hypothèses éthiopathogéniques des troubles bipolaires afin de les appréhender dans leur ensemble. ÉVÉNEMENTS DE VIE STRESSANTS ET TROUBLES BIPOLAIRES En dehors de la vulnérabilité individuelle pour le trouble bipolaire, de multiples facteurs participent à l’émergence de la maladie et son évolution ultérieure. Dès sa description initiale, Kraeplin notait que les facteurs de stress psychosociaux avaient une part déterminante dans la précipitation des rechutes plutôt que dans l’émergence du trouble. Les études analysant les événements stressants avant une rechute dans le trouble bipolaire vont dans le même sens, et retrouvent un excès d’événements de vie stressants dans les 1 à 3 mois précédant la rechute, même si cela est surtout vrai pour les premiers épisodes seulement (pour revue, voire 29). Il n’existe pas d’événement spécifiquement déclencheur de rechute ; on retrouve néanmoins fréquemment la perte d’un proche, le changement ou la perte d’un emploi, les déménagements. D’autres facteurs précipitants ont été soulevés, tels toxiques et drogues, dont il est souvent difficile de savoir s’ils révèlent un trouble bipolaire ou s’il s’agit d’épisodes purement « pharmaco-induits ». De plus, un rôle spécifique de la réduction de sommeil a été soulevé dans les rechutes maniaques. Notons que les événements comme l’accouchement ou les « jet-lags », considérés comme inducteurs de manie, sont tous associés à une baisse du sommeil. Qui plus est, la privation de sommeil est réputée comme ayant des propriétés antidépressives. Le sommeil a donc un rôle important dans le déterminisme d’une rechute maniaque. Les bipolaires privés d’une nuit de sommeil sont en effet sujets à des décompensations maniaques (64). Il apparaît donc nécessaire, lors de l’analyse des rechutes du trouble bipolaire, de prendre en considération les événements de vie, en différenciant d’une part le niveau de stress induit et d’autre part l’impact sur le sommeil (et le rythme de vie) que cet événement peut avoir. C’est ce qu’ont fait Malkoff-Schwartz et al. (40) en évaluant de manière discriminative tous les événements de vie (à partir de la LEDS) vécus par 40 sujets souffrant de trouble bipolaire en rechute (20 rechutes maniaques et 20 rechutes dépressives). L’intensité du stress des événements vécus durant les 8 semaines qui précédaient la rechute était comparée à leur potentiel à modifier les rythmes sociaux (et donc potentiellement du sommeil). Les auteurs montrent que les sujets ont plus d’événements de vie stressants avant leur nouvel épisode (le stress a bien un (1) AP-HP, CHU Louis-Mourier, service de psychiatrie du Professeur Adès, 178, rue des Renouillers, 92701 Colombes cedex. (2) INSERM U675, Faculté Xavier Bichat, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 S 519 N. Hamdani, P. Gorwood rôle), mais que pour les accès maniaques, les événements de vie qui interfèrent sur les rythmes sociaux des sujets (typiquement changement d’emploi avec passage à un travail de nuit) ont un pouvoir prédictif nettement plus important. Le développement de prise en charge focalisé sur les rythmes de vie (Social Rythm Therapy) par l’équipe de Kupfer fournit une application pratique intéressante à l’ensemble de ces travaux (18). Les événements de vie stressants pourraient ainsi avoir un impact décroissant au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, témoignant d’une sensibilité accrue (théorie de Kindling de Post). La notion épidémiologique décrivant que le temps entre chaque épisode est de plus en plus court au fur et à mesure que le trouble bipolaire progresse est ancienne, évoquée par Brew dès 1933. Robert Post a rapproché cette donnée du phénomène de « Kindling » (littéralement « allumage » ou « embrasement »), observé initialement chez le rat. La stimulation électrique de l’amygdale du rat peut provoquer des crises d’épilepsie à un certain seuil d’intensité électrique. Lorsqu’on renouvelle l’expérience, on remarque que des intensités de moins en moins importantes peuvent provoquer des crises d’épilepsie similaires, jusqu’à obtention de crises épileptiques spontanées. Post considère donc que des stimuli particuliers peuvent provoquer des modifications au long terme, comparables au phénomène de sensibilisation. Ceci pourrait expliquer que les premiers épisodes du trouble bipolaire soient provoqués par des stimuli stressants sévères (dépressions alors apparemment exogènes, plus « réactionnelles »), et que les épisodes suivants soient plus autonomes (dépressions dites endogènes). L’observation de ces données épidémiologiques a été ensuite corrélée par Post aux mécanismes de connexion inter-synaptique. Tout événement de vie stressant nécessitant un changement adaptatif met en effet en jeu un certain nombre de neurones par le biais des neurotransmetteurs, à la base du déclenchement du potentiel d’action, mais sont aussi déclencheurs d’une cascade de réactions. Le modèle du « kindling » a l’avantage d’être cohérent au niveau des différents concepts mis en jeu : social (les événements de vie stressants sont les stimuli déclencheurs), psychique (la dépression peut être la réponse observée) et thérapeutique (plusieurs anti-épileptiques – qui ont des vertus neuroprotectrices – ont fait la preuve de leur efficacité dans le trouble bipolaire). Chez les femmes, l’accouchement peut constituer un événement de vie stressant spécifique. L’accouchement est associé à des modifications hormonales qui participent à un risque important de décompensation thymique (pour revue, 23). Dans certaines séries de trouble bipolaire, 20 % des femmes ont eu un épisode maniaque pendant la période du post-partum. Les frontières diagnostiques des psychoses puerpérales sont parfois floues, notamment avec les troubles thymiques non puerpéraux et les troubles de la personnalité. En effet, la présentation clinique des psychoses puerpérales est souvent proche des phases maniaques du trouble bipolaire en dehors de l’accouchement. De plus, le risque de S 520 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 psychose puerpérale est beaucoup plus important chez les femmes souffrant de trouble bipolaire, puisque l’on retrouve jusqu’à 30 % de tels épisodes après un accouchement dans ce groupe à risque. Dans un même ordre d’idée, le facteur de risque psychiatrique le plus important pour la psychose puerpérale est l’existence d’antécédents de troubles thymiques, et spécialement de troubles bipolaires. Le suivi de femmes souffrant de trouble bipolaire retrouve 20 % de psychose puerpérale chez 82 femmes pour une étude (9) et 30 % dans une autre série de 20 femmes (52). Enfin, le risque de nouvel épisode de psychose puerpérale (au prochain accouchement) est évalué entre 25 % et 30 %, ce qui en fait une pathologie récurrente, comme le trouble bipolaire. De fait, certains auteurs proposent une mise systématique sous thymorégulateurs des psychoses puerpérales. ASPECTS COGNITIFS ET QUALITÉ DES RELATIONS SOCIALES COMME FACTEURS ÉTHIOPATHOGÉNIQUES La qualité des relations interpersonnelles dans l’entourage des patients bipolaires semble affecter l’évolution de ce trouble. Des études prospectives montrent en effet qu’un soutien social de mauvaise qualité s’accompagne de rechutes plus fréquentes et d’une durée de rémission plus courte (11, 34, 59). De même, l’intensité des émotions exprimées par l’entourage semble corrélée à l’intensité des symptômes maniaques et à une moins bonne évolution (22). Les programmes psycho-éducatifs des sujets bipolaires et de leur entourage s’accompagnent d’une diminution des taux de rechutes, de la durée des épisodes, de la fréquence des hospitalisations et d’une amélioration de la compliance ultérieure (5, 55). Dans une approche psychodynamique, les idées de grandeur de l’épisode maniaque seraient une défense pour lutter contre l’effondrement dépressif (37). Dans une optique plus cognitive de la « défense maniaque », les événements de vie seraient perçus comme une menace dépressive chez un sujet présentant une faible estime de soi, menant aux idées de grandeur. Manie et dépression seraient donc deux états cognitivement proches. De rares études ont tenté d’évaluer la vulnérabilité cognitive et le modèle vulnérabilité-stress dans les troubles bipolaires. Les sujets bipolaires ne semblent pas différer des sujets unipolaires en terme de pensées négatives ou d’attitudes inadaptées. Les sujets bipolaires pourraient par contre formuler d’avantage d’autocritiques que les sujets contrôles. Les sujets souffrant d’épisodes hypomaniaques plus marqués présentent de plus grandes difficultés au test de Stroop émotionnel que les sujets présentant une hypomanie légère. Ces patients semblent être plus sujets à l’autocritique, y compris en phase euthymique, et présenter plus d’attitudes négatives et de ruminations (3). Les sujets bipolaires euthymiques possèdent par contre une meilleure estime de soi par rapport aux sujets unipolaires ou aux sujets contrôles. Ils présentent de même plus de facilité sociale (sociotropie), de perfectionnisme, L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 mais ont une moins grande facilité à résoudre des tâches cognitives (56). Ces études rendent donc compte d’un profil cognitif marqué par une grande sensibilité dans la dépendance et l’attachement, ce que l’on retrouve de manière plus marquée encore chez les sujets unipolaires. Les études longitudinales montrent que l’état cognitif du sujet bipolaire semble rester constant, quelle que soit la phase de la maladie (2). Le style cognitif des sujets bipolaires pourrait prédire la décompensation. Ainsi, dans une étude menée chez des sujets bipolaires de type I, une mauvaise estime de soi ou des idées négatives prédisent à 2 ans un épisode dépressif et même la sévérité des symptômes (33). L’interaction « sociotropie » et « présence d’événements négatifs » semble être de même prédictive de la sévérité des symptômes chez les sujets bipolaires à 18 mois (27). De même, l’interaction « capacité d’autocritique » et « présence d’événements positifs » est prédictive de l’intensité des symptômes positifs à 4 mois. Enfin, dans une étude incluant des sujets bipolaires en phase de rémission et suivis pendant un an, les sujets en rechute se distinguent par l’intensité de l’interaction « événements de vie stressants » et « traits obsessionnels-extraversion » (61). À partir de cette riche littérature, les thérapies cognitives se sont enrichies, basées sur des programmes de psychoéducation dans la reconnaissance des symptômes prodromiques et les adaptations cognitives en préventif. Cette approche semble bien réduire les décompensations dépressives et maniaques (51). FACTEURS DÉVELOPPEMENTAUX DU TROUBLE BIPOLAIRE Attachement et bipolarité Certaines études se sont intéressées à la qualité du soutien et du rôle protecteur des parents chez les sujets bipolaires. Une première étude menée dans les familles d’enfants bipolaires de type I montre que ces familles sont caractérisées par des carences affectives, une absence de relations intimes extra-familiales, des mères « dominatrices » et l’absence de père « émotionnel » ou « physique ». D’autres études montrent que l’évolution du trouble bipolaire et l’intensité des symptômes sont liées à l’attitude des parents (12). Les sujets bipolaires rapportent une moindre attention et une attitude surprotectrice de la part de leurs parents. Se basant sur un auto-questionnaire, Rosenfarb et al., montrent que les sujets bipolaires et unipolaires rapportent moins d’affection maternelle que les sujets contrôles. De plus, les sujets bipolaires et unipolaires rapportent moins d’attachement à leur mère. Enfin, les jeunes sujets bipolaires âgés de 7 à 16 ans, relatent une moins bonne interaction parents-enfant, moins de chaleur maternelle et une relation paternelle plus tendue et plus hostile comparativement aux sujets souffrant d’un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (21). Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires Maltraitance et trouble bipolaire Huit études ont tenté d’évaluer les antécédents de maltraitance chez les sujets bipolaires. Se basant sur un autoquestionnaire d’abus, les sujets bipolaires rapportent plus fréquemment de sévices physiques dans l’enfance que les sujets unipolaires (32). Des antécédents d’abus sexuels dans l’enfance ou de sévices physiques s’accompagnent d’un âge de début plus précoce, des cycles plus rapides, de gestes suicidaires plus fréquents, de manie plus sévère et plus d’hallucinations auditives (28). Une étude récente montre que les sujets bipolaires rapportent plus fréquemment des sévices physiques de la part de leur mère, plus de sévices « émotionnels » de leurs parents et ce en contrôlant l’âge de début de la maladie et les antécédents familiaux de troubles de l’humeur. Enfin, l’existence de maltraitance, précédant l’émergence du trouble bipolaire, semble être un facteur déterminant de décompensation du trouble (24). Hyperactivité et trouble bipolaire Étant donné l’existence de symptômes proches, voire communs, à l’hyperactivité et à l’épisode maniaque (distractibilité, hyperactivité motrice, logorrhée), la comorbidité de ces deux troubles pourrait être due à une contamination diagnostique, plus qu’à une réelle comorbidité. La technique proportionnelle (on ôte les items non spécifiques, mais on restreint proportionnellement le nombre de symptômes nécessaires au diagnostic) donne une comorbidité de 69 %. De plus, la technique de soustraction (on élimine les items non spécifiques, mais l’on garde le nombre d’items nécessaires pour faire le diagnostic) révèle une comorbidité qui reste très élevée (48 %) (21). L’hyperactivité de l’enfant a donc été récemment considérée comme un facteur de risque (ou une expression précoce) du trouble bipolaire. Selon une étude portant sur 300 patients de moins de 12 ans adressés pour prise en charge d’une hyperactivité, 16 % avaient en fait un diagnostic de trouble bipolaire. Une fois écartés les enfants initialement étiquetés hyperactifs qui en fait étaient bipolaires, l’étude montre qu’après 4 ans de suivi, 12 % d’enfants hyperactifs finissent par révéler un trouble bipolaire (7). Au total, un quart des enfants hyperactifs ont, ou auront, un diagnostic de trouble bipolaire montrant combien le lien est étroit entre ces deux troubles. L’âge du sujet, et surtout l’âge de début, donnent des informations importantes. Parmi les adolescents bipolaires, la comorbidité avec l’hyperactivité serait plus faible, de l’ordre de 57 %. Dans une optique pragmatique, c’est l’âge de début précoce du trouble qui est le facteur déterminant pour la comorbidité avec l’hyperactivité. Lorsque le trouble bipolaire commence durant l’enfance (avant 13 ans), l’hyperactivité comorbide est beaucoup plus importante (90 %) que lorsque le trouble bipolaire débute durant l’adolescence (de 13 à 19 ans) (60 %) (17). Seuls les sujets ayant S 521 N. Hamdani, P. Gorwood un âge de début du trouble bipolaire inférieur à 19 ans pouvaient présenter une comorbidité avec l’hyperactivité selon une étude (54). Au niveau thérapeutique, chez les enfants bipolaires ayant des symptômes maniaques, les thymorégulateurs sont efficaces, alors qu’antidépresseurs et amphétamines ne permettent pas d’obtenir une amélioration réelle (7). En revanche, l’existence d’un trouble maniaque avec hyperactivité comorbide est associée à une moins bonne réponse au lithium. HYPOTHÈSES NEURODÉVELOPPEMENTALES DES TROUBLES BIPOLAIRES Signes neurologiques mineurs, anomalies électrophysiologiques dans le trouble bipolaire Les signes neurologiques mineurs, moteurs ou sensoriels, témoignent d’anomalies cérébrales diffuses et illustrent l’hypothèse neurodéveloppementale du trouble psychiatrique étudié. Fréquemment explorés dans la schizophrénie, les études dans le trouble bipolaire restent rares et contradictoires. L’étude Éthiopienne de Negash et collaborateurs montre que les sujets bipolaires de type I ont des performances sensorielles et motrices moins bonnes par rapport aux sujets contrôles (48), touchant électivement le champ de l’intégration audiovisuelle, le champ moteur et surtout la coordination motrice complexe (48). Ces mauvaises performances ne semblent pas influencées par le nombre d’épisodes antérieurs ou la sévérité de la maladie, suggérant qu’il s’agisse de marqueur prémorbide. Sur le plan électrophysiologique, il a été montré des anomalies de l’onde P50 qu’il est difficile de considérer comme marqueur du trouble bipolaire en soi. L’onde P50 reflète le filtrage inhibiteur, phénomène électrophysiologique considéré comme impliqué dans la « mécanique » des hallucinations. De fait, une étude récente montre que les sujets bipolaires ayant présenté des symptômes psychotiques présentent de manière significative une diminution du filtrage inhibiteur (reflété par l’onde P50 émoussée ou tardive) comparativement aux sujets bipolaires « non psychotiques » et aux sujets contrôles (50). Neuro-imagerie du trouble bipolaire Grâce aux techniques d’imagerie (anatomique et fonctionnelle), des anomalies métaboliques et volumétriques du cortex cérébral des sujets bipolaires ont été décrites. Les circuits impliqués semblent essentiellement frontolimbiques mais aussi temporaux et plus rarement hippocampiques. Anomalies des lobes frontaux Comparativement aux sujets normaux, les sujets bipolaires présentent un cortex préfrontal plus petit (39). La S 522 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 taille du cortex préfrontal semble corrélée négativement aux performances cognitives notamment pour les tâches attentionnelles (mesurées par le CPT). De même, chez les patients bipolaires on retrouve une diminution de la densité du cortex cingulaire antérieur, région impliquée dans la cognition et le contrôle de la motricité chez les patients non traités. Ces observations se retrouvent chez les adolescents (66). Notons que chez les familles de sujets bipolaires, on retrouve une diminution volumétrique de cette région comparativement aux sujets contrôles, y compris chez des apparentés sains. Les études d’imagerie fonctionnelle (PET-scan) montrent des anomalies du cortex orbito-frontal aux tâches verbales chez les patients maniaques ou euthymiques comparativement aux sujets contrôles. On retrouve par ailleurs, une hyperactivation du gyrus frontal inférieur et du cortex cingulaire antérieur gauche lors de tâches décisionnelles chez les patients en phase maniaque (53). Les données neurochimiques complètent les données d’imagerie et montrent que les métabolites tels que le Nacétyl-aspartate, qui reflètent la viabilité des cellules neuronales, sont diminués dans le cortex préfrontal des sujets bipolaires (67) et l’hippocampe. D’autres métabolites, traduisant le métabolisme énergétique des cellules neuronales, sont retrouvés diminués dans le lobe frontal gauche chez les sujets bipolaires en phase dépressive comparativement aux sujets euthymiques (25). Anomalies des lobes temporaux L’amygdale est une région directement sollicitée dans la reconnaissance des émotions comme la colère ou la peur, que l’on retrouve altérée chez des enfants atteints de trouble bipolaire (44). Chez les adultes bipolaires, cette région est augmentée (8, 60) alors qu’elle semble diminuée chez les adolescents (10). De plus, la taille de l’amygdale serait inversement corrélée à l’âge suggérant une anomalie du développement de l’amygdale au cours du temps chez les sujets bipolaires (10). Ce qui pourrait expliquer les différences volumétriques de l’amygdale chez les adolescents et les adultes atteints de troubles bipolaires. Par contre l’hippocampe (impliquée notamment dans la mémoire et la régulation du stress), ne semble pas différente chez les sujets bipolaires et les sujets contrôles (10) bien qu’une étude de jumeaux discordants pour le trouble bipolaire a montré une diminution du volume de l’hippocampe droit chez le jumeau atteint (49). Les ganglions de la base On note une augmentation du volume du putamen chez les sujets bipolaires comparativement aux sujets contrôles mais ces résultats semblent contradictoires. Chez les adolescents, on retrouve une augmentation du volume du putamen (14) ainsi qu’une augmentation bilatérale des ganglions de la base (66). Cette structure a un intérêt particulier dans la mesure où elle présente des interconnexions avec le cortex préfrontal et les régions limbiques impliquées dans la régulation de l’humeur. L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 Les données en imagerie dans le trouble bipolaire sont riches et hétérogènes. Peut-être est-il plus important de rappeler que les différences sont décelables, pour le moment, au niveau plus statistique (sur de grand groupe) qu’individuel, n’autorisant pas l’utilisation de la RMN comme aide au diagnostic, mais validant cette approche comme un bon instrument de recherche. NEUROBIOLOGIE DU TROUBLE BIPOLAIRE Traditionnellement, les théories neurobiologiques du trouble bipolaire se sont focalisées sur les hypothèses monoaminergiques, notamment du fait de l’existence du test de déplétion monoaminergique induite par la réserpine (antihypertenseur) qui est responsable de symptômes dépressifs. L’efficacité des antidépresseurs tricycliques ou des IMAO, qui s’accompagne d’une augmentation synaptique de noradrénaline et de sérotonine, est venue renforcer ces hypothèses. Cependant, l’idée qu’une monoamine isolée puisse expliquer le trouble bipolaire a évolué vers l’implication de plusieurs systèmes de neurotransmission. Parallèlement aux recherches considérables sur la sérotonine, certains travaux suggèrent une diminution de la concentration de noradrénaline chez les patients unipolaires et une augmentation chez les sujets bipolaires (42). De plus, une augmentation noradrénergique serait annonciatrice d’un virage de l’humeur (6). Une perturbation dopaminergique a aussi été suggérée dans les états maniaques et dépressifs devant l’implication de ce neurotransmetteur dans le contrôle de la motricité, l’hédonie ou encore les fonctions cognitives. D’autres neurotransmetteurs semblent impliqués dans les troubles bipolaires comme le système inhibiteur du GABA et excitateur du glutamate, l’acétylcholine ou encore l’histamine (45). Notons que l’augmentation intrasynaptique de certains neurotransmetteurs conduit à l’activation en cascade des systèmes de transduction puis à une augmentation des facteurs neurotrophiques (BDNF) et à l’élaboration de protéines cyto-protectives (bcl-2). La liaison des neurotransmetteurs à leur ligand entraîne en effet une cascade d’événements intracellulaires via un couplage aux protéines G aboutissant à l’élaboration de seconds messagers. Ces systèmes de transduction pourraient être impliqués dans le trouble bipolaire. Chez les sujets bipolaires, on retrouve une augmentation périphérique des protéines G (63), observations retrouvées dans les études post-mortem. De même, la protéine kinase C, protéine intracellulaire, impliquée dans la régulation de la plasticité synaptique est augmentée chez les sujets bipolaires (19). Notons que le lithium atténue l’activation des protéines kinases C dans l’hippocampe et le cortex frontal à l’origine de modifications de la neuroplasticité (hypothèse de l’action antimaniaque du lithium) (41). Le BDNF (brain derived neurotrophic factor) est une neurotrophine qui participe au développement, à la maturation et à la survie des neurones. Son rôle dans la plasticité synaptique hippocampique est reconnu (16). Dans les modèles ani- Les hypothèses étiopathogéniques des troubles bipolaires maux de dépression, le BDNF a un effet « antidépresseur like » (58) tandis que le valproate augmente son expression (30). L’expression du BDNF est influencée par les modifications d’hormones neuroendocriniennes (ellesmêmes régulées par le stress) aboutissant à une vulnérabilité neuronale, notamment hippocampique (15). Sur le plan hormonal, et en particulier après un accouchement, les modifications endocriniennes sont majeures, complexes et rapides. Les nombreuses études portant sur l’axe hypothalamo-cortico-surrénalien (axe HPA) dans la dépression (à partir du lien repéré entre cortisol, stress et dépression) sont, par exemple, une manière de concevoir comment la période du post-partum est à risque, puisque l’ACTH et le cortisol augmentent au moment du travail pour décroître dès la quatrième heure après l’accouchement. D’autres hormones comme les stéroïdes (progestérone et œstrogène), la prolactine, les hormones de l’axe thyréotrope (la TSH et la TRH) ou gonadotrope (FSH et LH), sont aussi remaniées après l’accouchement. Plus récemment, Wieck et al. (65) ont retrouvé une association entre l’augmentation de la sensibilité des récepteurs dopaminergiques au niveau hypothalamique et l’émergence de psychose puerpérale après l’accouchement. Cette hypersensibilité des récepteurs dopaminergiques pourrait être expliquée par l’effet psychotropique de l’œstrogène. Il peut donc être intéressant de prendre en considération l’étude de Hamilton qui réussit, ce qui n’a pas toujours été le cas, à prévenir toute psychose puerpérale par une prescription d’œstrogènes prophylactique à 40 femmes considérées comme à haut risque (26). De plus, la description d’un cas de psychose de type puerpéral chez une femme après exérèse d’une môle hydatiforme ainsi que chez un homme transsexuel après sevrage d’œstrogène va dans le même sens (31). GÉNÉTIQUE DU TROUBLE BIPOLAIRE Les études d’agrégation familiale plaident en faveur d’une vulnérabilité génétique du trouble bipolaire. En effet, si la prévalence du trouble est estimée entre 0,5 et 1,5 % en population générale, ce risque augmente entre 5-10 % si un apparenté au premier degré est atteint tandis que le taux de concordance des jumeaux monozygotes atteint 40 à 70 % (35). De plus, les apparentés au premier degré de sujets bipolaires sont 5 à 10 fois plus exposés au risque de développer ce même trouble comparativement à la population générale (43). Enfin, l’héritabilité, qui est le pourcentage d’explication du phénotype observé (la maladie) due aux différences génétiques inter-individuelles, est estimée autour de 80 % selon plusieurs études (36). Actuellement, les données de la littérature suggèrent l’interaction de plusieurs gènes avec des mécanismes génétiques complexes (13). Les études de liaison menées chez les sujets bipolaires ou chez les paires de germains atteints ont identifié certaines régions chromosomiques associées au trouble bipolaire. Deux méta-analyses ont été menées à partir des données du criblage du génome, et ont montré une liaison S 523 N. Hamdani, P. Gorwood forte avec les chromosomes 13q et 22q. Une troisième méta-analyse retrouve une liaison modérée avec les régions des chromosomes 9p, 10q, 14q et le chromosome 18. Notons que depuis la parution de ces méta-analyses, d’autres régions chromosomiques ont été identifiées dans le trouble bipolaire comme les régions 6q16q-25 et 12q2324 (57). Plusieurs gènes candidats ont été explorés dans le trouble bipolaire et concernent essentiellement les systèmes monoaminergiques. Les gènes de la monoamineoxydase A (MOA), de la catéchol-O-méthyltransferase (COMT) et le transporteur de la sérotonine (5-HTT) ont suscité un intérêt particulier et semblent être retrouvés de manière significative chez les sujets bipolaires avec un effet qui reste modeste (Odd Ratio < 2) (38). D’autres gènes candidats prometteurs ont été analysés et associés chez les sujets bipolaires. Ainsi, le gène de la D-amino-acid-oxydase DAO/G30 (impliqué dans l’activation glutamatergique) localisé sur la région chromosomique 13q a été impliqué comme gène de susceptibilité au trouble bipolaire selon cinq études indépendantes (62). Le gène du BDNF est localisé dans la région chromosomique 11p13 qui a été impliquée dans les études de liaison sans toutefois ressortir des méta-analyses (13). Le polymorphisme fonctionnel de substitution Val66Met du gène du BDNF semble, de plus, significativement associé au trouble bipolaire selon trois études indépendantes (20) avec un excès de transmission de l’allèle Val. Enfin, d’autres gènes de susceptibilité ont été identifiés comme le récepteur de la protéine kinase 3 (GRK3) impliqué dans le modèle animal de la manie (4). Une piste plus intéressante pourrait être celle de la sensibilité au lithium. En effet, les études familiales ont montré que lorsque le sujet index bipolaire était sensible au lithium, on retrouvait plus de trouble bipolaire parmi les apparentés (1). Ceci est d’ailleurs en accord avec l’étude de jumeaux de Mendlewicz puisque 67 % des paires de jumeaux monozygotes sont concordantes pour le trouble bipolaire lorsque le sujet-index est sensible au lithium, versus 22 % de jumeaux monozygotes dont le sujet-index est résistant au lithium. CONCLUSIONS Le trouble bipolaire est une pathologie récurrente et sévère, émaillé de rechutes fréquentes et d’une prise en charge complexe. Depuis le développement des thymorégulateurs, les hypothèses éthiopathogéniques du trouble se sont classiquement focalisées sur l’implication de monoamines. Depuis, d’autres hypothèses biologiques se sont développées avec notamment l’implication des facteurs influençant la neuroplasticité synaptique. Ces hypothèses semblent renforcées par la mise en évidence de gènes candidats parfois fonctionnels associés au trouble bipolaire. Cependant, les hypothèses bio-génétiques ne sont pas exclusives puisque les événements de vie stressants, la qualité des relations sociales ou une enfance difficile semblent précipiter l’émergence de ce trouble. Enfin, S 524 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 519-25, cahier 2 les données électrophysiologiques et d’imagerie rendant compte d’une inscription neurodéveloppementale du trouble avec une évolution au cours du temps d’anomalies cérébrales spécifiques, viennent enrichir les connaissances, encore parcellaires, sur l’étiopathogénie du trouble bipolaire. Références 1. ALDA M, GROF P, GROF E et al. Mode of heritance in families of patients with lithium-responsive affective disorders. Acta Psychiatrica Scandinavica 1994 ; 90 : 304-10. 2. ALLOY LB, REILLY-HARRINGTON NA, FRESCO DM et al. 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