Aspect médico-légal des traumatisme cardiaques à thorax fermé

La Lettre du Cardiologue - n° 331 - mai 2000
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es lésions cardiovasculaires constituent une complica-
tion non rare des traumatismes thoraciques, qu’ils soient
ouverts ou fermés. La fréquence de lésions succédant à
des traumatismes à thorax fermé a été estimée selon les auteurs
entre 15 et 25 %, les chiffres des diverses équipes restant cohé-
rents. Ces traumatismes se rencontrent dans un contexte d’acci-
dent de la voie publique (AVP) avec décélération ou de com-
pression directe. Ces lésions peuvent également survenir lors
d’accidents du travail dans le bâtiment, de chutes d’un balcon,
d’écrasement par des machines d’usine, ou plus simplement de
sports tels que l’alpinisme. Nous tenterons d’analyser leur aspect
purement médical, puis d’aborder la question de l’imputabilité
du traumatisme dans la symptomatologie résiduelle (10, 11).
LES LÉSIONS CARDIAQUES
Les lésions valvulaires
Les plus fréquentes sont les insuffisances aortiques. Les autres
lésions sont valvulaires, mitrales ou tricuspidiennes. Sur 100 lésions
valvulaires traumatiques, 62 touchent la valve aortique, 34 la
mitrale, 3 la tricuspide, et une seule l’appareil valvulaire pul-
monaire (4).
Le mécanisme d’atteinte de chaque appareil est variable.
Pour l’atteinte aortique, il s’agit de la mise en charge à contre
sens de la colonne aortique qui est comprimée par un trauma-
tisme abdomino-thoracique ou qui montre une compression du
bas thorax. La phase critique du cycle est la protodiastole, le ven-
tricule gauche étant plus compliant au retour de la colonne san-
guine.
Pour la valve mitrale, la lésion tient à la compression latérale
ou antéro-latérale du thorax écrasant la pointe du cœur en télé-
diastole. Le VG étant rempli au terme de la diastole et, hors la
voie aortique, qui est parfois également comprimée lors du trau-
matisme, la seule autre issue pour le sang est de rompre la bar-
rière mitrale à contresens.
Pour l’atteinte tricuspidienne, il existe une “ligne de section”
oreillette droite (OD)-tricuspide-branche droite, le cœur étant pris
anatomiquement dans une pince sternum-rachis, et il y a com-
pression, voire écrasement, sur ce billot. Pour ces deux appareils
auriculo ventriculaires, on peut également concevoir un méca-
nisme ischémique en rapport avec la contusion, la dissection ou
une compression coronarienne à l’origine d’une dysfonction de
pilier. Dans le travail mentionné ci-dessus, une seule lésion val-
vulaire pulmonaire a été retrouvée (4). Il est important de noter
que les lésions sont plus fréquentes chez les sujets jeunes, dont
le squelette thoracique souple amortira moins bien le traumatisme
qu’un squelette de sujet d’âge mûr, les fractures costales absor-
bant une bonne part de l’onde de choc (4, 12).
Au plan anatomique, les lésions sont variables. Pour les valves
aortiques : déchirure du bord libre ou désinsertion des valvules ;
pour les valves auriculo-ventriculaires, notamment pour les
lésions de l’appareil tricuspidien (4,9,12),les lésions principales
sont à l’appareil sous-valvulaire (atteinte du muscle papillaire
antérieur, postérieur ou mixte et incluant des déchirures de cor-
dages) ; ces lésions sont retrouvées dans 15 des 28 dossiers réper-
toriés dans un travail personnel datant d’une quinzaine d’années,
soit 50 % (4). De même, Kurtz (9) a mis en évidence, en 1979,
l’atteinte de l’appareil sous-valvulaire mitral par rupture de cor-
dages tendineux lors d’un travail échographique avec vérifica-
tion chirurgicale sur dix cas.
La contusion myocardique
La notion de contusion myocardique, rare mais non exception-
nelle, doit être recherchée systématiquement. Elle se complique
parfois d’insuffisance cardiaque, pouvant alors donner lieu à une
discussion difficile sur l’imputabilité des lésions. Parmi les
250 observations d’un travail non publié concernant les trauma-
tismes thoraciques, nous avons retrouvé 16 contusions myocar-
diques prouvées, soit 6,4 %, s’inscrivant dans les chiffres déjà cités
plus haut. Au plan anatomique, les lésions retrouvées sont des
lésions pétéchiales, avec souvent des hémorragies sous-endocar-
diques, et des hémopéricardes par suintement. L’infiltration œdé-
mateuse et la réaction inflammatoire vues en microscopie optique
n’ont rien de spécifique. Par contre, la constatation d’altérations
tissulaires de même âge dans des territoires sans délimitation vas-
culaire, et surtout en l’absence de lésion coronarienne, fournira
de solides arguments en faveur de l’origine traumatique du pro-
cessus. Le mécanisme en est un choc direct avec écrasement de
la masse myocardique, les phases dangereuses ici étant la proto-
systole et la télédiastole (4, 12).
DOSSIER
Aspect médico-légal des traumatismes
cardiaques à thorax fermé
M. Bernard*
L
*Service de cardiologie, hôpital Max-Fourestier, Nanterre.
La Lettre du Cardiologue - n° 331 - mai 2000
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L’infarctus myocardique
Il peut être en rapport avec une occlusion coronarienne par throm-
bus, compression, dissection ou infiltration œdémateuse trauma-
tique. Sa survenue complique un pronostic souvent déjà lourd.
Ben Ismail (2) rapporte un cas de lésions complexes associant une
nécrose myocardique à une communication interventriculaire et
une insuffisance tricuspidienne, en rapport avec un traumatisme
fermé du thorax. Banzo (1) rapporte le cas d’un homme de 30 ans,
victime d’une nécrose antérolatérale après un accident de la voie
publique. L’échocardiogramme avait montré l’altération contrac-
tile et la coronarographie avait confirmé l’occlusion coronaire. La
question de l’imputabilité peut ici être valablement soulevée : le
stress du traumatisme a-t-il entraîné une nécrose myocardique (3)
ou l’accident a-t-il occasionné une nécrose myocardique par
compression/dissection de la coronaire responsable ? (2, 3, 5, 11).
Les lésions associées
Le tissu de conduction est fréquemment atteint dans les lésions
du cœur droit et notamment de la tricuspide, du fait de la conti-
guïté anatomique. Les anomalies sont d’ordres divers, incluant
des blocs auriculo-ventriculaires 1 ou 2, rarement 3, et un BBD
dans 92 % des cas d’atteinte de la valve tricuspide (4). On a éga-
lement noté dans de nombreux cas des épisodes d’arythmie com-
plète par fibrillation auriculaire, de flutter ou de tachycardie supra-
ventriculaire. L’apparition des troubles conductifs ou des troubles
rythmiques n’a pas de spécificité mais doit être retenue comme
hautement évocatrice de lésions valvulaires et/ou myocardiques.
La pathogénie des troubles conductifs est souvent en rapport avec
un œdème postcontusionnel, des hémorragies intrapariétales,
voire même une rupture du tissu de conduction (12). On a éga-
lement noté des troubles du rythme ventriculaire, isolés ou en
salves (13).
La reperméabilisation du foramen ovale est rare.
Les ruptures pariétales témoignent en général d’un traumatisme
d’une violence exceptionnelle ; la gravité des lésions associées
noircit un tableau déjà extrêmement péjoratif.
Les épanchements péricardiques ont parfois une évolution chro-
nique avec un risque de constriction. Ce sont le plus souvent des
lésions hémorragiques aiguës du péricarde, mais pouvant récidi-
ver et évoluer vers la chronicité.
Les ruptures péricardiques sont rares, potentiellement gravis-
simes, car elles font courir le risque d’une luxation spontanée du
cœur hors du sac péricardique et d’un arrêt cardiaque. L’évolu-
tion vers la chronicité des épanchements péricardiques volontiers
séro-hémorragiques peut donner lieu à des tableaux d’adiastolie
par constriction (12).
LES LÉSIONS DES GROS VAISSEAUX
Il s’agit essentiellement des lésions de l’isthme aortique. Cette
localisation préférentielle n’a rien de fortuit puisqu’elle consti-
tue la zone de jonction entre le massif cœur/aorte ascendante et
horizontale, plus mobile dans le médiastin, et l’aorte descendante
fixée à la paroi postérieure par le réseau de collatérales. C’est
donc une zone privilégiée de déchirure, du fait de l’énergie ciné-
tique majeure de cet ensemble dont la masse est considérable-
ment accrue lors d’un traumatisme frontal avec décélération
(7, 12). Ces lésions sont également le fait, outre les AVP, d’acci-
dents du travail dans le cadre du bâtiment. Clements (6) rapporte
le cas rare d’une patiente ayant survécu à une rupture trauma-
tique de l’artère pulmonaire intrapéricardique ayant entraîné un
hémopéricarde compressif. Une telle survie semble exception-
nelle.
LES ÉLÉMENTS DU DIAGNOSTIC
La clinique : au plan tant médical que médico-légal, il importe
de suspecter par principe l’éventualité de telles lésions face à un
traumatisme thoracique ou thoraco-abdominal et de tout mettre
en œuvre pour, selon le contexte, mettre en évidence la lésion et
en faire le bilan.
L’ECG n’apporte souvent rien de spécifiquement probant. Il peut
permettre de suspecter l’éventualité d’une atteinte myocardique
et/ou valvulaire sur l’existence non pas d’une tachycardie (non
spécifique dans ce contexte), mais d’une rotation d’axe, de l’ap-
parition d’un trouble conductif par rapport à un tracé de référence,
de troubles non spécifiques de la repolarisation.
La biologie : il faut rappeler la présence de CPK mb dans l’aorte,
le péritoine et les uretères ; myoglobine et troponine seront sys-
tématiquement dosés pour rechercher une atteinte myocardique,
en sachant que les niveaux enzymatiques obtenus sont, dans ce
contexte, bien supérieurs à ceux que l’on peut constater dans le
cadre de la nécrose myocardique traditionnelle.
L’échographie, indispensable, va permettre de dresser un bilan
global du médiastin et de rechercher, dans l’immédiat et à dis-
tance :
une anomalie valvulaire, en la précisant et la quantifiant,
un épanchement péricardique,
un trouble de la contractilité myocardique droit ou gauche,
une dilatation cavitaire,
une dilatation de l’aorte initiale, de l’ascendante ou de la rétro-
cardiaque.
L’échographie transœsophagienne de complément sera d’in-
dication large. Weiss et coll. (14) ont fait, à ce titre, un travail
rétrospectif sur 22 dossiers de contusions diagnostiquées sur un
panel de 81 traumatismes thoraciques, ce qui représente 27 %,
en définissant la contusion comme un trouble contractile en l’ab-
sence d’arguments en faveur d’un infarctus myocardique. Cette
équipe confirme l’intérêt majeur de cette technique en cas d’in-
certitude ou d’insuffisance de performance de l’échographie
transthoracique, inmanquablement gênée par les conséquences
pariétales du traumatisme. Kennedy et coll. confirment tout l’in-
térêt de la technique dans cette indication (8).
L’IRM permet de rechercher une atteinte artérielle, aortique ou
pulmonaire, dans des zones aveugles pour l’échocardiogramme,
et notamment une dissection isthmique
DOSSIER
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Ultérieurement,la scintigraphie myocardique permettra d’avoir
une évaluation fonctionnelle de la vascularisation du cœur, à dis-
tance de l’événement initial, et dans le cadre de l’évaluation in
fine du préjudice fonctionnel.
ASPECT MÉDICO-LÉGAL
La détermination de l’imputabilité en pathologie séquellaire car-
diovasculaire pose des problèmes de certitude à l’expert. Elle se
doit de passer par l’analyse systématique des critères de Müller
et Cordonnier (10, 11).
Réalité et intensité du traumatisme. L’analyse du traumatisme,
de son intensité et de ses circonstances, et une véritable recons-
titution de l’événement permettront d’avoir une idée proche de
la réalité du traumatisme et de sa sévérité : angle d’arrivée du
choc, intensité, lésions associées, dont la découverte chez un
blessé souvent gravement polytraumatisé constitue un élément
fondamental d’imputabilité, tous ces éléments tendant à préciser
au mieux les données de l’accident.
Nature de la lésion et certitude diagnostique. L’analyse écho-
graphique des lésions valvulaires ou des troubles contractiles pré-
cités est d’une grande sensibilité en des mains entraînées ; elle
n’a toutefois rien de spécifique en termes de datation, et l’on a
évoqué plus haut des éléments de diagnostic... anatomique. On
peut retenir une spécificité plus grande à l’égard des troubles élec-
triques. En pratique, la découverte de ruptures d’éléments de l’ap-
pareil sous-valvulaire, en échographie traditionnelle ou en écho-
graphie transœsophagienne, constitue un élément important de
la discussion en faveur de l’imputabilité de lésions au trauma-
tisme, surtout en l’absence d’élément de dystrophie. De même,
la découverte d’un trouble contractile chez un sujet exempt d’an-
técédent cardiologique et de facteur de risque constituera un élé-
ment important de discussion. On donnera toute son importance
à la consultation du dossier médical auprès du médecin traitant.
Enchaînement anatomo-clinique/délai : ces lésions sont volon-
tiers de découverte immédiate chez un polytraumatisé, tant en
termes d’enchaînement qu’en termes de délai. Il peut toutefois y
avoir un hiatus apparent, notamment en ce qui concerne des péri-
cardites constrictives survenant sur des épanchements trauma-
tiques séro-hémorragiques non systématiquement recherchés, car
le traumatisme apparaissait initialement bénin, ou la survenue au
même titre d’une insuffisance cardiaque succédant à une contu-
sion passée inaperçue, et qui mettra du temps à se révéler.
Concordance de siège : la constatation de fractures de côtes, du
sternum, d’un épanchement pleural associé homo-latéral, d’une
contusion pulmonaire seront autant d’éléments en faveur de l’im-
putabilité. Cependant, des lésions comme les atteintes de l’isthme
aortique, qui procèdent d’une décélération et non d’un traumatisme
direct, peuvent exister dans 35 % des cas sans lésion associée (4).
Absence d’état antérieur et exclusion d’une cause extérieure :
les traumatismes thoraciques par décélération peuvent intéresser
toutes les tranches d’âge, mais plutôt des patients dans la pre-
mière partie de leur vie. Il s’agit donc de patients a priori exempts
de pathologie cardiaque ou vasculaire. Dans les situations où une
intervention a lieu, le chirurgien peut nous renseigner sur l’état
initial anatomique des éléments :
–valvulaires (y avait-il une dystrophie valvulaire pouvant expli-
quer une rupture préalable de cordage, ce traumatisme a-t-il favo-
risé la rupture d’un cordage mitral sur un appareil valvulaire dys-
trophique toutefois préalablement indemne ?) ;
–myocardiques (cette insuffisance cardiaque diastolique peut-
elle être rapportée à une suffusion hémorragique myocardique
ayant entraîné une altération de la distensibilité ventriculaire, cette
insuffisance ventriculaire gauche est-elle liée au trouble contrac-
tile consécutif à la contusion myocardique mise en évidence lors
du traumatisme?) ;
péricardiques (cette péricardite constrictive doit-elle être rap-
portée à d’éventuelles péricardites aiguës bénignes antérieures
du patient ou à l’épanchement séro-hémorragique qu’il a présenté
lors de son traumatisme thoracique ?).
Rappelons pour mémoire la présomption d’imputabilité acquise
de principe et, sauf preuve du contraire, en matière d’accident du
travail (15).
L’évaluation des divers postes de préjudice ne peut être traitée
ici du fait de la diversité des situations pathologiques évoquées.
Il conviendra d’analyser les points suivants : incapacité tempo-
raire totale (ITT), consolidation, incapacité permanente partielle
(IPP), souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice
d’agrément, préjudice professionnel, évaluation des frais futurs.
CONCLUSION
Les traumatismes à thorax fermé constituent une cause non rare
de lésions touchant le cœur ou l’aorte thoracique essentiellement.
Leurs conséquences peuvent donner lieu à des situations conten-
tieuses dans le cadre de demandes d’indemnisation, la discussion
tournant notamment autour de la question de l’imputabilité. Ces
lésions sont dominées par des atteintes valvulaires et des contu-
sions myocardiques. Une attention toute particulière doit donc
être portée à un bilan lésionnel exhaustif lors de tout traumatisme
thoracique, non seulement pour des raisons médicales immédiates
évidentes, mais également pour authentifier sans retard des lésions
pouvant donner lieu ultérieurement à une demande de réparation,
et pour lesquelles la question de l’imputabilité ne manquera pas
de se poser. Un bilan initial complet et mettant en évidence d’em-
blée les lésions consécutives à l’accident facilitera l’accession du
blessé à une juste compensation.
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(sous presse).
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