Cellules CAR-T
Le système immunitaire est res-
ponsable du maintien dun état
dhoméostasie par lidentication
et la suppression de pathogènes ou
de cellules présentant des signaux
de transformation pathologique
(virus, néoplasies). Dès les années
1950, Burnet et Thomas [1, 2] ont
développé le concept dimmunosur-
veillance pour décrire lactivité anti-
tumorale du système immunitaire.
Par la suite, les études du contingent
lymphocytaireauseindelatumeur,
ou TILs (tumor inltrating lymphocy-
tes), ont permis de montrer son
association au pronostic [3, 4].
Limmunothérapie adoptive repose
sur le transfert deffecteurs pour
renforcer le système immunitaire.
Ces stratégies nécessitent la recon-
naissance de la cible dintérêt par des
lymphocytes T cytotoxiques (CTL), à
travers un récepteur T (TCR) spéci-
que. Les CTL sont ainsi capables de
reconnaître des antigènes associés
aux tumeurs (TAA), pouvant être soit
des molécules du soi, soit des néoan-
tigènes issus de mutations. Ces TAA
sont présentés par les molécules HLA
(human leukocyte antigen) restrei-
gnant lactivité des CTL, mais garan-
tes de la spécicité de la réponse.
Les TILs ont initialement été mis à
prot par Rosenberg et al. [5], trans-
formant le champ de limmunothé-
rapie anticancéreuse. Cependant, les
taux de réponse trop variables témoi-
gnèrent des mécanismes déchap-
pement des cellules cancéreuses à
limmunosurveillance. Ces mécanis-
mes incluent notamment lanergie
des effecteurs, la perte de molécules
de co-stimulation, lexpression de
molécules inhibitrices (PD-L1), lex-
pression de signaux de mort par la
tumeur (systèmes FAS et TRAIL), ou la
diminution des molécules HLA empê-
chant toute reconnaissance par les
lymphocytes T (LT) [6].
Ainsi, de nouvelles stratégies de
thérapie cellulaire ont dû être déve-
loppées pour conférer aux LT de
nouvelles capacités : les cellules CAR-
T en sont un exemple.
Mise au point des
CAR : des générations
successives
Àlan des années 1980, Gross et al.
a décrit la possibilité de « designer et
rediriger la spécicité des LT dune
façon non restreinte par le complexe
Pour citer cet article : Forcade E, Dumas P-Y. Cellules CAR-T. Innov Ther Oncol 2015 ; 1 : 34-37. doi : 10.1684/ito.2015.0006
RÉSUMÉ
Les cellules CAR-T se présentent comme une révolution en matière
dimmunothérapie grâce aux progrès de lingénierie cellulaire qui contour-
nent les mécanismes déchappement tumoraux. Les progrès récents pour
améliorer leur spécicité et sécurité en font une nouvelle arme contre le
cancer.
lMots clés : cellules CAR-T ; signalisation ; antigène tumoral.
ABSTRACT
CAR-T cells represent a revolution in the eld of immunotherapy thanks
to progress made in cellular engineering to overcome tumour escape
mechanisms. With recent progress to improve their specicity and safety,
CAR represent a breakthrough in the ght against cancer.
lKey words: CAR-T cells; signaling; tumor antigen.
CAR T-cells
Edouard Forcade
1,2
Pierre-Yves Dumas
1,3
1
Hôpital Haut-Lévêque
Service dhématologie clinique
et thérapie cellulaire
Avenue de Magellan
33604 Pessac
France
2
Université de Bordeaux
Unité CIRID UMR CNRS 5164
146, rue Léo Saignat
33076 Bordeaux
France
3
Unité INSERM 1035
Université de Bordeaux
146, rue Léo Saignat
33076 Bordeaux
France
Remerciements et autres mentions :
Financement : Programme MD-PhD CHU
Bordeaux.
Liens dintérêts : les auteurs déclarent
navoir aucun lien dintérêt en rapport
avec larticle.
Tirés à part : E. Forcade
34 Innovations & Thérapeutiques en Oncologie lvol. 1 n81, sept-oct 2015
doi: 10.1684/ito.2015.0006
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majeur dhistocompatibilité (CMH), en faisant exprimer
un TCR chimérique composé dune partie constante de
TCR, fusionné au fragment variable dune immunoglo-
buline »[7]. Ce récepteur chimérique exprimé par les
cellules T a reçu le nom de CAR (chimeric antigen receptor)
et les cellules qui le portent sont donc les cellules CAR-T.
Depuis lors, plusieurs générations de LT modiés se sont
succédé, visant à améliorer lactivité, la spécicité et la
persistance (mémoire) des CAR. Les CAR sont constitués de
3 parties (gure 1) [8] :
un domaine extra-cellulaire portant la spécicité du
CAR : le scFv (single-chain variable fragment) ciblant
le TAA de surface, pouvant provenir dun anticorps
murin ou humanisé, ou être sélectionné à partir de
bibliothèque de phages ;
un domaine transmembranaire (dTM), relié à la
précédente par une charnière (hinge ou spacer)
jouant un rôle dans la conformation et laccessibilité
du récepteur pour sa cible [9].Cespacer provient soit
de la partie extra-cellulaire du CD8a, soit dun
fragment dimmunoglobuline (Fc) [10] ;
un domaine de signalisation intracellulaire.
Les progrès faits en termes de transduction du signal ont
donné naissance aux différentes générations de CAR.
La première génération a utilisé la portion intracyto-
plasmique du CD3z. Bien que montrant une fonction
effectrice, ces CAR ne persistent pas à long terme, du fait
de leur activation incomplète. La deuxième génération a
permis daméliorer la prolifération et la survie des CAR par
ladjonction dune unité de co-stimulation (CD28 ou
4-1BB) [11]. La troisième génération utilise deux unités
de co-stimulation couplant au choix : CD28, 4-1BB, ICOS,
OX40.
Quelles cibles ?
Les CAR permettent une reconnaissance non restreinte
par le HLA, dont le champ souvre aux cibles de nature non
protéique : hydrates de carbone et glycolipides. Ainsi,
une multitude dantigènes peut être ciblée selon les
types histologiques. Le tableau 1 propose une liste non
exhaustive des CAR étudiés jusque-là en fonction de
leur spécicité antigénique, de leur construction et de
lavancement des études.
Applications cliniques des CAR
La grande majorité des études cliniques [8, 29, 30] utilise
des LT autologues comme support à la production de CAR.
Le transfert du matériel génétique contenant la construc-
tion chimérique (couple ScFv-molécule(s) de transduction)
utilise des vecteurs viraux (lentivirus ou gamma-retro-
virus) lors de lamplication des LT (système anti-CD3 +/-
Tableau 1. Caractéristiques des CAR (antigène cible et pathologie sous-jacente).
Table 1. Characteristics of CAR (antigen target and underlying pathology).
Cible Construction Type histologique Type détude Référence
CD19 ScFv 4-1BB CD3 z(Penn) LAL B Phase 1 Maude et al. [12]
ScFv CD28 CD3z(MSKCC) LAL B Phase 1 Davila et al. [13]
ScFv CD28 CD3z(NCI) LAL B Phase 1 Lee et al. [14]
ScFv 4-1BB CD3 zLLC Phase 1 Kalos et al. [15]
CD33/CD123 ScFv CD28OX40 - CD3zLAM In vivo Pizzitola et al. [16]
CD138 ScFv - CD3z(NK) Myélome multiple In vivo Jiang et al. [17]
CD30 ScFv CD3z(EBV) Hodgkin In vivo Savoldo et al. [18]
NY-ESO-1 ScFv CD28 CD3zMyélome multiple In vivo Schuberth et al. [19]
a-Folate récepteur ScFv - FceRIgK ovaire et épithélial Phase 1 Kershaw et al. [20]
CEA ScFv CD28 CD3zK colo-rectal Phase 1 Katz et al. [21]
Erb-B2,3,4 ScFv CD28 CD3zK sein In vitro Wilkie et al. [22]
Her2 ScFv CD3zMédulloblastome In vivo Ahmed et al. [23]
ScFv CD28 CD3zSarcome Phase 1 Ahmed et al. [24]
MAGE-A1 ScFv CD28 - FceRIgMélanome In vitro Willemsen et al. [25]
Mesotheline ScFv 4-1BB CD3zMésothélium in vivo Moon et al. [26]
PSMA ScFv CD28 CD3zK prostate In vitro Maher et al. [27]
PSCA ScFv b2CD3zK prostate In vitro Morgenroth et al.[28]
LAL : leucémie aiguë lymphoblastique B ; LLC : leucémie lymphoïde chronique ; LAM : leucémie aiguë myéloïde ; K : cancer ; Penn : University of
Pennsylvania ; MSKCC : Memorial Sloan-Kettering Cancer Center ; NCI : National Cancer Institute.
Cellules CAR-T
Innovations & Thérapeutiques en Oncologie lvol. 1 n81, sept-oct 2015 35
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anti-CD28) durant 10 jours à 3 semaines. Le produit est
réinjecté au patient après administration dune chimio-
thérapie de conditionnement (cyclophosphamide +/-
udarabine) ayant pour objectifs la lympho-déplétion
(dont certaines populations régulatrices), la diminution
de la masse tumorale, des modications de lenvironne-
ment tumoral et lélévation de cytokines plasmatiques (IL-
15 et IL-7) favorables à lexpansion des CAR, parfois
associés à linjection dIL-2 [31].
Concernant lefcacité des CAR, les principales études
cliniques disponibles concernent le domaine de lhéma-
tologie et en particulier des leucémies aiguës lympho-
blastiques à précurseurs B (LAL B), avec près de 70 patients
inclus au total jusquà présent. Les taux de réponses
complètes (RC) observés varient de 70 à 90 % dans les trois
principales études [12-14], incluant notamment des
patients en rechute post-allogreffe. La persistance des
CAR et la RC ont été observées jusquà deux ans après
le traitement. Les études conduites dans les tumeurs
solides souffrent encore de leur taille et de résultats moins
favorables.
Effets secondaires
Le cytokine release syndrom [32] (CRS), ou syndrome de
relargage cytokinique, représente une conséquence
indirecte de lutilisation des CAR et est associée à une
réponse anti-tumorale intense. Les manifestations clini-
ques, pouvant engager le pronostic vital, sont la consé-
quence dune libération cytokinique conduite en grande
partie par linterleukine-6 (IL-6). Différentes stratégies de
prévention et de traitement sont actuellement évaluées,
dont linactivation conditionnelle des CAR (cf. plus bas).
Lactivité cytotoxique des CAR envers des tissus sains
exprimant la cible est dénommée effet « on target /off
tumor ». La toxicité semble acceptable sur certains tissus
(CAR CD19 et aplasie B) mais peut engager le pronostic
pour dautres : manifestations cardiovasculaires et respi-
ratoires des CAR HER2 (human epidermal growth factor
receptor 2)[33].
À la suite de la constatation de ces effets secondaires,
des systèmes dinactivation conditionnelle des CAR sont
actuellement étudiés en phase clinique incluant dans la
construction « un gène suicide » (thymidine kinase et
caspase-9 inductible) [34] inductible par des drogues.
Enn, le risque théorique de modications génétiques
insertionnelles [35] liés à lutilisation des vecteurs viraux
nécessite un suivi prospectif à long terme.
Le futur des CAR ?
Lavenir des CAR reste entièrement ouvert, avec de
nombreuses questions en suspens et améliorations à
apporter. En effet, le type cellulaire portant le CAR (LT
versus NK [natural killer]), lorigine des LT (autologues
versus allogéniques versus sang placentaire), les sous-
populations de LT à transférer (différents compartiments
T, rapport CD4 : CD8) et le type de vecteur (transposon,
ARNm) sont en cours dévaluation. Le développement de
CAR à double spécicité [36] et de CAR sécrétant des
anticorps contre les molécules inhibitrices (PD-L1) déve-
loppées par la tumeur, représente des approches sédui-
santes pour envisager une moindre toxicité et une plus
grande efcacité. Enn, lavenir des CAR dépendra aussi
de leur disponibilité (banque de CAR ? centres agréés ?)
et de leur coût (20 000 à 100 000 dollars américains
actuellement).
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1
re
génération 3
e
génération2
e
génération
Membrane cellulaire
scFv
CD3ζ
Hinge (CD8 or FcγR)
Domaine transmembranaire
Unité de co-stimulation
Figure 1. Composition des différentes structures de CAR.
Figure 1. Composition of different CAR structures.
E. Forcade, et al.
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