PLUSIEURS HYPOTHÈSES
Il convient donc de s’interroger sur ces résultats décevants afin
d’en tirer des leçons pour le futur. Plusieurs hypothèses peuvent
être envisagées pour les expliquer.
Efficacité “maximale” du traitement standard recom-
mandé dans l’insuffisance cardiaque. Il est possible que l’as-
sociation inhibiteur de l’enzyme de conversion et bêtabloquants
ait permis d’atteindre un seuil plancher au-delà duquel il devient
difficile de réduire davantage la mortalité et la morbidité liées à
l’insuffisance cardiaque. De fait, dans les toutes dernières études,
la proportion de patients mis sous traitement bêtabloquant a ten-
dance à augmenter sensiblement par rapport aux essais antérieurs.
Ainsi, dans les trois études citées ci-dessus, la proportion de
malades traités par bêtabloquants dépasse les 50 %. Il est donc
possible que le double blocage du système rénine-angiotensine
et du système adrénergique ait permis “d’optimiser” les résultats
à attendre d’un traitement médicamenteux dans l’insuffisance car-
diaque et qu’il soit désormais difficile de faire mieux.
Un autre hypothèse à formuler est que le blocage “tous azi-
muts” de grandes voies physiopathologiques, telles que le sys-
tème rénine-angiotensine ou le système adrénergique, permette
d’obtenir des effets pléiotropes bénéfiques, plus efficaces que
le blocage plus spécifique exercé sur la voie des endothélines ou
des cytokines, par exemple.
Toxicité, effets indésirables : la modulation pharmacologique
de nouvelles voies physiopathologiques peut induire des effets
indésirables. Cela est suggéré au moins par l’étude ENABLE,
avec la prise de poids précoce qui a pu exercer un rôle délétère
chez les insuffisants cardiaques sévères, et également dans l’étude
OVERTURE, où l’effet hypotenseur marqué de l’inhibiteur mixte
peut avoir joué un rôle dans le résultat final neutre. Cela met l’ac-
cent sur la nécessité d’une évaluation très précise en termes de
tolérance des nouvelles molécules et sur l’approche précaution-
neuse qui s’impose en la matière, avant de crier victoire à propos
d’une nouvelle classe thérapeutique.
De même, le choix des doses à tester demeure un exercice diffi-
cile et reste pour une large part empirique. Or, ce choix condi-
tionne dans une certaine mesure l’incidence des effets indésirables.
La dernière question que l’on peut être amené à se poser est
de savoir si les critères de jugement actuellement utilisés pour
évaluer l’efficacité d’un traitement dans l’insuffisance cardiaque
chronique demeurent pertinents dans le contexte de la générali-
sation de l’utilisation des bêtabloquants et des inhibiteurs de
l’enzyme de conversion. Ces critères “durs” sont toujours la
mortalité globale, associée, en général, au taux d’hospitalisation
pour insuffisance cardiaque. Bien que les études citées dans cet
éditorial n’aient pas montré de bénéfice en faveur des produits
actifs pour le confort de vie et l’amélioration fonctionnelle des
patients, il est possible que les nouveaux essais thérapeutiques
qui seront lancés dans l’insuffisance cardiaque chronique doivent
attribuer une part plus importante au confort de vie évalué, à la
fois, par le patient et par son médecin. Il convient également de
rappeler que la définition retenue pour les critères de jugement
de l’efficacité des traitements de l’insuffisance cardiaque, y
compris pour les critères “durs”, joue un rôle crucial dans l’éva-
luation finale. Dans un exercice brillant, Milton Packer a récem-
ment réévalué les résultats d’OVERTURE en se fondant sur les
critères d’hospitalisation retenus dans l’essai SOLVD, critères
moins sévères que ceux d’OVERTURE. Il a démontré que l’uti-
lisation de ces critères faisait pencher la balance favorablement
du côté de l’inhibiteur des vasopeptidases.
CONCLUSION
Au cours des prochaines années, il y aura donc à conduire un
effort réel de réflexion et de réévaluation des critères de jugement
des médicaments utilisés dans l’insuffisance cardiaque chronique,
afin de prendre en compte non seulement la mortalité liée à cette
pathologie, mais aussi l’ensemble des événements morbides et le
confort de vie, qui prennent une part croissante dans cette popu-
lation de sujets dont l’âge moyen augmente sans cesse. ■
La Lettre du Cardiologue - n° 359 - novembre 2002
4
ÉDITORIAL
2
3
4
1