Traitement de l insuffisance cardiaque chronique : le creux de la

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● M. Komajda*
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année passée a été une période sombre pour les résultats d’essais cliniques concernant le traitement de
l’insuffisance cardiaque chronique : la communauté
cardiologique a été informée de l’interruption prématurée de
l’étude RENEWAL, qui a inclus 1 800 malades aux États-Unis
et en Europe, et a étudié le bénéfice potentiel de l’etanercept,
recombinant du site de liaison à une cytokine, le TNFα, avec un
fragment FC d’une globuline humaine. L’essai a été interrompu
car il n’y avait aucune différence en faveur du produit actif administré par voie sous-cutanée par rapport au placebo, sur les critères de jugement mortalité globale et mortalité globale associée
à hospitalisation pour insuffisance cardiaque.
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artérielle systolique initiale influence, dans une certaine mesure,
la réponse au traitement, et que les patients avec une pression
artérielle basse soient moins bons répondeurs.
En quelques mois se trouve donc remise en question la pertinence
clinique de concepts prometteurs au plan physiopathologique.
Pourtant, ces concepts avaient paru valides au plan expérimental
ou dans des études cliniques pilotes : le blocage des effets néfastes
des cytokines, de ceux de l’endothéline et la double inhibition de
l’angiotensine et de l’endopeptidase neutre avaient montré un
effet bénéfique dans différents modèles animaux ou dans de
petites séries de patients. Malheureusement, cet effet n’a pas été
confirmé dans les grands essais randomisés.
Par ailleurs, à la dernière session de l’American College of Cardiology, ont été annoncés les résultats neutres par rapport au placebo du bosentan, antagoniste non spécifique des récepteurs de
l’endothéline, administré à des insuffisants cardiaques graves.
Cette étude, qui a inclus 1 600 malades, n’a pas montré de bénéfice de l’antagoniste des récepteurs de l’endothéline par rapport
au traitement contrôle sur l’objectif primaire mortalité globale ou
hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Il n’y a eu aucune
différence entre les différents sous-groupes préétablis et, dans cet
essai, les patients traités par le bosentan ont montré une tendance
à une prise de poids précoce avec rétention hydrosodée et diminution de l’hémoglobine.
Enfin, les résultats de l’étude OVERTURE visant à comparer un
inhibiteur des vasopeptidases, l’omapatrilate, à un inhibiteur de
l’enzyme de conversion, l’énalapril, dans l’insuffisance cardiaque
sévère ont été également présentés en mars dernier.
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Aucune différence en faveur de la nouvelle molécule n’a été mise
en évidence sur le critère composite mortalité globale ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque ni non plus sur la mortalité
globale seule. La seule différence en faveur de l’omapatrilate était
la réduction des hospitalisations et décès cardiovasculaires, avec
une diminution du risque de 11 %. Là encore, des analyses en
sous-groupes n’ont pas permis d’identifier de sujets a priori bons
répondeurs. Il semble néanmoins que le niveau de la pression
* Institut de cardiologie, GH Pitié-Salpêtrière, 47-83, bd de l’Hôpital, 75651
Paris Cedex 13.
La Lettre du Cardiologue - n° 359 - novembre 2002
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PLUSIEURS HYPOTHÈSES
Il convient donc de s’interroger sur ces résultats décevants afin
d’en tirer des leçons pour le futur. Plusieurs hypothèses peuvent
être envisagées pour les expliquer.
1 Efficacité “maximale” du traitement standard recommandé dans l’insuffisance cardiaque. Il est possible que l’association inhibiteur de l’enzyme de conversion et bêtabloquants
ait permis d’atteindre un seuil plancher au-delà duquel il devient
difficile de réduire davantage la mortalité et la morbidité liées à
l’insuffisance cardiaque. De fait, dans les toutes dernières études,
la proportion de patients mis sous traitement bêtabloquant a tendance à augmenter sensiblement par rapport aux essais antérieurs.
Ainsi, dans les trois études citées ci-dessus, la proportion de
malades traités par bêtabloquants dépasse les 50 %. Il est donc
possible que le double blocage du système rénine-angiotensine
et du système adrénergique ait permis “d’ optimiser” les résultats
à attendre d’un traitement médicamenteux dans l’insuffisance cardiaque et qu’il soit désormais difficile de faire mieux.
2 Un autre hypothèse à formuler est que le blocage “tous azimuts” de grandes voies physiopathologiques, telles que le système rénine-angiotensine ou le système adrénergique, permette
d’obtenir des effets pléiotropes bénéfiques, plus efficaces que
le blocage plus spécifique exercé sur la voie des endothélines ou
des cytokines, par exemple.
3 Toxicité, effets indésirables : la modulation pharmacologique
de nouvelles voies physiopathologiques peut induire des effets
indésirables. Cela est suggéré au moins par l’étude ENABLE,
avec la prise de poids précoce qui a pu exercer un rôle délétère
chez les insuffisants cardiaques sévères, et également dans l’étude
OVERTURE, où l’effet hypotenseur marqué de l’inhibiteur mixte
peut avoir joué un rôle dans le résultat final neutre. Cela met l’accent sur la nécessité d’une évaluation très précise en termes de
tolérance des nouvelles molécules et sur l’approche précautionneuse qui s’impose en la matière, avant de crier victoire à propos
d’une nouvelle classe thérapeutique.
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De même, le choix des doses à tester demeure un exercice difficile et reste pour une large part empirique. Or, ce choix conditionne dans une certaine mesure l’incidence des effets indésirables.
4 La dernière question que l’on peut être amené à se poser est
de savoir si les critères de jugement actuellement utilisés pour
évaluer l’efficacité d’un traitement dans l’insuffisance cardiaque
chronique demeurent pertinents dans le contexte de la généralisation de l’utilisation des bêtabloquants et des inhibiteurs de
l’enzyme de conversion. Ces critères “durs” sont toujours la
mortalité globale, associée, en général, au taux d’hospitalisation
pour insuffisance cardiaque. Bien que les études citées dans cet
éditorial n’aient pas montré de bénéfice en faveur des produits
actifs pour le confort de vie et l’amélioration fonctionnelle des
patients, il est possible que les nouveaux essais thérapeutiques
qui seront lancés dans l’insuffisance cardiaque chronique doivent
attribuer une part plus importante au confort de vie évalué, à la
fois, par le patient et par son médecin. Il convient également de
rappeler que la définition retenue pour les critères de jugement
de l’efficacité des traitements de l’insuffisance cardiaque, y
compris pour les critères “durs”, joue un rôle crucial dans l’évaluation finale. Dans un exercice brillant, Milton Packer a récemment réévalué les résultats d’OVERTURE en se fondant sur les
critères d’hospitalisation retenus dans l’essai SOLVD, critères
moins sévères que ceux d’OVERTURE. Il a démontré que l’utilisation de ces critères faisait pencher la balance favorablement
du côté de l’inhibiteur des vasopeptidases.
CONCLUSION
Au cours des prochaines années, il y aura donc à conduire un
effort réel de réflexion et de réévaluation des critères de jugement
des médicaments utilisés dans l’insuffisance cardiaque chronique,
afin de prendre en compte non seulement la mortalité liée à cette
pathologie, mais aussi l’ensemble des événements morbides et le
confort de vie, qui prennent une part croissante dans cette population de sujets dont l’âge moyen augmente sans cesse.
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La Lettre du Cardiologue - n° 359 - novembre 2002
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