Sédation du patient en état de choc Franck Garnier, Marc Leone Service d’anesthésie et de réanimation, Hôpital Nord, 13915 Marseille Cedex 20 L’état de choc se définit par une défaillance circulatoire aiguë associée à un trouble de la microcirculation entraînant une hypoxie cellulaire. Son évolution naturelle est mortelle en l’absence de traitement étiologique et symptomatique. La prise en charge précoce des états de choc aux urgences conditionne l'évolution ultérieure. Pour preuve, l'amélioration de l'état hémodynamique dès la réanimation initiale faite aux urgences est inversement corrélée à la mortalité et à la survenue de défaillances viscérales secondaires [1] [2]. Cette prise en charge est techniquement invasive et se fait dans un contexte anxiogène. Elle nécessite le plus souvent la mise en place d’une sédation. 1. Indications de sédation d’un patient en état de choc 1.1. Faciliter l’intubation et assurer la ventilation artificielle En dehors de l'intubation d'un patient en arrêt cardiaque, qui ne nécessite pas de sédation, toutes les autres indications de l'intubation trachéale peuvent a priori justifier une sédation accompagnée ou non d'une analgésie. L'utilisation d’agents d’anesthésies lors de l'intubation trachéale a pour but de faciliter le geste et d'assurer le confort du patient. Elle ne doit pas aggraver l'état cardioventilatoire antérieur et être rapidement réversible pour restaurer une ventilation efficace en cas de difficulté d'intubation. De même, le risque d'inhalation bronchique doit être minimisé au cours de la procédure et ce d'autant que les patients doivent être considérés comme ayant un estomac plein. Les techniques d'intubation en séquence rapide associant un hypnotique d'action rapide (étomidate ou kétamine), un curare d'action brève (suxaméthonium) et la manœuvre de Sellick rendent l'intubation trachéale plus facile qu'un hypnotique utilisé seul. Les curares non dépolarisants ne sont pas actuellement recommandés dans cette indication. Lorsque l'intubation trachéale est présumée difficile, une anesthésie locale réalisée de proche en proche, associée ou non à une sédation de complément par voie générale peut être préférée. Dans tous les cas, compte tenu des risques potentiels de tentatives infructueuses d'intubation et de l'utilisation d’agents anesthésiques, le rapport entre le bénéfice et le risque doit être soigneusement évalué avant la réalisation de la procédure. 1.2. Lutter contre le stress et l’anxiété Le stress et l’anxiété sont liés à la pathologie causale et à l’environnement tel que les bruits, la lumière, l’agitation du personnel ou les gestes invasifs. 1.3. Combattre la douleur La douleur, physique ou psychique, est liée à la pathologie causale, à la prise en charge comme les soins et les gestes agressifs ou à la mobilisation des parties douloureuses. La douleur altère la fonction respiratoire (polypnée, troubles de la ventilation) et la fonction cardiovasculaire (augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque par la stimulation adrénergique). 2. Objectif de la sédation Il faut que le patient soit calme, confortable et au mieux coopérant. L’évaluation de la profondeur de la sédation se fait par l’utilisation d’une échelle. L’échelle de Ramsay est la plus communément admise. Elle a une bonne reproductibilité et spécificité mais elle ne prend en compte ni l’analgésie ni l’adaptation au ventilateur. Sédation insuffisante = score à 1 Sédation optimale légère = score de 2 à 3, Sédation profonde = score de 4 à 5, Surdosage fréquent = score à 6. L’évaluation de la douleur se fait par l’Echelle Visuelle Analogique (EVA) ou l’Echelle Verbale Simplifiée (EVS). L’EVA est employée lorsque le patient est coopérant. L’EVS est utilisée quand la coopération est aléatoire. Des échelles comportementales sont disponibles (behavorial pain scale), mais elles n’ont pas été validées dans le contexte de l’urgence. Dans le cadre de l’état de choc, l’objectif principal reste de maintenir le patient en vie. Le bénéfice entre anxiolyse, analgésie et instabilité hémodynamique représente une balance difficile à appréhender. La recherche d’un confort absolu du patient par l’utilisation d’hypnotique et de morphinomimétiques quand la situation hémodynamique reste précaire peut aboutir à un désamorçage de la pompe cardiaque. 3. Agents anesthésiques pour la sédation d’un patient en état de choc Aucun agent pharmacologique ne possède les propriétés de l’agent idéal qui devrait être à la fois anxiolytique, amnésiant, analgésique, n’induisant pas de dépression respiratoire ni cardiovasculaire, de demi-vie et de durée d’action courte. 3.1. Les morphiniques La morphine est l’opiacé agoniste pur de référence pour assurer une analgésie. Son activité analgésique est intense, constante, dose-dépendante (la courbe dose-effet est une sigmoïde à effet maximal élevé) et se manifeste à des degrés différents à l’égard de tous les types de douleur. Elle entraîne une dépression ventilatoire, des troubles digestifs (nausées, vomissements), des épisodes confusionnels notamment chez les sujets âgés. Les morphiniques, par rapport aux autres anesthésiques généraux, ont peu de répercussions cardiovasculaires. Ils induisent une bradycardie sinusale par stimulation du noyau du nerf vagal (X). En dehors des morphiniques histaminolibérateurs (morphine à très forte dose) qui entrainent une vasodilatation artériolaire et veineuse, les morphiniques ne modifient ni la pré-, ni la postcharge quand le système sympathique n’est pas stimulé. Par voie intraveineuse, l’index thérapeutique élevé de la morphine permet son utilisation en toute sécurité, la somnolence précédant toujours la dépression respiratoire symptomatique. De principe, la morphine est administrée chez un patient qui bénéficie d’une oxygénothérapie. Chez le patient en ventilation spontanée, la morphine s’administre au mieux en respectant le principe de titration, qui consiste à administrer des boli itératifs de morphine jusqu’à obtenir une analgésie satisfaisante. En pratique, chez l’adulte, l’injection de 0,05 mg/kg (soit 2 à 3 mg) toutes les 5 à 7 min après une dose de charge de 0,05 à 0,1 mg/kg permet d’obtenir rapidement une analgésie efficace. La titration est plus délicate chez les insuffisant rénaux en raison d’un index thérapeutique de la morphine plus étroit. En effet, la morphine est métabolisée par le foie en un composé glucuroconjugué normalement éliminé par le rein. Ces composés ayant une activité supérieure à la morphine, leur accumulation peut expliquer la survenue d’effets indésirables alors même que les doses de morphine injectées sont faibles. Chez le patient dont la trachée est intubée, l’analgésie peut être assurée par la morphine : après un bolus 0,05 à 0,1 mg/kg, l’entretien de l’analgésie est assuré par une perfusion continue à la posologie de 1 à 5 mg/h.Quoi qu’il en soit, sécurité d’utilisation de la morphine est importante, du fait de l’antagonisation possible de la morphine comme de ses dérivés conjugués par la naloxone. En effet, en cas de bradypnée (fréquence respiratoire inférieure à 10 cycles par minute) ou d’apnée, la naloxone est administrée par boli itératifs de 1 à 2 µg/kg. Ce principe de titration permet de lever la dépression respiratoire tout en conservant un niveau d’analgésie satisfaisant. Des doses équivalentes de naloxone peuvent être réinjectées en cas de morphinisation secondaire. En absence d’abord veineux périphérique, les voie sous-cutanées ou intramusculaires sont utilisables. Les autres agonistes purs, habituellement utilisés en anesthésie-réanimation, de puissance supérieure à la morphine (fentanyl, sufentanil), sont classiquement utilisés chez des patients en ventilation contrôlée, sous couvert d’un monitorage adapté. Ils peuvent également être utilisés en pré-hospitalier ou aux urgences à butte antalgique chez un patient conscient et non intubé. La situation est totalement différente dans les états de choc. En effet, en cas d’hyperstimulation du système sympathique, l’administration de morphiniques, même à très faible dose, majore l’hypotension artérielle par diminution centrale du tonus sympathique vasoconstricteur. De plus, la chute de l’index cardiaque, l’altération des fonctions rénales et cardiaques réduisent considérablement les marges thérapeutiques. Ces situations sont pourtant fréquentes chez les patients en état de choc. L’utilisation des morphiniques chez un patient en état de choc doit donc être le fruit d’une réflexion envisageant le bénéfice mais aussi le risque. 3.2. Les hypnotiques Un nombre restreint d’agents hypnotiques doit être sélectionné pour sédater un patient en état de choc. Pour l’induction de l’anesthésie à séquence rapide, les hypnotiques recommandés en préhospitalier sont l’hypnomidate (chez l’enfant de plus de 2 ans) et la kétamine. Les benzodiazépines sont recommandées pour la sédation et l’entretien de l’anesthésie. Dans l’optique de la sédation, le midazolam est la benzodiazépine la mieux adaptée au contexte de l’urgence, en raison de sa demi-vie relativement courte (néanmoins de 1 à 4 h.). Les benzodiazépines sont métabolisées par le foie en métabolites d’activité variable éliminés par le rein (les métabolites du diazépam ont une activité supérieure aux métabolites du midazolam). Chez le sujet sain en ventilation spontanée, le midazolam induit une baisse du débit sanguin cérébral et de la pression intracrânienne consécutive à une baisse et de la consommation cérébrale en oxygène [3]. En revanche, chez le patient traumatisé crânien, l’injection de 0,15 mg/kg de midazolam induit une forte chute de la pression de perfusion cérébrale liée plus à une baisse de la pression artérielle moyenne qu’à une augmentation de la pression intracrânienne [4]. Les effets cardiovasculaires des benzodiazépines se résument à une baisse des résistances vasculaires systémiques et une dépression myocardique [5], [6]. Ces effets cardio-vasculaires sont faibles chez le patient jeune sans pathologie préexistante mais sont plus importants si l’activité sympathique avant l’injection est importante (état de choc, hypovolémie) [7]. Les effets sur la mécanique respiratoire des benzodiazépines comprennent une diminution du volume courant et du volume minute, avec une augmentation de la fréquence respiratoire [8]. Elles dépriment la réponse ventilatoire au CO2 et peuvent induire des apnées centrales et obstructives [9]. En pratique, l’administration de midazolam lors de sédation doit respecter le principe de titration. Nous conseillons chez l’adulte l’administration de bolus itératifs de 10 à 20 µg/kg. Dans l’optique de l’anesthésie, quand la trachée du patient est intubée, la dose d’entretien varie de 2 à 10 mg/kg/h (respect du principe de titration). Quoi qu’il en soit, en cas de surdosage, l’ensemble des effets des benzodiazépines peut être antagonisé par un antagoniste spécifique, le flumazénil. A l’instar de la naloxone pour les morphiniques, le flumazénil est prescrit en respectant le principe de titration. Après un bolus de 0,2 mg (0,01 mg/kg chez l’enfant), des boli itératifs de 0,1 mg seront injectés jusqu'à un niveau de conscience satisfaisant. L’hypnomidate est l’hypnotique recommandé pour l’induction à séquence rapide. Sa présentation galénique est un avantage à son utilisation préhospitalière (pas de nécessité de dilution). Dérivé imidazole-carboxylé, l’hypnomidate est métabolisé par le foie principalement en un composé inactif éliminé par les urines. A la dose de 0,3 mg/kg, l’hypnomidate produit une narcose d’une durée de 5 à 15 min. Au niveau cérébral, il diminue de la consommation cérébrale d’oxygène de 35 à 45 %, du débit cérébral et de la pression intracrânienne [10]. L’injection d’hypnomidate s’accompagne fréquemment de myoclonies, probablement d’origine spinale. La bonne stabilité hémodynamique que procure l’étomidate en fait son avantage par rapport aux autres hypnotiques intraveineux chez le patient en état de choc. Chez le volontaire sain, l’injection de 0,3 mg/kg d’hypnomidate s’accompagne d’une chute de 5 à 10 % de la pression artérielle moyenne, liée à une légère baisse du débit cardiaque. A cette dose, en association à un morphinique, Schlumberger et al. ont montré une bonne stabilité hémodynamique chez des patients présentant une altération de la fonction ventriculaire [11]. Ces données sont confirmées lors de l’induction anesthésique de patients présentant un infarctus du myocarde où la discrète chute de pression artérielle avec baisse du débit coronaire est compensée par une baisse de la consommation du myocarde en oxygène, la balance apport / consommation étant maintenue voire améliorée [12] [13]. L’hypnomidate induit une dépression ventilatoire modérée. Il est particulièrement indiqué en cas d’augmentation des résistances des voies aériennes supérieures car il n’induit pas d’histaminolibération. L’inconvénient majeur de l’hypnomidate est l’inhibition de la sécrétion de cortisol corticosurrénalien par inhibition de la 11-béta-hydroxylase. Cette propriété de l’étomidate contre-indique son utilisation en perfusion continue pour une sédation. Ledingham et al. ont montré une augmentation de la mortalité lors de son utilisation d’une durée de plus de 6 h [14]. Actuellement, il est établi que l’injection d’une dose unique d’étomidate suffit à interférer de manière significative avec la synthèse du cortisol. Cette dernière supprime la réponse cortisolique aux tests de stimulation, que ce soit dans le contexte d’une anesthésie pour chirurgie cardiaque [15], de la réanimation [16] ou des urgences [17], ce blocage persistant de 24 à 48 heures en fonction des études. Le rôle primordial de l’axe corticosurrénalien dans les situations de choc, notamment septique étant désormais établi, il semble légitime de s’interroger sur la pertinence de l’utilisation de l’étomidate dans les états de choc, [18] [19] [20]. Cependant, les données de la littérature actuelle manquent d’une étude établissant une corrélation entre injection unique, suppression de la réponse cortisolique et mortalité ou morbidité augmentée. Dans ce contexte, la place de la kétamine est probablement à réévaluer. Une étude prospective et randomisée (KETASED en cours, Samu 93) est actuellement en cours pour évaluer la supériorité éventuelle de la kétamine comme agent d’induction rapide par rapport à l’étomidate. Cet agent d’induction peut être recommandé dans certaines circonstances cliniques privilégiées (état de choc, tamponnade, asthme aigu grave). Elle peut être utilisée comme agent d’induction (2 à 3 mg/kg) ou comme antalgique (0,1 mg/kg). La possibilité d’administration par voie intramusculaire rend la kétamine particulièrement intéressante lorsque la voie intraveineuse n’est pas disponible. Sur le système nerveux central, par inhibition non compétitive des récepteurs NMDA, la kétamine produit une anesthésie de type dissociatif associant un état proche de la catalepsie, une amnésie et une analgésie. Sur le système cardiovasculaire, la kétamine entraîne une augmentation de la fréquence cardiaque, du débit cardiaque et de la pression artérielle. La plus grande part des effets cardiovasculaires de la kétamine résulte de la stimulation des centres sympathiques (effets sympathomimétiques indirects). La kétamine est donc classiquement contre-indiquée comme agent d’induction des patients coronariens ou insuffisants cardiaques qui ne sont pas en état de choc. A noter que ces effets sympathomimétiques sont bloqués par l’adjonction d’autres anesthésiques généraux [21]. Sur le muscle lisse vasculaire, la kétamine exerce un effet vasodilatateur direct [22]. Cette propriété explique l’hypotension artérielle « paradoxale » que l’on peut rencontrer à l’induction de patients en état de choc prolongé, les effets sympathomimétiques indirects étant insuffisants pour contrebalancer les effets vasodilatateurs directs. Sur le système ventilatoire, la kétamine déprime peu la ventilation. La ventilation minute est maintenue [23]. Les réflexes de déglutition sont discrètement altérés, rendant nécessaire l’intubation trachéale pour protéger les voies aériennes supérieures. La kétamine a un effet bronchodilatateur direct et indirect [24]. Enfin, la kétamine peut être employée pour ses effets antalgiques (activation supra spinale de la voie monoaminergique descendante) et antihyperalgésiques (anti-NMDA) [25]. Dans une méta-analyse récente, Schmidt et al. ont rapporté les résultats de 28 études contrôlées, prospective, en double aveugle concernant les propriétés analgésiques de faibles doses de kétamine [26]. L’analgésie était améliorée et l’utilisation de kétamine permettait une épargne morphinique. Il n’était pas retrouvé de dépression respiratoire, de majoration de la sédation induite par les morphiniques, de modifications significatives de la pression artérielle ou de la fréquence cardiaque. L’incidence des nausées vomissements et des épisodes de rétention urinaire était diminuée comparativement au groupe recevant de la morphine seule, certainement en raison de l’épargne morphinique apportée par l’utilisation de kétamine. En pratique, chez l’adulte, la dose d’induction intraveineuse est de 2 à 3 mg/kg et la dose d’entretien est comprise entre 15 et 45 µg/kg/min. Par voie intramusculaire, la dose d’induction est de 5 à 10 mg/kg. La dose antalgique de kétamine est de 0,05 à 0,1 mg/kg en bolus, relayée par une perfusion continue de 1 mg/kg/j. En médecine de catastrophe (afflux massif de victimes), après induction à séquence rapide, Restall et al. préconisent un entretien de l’anesthésie par un mélange de 200 mg de kétamine, midazolam 5 mg et vécuronium 12 mg dans 50 ml de sérum physiologique, perfusé à la posologie de 0,5 ml.kg-1 [27]. Le thiopental, barbiturique d’action rapide, reste un des agents de référence pour l’induction de l’anesthésie. Néanmoins, ses propriétés inotrope négative et vasodilatatrices en font un agent peu adapté au contexte d’état de choc [28]. Comme agent de sédation, les barbituriques n’ont plus aucune indication, en dehors de l’état de mal épileptique, conformément à la conférence de consensus. Le propofol est un agent hypnotique reconnu pour la qualité de la narcose et du réveil qu’il procure chez le patient sain. Ses effets hémodynamiques comprennent une vasodilatation artérielle supérieure au thiopental, veineuse et un effet inotrope négatifs dans une moindre mesure. Ces effets hémodynamique font du propofol un produit contre indiqué chez le patient en état de choc. 4. Sédation et anesthésie du patient en état de choc hémorragique L’anesthésie d’un patient en état de choc hémorragique représente un défi certain pour le praticien, même expérimenté. En premier lieu, l’anesthésie interfére avec la réponse neurohumorale habituellement observée au cours de l’hémorragie [29, 30]. En effet les agents anesthésiques induisent pour la plupart une dépression du baroréflexe et du système nerveux adrénergique, mécanismes mis en jeu par l’organisme pour maintenir la pression de perfusion tissulaire [31]. En second lieu, ces mêmes agents présentent des effets vasodilatateurs et inotropes négatifs qui vont compromettre plus encore l’état hémodynamique du patient, en diminuant la pression de perfusion et le transport d’oxygène aux tissus. Ces effets sont d’autant plus marqués que le patient présente au préalable un état cardiovasculaire altéré et/ ou qu’il est soumis à un traitement bloquant les mécanismes compensateurs mis en jeu par l’organisme au cours de l’hémorragie (ß-bloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion). Dès lors, idéalement, l’introduction de la sédation ne se conçoit qu’après correction de l’hypovolémie. En pratique, la plupart du temps, cette correction ne sera que partielle compte tenu de l’urgence chirurgicale à stopper l’hémorragie. Quel que soit les agents utilisés, il faudra donc réduire drastiquement les doses, même dans le contexte de la titration. L’existence d’une hypotension, d’un certain degré d’hypothermie et d’acidose, ainsi que l’augmentation de la fraction libre des médicaments (baisse de l’albuminémie) rendent compte d’une diminution des besoins en agents anesthésiques en cas de choc hémorragique associé ou non à un traumatisme. Une altération des capacités d’extraction tissulaire en oxygène est démontrée expérimentalement chez le chien soumis à un choc hémorragique avec les halogénés, les morphiniques [32] mais aussi les agents d’induction comme le propofol et l’étomidate [33]. Cet effet, lié à la dose, aboutit à une augmentation de la valeur critique du transport d’oxygène. La kétamine semble avoir moins d’effet sur ces mécanismes d’extraction, en raison probablement de son action sympathomimétique indirecte centrale, de l’inhibition de recaptage et de la potentialisation des catécholamines qu’elle entraîne [34]. Ces observations pourraient expliquer, au cours du choc hémorragique, le taux de survie plus élevé des rats anesthésiés à la kétamine par rapport à ceux anesthésiés au penthobarbital ou à l’halothane [35]. Conclusion Les mécanismes physiologiques de compensation d’un état de choc sont totalement inhibés par l’administration de tout agent d’anesthésie. La sédation du patient en état de choc peut donc aboutir à un arrêt cardiaque si elle est conduite de façon inappropriée. Il s’agit de la situation la plus difficile pour un praticien. L’objectif de confort est mis en balance avec l’impératif de maintenir un état hémodynamique permettant la survie du patient. La première étape de la démarche est de se questionner sur la nécessité de la sédation. Celle-ci doit être réalisée au mieux après un remplissage vasculaire efficient et introduction des vasopresseurs si nécessaires. Si le patient est en choc hémorragique, la situation optimale est d’induire l’anesthésie en présence du chirurgien habillé, prêt à intervenir. La seconde étape est d’utiliser le minimum d’agent possible. L’objectif final reste de maintenir le patient en vie. Les hypnotiques de choix pour l’induction se limitent à la kétamine et l’hypnomidate. De faibles doses de midazolam (sur titration) peuvent être proposées pour le maintien de l’anesthésie. Les morphiniques, si nécessaires, sont employés en réduisant de façon importante leurs doses. [1] Nguyen HB, Rivers EP, Havstad S, Knoblich B, Ressler JA, Muzzin AM, et al. Critical care in the emergency department: A physiologic assessment and outcome evaluation. Acad Emerg Med 2000 ; 7 : 1354-61. [2] Blow O, Magliore L, Claridge JA, Butler K, Young JS. The golden hour and the silver day: detection and correction of occult hypoperfusion within 24 hours improves outcome from major trauma. J Trauma 1999 ; 47 : 964-9. 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