Dossier – Insuffisance cardiaque Modalités diagnostiques de l’insuffisance cardiaque Jean-Michel Tartière Centre Hospitalier Intercommunal Toulon-La Seyne-sur-Mer, Hôpital Font-Pré, Département de cardiologie, 1208, avenue Colonel Picot, BP 1412, 83056 Toulon Cedex 10 <[email protected]> Résumé. Le diagnostic d’insuffisance cardiaque est un enjeu majeur en cardiologie compte tenu des implications thérapeutiques et Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. pronostiques pour le patient. Une démarche diagnostique et étiologique structurée permet de mieux reconnaître ces patients et donc de leur faire bénéficier d’un traitement validé susceptible d’améliorer leur pronostic. Dans le cas de l’insuffisance cardiaque systolique, la mesure de la FEVG est suffisante pour définir la maladie. Dans le cas de l’insuffisance cardiaque à FEVG conservée, le diagnostic est fondé sur la reconnaissance des signes et des symptômes d’insuffisance cardiaque, puis sur l’analyse de la radiographie du thorax, de l’ECG et du BNP ou NT-pro-BNP. Cette analyse est faite en connaissance des comorbidités et d’éventuels diagnostics différentiels, et permet la pratique d’un écho-Doppler cardiaque dans une population sélectionnée, afin de mettre en évidence les anomalies morphologiques et fonctionnelles cardiaques (relaxation ralentie, voire pressions de remplissage augmentées). Mots clés : insuffisance cardiaque, diagnostic, échocardiographie, peptide natriurétique Abstract. Diagnosis of heart failure. The diagnosis of heart failure is a major issue in cardiology because of the major therapeutic and prognostic implications for these patients. A well structured diagnostic and etiological process leads to better recognition of these patients and to better access to validated treatment to improve their prognosis. In the case of systolic heart failure, the assessment of LVEF is enough to confirm the diagnosis. When LVEF is preserved, the diagnosis is based on the recognition of the signs and symptoms of heart failure, and on the interpretation of chest radiography, ECG and BNP or NT-proBNP levels. This analysis is made by taking into account concomitant co-morbidities and by tracking possible differential diagnoses. Therefore, cardiac Doppler ultrasonography can be performed in this selected population, in order to highlight morphological and functional abnormalities (impaired LV relaxation, elevated LV filling pressure). Key words: heart failure, diagnosis, echocardiography, natriuretic peptide doi: 10.1684/mtc.2007.0120 L mtc Tirés à part : J.-M. Tartière e diagnostic d’insuffisance cardiaque est le plus souvent fondé sur l’apparition de symptômes très peu spécifiques tels que la dyspnée ou la fatigue. À partir de ces plaintes formulées par le patient, il est nécessaire de confirmer ou pas le diagnostic d’insuffisance cardiaque par la pratique de tests plus objectifs permettant d’établir un lien entre la symptomatologie et une éventuelle anomalie fonctionnelle cardiaque. Ce mode de présentation est habituel lors de « l’apparition » d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (IC-FEp). Une deuxième circonstance où le diagnostic d’insuffisance cardiaque est évoqué est la découverte fortuite d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) abaissée, les symptômes étant alors absents ou méconnus car souvent négligés par le patient. mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 À partir de ces deux circonstances, le processus menant au diagnostic est alors enclenché, faisant intervenir des examens simples et rentables dans un premier temps (peptide natriurétique, ECG ou radiographie du thorax), puis des examens plus complexes comme l’échocardiographie, et finalement des examens hautement spécialisés et plus difficilement accessibles hors du contexte de l’hospitalisation (figure 1) [1]. L’exploration de signes et/ou de symptômes d’insuffisance cardiaque chez un patient ayant une FEVG préservée, comparativement au diagnostic d’insuffisance cardiaque systolique (ICSys), est évidemment la situation la plus difficile pour établir le diagnostic. L’utilisation d’une démarche diagnostique structurée prend alors toute son importance, permettant une meilleure pertinence diagnostique. 401 Insuffisance cardiaque mt cardio 2007 ; 3 (6) : 401-8 Modalités diagnostiques de l’insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque suspectée en raison d'une dysfonction VG Insuffisance cardiaque suspectée en raison de signes ou de symptômes Recherche d'une pathologie cardiaque : ECG, radio thorax, peptides natriurétiques Pas d'anomalie ou faible probabilité d'insuffisance cardiaque ou dysfonction VG Test(s) anormal(aux) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Imagerie par échocardiographie voire RMN ou ventriculographie isotopique Test(s) anormal(aux) Test supplémentaire si besoin : coronarographie, KT droit, écho de stress, EFR... Recherche : étiologie, sévérité, facteur déclenchant et type de dysfonction Choix de la thérapeutique Figure 1. Arbre décisionnel pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque (ESC 2005) (d’après [1]). Diagnostic clinique d’insuffisance cardiaque Si certains symptômes sont évocateurs d’insuffisance cardiaque et servent fréquemment d’éléments déclencheurs du processus diagnostique, ils doivent être toutefois confirmés par des tests plus objectifs. L’essoufflement, les œdèmes des chevilles et la fatigue sont des symptômes d’interprétation difficile, en particulier chez les sujets âgés, les patients obèses ou les femmes. Leur interprétation nécessite de replacer ces symptômes dans les circonstances d’apparition, de définir leur ancienneté, leur phase d’exacerbation au cours du nycthémère (le jour ou la nuit) ou en fonction des activités (au repos ou à l’effort). Afin d’améliorer et d’uniformiser les méthodes diagnostiques des cliniciens, de nombreux questionnaires Liste des abréviations BNP : peptide natriurétique de type B ECG : électrocardiogramme FEVG : fraction d’éjection ventriculaire gauche IC-FEp : insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ICSys : insuffisance cardiaque systolique RMN : résonance magnétique nucléaire NT-pro-BNP : partie N-terminale du BNP PTDVG : pression télédiastolique ventriculaire gauche VG : ventricule gauche 402 ont été proposés, généralement relativement simples et peu coûteux aussi bien en temps qu’en examens complémentaires. L’un des indices les plus performants semble être l’indice de Boston (tableau 1) comprenant Tableau 1. Indice de Boston pour l’évaluation des signes et des symptômes d’insuffisance cardiaque (d’après [2]) Signes et symptômes Interrogatoire Orthopnée, dyspnée de repos Dyspnée paroxystique nocturne Dyspnée à la marche (effort modéré) Dyspnée en montant les escaliers (effort important) Examen physique Fréquence cardiaque > 91 à 110 bpm Fréquence cardiaque > 110 bpm Turgescence jugulaire, hépatomégalie, œdèmes déclives Crépitant pulmonaires Sibilants pulmonaires 3e bruit cardiaque Radiographie de thorax Œdème alvéolaire Œdème interstitiel Épanchement pleural bilatéral Index cardiothoracique > 0,49 Redistribution vasculaire apicale Somme Un total ≥ 5 est en faveur d’une insuffisance cardiaque mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 Points 4 3 2 1 1 2 2 2 3 3 4 3 3 2 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Examens complémentaires simples Électrocardiogramme La prévalence d’anomalies électrocardiographiques est très forte au sein d’une population ayant une insuffisance cardiaque. Ainsi, la bonne valeur prédictive négative (environ > 90 %) de l’électrocardiogramme de repos permet assez fréquemment d’éliminer le diagnostic ou certainement de le rediscuter [4, 5]. Les anomalies les plus spécifiques sont l’élargissement du QRS > 120 ms le bloc de branche gauche, et la présence d’une onde Q dans le territoire antérieur. Ces deux dernières anomalies font augmenter la probabilité du diagnostic d’insuffisance cardiaque à plus de 70 % après l’examen clinique. De plus, même en l’absence d’insuffisance cardiaque, une anomalie morphologique échocardiographique importante est souvent associée à ces anomalies électriques [5]. L’information apportée par l’électrocardiogramme audelà de l’aide au diagnostic reste très importante dans la prise en charge médicale. En effet, dans plus de 40 % des cas, une orientation thérapeutique spécifique doit être prise après la pratique et l’analyse du tracé [5] : – présence d’une fibrillation auriculaire (21 % des cas) : nécessité de ralentir la fréquence ventriculaire, voire de tenter de restaurer le rythme sinusal ; – présence d’un QRS large de plus de 120 ms (14 % des cas) : discussion de resynchronisation (Icsys) ; – présence d’un bloc auriculoventriculaire de haut grade (1 %) : discussion de stimulation permanente ; – présence d’anomalies mixtes (7 %). Là encore, il existe peu d’éléments électrocardiographiques permettant de différencier précocement les ICSys des IC-FEp, ces derniers ayant toutefois généralement une hypertrophie électrique plus marquée et une fréquence cardiaque plus basse au moment du diagnostic et avant le traitement ralentisseur [3, 5]. Radiographie de thorax L’analyse du cliché de thorax peut jouer un rôle dans la démarche diagnostique d’insuffisance cardiaque. Toutefois, ce cliché peut ne pas révéler de cardiomégalie ni de signe de congestion dans 20 % des cas et son intérêt se limite plus particulièrement aux sujets ayant des signes et des symptômes typiques, et ayant sur leur électrocardiogramme des anomalies préalablement constatées [1]. De plus, en pratique quotidienne, la qualité parfois très médiocre des clichés obtenus limite très fréquemment leur interprétation. Là non plus, il n’existe pas d’éléments radiographiques permettant de différencier précocement les ICSys des IC-FEp. Peptides natriurétiques et examens biologiques De nombreuses études cliniques ont montré l’intérêt du dosage des peptides natriurétiques lors de la phase de diagnostic, d’évaluation pronostique, mais également lors du suivi régulier du patient [6-9]. Deux peptides natriurétiques sont actuellement dosables de manière routinière : le peptide natriurétique de type B (BNP), et la partie N terminale de son précurseur (NT-pro-BNP). Son intérêt premier réside dans sa très grande valeur prédictive négative (> 95 %) lorsque le patient consulte dans le contexte de l’urgence, pour des signes ou des symptômes évocateurs (dyspnée, œdème...). De même, sa valeur prédictive positive est relativement bonne (environ 70 %) avec toutefois un risque non négligeable de faux mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 403 Insuffisance cardiaque la recherche de signes et de symptômes d’insuffisance cardiaque et l’analyse de la radiographie pulmonaire [2]. La lecture de ce type d’indice nous confirme bien évidemment que lorsque le diagnostic d’insuffisance cardiaque est typique (orthopnée avec œdème alvéolaire radiologique), le recours à ce genre de méthode reste superflu. Toutefois, en dehors du contexte de l’urgence et de la consultation spécialisée, le fait d’estimer la probabilité initiale du diagnostic permet de mieux orienter la suite de la démarche diagnostique et de rentabiliser finalement les examens complémentaires utilisés. Ce type de questionnaire permet également de mettre en évidence le caractère très peu discriminant de certains symptômes comme la fatigue ou encore les œdèmes périphériques qui, bien que très souvent évocateurs d’insuffisance cardiaque, sont finalement si peu spécifiques qu’ils peuvent difficilement être intégrés à une démarche structurée et efficace en dehors de la simple fonction de « signes d’appel ». En effet, la fatigue peut aussi bien être secondaire à un bas débit cardiaque, qu’à une hypoperfusion périphérique, ou à un déconditionnement à l’activité physique (très fréquent, même chez les sujets jeunes). Concernant les œdèmes périphériques, si leur association à une augmentation de la pression veineuse centrale (reflux hépato-jugulaire, turgescence jugulaire, hépatomégalie) est plus fortement évocatrice d’une cause cardiogénique, de nombreuses et fréquentes pathologies sont associées à ce symptôme (insuffisance rénale, syndrome néphrotique, insuffisance hépatique, hypo-albuminémie, compression ou occlusion d’un tronc veineux, insuffisance veineuse chronique, lymphœdème...). Dans le cas difficile mais fréquent de l’IC-FEp, l’asthme cardiaque qui est généralement associé au signe auscultatoire habituel de l’obstruction bronchiolaire (sibilants) est un symptôme fréquent mais trompeur de congestion pulmonaire. Ce symptôme est de plus réversible sous aérosols de b2-mimétiques. Il existe peu d’éléments cliniques permettant de différencier précocement les ICSys des IC-FEp. Les patients sont toutefois généralement plus âgés, plus souvent des femmes, et ont des chiffres tensionnels souvent plus élevés, principalement la pression artérielle systolique [3]. Modalités diagnostiques de l’insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. positifs dans toutes les situations de défaillance respiratoire aiguë avec cœur pulmonaire aigu : embolie pulmonaire massive, asthme aigu grave, pneumonie grave, l’analyse du contexte clinique permettant alors généralement d’intégrer cette augmentation de BNP/NT-pro-BNP en dehors du champ de l’insuffisance cardiaque aiguë... De plus, un certain nombre de comorbidités est susceptible d’entraîner une augmentation de BNP/NT-proBNP, comme l’hypertension artérielle systémique, l’hypertrophie ventriculaire gauche, l’insuffisance rénale sévère (surtout pour le NT-pro-BNP) ou encore l’âge et le sexe féminin. De même, un patient insuffisant cardiaque chronique sévère, avec BNP/NT-pro-BNP de base élevé peut parfaitement souffrir d’une pathologie entraînant l’apparition de signes ou de symptômes évocateurs d’une décompensation comme la dyspnée ou les œdèmes sans que cela corresponde pour autant à une réalité pathologique (dyspnée sur une pneumonie bactérienne, virale ou médicamenteuse, œdème sur une hypo-albuminémie par perte rénale ou digestive...). Par ailleurs, il existe également des situations où le BNP/NT-pro-BNP est susceptible d’être pris en défaut, notamment lors de la survenue d’un œdème pulmonaire flash, où lors d’un œdème pulmonaire généré par une insuffisance mitrale d’apparition récente sans retentissement ventriculaire gauche ou droit [1]. Malgré ces quelques limites, l’utilisation du BNP/NTpro-BNP permet de mieux orienter le patient et de raccourcir la phase de diagnostic. Les seuils habituellement utilisés sont de moins de 100 pg/mL de BNP ou 300 pg/mL de NT-pro-BNP pour éliminer le diagnostic d’insuffisance cardiaque, et de plus de 400 pg/mL de BNP ou 1500 pg/mL de NT-pro-BNP pour confirmer le diagnostic (figure 2). Les IC-FEp ont habituellement des taux de BNP/NTpro-BNP moins élevés comparativement aux ICSys, et ce quelles que soient les circonstances de diagnostic. Cette caractéristique ne permet toutefois pas de les différencier en pratique quotidienne. Un bilan biologique exhaustif est proposé lors de la démarche diagnostique, étiologique, ou lors de l’évaluation du retentissement systémique. Celui-ci permet de préciser la cause de l’insuffisance cardiaque, les comorbidités, voire de proposer un diagnostic différentiel (tableaux 2 et 3) [1]. Échocardiographie-Doppler L’échocardiographie est actuellement la méthode de choix pour affirmer le diagnostic d’insuffisance cardiaque. Le premier élément à définir lors de l’évaluation échographique est la FEVG qui permet en cas de valeur basse d’affirmer le diagnostic d’ICSys même en l’absence de symptômes. Différentes méthodes de mesure sont validées à partir des appareils échocardiographiques disponibles sur le marché : la méthode de Teichholz, la méthode de Simpson mono- ou biplan, ou encore la méthode semiquantitative visuelle. Ces méthodes sont toutes excellentes, en respectant leurs limites respectives, lors d’une appréciation catégorielle de la FEVG (basse ou pas). La méthode de Simpson biplan doit être privilégiée s’il est nécessaire de calculer une FEVG précise [1]. La méthode Symptômes d'insuffisance cardiaque ou diagnostic douteux BNP < 100 pg/mL BNP 100 à 400 pg/mL BNP > 400 pg/mL NT-pro-BNP < 300 pg/mL NT-pro-BNP 300 à 1 500 pg/mL NT-pro-BNP > 1 500 pg/mL Diagnostic d'insuffisance cardiaque éliminé dans plus de 95 % des cas Insuffisance cardiaque très probable aiguë ou chronique sévère Faux négatifs : dysfonction VG sans congestion (équilibrée), insuffisance mitrale, OAP flash Faux positifs : insuffisance rénale sévère, cœur pulmonaire, HVG, patient très âgé, réaction croisée Pour conclure : écho-Doppler cardiaque, cathétérisme droit, test thérapeutique, changer de réactif de dosage Figure 2. Arbre décisionnel en fonction du taux de peptides natriurétiques (BNP et NT-pro-BNP). 404 mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 Paramètre évalué Diagnostic d’insuffisance cardiaque Nécessaire pour En faveur En défaveur +++ + + + (si absent) + + + (si absent) +++ + + + (si absent) Symptômes évocateurs (tableau 1) Signes évocateurs (tableau 1) Dysfonction cardiaque en imagerie (généralement échocardiographie) Amélioration sous traitement ECG Radiographie du thorax +++ Si œdème pulmonaire ou cardiomégalie + + + (si absent) + + + (si normal) + (si normal) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Hémogramme Diagnostic différentiel ou complémentaire Pathologie pulmonaire Anémie ou polyglobulie secondaire Pathologie rénale ou hépatique, diabète Ionogramme, bilan rénal, hépatique, urinaire, glycémie à jeun, exploration des anomalies lipidiques, coefficient de saturation de la transferrine, CPK Peptides natriurétiques (figure 2) + (si élevés) + + + (si normaux) + : importance modérée ; + + + : grande importance. Tableau 3. Tests additionnels pouvant être pratiqués pour établir le diagnostic ou suggérer un diagnostic différentiel (ESC 2005) (d’après [1]) Paramètre évalué Épreuve d’effort Explorations fonctionnelles respiratoires Bilan thyroïdien Cathétérisme cardiaque droit et/ou gauche - Mesure du débit cardiaque - Pression télédiastolique du VG Diagnostic d’insuffisance cardiaque En faveur En défaveur + (si anormale) + + + (si normale) Diagnostic différentiel ou complémentaire Pathologie pulmonaire Dysthyroïdie Coronaropathie + + + (si diminué au repos) + + + (si élevée au repos) + + + (si normal ; surtout si à l’effort) + + + (si normale ; en l’absence de traitement) + : importance modérée ; + + + : grande importance. de mesure tridimensionnelle en temps réel, si elle est plus précise et reproductible, est aussi techniquement plus ardue et soumises aux mêmes limitations d’échogénicité. L’autre intérêt majeur de l’écho-Doppler cardiaque réside dans la possibilité offerte d’estimer la fonction diastolique et les pressions de remplissage du ventricule gauche (figure 3). Toutefois, les anomalies de compliance et de relaxation du myocarde ne sont pas directement mesurables par écho-Doppler. Cette appréciation reste indirecte et est fondée sur l’analyse du flux mitral en Doppler pulsé (E, A, E/A), complétée par la mesure des vélocités à l’anneau mitral en Doppler tissulaire, par la mesure du flux Doppler dans la veine pulmonaire, ou encore par la mesure en mode TM et Doppler couleur de la vitesse de propagation du flux de remplissage protodiastolique dans le ventricule gauche (onde Vp) [1]. Ces paramètres permettent d’apprécier grossièrement la fonction de relaxation : Ea < 8 cm/s et le rapport E/A inversé sont en faveur d’une relaxation ventriculaire gauche ralentie, une valeur de Vp < 35 cm/s ou < 45 cm/s chez le sujet jeune l’est également. Cette dernière méthode est toutefois techniquement plus ardue et grevée d’une faisabilité et d’une reproductibilité moindres [10-12]. Les rapports E/Ea < 8, E/Vp < 1,5 et Ap > A sont en défaveur de pressions de remplissage VG augmentées, surtout en cas d’absence d’anomalie morphologique ventriculaire et auriculaire gauche. Des rapports E/Ea > 15, E/Vp > 2,5 et Ap-A > 30 ms sont en faveur de pressions de remplissage augmentées [10-12]. Entre ces valeurs seuils, les paramètres d’estimation des pressions de remplissage ne s’avèrent que très modestement corrélés aux mesures invasives et l’analyse intégrant l’ensemble de ces paramètres en plus des données morphologiques peut permettre d’orienter le diagnostic, un nombre important de sujets restant impossible à classer avec certitude [10, 12]. Le diagnostic d’insuffisance cardiaque diastolique ou à FEVG préservée (Ec-Fep) est fondé sur l’association de trois critères. La présence de signes et/ou de symptômes mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 405 Insuffisance cardiaque Tableau 2. Évaluation initiale routinière pour établir le diagnostic, voire la cause, de l’insuffisance cardiaque (ESC 2005) (d’après [1]) Modalités diagnostiques de l’insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque Insuffisance cardiaque « diastolique » Augmentation de la PTDVG Relaxation ralentie Normal Pseudo-normal Restrictif Am E TDE Flux mitral TRIV Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Durée Am Ap Flux veineux pulmonaire S D Sa Ea Ap Aa DTI à l'anneau Vitesse de propagation de E Vp Figure 3. Évaluation du flux mitral et veineux pulmonaire par écho-Doppler cardiaque. PTDVG : pression télédiastolique ventriculaire gauche. d’insuffisance cardiaque : une FEVG normale (> 50 %) ou peu altérée (45-50 %). La mise en évidence d’une anomalie de la relaxation ventriculaire gauche (E/A, Ea, Vp, temps de décélération de E), de la compliance diastolique VG ou de la rigidité diastolique VG (augmentation des pressions de remplissage : E/Ea, E/Vp, Ap-A) [1, 13]. Les limites liées à l’utilisation de l’échocardiographie dans la démarche diagnostique de l’insuffisance cardiaque sont nombreuses. En pratique, une très forte sous-utilisation de l’écho-Doppler est observée principalement chez les sujets âgés et hors des circuits habituels de cardiologie, alors même que ces patients sont souvent les plus difficiles à évaluer [14]. Par ailleurs, la sensibilité et la spécificité de ces paramètres ne sont validées que dans des populations à très forte incidence d’insuffisance cardiaque, rendant leur application plus difficile dans des populations à faible incidence (augmentation du nombre de faux positifs). Finalement, ces paramètres, et tout particulièrement le Doppler tissulaire, sont très dépendants des modalités de réglage (filtre, gains, angulation, taille de fenêtre...), d’analyse (spectrale ou non), de l’appareil utilisé et malgré des premières études très favorables, ils restent également très dépendants de la postcharge [15-18]. 406 Autres investigations non invasives possibles Échocardiographie de stress L’échocardiographie de stress (dobutamine, effort) peut permettre de démasquer une ischémie myocardique à l’origine de l’insuffisance cardiaque ou de définir la viabilité d’un territoire myocardique et donc de sélectionner les patients susceptibles de bénéficier d’une revascularisation et d’un traitement spécifique. L’échocardiographie d’effort permet également d’étudier les fonctions systolique et diastolique, et surtout l’évolution des pressions de remplissage, lors d’un stress plus physiologique que la dobutamine. Imagerie isotopique L’imagerie par radio-isotopes permet également de mesurer la FEVG et d’évaluer la présence d’une ischémie ou d’une viabilité sur un territoire myocardique. À cause de son coût financier et écologique, et de sa moindre disponibilité comparée à l’échocardiographie, cette imagerie s’intègre généralement plus tardivement dans l’arbre décisionnel menant au diagnostic et à l’évaluation pronostique. mt cardio, vol. 3, n° 6, novembre-décembre 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Comme l’imagerie isotopique, l’imagerie par RMN apporte des informations précises, fiables et hautement reproductibles sur la FEVG, la masse VG et sur la qualité du muscle cardiaque (œdème, fibrose...), ainsi que sur les structures anatomiques adjacentes (péricarde, aorte, bronches, poumons...). Elle évalue également la présence d’ischémie ou l’existence d’une viabilité sur un territoire myocardique. Son utilisation est actuellement limitée par la faible disponibilité du matériel et des opérateurs expérimentés. Le scanner est également en passe de trouver sa place dans l’évaluation d’une cardiopathie, principalement en offrant la possibilité d’effectuer une exploration des artères coronaires de manière non invasive et ambulatoire. Test d’effort Le test d’effort est peu utilisé dans la phase de diagnostic d’une insuffisance cardiaque, même si la normalité absolue d’un test d’effort maximal avec mesure des échanges gazeux n’est pas en faveur d’un tel diagnostic. Le principal intérêt de ce test réside dans les éléments pronostique et évolutifs qu’il apporte. dées par l’ESC en 2005 : 1) clinique ; 2) BNP et ECG ; 3) FEVG ; 4) recherche d’un diagnostic différentiel ; 5) recherche de comorbidités ; 6) recherche d’une hypertrophie ventriculaire gauche ou d’une dilatation auriculaire ; 7) analyse de la fonction diastolique du VG. Faute de critère peu discutable accréditant le diagnostic, comme la FEVG dans l’ICSys, cet algorithme propose d’éliminer dans un premier temps les diagnostics différentiels (embolie pulmonaire, broncho-pneumopathie chronique obstructive, hypertension artérielle pulmonaire, cœur pulmonaire, cardiopathie congénitale, péricardite constrictive, valvulopathie) avant de conforter ou pas le diagnostic d’IC-FEp en fonction de la présence (obésité, hypertension artérielle, diabète, syndrome d’apnées du sommeil) ou de l’absence de certaines comorbidités (hyperthyroïdie, insuffisance rénale sévère, cirrhose, ou autres surcharges hydriques primitives). Ainsi, il est alors possible d’aborder l’exploration de la diastole VG et des pressions de remplissage dans une population très sélectionnée et donc de diminuer drastiquement le nombre de faux positifs, et de cas indéterminés (algorithme disponible sur http://www.resic38. org/doc/Documents/TAP%20TACTIC%20030406%20.pdf). Holter ECG L’intérêt de cet examen réside principalement dans sa capacité à affirmer le caractère rythmique d’une cardiopathie, à détecter d’éventuels facteurs déclenchants ou aggravants, et il peut permettre de mieux apprécier le pronostic. Investigations invasives possibles Les trois examens invasifs susceptibles d’être pratiqués de manière non routinière sont la coronarographie, le cathétérisme droit pour évaluation hémodynamique et la biopsie endomyocardique. Lors du bilan étiologique d’une insuffisance cardiaque, une visualisation directe du réseau coronaire est parfois indispensable afin de confirmer ou pas la présence d’une lésion significative. Cet examen peut de plus être facilement associé dans le même temps à un geste de revascularisation. La pratique d’un cathétérisme droit peut, de plus en plus rarement, permettre d’affirmer les anomalies des pressions de remplissage, de la compliance ou de la relaxation VG qui sont nécessaires au diagnostic d’IC-FEp. La biopsie endomyocardique est actuellement devenue exceptionnelle, elle reste peu sensible, et elle est principalement tournée vers le bilan étiologique. Cas particulier de l’IC-FEp Compte tenu des difficultés actuelles à définir et à comprendre la physiopathologie de l’IC-FEp une approche pragmatique a été proposée avec un algorithme en 7 étapes [19]. Ces étapes reprennent celles recomman- Conclusion Le diagnostic d’insuffisance cardiaque est un enjeu majeur en cardiologie compte tenu des implications thérapeutiques et pronostiques pour le patient. L’affirmation du diagnostic, s’il est simple pour l’ICSys, peut se révéler être une vraie gageure dans le cas de l’IC-FEp. De plus, la population la plus souvent atteinte par une insuffisance cardiaque est la population la plus âgée, subissant la plus forte comorbidité et étant la moins souvent orientée vers les circuits les plus à même d’aboutir au diagnostic. Ceci entraîne une perte de chance réelle pour ces patients liée à la sous-utilisation des thérapeutiques validées et recommandées dans l’insuffisance cardiaque chronique. Toutefois, une fois intégrés dans une démarche diagnostique et étiologique structurée, les outils diagnostiques biologiques et d’imagerie à notre disposition favorisent le bon déroulement et l’efficience du processus. Références 1. Swedberg K, Cleland J, Dargie H, et al. Guidelines for the Diagnosis and Treatment of Chronic Heart Failure : executive summary (update 2005). Rev Esp Cardiol 2005 ; 58 : 1062-92. 2. Di Bari M, Pozzi C, Cavallini MC, et al. The diagnosis of heart failure in the community. Comparative validation of four sets of criteria in unselected older adults : the ICARe Dicomano Study. J Am Coll Cardiol 2004 ; 44 : 1601-8. 3. Thomas JT, Kelly RF, Thomas SJ, et al. 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