Stratégies de traitement des infections fongiques invasives chez les

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Revue
Hématologie 2011 ; 17 (4) : 271-6
Stratégies de traitement des infections
fongiques invasives chez les patients
atteints d’hémopathie maligne
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Treatment strategies for invasive fungal infections in patients with
hematologic malignancies
Mathieu Wémeau
Service des maladies du sang,
Hôpital Huriez,
Centre hospitalier régional et
universitaire de Lille
<[email protected]>
Résumé. Différents aspects de la stratégie de prise en charge des infections fongiques invasives (IFI) chez les patients atteints d’hémopathie maligne ont été discutés
au cours du congrès de l’EBMT en avril 2011 à Paris. L’indication d’un traitement
prophylactique des IFI est validée pour les patients en phase de chimiothérapie
intensive pour leucémie aiguë et pour les patients recevant une allogreffe de cellules
souches hématopoïétiques. Le posaconazole, de part son spectre et ses propriétés
pharmacocinétiques, est particulièrement intéressant dans cette indication. Différentes études ont par ailleurs testé l’intérêt d’une stratégie de traitement préemptif
des IFI, guidée par des éléments de diagnostic précoce. Cette stratégie n’est pour
l’heure par précisément définie, ni validée par les études cliniques pour les patients
à haut risque d’IFI comparativement à une stratégie empirique.
Mots clés : infections fongiques invasives, traitement prophylactique, stratégie
empirique, stratégie préemptive, hémopathies malignes
Abstract. Different strategies of treatment for invasive fungal infections (IFI) have
been discussed on april 2011 during the annual congress of the EBMT. A prophylactic treatment is indicated for patients receiving an intensive chemotherapy for
acute leukemia or a hematopoietic stem cell allograft. Posaconazole, with its particular pharmacokinetic properties and large spectrum, is validated in this indication.
The preemptive strategy for the treatment of IFI, based on early diagnosis elements,
has not proved to be equivalent to an empiric strategy for high risk patients.
doi:10.1684/hma.2011.0633
Key words: invasive fungal infections, antifungal prophylaxis, empirical antifungal therapy, preemptive antifungal therapy, hematologic malignancies
P
lusieurs communications
consacrées aux infections fongiques invasives
(IFI) chez les patients
atteints
d’hémopathie
maligne se sont tenues dans le cadre du
dernier congrès de l’EBMT à Paris. Les
principales problématiques actuelles
concernant la prise en charge de
ces complications ont été exposées
par Rafael Duarte, de l’Institut Catalan d’Oncologie à Barcelone, qui a
d’abord rappelé l’importante mortalité associée à ces infections. L’étude
rétrospective publiée en 2005 par
Gratwohl et al. [1], menée chez
plus de 14 000 patients ayant reçu
une allogreffe de cellules souches
hématopoïétiques (CSH), montre en
effet que les infections fongiques sont
Tirés à part :
M. Wémeau
D’après des communications tenues le 3 avril 2011 à l’occasion du congrès de l’European Group for Blood and Marrow Transplantation.
271
Hématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
Pour citer cet article : Wémeau M. Stratégies de traitement des infections fongiques invasives chez les patients atteints d’hémopathie maligne. Hématologie
2011 ; 17 (4) : 271-6 doi:10.1684/hma.2011.0633
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responsables d’environ 5 % de décès, toutes causes confondues. La survenue d’une IFI, et particulièrement d’une
aspergillose pulmonaire, est extrêmement péjorative, comme
le rapportent encore deux études publiées récemment : la
mortalité associée à la survenue d’une aspergillose pulmonaire invasive (API) est estimée à 58 % chez les patients
greffés de CSH, et à 27 % chez des patients en phase
d’induction de leucémie aiguë [2, 3].
272
Quelles stratégies permettent
d’envisager une amélioration de
la mortalité liée à ces infections ?
Plusieurs attitudes thérapeutiques sont possibles pour la prise
en charge des infections fongiques, avec un continuum entre
un traitement prophylactique, pour les patients à risque, et
un traitement dirigé pour une infection manifeste et prouvée. Dans ce dernier cas cependant, l’initiation du traitement
est souvent trop tardive, et s’accompagne inévitablement
d’une mortalité importante. Nombre des infections fongiques
sont peu symptomatiques dans leur phase initiale ; elles
sont largement sous-diagnostiquées, comparativement aux
constatations réalisées post-mortem lors d’autopsies chez ces
patients [4]. L’enjeu de la prise en charge des IFI réside donc
soit dans une prévention efficace, soit dans une stratégie permettant de les traiter de façon précoce. Ces deux points ont
été discutés au cours de ce congrès de l’EBMT.
Place des azolés dans la prophylaxie
des infections fongiques invasives
D. Sheppard, de l’université McGill de Montréal, a rappelé
les résultats des études cliniques établissant la place des
azolés dans la prophylaxie des IFI. L’étude de Winston en
1993 avait établi que le fluconazole permet de réduire la
survenue d’infection à Candida chez les patients en aplasie après chimiothérapie pour leucémie aiguë [5]. Plusieurs
études ont testé l’itraconazole également dans cette indication. Le spectre de cette molécule est plus large, et couvre
notamment l’Aspergillus. L’intérêt de cette molécule est cependant limité par de fréquents problèmes de tolérance (pour
sa forme orale), d’interactions médicamenteuses et de toxicité hépatique. Le bénéfice du posaconazole a par contre
été démontré en 2007 en comparaison au fluconazole et
à l’itraconazole, dans une étude prospective randomisée
menée chez 602 patients. Le posaconazole permettait une
diminution de l’incidence des IFI : 2 % dans le groupe posaconazole vs 8 % dans le groupe fluconazole/itraconazole
(dont 1 % et 7 % d’API respectivement). Une réduction relative
de 33 % du risque de décès (de toute cause) était observée. Dans le cadre de la prophylaxie antifongique pour les
patients receveurs d’une allogreffe de CSH, c’est également
le rôle du fluconazole qui avait été le premier démontré ;
il permet une réduction de l’incidence des candidoses, et
une réduction de la mortalité liée aux IFI [6]. Un bénéfice en
termes de survie globale était mis en évidence dans l’étude de
Marr, contre placebo, chez les patients recevant le fluconazole de façon prolongée après la greffe, notamment en cas
de GVH digestive [7]. Il n’y avait pas de bénéfice montré
en survie en ce qui concerne l’utilisation de l’itraconazole,
même si cette molécule permettait effectivement de réduire
l’incidence des infections à filamenteux comparativement au
fluconazole [8]. L’étude comparant le voriconazole et le fluconazole ne montrait pas de différence significative en termes
d’incidence d’IFI et d’API, et de survie [9]. Un bénéfice en
faveur du posaconazole a en revanche été démontré pour
les patients allogreffés qui présentent des manifestations de
maladie du greffon contre l’hôte (GVH) sous immunosuppresseurs : 5,3 % d’IFI prouvées ou probables étaient observées
pour les patients qui recevaient le posaconazole en prophylaxie (200 mg x 3/jour), pour une durée médiane de
111 jours, vs 9 % pour les patients traités par fluconazole.
L’incidence des API était respectivement de 2 % et 7 %. La
réduction de l’incidence des infections se traduisait par une
réduction des décès de cause infectieuse « fongique » (1 %
vs 4 %).
D. Sheppard a présenté les données pharmacocinétiques
du posaconazole, qui font apparaître cette molécule comme
le meilleur candidat pour la prophylaxie de l’aspergillose
pulmonaire. La concentration intracellulaire des azolés au
niveau des alvéoles pulmonaires est en effet nettement plus
importante que leur concentration plasmatique est : à 7 fois
plus élevée pour le voriconazole, et surtout 40 fois plus élevée pour le posaconazole [10]. Dans la pathogenèse de
l’API, la première étape suivant l’inhalation des spores aspergillaires est la phagocytose de ces spores par les cellules
macrophagiques et épithéliales des alvéoles pulmonaires
(figure 1). Une concentration importante d’une molécule antifongique au niveau de cette première barrière permettrait
donc de bloquer l’invasion tissulaire et vasculaire. Les résultats d’expérimentations in vitro ont été présentés lors de
ce congrès. Une lignée de cellules épithéliales alvéolaires
(A549) est exposée pendant 4 heures au posaconazole ou
au voriconazole, à différentes concentrations, de 1 à 16
␮g/mL. Les concentrations intracellulaires du posaconazole
sont alors mesurables par HPLC (high-performance liquid
chromatography) ; elles sont corrélées et supérieures aux
concentrations du milieu de culture. Au contraire, les concentrations intracellulaires de voriconazole restent indétectables
pour des concentrations dans le milieu inférieures à 16
␮g/mL. Les lignées ainsi pré-exposées aux antifongiques puis
lavées sont ensuite infectées avec des spores d’Aspergillus. La
prolifération des spores, responsable de lésions cellulaires,
n’est observée que pour les cellules pré-exposées au voriconazole. Au contraire, le posaconazole confère une protection
de cette lignée épithéliale pulmonaire contre l’Aspergillus. Le
Hématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
Colonisation
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Adhésion
Épithélium
alvéolaire
Invasion
Spores
Macrophage
alvéolaire
Filaments
Vaisseaux
sanguins
DISSEMINATION
Figure 1. Pathogenèse de l’aspergillose pulmonaire invasive.
posaconazole est une molécule liposoluble ; elle se concentre
principalement au niveau de la membrane cellulaire, où la
concentration peut atteindre 800 ␮g/mL, permettant une inhibition complète de la croissance des spores aspergillaires.
Le profil pharmacocinétique du posaconazole apparaît donc
tout à fait favorable à son utilisation en prophylaxie de l’API.
Plusieurs études ont établi une corrélation entre l’efficacité
de la prophylaxie et la concentration plasmatique du posaconazole. La valeur cible n’est cependant pas parfaitement
établie [11, 12].
Place d’une stratégie de traitement
des infections fongiques invasives
guidée par un diagnostic précoce
Deux attitudes thérapeutiques s’opposent dans la stratégie
du traitement précoce des IFI. Depuis les études publiées à
la fin des années 1980, un traitement empirique est habiHématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
tuellement débuté pour les patients neutropéniques en cas de
fièvre prolongée (au-delà de 4 à 7 jours) ou récurrente malgré une antibiothérapie à large spectre, chez les patients à
risque d’IFI. Une autre stratégie de traitement des IFI, fondée
au contraire sur des critères de diagnostic précoce, a été
proposée en 2005 dans une étude de faisabilité menée par
Maertens et al. [13]. L’intérêt potentiel de cette approche,
dite préemptive, comparativement à l’attitude empirique,
serait de traiter de façon ciblée les patients, afin de réduire
l’utilisation, la toxicité et le coût des traitements antifongiques.
C. Cordonnier, de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, a présenté au cours de ce congrès les questions posées par cette
stratégie, concernant les critères de traitement et les résultats
des études cliniques.
Les critères proposés pour retenir le diagnostic d’IFI possible ou probable se basent sur une conjonction de résultats
biologiques et d’arguments scannographiques. La stratégie
préemptive implique en effet l’utilisation de tests sensibles
et réalisables de façon précoce, qui permettent d’établir le
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diagnostic avant la présence de signes cliniques manifestes
(de même que le traitement préemptif des infections à CMV
se base sur la réactivation du virus identifiée sur une antigénémie ou une PCR). Les tests biologiques pour le diagnostic des
IFI ne sont cependant pas aussi bien identifiés et validés que
ne l’est l’étude de la charge virale pour l’infection à CMV. Il
s’agit de la détection de l’antigène galactomannane (libéré
par les champignons Aspergillus), des antigènes mannane
et antimannane (associés aux Candida) et du ␤-D glucane,
moins spécifique. Ces différents tests comportent cependant
des faux positifs (tableau 1); les valeurs seuils ne sont pas
établies de façon consensuelle. La détection d’ADN fongique
par PCR a également été proposée, mais le test n’est pas standardisé et il n’y a pas eu d’étude permettant de valider cette
technique. En ce qui concerne la détection scannographique
de l’API, certaines lésions parenchymateuses pulmonaires
sont évocatrices du diagnostic. Il s’agit de la présence de
nodules denses bien limités, avec signe du halo, d’un croissant gazeux ou d’une cavité [14]. Mais il semble que l’API
puisse se manifester par de nombreux autres types de lésion
pulmonaire, non spécifiques [15]. Maertens et al. proposent
un arbre décisionnel pour guider l’initiation d’un traitement
antifongique préemptif (figure 2) [13]. Dans le cadre d’une
étude de faisabilité de cette approche préemptive, les auteurs
ont suivi suivant ce schéma 136 épisodes de neutropénie
chez des patients recevant une chimiothérapie pour leucémie aiguë ou allogreffe de CSH. Parmi les 117 épisodes de
neutropénie fébrile constatés, un traitement antifongique a
été débuté dans 16 % des cas suivant cette stratégie. 30 %
des patients auraient en fait reçu un traitement antifongique
si une stratégie empirique avait été préférée, ce qui confirme
donc qu’une attitude préemptive permet une réduction de
l’utilisation des antifongiques. L’incidence finalement constatée d’IFI était de 24 % des patients, ce qui paraît relativement
élevé comparativement aux résultats d’autres études publiées
pour des patients de niveau de risque similaire.
Les critères retenus pour commencer un traitement préemptif
au cours de l’étude PREVERT [16], présentée par Catherine
Cordonnier, étaient plus larges, comprenant des critères biologiques et cliniques : survenue à partir du 4e jour de fièvre
et du traitement antibiotique d’une pneumonie ou sinusite
Tableau 1
Faux positifs des marqueurs sérologiques d’IFI (d’après les
diapositives de l’ECIL 3, Bretagne et al., Lamoth et al., 2009).
274
Galactomannane
␤ -D glucane
Bêta-lactamines
Immunoglobulines
polyvalentes IV
Cyclophosphamide
Régime pédiatrique à base
de lait et alimentation à base
de protéines de soja
Insuffisance rénale ?
Bêta-lactamines
Bactériémie
Hémodialyse (sur filtres en
cellulose)
IGIV, albumine, facteurs de
coagulation
Echantillons contaminés
Sérum hémolysé
(documentée cliniquement ou radiologiquement), d’un choc
septique, d’une mucite de grade 4, de lésions cutanées évocatrices d’IFI, de signes neurologiques centraux inexpliqués,
d’une inflammation périorbitaire, d’abcès hépatiques ou
spléniques, de diarrhées sévères, d’une colonisation aspergillaire ou de la positivité de l’antigénémie galactomannane
(un suivi bihebdomadaire systématique étant réalisé pour ce
paramètre). Cette stratégie était comparée de façon prospective et randomisée à un traitement empirique chez 293
patients, traités principalement pour une leucémie aiguë
(60 %) ou pour une autogreffe de CSH dans le cadre
d’un lymphome ou d’un myélome (30 %), avec neutropénie attendue (< 500 mm3 ) supérieure ou égale à 10
jours. Dans le groupe de traitement empirique, l’antifongique
était débuté en cas de fièvre persistante à partir du 4e
jour de l’introduction d’une antibiothérapie, ou en cas de
récurrence de la fièvre entre les 4e et 14e jours. Le traitement antifongique était l’amphotéricine B dans les deux
groupes, sous forme déoxycholate ou sous forme liposomale
en cas d’insuffisance rénale (clairance de la créatinine <
60 mL/min, ou < 40 mL/min en cas d’utilisation concomitante d’une drogue néphrotoxique). L’amphotéricine B a été
initiée pour 92 des 150 patients du groupe empirique, et
pour 56 des 143 patients du groupe préemptif. La survie globale était identique dans les deux stratégies de traitement.
L’incidence des IFI prouvées ou probables était cependant
supérieure pour les patients traités suivant la stratégie préemptive (9 % vs 2,6 %). 15 des 17 IFI sont en fait survenues
chez les patients traités dans des phases d’induction de leucémie aiguë ; seules 2 IFI ont été constatées pour les traitements
de consolidation ou d’autogreffe de CSH (tableau 2). La
non-infériorité de la stratégie préemptive sur le traitement
empirique en termes de survie n’était démontrée en analyse
de sous-groupe que sur cette dernière population, c’est-àdire au cours de phases de consolidation ou d’autogreffe
de CSH, pour lesquelles la durée de la neutropénie est plus
courte et l’incidence des IFI relativement faible. Les conclusions de cette étude font ainsi apparaître les limites de cette
stratégie préemptive : problème de définition des critères
pour le traitement préemptif, augmentation du risque d’IFI
observée pour les patients en phase d’induction au cours
de cette stratégie (qui pourrait être lié pour partie à la sortie des patients du secteur protégé lors de la réalisation des
scanners), avec possible augmentation du risque de décès,
réduction du coût des traitements antifongiques possiblement
contrebalancé par l’augmentation du coût des procédures
diagnostiques.
Depuis la tenue de ce congrès, une autre étude s’intéressant
à la place de la stratégie préemptive pour le traitement des
IFI, chez des patients traités pour des hémopathies malignes
à haut risque, a été publiée dans la revue Haematologica
[17]. Il s’agit d’une étude observationnelle, prospective et
multicentrique, menée chez 397 patients traités par chimiothérapie conventionnelle, autogreffe ou allogreffe de CSH.
Hématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
Évaluation clinique et galactomannane quotidiens
GM ≥ 0,5 (2 x)
5 jours de neutropénie fébrile inexpliquée
réfractaire à l’antibiothérapie ou
récurrente
Spores ou filaments sur les
prélèvements mycologiques
TDM thoracique (± sinus)
TDM thoracique
et LBA
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Nouvel infiltrat sur radio thoracique
ou signes/symptômes de mycose
invasive
Signe du halo
caractéristique
d’une API
+
Traitement antifongique large spectre
Lésion atypique
LBA
Normal
-
Pas de traitement antifongique. Poursuite de la surveillance
Figure 2. Stratégie de traitement préemptif fondé sur le scanner et le galactomannane [13].
Seuls 7 % des patients recevaient une prophylaxie par
posaconazole. Les critères retenus pour retenir l’introduction
d’un traitement antifongique comme relevant d’une stratégie préemptive étaient la présence de signes biologiques
ou radiologiques évocateurs d’IFI (principalement sur les
résultats de la sérologie galactomannane et du scanner thoracique). Les résultats de cette étude concernant l’incidence
des IFI sont concordants avec l’étude PREVERT, l’incidence
d’IFI observée étant supérieure pour les patients traités selon
une stratégie préemptive. Les auteurs observent également
ici une différence significative en termes de mortalité attribuable aux IFI (7,4 % pour le groupe empirique vs 23,7 %
pour le groupe préemptif) et de survie globale (6,3 % de
décès à 3 mois pour le groupe empirique vs 15,9 % pour le
groupe préemptif). L’approche empirique semble donc rester
la meilleure stratégie de traitement des IFI.
La non-infériorité de la stratégie préemptive n’a donc pas
été clairement démontrée. Et il n’y a pas d’étude prouvant le bénéfice réel en termes de réduction de la toxicité
et du coût global de cette prise en charge. Pour l’heure
actuelle, les recommandations l’IDSA (Infectious Diseases
Society of America), parues en février 2011, retiennent
l’indication du traitement antifongique de manière empirique en cas de fièvre persistante ou récurrente à plus de
4 à 7 jours de l’introduction d’une antibiothérapie, au cas
où la durée de la neutropénie attendue est de plus de 7
jours. Les investigations à la recherche d’une IFI doivent être
menées de façon parallèle à ce traitement. Le traitement
préemptif est considéré, selon ces recommandations, comme
une alternative acceptable pour un sous-groupe de patients,
pour lesquels l’introduction du traitement antifongique pourra
être suspendue en cas de stabilité clinique, en l’absence
Tableau 2
Résultats de l’étude PREVERT. Comparaison suivant la phase de traitement [16].
Induction
Consolidation/
autogreffe de CSH
Empirique
n = 78
Préemptif
n = 73
Empirique
n = 72
Préemptif
n = 70
Durée médiane de
neutropénie (jours)
26 (21-31)
26 (18-32)
11 (9-16)
12 (10-16)
Survie (%)
94,9
93,2
100
97,1
IFI (n)
- Candida
- Aspergillus
3 (3,8 %)**
0
3
12 (16,4 %)**
5
7
1 (1,4%)
0
1
1 (1,4%)
0
1
Infériorité non exclue ; ** p < 0,01.
275
Hématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
de signes cliniques et scannographiques (pulmonaires et
sinusiens) d’infection fongique, avec négativité des tests sérologiques d’IFI et des recherches d’une colonisation fongique
en différents sites [18].
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Conclusion
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follow-up of a randomized, placebo-controlled trial. Blood 2000 ; 96 :
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Les IFI sont une complication majeure survenant au cours
des traitements intensifs pour la prise en charge des leucémies aiguës et des allogreffes de CSH. La place d’une
prophylaxie antifongique a été validée dans ces indications, et permet une réduction de la mortalité globale [19].
La balance pharmaco-économique semble également favorable à l’utilisation du posaconazole en prophylaxie [20].
La stratégie du traitement préemptif des IFI n’est pas encore
précisément définie, et les éléments du diagnostic précoce sur
lesquelles elle se base ne sont pas validés de façon consensuelle. Elle pourrait néanmoins trouver sa place pour des
patients avec suspicion d’IFI malgré l’absence de fièvre, ou
en alternative à l’approche empirique pour des patients à
faible risque d’IFI. Plusieurs facteurs influencent en effet ce
niveau de risque, à la fois liés à l’environnement du patient,
à la structure de soins, à la maladie et au patient lui-même :
type d’hémopathie sous-jacente et phase de traitement, durée
de la neutropénie, type de greffe, traitements immunosuppresseurs conjoints, comorbidités et facteurs génétiques. . . La
place et la combinaison de chacune de ces attitudes – prophylactique, préemptive et empirique – devront être établies
en fonction de ce niveau de risque, afin de réduire l’incidence
et la mortalité de ces infections, ainsi que la toxicité et le coût
des traitements antifongiques. 8. Marr KA, Crippa F, Leisenring W, et al. Itraconazole versus fluconazole for prevention of fungal infections in patients receiving allogeneic
stem cell transplants. Blood 2004 ; 103 : 1527-33.
Conflits d’intérêts : aucun.
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Hématologie, vol. 17, n o 4, juillet-août 2011
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