Wilhelm Wundt. La « psychologie des peuples » et l`histoire culturelle

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Revue germanique internationale
10 | 1998
Histoire culturelle
Wilhelm Wundt. La « psychologie des peuples » et
l’histoire culturelle
Michel Espagne
Éditeur
CNRS Éditions
Édition électronique
URL : http://rgi.revues.org/688
DOI : 10.4000/rgi.688
ISSN : 1775-3988
Édition imprimée
Date de publication : 15 juillet 1998
Pagination : 73-91
ISSN : 1253-7837
Référence électronique
Michel Espagne, « Wilhelm Wundt. La « psychologie des peuples » et l’histoire culturelle », Revue
germanique internationale [En ligne], 10 | 1998, mis en ligne le 26 septembre 2011, consulté le 30
septembre 2016. URL : http://rgi.revues.org/688 ; DOI : 10.4000/rgi.688
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Wilhelm Wundt.
La «psychologie des peuples»
et l'histoire culturelle
MICHEL
ESPAGNE
Le terme de Kulturgeschichte parfois en concurrence avec celui de Kulturwissenschaften sert actuellement à désigner un élargissement général de la
germanistique, de la philologie ou de l'histoire littéraire à des données
comme l'histoire de l'art ou l'anthropologie. C o m m e toujours il importe
pour cerner le sens du terme d'en faire l'archéologie. Il est employé à la
fin du XIX siècle pour indiquer une forme d'histoire qui, dépassant les simples séquences d'événements politiques ou diplomatiques, voire la simple
histoire littéraire, envisage désormais les déterminations ethnologiques,
l'économie, l'histoire intellectuelle, dans un ensemble global baptisé du
nom de culture. Le souci de concrétiser secteur par secteur le projet hégélien, et la perception synthétique de la Renaissance italienne développée
par Burckhardt ont été d'importants jalons dans la genèse du concept
d'histoire culturelle. La psychologie et plus particulièrement la psychologie
expérimentale a joué un rôle singulier dans l'avènement de cette perspective globalisante. Les faits psychiques individuels s'expliquent par des
déterminations physiologiques d'un côté mais aussi par une sorte de psychisme collectif dont l'analyse renvoie, de manière parfois organiciste, au
corps social global. Aussi paraît-il légitime d'envisager l'histoire culturelle à
partir de la carrière intellectuelle d'un des fondateurs de la psychologie
expérimentale, à l'Université de Leipzig, Wilhelm Wundt, et ce d'autant
plus que c'est dans le milieu très particulier de l'Université de Leipzig à la
fin du XIX siècle que s'opère la rencontre de la psychologie et de
l'historiographie grâce au travail d'un élève puis collègue de Wilhelm
Wundt, Karl Lamprecht. L'avènement de la Kulturgeschichte a certainement
favorisé le développement presque concomitant de l'histoire de l'art qui
dégage dans les ensembles désignés comme culture des styles qui en définissent l'identité et dont la méthode consiste souvent à mettre en relation
les formes esthétiques et les textes littéraires ou les écoles philosophiques
ou même l'histoire sociale et politique. La Kulturgeschichte, telle qu'elle se
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Revue germanique internationale, 10/1998, 73 à 91
dessine à travers l'évolution de la réflexion sur la psychologie notamment
dans les dérives nationalistes qu'elle a connues en Allemagne au
x i x siècle, peut apparaître comme une tentative de décrire la genèse et le
devenir d'ensembles considérés comme organiques parce que marqués par
une même entité linguistique, ethnique, nationale. En fait, elle a aussi été
une pensée de la pluralité et de l'interaction entre les aires culturelles ; les
enseignants de l'Université de Leipzig dont le rayonnement auprès de
l'étranger fut le plus marqué au tournant du XIX et du XX furent précisément Wundt et Lamprecht. Phénomène né dans un contexte spécifiquement allemand, la Kulturgeschichte peut être abordée à partir de son impact
à l'extérieur comme à partir de sa structuration propre.
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LA D É C O U V E R T E DE LEIPZIG E T DE
PAR LES FRANÇAIS
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WUNDT
Dans la période qui suit la guerre de 1870, les étudiants français les
mieux formés qui jadis allaient compléter leurs études par un séjour à
R o m e ou à Athènes changent au moins partiellement de destination et se
rendent en Allemagne. Ils sont animés par un souci d'espionnage scientifique et cherchent à transplanter dans le cadre d'une Université française
découvrant la nécessité de la scientifisation des méthodes observées outreRhin. En m ê m e temps ils vont en Allemagne comme on va dans un pays
ennemi et souhaitent relativiser les succès de l'Université allemande dans
ses formes d'organisation .
En 1896-1897, les sciences historiques et philologiques ne disposent en
France que de 318 enseignants contre 662 en Allemagne. Avec 64 enseignants dans ces disciplines, l'Université de Leipzig, étape presque incontournable dans les périples académiques français en Allemagne, occupe le
second rang après Berlin mais l'emporte de beaucoup sur Halle, Munich
et Strasbourg. Possédant 12 professeurs en histoire, Leipzig est mieux doté
pour l'enseignement universitaire de cette discipline que Paris et même
Berlin. La philosophie fait aussi partie des domaines fortement représentés.
Fondée en 1409 d'une sécession de l'Université de Prague, l'Université
de Leipzig a connu une première période de gloire au tout début des
Lumières. C'est là que fut fondée la première revue scientifique allemande
1
1. Voir M . Espagne, Die Universität Leipzig als deutsch-französische Ausbildungsstätte, in
Von der Elbe bis an die Seme. Französisch-sächsischer Kulturtransfer im XVIII. und XIX. Jahrhundert, éd. par
M. Espagne et M. Middell, Universitäts-Verlag Leipzig, 1993, p. 330-353. Sur l'histoire générale
de l'Université de Leipzig, voir notamment Lothar Rathmann, Alma mater Lipsiensis. Geschichte der
K. M. Universität Leipzig, Leipzig, Édition Leipzig, 1984. Voir aussi Karl-Marx- Universität Leipzig
¡409-1959, Beiträge zur Universitätsgeschichte, Leipzig, Verlag Enzyklopädie, 1959, 2 Bände. Karl
Czok (Hrsg.), Wissenschafts-und Universitätsgeschichte in Sachsen im 18. und 19. Jahrhundert. Nationale und
internationale Wechselwirkung und Ausstrahlung, Abhandlungen der sächsischen Akademie der Wissenschaften zu Leipzig. Philologisch-historische Klasse bd. 71 Heft 3, Berlin, Akademie-Verlag,
1987.
les Acta eruditorum et qu'en 1688 Christian Thomasius lança la première
revue en langue allemande, les Monatsgespräche. Leibniz y a fait ses études,
de même que Christian Wolff, par la suite collaborateur fidèle des Acta eruditorum. Le professeur d'histoire puis de philosophie J o h a n n Friedrich
Christ, maître du philologue de Göttingen Christian Gottlob Heyne et
d'une certaine manière précurseur de Winckelmann, voyageur à travers
l'Angleterre et l'Italie, y développa un enseignement de l'esthétique. Au
milieu du siècle, Georg Heinrich Zincke et Christian Gotthelf Gutschmid
fondent le caméralisme qui va directement servir à redresser la vie économique et politique de la Saxe après la guerre de Sept ans. L'arabistique
allemande se développe dès le xviii siècle au sein de l'Université, tandis
que les P Gottsched et Geliert donnent pour la première fois aux lettres
allemandes u n rayonnement européen. Lors du quatre centième anniversaire de la fondation de l'Université, en 1809, le philologue Christian
Daniel Beck a fondé le séminaire de philologie. Le slaviste Leskien,
l'orientaliste Fleischer, le sanskritiste Windisch, l'école linguistique des
Junggrammatiker (Hermann Osthoff, Karl Brugmann), auprès desquels Ferdinand de Saussure fait ses études, contribuent à établir la réputation d'un
centre universitaire qui ne fonde paradoxalement sa première chaire de
romanistique, occupée par Adolf Ebert, qu'en 1862.
Les Français qui viennent à Leipzig entre la guerre de 1870 et la
guerre de 1914 ne séjournent pas tous très longtemps mais font souvent au
terme de leur voyage un récit circonstancié de leurs expériences. Ce récit,
souvent publié dans la Revue internationale de l'enseignement constitue un témoignage sur un regard admiratif d'étudiants ou de jeunes enseignants qui
vont bientôt contribuer à l'orientation des sciences humaines en France. Il
y a d'abord les historiens. Bien avant que M a r c Bloch ne fréquente le
séminaire de Karl Bücher au tournant du siècle et n'y découvre l'intérêt
de l'histoire économique, Charles Seignobos, dès 1878, a suivi les cours
des historiens de Leipzig en particulier von Noorden, l'élève de Ranke, et
Wilhelm Friedrich Arndt, spécialiste de sciences auxiliaires et coéditeur
très actif des Monumenta germaniae historica . Il avait observé le fonctionnement du séminaire d'histoire et noté sa parenté avec les séminaires de philologie. Dix ans après Seignobos, Abel Lefranc, un des fondateurs des
recherches françaises sur la Renaissance, avait suivi les cours de l'historien
nationaliste Wilhelm Maurenbrecher dont Lucien Herr, en 1886, dresse
une caricature cinglante. Abel Lefranc est vivement frappé par l'historien
de l'art Anton Springer, premier titulaire d'une chaire d'histoire de l'art en
Allemagne, à qui il prête une connaissance particulièrement approfondie
de l'art français. Au cours d'exercices pratiques, le professeur invite ses élèves à commenter et dater des reproductions d'objets d'art. Le sociologue
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1
1. Voir Horst Fuhrmann, Sind eben alles Menschen gewesen. Gelehrtenleben im 19. und 20. Jahrhundert. Dargestellt am Beispiel der Monumenta Germaniae Historica und ihrer Mitarbeiter, München, Beck,
1996.
Georges Blondel vient à Leipzig en 1883 et reste impressionné par
l'importance de l'enseignement dispensé. Avec quatre-vingt-onze heures de
cours et 9 professeurs ordinaires, Leipzig offre un volume d'enseignements
supérieur à celui de Paris. Au cours d'un voyage plus tardif, en 1895,
Blondel s'intéresse au séminaire de sciences sociales. Emmanuel de Martonne, qui sera l'un des fondateurs de la géographie moderne en France et
qui puise son inspiration au séminaire de Ratzel, est particulièrement marqué par le décloisonnement des disciplines qui permet à l'étudiant géographe de s'initier aussi à la philosophie, à l'ethnologie, à l'histoire, à la
géologie. Indépendamment des remarques habituelles sur la richesse des
fonds de documentation, de Martonne est frappé par les relations directes
et relativement informelles qui régnent entre les géographes de Leipzig,
une sorte d'éthique de la sociabilité.
Pourtant la personnalité qui de loin attire le plus l'attention des visiteurs français est Wilhelm Wundt. Tous viennent pratiquement lui rendre
visite. Ainsi Lucien H e r r le rencontre le 15 octobre 1886. Il décrit dans
son journal de voyage l'appartement de Wundt, les enfants, la balançoire
dans l'entrée, les tas de livres, la tenue légèrement négligée du maître des
lieux qui interroge Herr sur son avenir et vante le statut des privatdocents
en Allemagne. Lucien Herr parle avec admiration à W u n d t de sa logique
et risque une plaisanterie : Q u a n d W u n d t va-t-il enfin publier une métaphysique ? Mais c'est à peine une plaisanterie, car H e r r sent chez Wundt
des tendances à la téléologie, il réprouve en particulier la volonté de transposer les règles kantiennes de la causalité au domaine de la vie psychique.
La même année 1886 Emile Durkheim passe à Leipzig le semestre d'été. Il
tirera de ses expériences leipzigoises la matière de deux articles : « La
science positive de la morale en Allemagne » et « La philosophie dans les
Universités allemandes ». A l'Institut de philosophie de Leipzig et auprès
de W u n d t Durkheim a visiblement trouvé matière à légitimer une réorientation de la philosophie. La tendance à spécialiser la connaissance philosophique, tendance qui culmine chez Wundt, séduit tout particulièrement
Durkheim. Il est vrai que Wundt, en rompant avec la tradition métaphysique de l'Allemagne, s'est attiré sur place des inimitiés et que l'on connaît
parfois mieux son n o m à Paris qu'en Allemagne. L'Éthique de Wundt
apparaît tout particulièrement à Durkheim comme une invitation à
explorer de façon empirique les fonctions morales. A vrai dire la spécialisation, la division du travail, implique déjà u n passage de la métaphysique aux sciences sociales. Et l'Institut de psychologie expérimentale de
W u n d t représente aux yeux de Durkheim u n modèle de division du travail : il en rend compte en décrivant des expériences liées à l'étude de la
perception sensible. Mieux que Lucien Herr, Durkheim accepte un élargissement de la psychologie expérimentale à la psychologie sociale sans se
rendre encore compte pleinement du fait que la psychologie de la nation
qu'il préconise n'est rien d'autre qu'une approche ethnologico-sociologique
des phénomènes culturels. La science reine de la IIP République apparaît
ainsi dans une singulière proximité par rapport à l'empirisme psychologique des Leipzigois ou plutôt par rapport à l'élargissement social qui
s'esquisse chez W u n d t de cet empirisme psychologique. M e m b r e de l'école
durkheimienne et fondateur du solidarisme, le jeune Célestin Bougie, qui
passe à son tour le semestre d'été 1894 à Leipzig, ne prend plus Wundt
aussi au sérieux et se moque un peu de la masse des auditrices qui se
pressent à ses cours, mais en dépit du ton persifleur lui non plus ne peut
ignorer le rayonnement de l'Institut de psychologie. Passant par Leipzig, le
philosophe Lachelier rend compte de l'enseignement de W u n d t mais
insiste aussi sur le rôle de l'élève de Herbart Drobisch dont il décrit
l'enseignement pour les années 1878-1880. Gabriel Séailles, philosophe
qui publie en 1882 un récit de son voyage à l'Université de Leipzig,
approuve le tournant scientifique de la philosophie, incarné par Wundt, le
médecin devenu philosophe parlant devant des médecins ou des physiciens. M ê m e si le philosophe Élie Halévy est un peu plus réservé sur
l'intérêt de ce tournant scientifique lorsque vingt ans plus tard, au tournant
du siècle, il passe par l'Université de Leipzig, il ne manque pas de visiter le
laboratoire de psychologie. Ce qui le frappe alors tout particulièrement
c'est la présence majoritaire d'étrangers. Il y avait parmi eux des Américains, et le premier assistant de W u n d t à Leipzig fut précisément l'Américain J a m e s Mackeen Cattell qui occupa par la suite une chaire de psychologie expérimentale à l'Université Columbia . D'autres venaient de
Russie ou des Balkans. Enfin, Élie Halévy remarque la présence du Français Henri qui a livré pour l'année 1893 une description détaillée et fort
technique des 11 pièces composant l'Institut et des appareillages qui s'y
trouvent rassemblés . Ces récits étaient d'autant plus susceptibles d'intéresser le lecteur français soucieux d'une refondation des sciences humaines
et sociales qu'on pouvait trouver autour de 1900 de nombreuses œuvres de
W u n d t en traduction. Il y avait les Nouveaux éléments de physiologie humaine
(1872), le Traité élémentaire de physique médicale (1884), les Eléments de physiologie
psychologique (1886), le traité Hypnotisme et suggestion (1893) et depuis 1894
paraissait L'Année psychologique qui dans son programme se réclamait expressément de Wundt.
1
2
Comprendre l'importance de Wundt, c'est en même temps comprendre l'importance des sciences humaines et sociales ou philologiques et historiques à Leipzig à la fin du XIX siècle. Dans une Université dont le programme scientifique implicite se concentre sur les relations entre sciences
expérimentales et philosophie, la psychologie va assurer une fonction de
transition, puis, à mesure que la dimension expérimentale cède du terrain
sans jamais disparaître, va devenir un lien entre les diverses sciences
e
1. Voir notamment Werner Thiermann, Zur Geschichte des Leipziger psychologischen Instituts 18751945, Promotion A, Leipzig, 1981.
2. V. Henri, Les laboratoires de psychologie expérimentale en Allemagne, in Revue philosophique, décembre 1893, p. 608-622.
historiques. La présence de très nombreux étrangers comme le développement à Leipzig du comparatisme linguistique vont favoriser la dimension
universaliste de la Völkerpsychologie.
L ' A U T O B I O G R A P H I E INTELLECTUELLE DE W U N D T
1
Né en 1832 dans une famille de pasteurs près de Mannheim, Wilhelm
W u n d t a fait des études de médecine à Heidelberg. La forte impression provoquée chez lui par les cours de Bunsen le convainc de la nécessité de procéder lui-même à des expériences. Signalons un séjour à Berlin dans les
années 1850 pour poursuivre des études de physiologie sous la direction, en
particulier, d'Emile D u Bois-Reymond. Sa première publication date
de 1858 et est consacrée aux mouvements musculaires. C'est aussi cette
armée-là que Wilhelm W u n d t devient, à l'Institut de physiologie de Heildelberg, l'assistant d ' H e r m a n n Helmholtz. Cette relation montre bien les racines physiologiques de la réflexion de Wundt. Toutefois, alors qu'Helmholtz,
passé à l'Université de Berlin, va déplacer son centre d'intérêt vers la physique, Wundt, dès son séjour à Heidelberg, apparaît soucieux de compléter
sa formation philosophique, considérant que la perception ne peut
s'expliquer exclusivement par des considérations physiologiques. « Depuis
que j ' a i reconnu que dans le domaine de la genèse du champ visuel la physiologie s'était égarée, je suis préoccupé par la question de savoir dans quelle
mesure pour passer des sensations et des perceptions simples aux manifestations plus complexes de la vie psychique on doit chercher le secours des philosophes. » Au cours de ses investigations, W u n d t rencontre tout particulièrement l'œuvre de Herbart, en particulier son ouvrage sur La psychologie
comme science. Il ne tarde pas toutefois à lui reprocher d'enfermer la psychologie dans un mécanisme logique, de se désintéresser des relations entre ce
mécanisme logique et les réalités de la vie psychique. Dès 1862, le passage
de Wundt à la psychologie était définitivement consommé, et il publiait un
écrit programmatique de la psychologie expérimentale, Contributions à la
théorie de la perception sensible. Son objectif est moins de comprendre comment
sont influencés les processus de conscience que d'en percevoir la causalité
propre dont il estime, marqué par un certain spinozisme, qu'elle est parallèle à la causalité des phénomènes naturels sans qu'on puisse envisager une
causalité commune. « De fait aucune science naturelle ne se limite aux
objets de ses observations sensibles immédiates, mais la science essaie plutôt
à partir d'eux de s'élever vers ce qui est situé derrière les phénomènes et
2
1. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, Stuttgart, Alfred Kröner Verlag, Stuttgart, 1920. Parmi
les ouvrages généraux à consulter sur Wundt, il faut noter Alfred Arnold, Wilhelm Wundt. Sein philosophisches System, Berlin, Akademie Verlag, 1980. Pour des aspects plus techniques, on consultera
Renate Topel, Die allgemeine Psychologie Wilhelm Wundts. Wundt und Helmholtz. Zwei Beitrage zur Theorie
der Sinneswahrnehmung, Dissertation B, Leipzig, 1982.
2. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p . 191.
peut être considéré comme leur arrière-plan commun ; une fois atteinte la
nécessaire unité on pourra examiner aussi ce qui est inaccessible à
l'observation proprement dite ou n'est accessible que de façon très fragmentaire. » Dans un contexte intellectuel très marqué par le néo-kantisme
ambiant, le psychologue W u n d t ne remet pas en cause l'existence des choses en soi, mais insiste sur l'autonomie et le caractère premier des phénomènes psychiques qu'il cherchera à transposer à d'autres domaines de la vie
sociale. En 1874, Wundt, jusque-là Privat-docent, obtenait une chaire à
l'Université de Zurich. Il y prononça un cours de logique et, pour la première fois, un cours de « psychologie des peuples ». Depuis le début des
années 1860, tout en poursuivant ses travaux de psychologie expérimentale,
il était en fait pénétré par la nécessité de compléter les recherches sur la vie
psychique singulière par des études consacrées aux manifestations de la vie
psychique collective : « Cette tâche m'apparut bientôt comme la plus éminente et en vérité comme la tâche ultime de la psychologie. » Mais pour
l'heure il continua à se consacrer à la psychologie expérimentale.
W u n d t fut appelé comme professeur ordinaire à l'Université de Leipzig
en 1875. Heinrich Ahrens, disciple de Krause passé à la philosophie du
droit, Heinrich Ahrens qui, dans les années 1830, avait contribué par ses
conférences à répandre la philosophie allemande dans la France de la
monarchie de Juillet, venait de mourir en 1874. Moritz Wilhelm Drobisch,
successeur de Wilhelm Traugott K r u g et vieux disciple de Herbart, atteignait le terme de sa carrière et Leipzig, la seconde Université d'Allemagne
après Berlin, devait renouveler l'enseignement de la philosophie. Après
avoir songé à faire appel à K u n o Fischer de Heidelberg, l'Université opta
pour diviser la chaire en deux postes de moindre envergure destinés à des
professeurs moins renommés. L'un d'entre eux fut précisément Wilhelm
Wundt. Sa biographie intellectuelle le prédestinait tout particulièrement à
enseigner dans le cadre d'une Université qui, d'une part, mettait l'accent
sur les relations entre sciences expérimentales et philosophie et, d'autre
part, subissait l'impact de Herbart qui avait pour longtemps orienté la philosophie à Leipzig. « Aussi limitée qu'ait été m o n attirance pour la philosophie de Herbart, aussi réservés qu'aient été ses représentants à me considérer comme l'un des leurs, je ne peux éviter de reconnaître avec gratitude
que cette philosophie, par la position indépendante qu'elle occupa durant
bien des années à Leipzig en maintenant la tradition d'une relation amicale de la philosophie et des sciences positives, me facilita l'entrée dans la
carrière d'enseignant de la philosophie puis u n rayonnement ultérieur dans
cette carrière. »
De son propre aveu, Wilhelm W u n d t a été marqué lors de son installation à Leipzig par deux collègues. Theodor Fechner, personnalité
1
2
3
1. W . Wundt, Beiträge zur Theorie der Sinneswahmehmung, Leipzig und Heidelberg Wintersche
Verlagsbuchhandlung, 1862, p. 423.
2. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p . 201.
3. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p. 296.
complexe de physicien en proie à des délires spiritualistes, avait en 1860
publié des Éléments de psychophysique et s'était consacré à la recherche des relations entre des stimulations quantifiables et les contenus de conscience. Il
était en outre traducteur d'ouvrages français de physique. Wundt, se référant notamment à son ouvrage sur le Zend-Avesta, voit néanmoins aussi en
lui une sorte de mystique moderne tentant de transposer les lois de la psychophysique à la métaphysique et n'ouvrant des champs nouveaux à la psychologie qu'au passage et pour ainsi dire par hasard : « O n comprend par là
que le fondateur de la psychophysique, donnant à celle-ci un contenu tout
différent de celui qu'il avait en vue, est devenu dans les faits le fondateur
d'une méthode exacte d'exploration des phénomènes psychiques - une contradiction apparente, à mettre en relation avec le fait étrange que personnellement il n'avait que peu d'intérêt pour la psychologie. »
Emst Heinrich Weber de son côté s'était attaché à mesurer les grandeurs psychiques et avait édicté une loi selon laquelle les sensations ne
peuvent être éprouvées, ni à plus forte raison quantifiées, dans l'absolu,
mais seulement dans leurs relations entre elles, dans le cadre d'une série.
Tous deux incarnaient la contiguïté spécifique de la philosophie et des
recherches en sciences naturelles à l'Université de Leipzig, peu à peu
perçue comme un lieu de résistance contre l'idéalisme berlinois. Wundt,
quant à lui, se situera aussi du point de vue du rapprochement de la philosophie et des sciences de la nature, de l'intégration des secondes dans la
première, dans la postérité de Schelling. Au demeurant, les étudiants leipzigois qui suivent avec le plus d'assiduité les cours de W u n d t n'étaient pas
des philosophes professionnels mais des étudiants en mathématiques et
sciences de la nature auxquels venaient s'adjoindre de nombreux pédagogues. Installé primitivement dans une pièce où l'administration de l'Université avait autorisé W u n d t à conserver ses instruments d'expérimentation, l'Institut de psychologie a pu occuper de nouveaux locaux à la suite
de la création d'un Institut de médecine. Dans l'histoire de l'Université de
Leipzig, chaque phase de croissance de la psychologie est ainsi liée à
l'extension du domaine des sciences et plus particulièrement de la médecine : l'Institut finira par occuper quatre salles de cours et une dizaine de
pièces . En 1913, à l'initiative de Karl Lamprecht, il bénéficia de la création d'une fondation qui, à la manière de la Fondation « Kaiser-Wilhelm »
de Berlin Dahlem, recueillait les financements privés et publics. W u n d t
espérait pouvoir scinder son institut en deux parties dont l'une aurait été
réservée à la psychologie expérimentale tandis que l'autre aurait pu être
consacrée à la psychologie des peuples. La guerre de 1914 empêcha la réalisation de ce projet. Il faut observer à ce propos que Wundt, malgré son
parti pris d'expérimentation, malgré une curiosité pour les cultures étran1
2
1. W. Wundt, Erlebtes und Erkamtes, p. .304.
2. Sur la naissance, autour de Wundt, de la psychologie comme nouvelle discipline, voir
Joseph ben-David, Les facteurs sociaux dans la genèse d'une nouvelle science. Le cas de la psychologie, in Id., Éléments d'une sociologie historique des sciences, Paris, PUF, 1997, p. 65-92.
gères qui se reconnaît clairement à ses écrits sur la psychologie des peuples, prend à l'époque de la Première Guerre mondiale des positions très
nationalistes. N o n seulement il développe une théorie du coup de poignard
dans le dos pour expliquer la défaite allemande, mais il défend l'idée d'une
spécificité intellectuelle des Germains : « Ce trait fondamental de l'esprit
germanique tient au fait que dans la conscience des Allemands, l'individu
se sent membre d'une communauté du peuple, à laquelle il subordonne ses
aspirations et sa vie même. De la sorte le monde divin est pour lui une
unité du monde suprasensible se manifestant sous des formes diverses de
même que la communauté morale et ethnique est une unité du monde
sensible. »
1
Il y a un sérieux paradoxe dans l'évolution intellectuelle de W u n d t qui
se sent toujours à l'étroit dans les limites de la discipline à laquelle il vient
de décider de se consacrer. Il étudie la médecine mais considère que les
problèmes physiologiques auxquels il s'intéresse trouvent leur réponse dans
une prise en compte du psychisme. Il passe ensuite de l'exploration expérimentale du psychisme individuel à celle du psychisme collectif. Pourtant
Wundt a dû l'essentiel de son succès à la psychologie expérimentale proprement dite, et une partie de ses collaborateurs ont considéré avec une
certaine réserve ce qui à l'évidence lui tenait le plus à cœur. U n e étape
dans cette évolution est certainement constituée p a r l'intérêt de W u n d t
pour l'éthique qu'il considère comme une perspective réflexive sur les
contenus de conscience tels qu'ils s'expriment dans les conceptions du
droit et du non-droit. Pour accéder à la vie éthique, il est conscient de se
livrer à une analyse de la psychologie des peuples et attend des informations tout à fait particulières d'une analyse de la langue qui renferme selon
lui les témoignages les plus primitifs sur la formation des représentations
humaines. Ses réflexions sur A d a m Smith ou Bentham montrent que
l'éthique a pour W u n d t également une dimension économique, l'entraînent à esquisser une histoire « psychologique » du capitalisme dont il voit
l'origine lointaine dans un renversement progressif de la volonté collective
en une juxtaposition de volontés individuelles ne conservant plus que des
restes épars de la communauté éthique originelle.
Q U ' E S T - C E Q U E LA P S Y C H O L O G I E DES
PEUPLES?
Lorsqu'il publie en 1863 ses Cours sur l'âme humaine et animale, Wilhelm
W u n d t qui, dans un premier tome, s'est attaché à décrire le développement de la vie psychique depuis les sensations et les perceptions les plus
simples aborde pour la première fois dans un second volume l'idée d'une
psychologie comparée des races et des peuples. La dichotomie individualisme/collectivisme qui lui sert à organiser ses réflexions et sans doute son
1. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p. 327.
81
enseignement sur l'histoire de la philosophie trouve ici un avatar intéressant. Certes W u n d t reniera plus tard ce second tome, mais il sert de jalon
à l'histoire de la Völkerpsychologie. L'idée de faire de ce terme une discipline
scientifique avait déjà été retenue par Lazarus et Steinthal qui dans le
premier volume de la Revue de psychologie des peuples et de linguistique [Zeitschrift
für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft] (1859) ont consacré une introduction théorique à l'idée de psychologie des peuples. Sans doute l'appartenance partielle de W u n d t à cette filiation ethno-philologique se reconnaît-elle à l'importance qu'il accorde au langage. Mais W u n d t reproche à
Steinthal, comme d'ailleurs au linguiste H e r m a n n Paul, de s'être trop
inféodés au modèle de Herbart lorsqu'ils se sont risqués à passer du terrain
de la linguistique à celui de la psychologie. A bien des égards la psychologie des peuples apparaît comme un point de convergence de la psychophysiologie et de la philologie. Si W u n d t fait un premier cours sur ce
thème à Zurich dès 1875, il faudra attendre 1900 pour que paraisse le premier livre d'une série de six (la langue, l'art, le mythe, la religion, la
société, le droit et la culture), l'ensemble représentant dix épais volumes
dont le dernier paraît en 1920. Face à cet ensemble immense, Wundt a
éprouvé dès 1912 le besoin de publier une sorte de résumé de son entreprise en 500 pages sans notes ni références. A l'origine, il avait songé donner à son ouvrage le sous-titre Examen des lois de développement de la
langue, du mythe et des mœurs [Untersuchung der Entwicklungsgesetze von
Sprache, Mythus und Sitte], définissant par là une thématique et une structure
fondamentale. La langue en est le point de départ : W u n d t a été manifestement impressionné par la description empirique des langues exotiques
faite, dans l'esprit de la colonisation, p a r des savants allemands comme
J. Spieth sur les Ewe du Togo ou G. Strehlow sur l'Australie ou Boethlinck
sur les langues Yakoutes. La capacité à s'assimiler les langues primitives
serait au demeurant selon lui une qualité éminente et exclusive des ethnologues allemands. Mais il est aussi héritier de la linguistique comparée,
dont il regrette seulement qu'elle se soit plus particulièrement concentrée
sur les langues indo-européennes, les langues littéraires, en négligeant les
espaces culturellement plus lointains : « Ce qui d'un point de vue psychologique augmente la valeur d'idiomes qui nous sont totalement étrangers,
ce sont aussi bien les divergences que les convergences de leur structure
par rapport aux formes linguistiques qui nous sont familières et que de ce
fait nous considérons souvent à tort comme logiquement nécessaires. » La
psychologie du langage vient se substituer à l'idée d'une logique du langage qui pour W u n d t a le grave défaut de réduire la pluralité : « O n peut
dire que chaque langue représente une forme de pensée humaine qui lui
est exclusivement propre. Nulle part ne se manifeste plus clairement qu'ici
1
2
1. Sur la genèse du concept de Völkerpsychologie voir notamment Wilhelm Wundt, Probleme der
Völkerpsychologie, Leipzig, Ernst Wiegandt, 1911.
2. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p. 213.
la perversion qui consiste à établir une relation interne immuable entre
grammaire et logique. Il serait aussi faux de dire que toute langue possède
sa propre logique. La structure de la pensée humaine qu'elle permet de
reconnaître est de nature purement psychologique. » Si la psychologie, et
notamment la psychologie des peuples, ne peut pas être abordée en termes
de logique contrairement aux tendances postidéalistes de Herbart, en
revanche, elles sont abordables en termes historiques ou du moins génétiques. Le contenu du domaine psychique n'est pas constitué d'objets stables
mais correspond à des processus en perpétuelle transformation. Étudier les
processus psychiques, c'est esquisser une théorie de l'évolution.
C'est dans le résumé de la Völkerpsychologie que la volonté de Wundt
d'établir une histoire universelle du psychisme apparaît la plus évidente.
Quatre phases rythment l'histoire universelle envisagée du point de vue de
la psychologie : celle de l'homme primitif, celle du totémisme, celle des
héros et des dieux, enfin celle de l'humanité. Dès l'introduction, Wundt
rappelle au demeurant que la psychologie des peuples est une psychologie
du développement et une psychogenèse. Contrairement aux tentatives
d'un Herbart, la psychogenèse ne peut s'opérer sur la base d'une étude du
développement de l'enfant, il faut étudier les peuples comme représentants
d'autant d'étapes d'un développement. W u n d t note à ce propos l'extension
ethnologique prise par une science très représentée à l'Université de Leipzig, la géographie. Ratzel, l'un des pères fondateurs de cette discipline
récente, aurait en particulier montré de façon convaincante que l'ethnologie n'informe pas seulement sur la localisation et le mode de vie des peuples, mais aussi sur la manière dont les peuples se sont développés et ont
atteint leur configuration actuelle. Ratzel a, au demeurant, suscité aussi un
grand intérêt de la part d'un fondateur de l'ethnologie scientifique comme
Franz Boas.
Le peuple primitif que Wundt identifie à certaines tribus des Philippines, de Ceylan ou de Malacca ne se définit pas en termes de races ou de
caractéristiques biologiques, mais strictement en termes de psychologie.
Wundt croit à l'existence de cette mentalité ou âme primitive, chère à
Lucien Lévy-Bruhl : « La forme parfaite d'articulation des concepts, la
forme aperceptive, qui insère l'idée dans un ensemble, n'est encore présente
que de façon épisodique dans la relation des souvenirs isolés. » Les traces
du langage primitif se sont perdues à mesure que des peuples à la structuration linguistique plus forte seraient venus et par exemple les pygmées n'ont
pas de langue spécifique, mais Wundt voit dans l'expression par gestes, dans
l'expression à travers des mimiques les traces d'une langue primitive.
Le totémisme, qui selon W u n d t se développe sous trois formes, une
australienne, une mélanésienne, une forme africaine et américaine, corres1
2
1. W. Wundt, Erlebtes und Erkanntes, p. 215.
2. W. Wundt, Elemente der Völkerpsychologie, Grundlinien einer psychologischen Entwicklungsgeschichte
der Menschheit, Leipzig, 1912, p. 73.
pond à u n mode d'organisation de la parenté et du mariage, regroupements constitués autour de l'animal sacré : « L'exogamie, étroitement liée
à l'organisation totémiste de l'ethnie, tient au fait que les mariages ne sont
possibles qu'entre les membres de différents sous-clans. » Le totémisme
p u r n'existe pas, et Wundt repère des formes mixtes. En Australie, où les
formes de parenté se ramènent à des schémas très élaborés, la culture dans
son ensemble correspond plutôt au modèle des sociétés primitives. En
Polynésie, au contraire, le niveau de la culture serait plus élevé mais
l'organisation familiale laisserait déjà percevoir un mode différent d'organisation sociale avec en particulier des ordres [Stände]. En Polynésie précisément, le déplacement des populations les aurait conduites à s'orienter sur
les étoiles et à développer une mythologie céleste. Mais cette religion ouranienne, signe d'une étape plus avancée du développement culturel, a eu
pour conséquence une dispersion des tribus, une désagrégation du modèle
totémique des relations familiales. L'Afrique non plus n'est pas un modèle
pur, comme on le reconnaît aux formes d'élevage : « Pour le lait, les
bovins sont encore l'animal le plus largement répandu en Afrique centrale.
En tant que tels ils sont une source de nourriture très prisée mais ne sont
pas utilisés pour le travail des champs. Ils occupent ainsi une place intermédiaire entre l'animal totémique originel et l'animal utile. »
Le passage de l'animal sacré à l'animal utile et consommable représente
en effet la limite entre le modèle du T o t e m et celui de l'ère suivante, l'ère
des Dieux et des héros. Il apparaît clairement que la psychogenèse ethnologique de Wundt n'est pas une pure et simple histoire, car les étapes qu'il distingue n'existent jamais à l'état pur mais représentent une tentative
d'expliquer la constitution du psychisme à partir d'un système général des
cultures, de leurs transitions, de leur développement. Pour définir l'époque
héroïque, W u n d t se réfère à Carlyle qui fait commencer l'âge héroïque avec
Odin et le fait terminer avec Shakespeare et Goethe. Sans vouloir lui donner une telle extension, W u n d t propose d'intégrer à l'époque héroïque la
fondation des villes, des États et des religions : « Le héros et le Dieu ne peuvent être pensés sans l'État, dont la fondation signale l'entrée dans cette
période historique ; les mœurs et le droit ne sont pas moins des productions
de la nouvelle société politique qu'ils n'ont pour une part essentielle assuré
sa genèse. » Si W u n d t note que l'âge héroïque est un âge de répartition des
fonctions sociales, il insiste surtout sur la naissance des Dieux, qui à partir
de formes naturelles deviennent de plus en plus anthropomorphes. Wundt
se sert du nom des dieux et de leurs attributs pour expliquer leur genèse,
même s'il récuse explicitement les théories du philologue H e r m a n n Usener
sur la genèse des Dieux. Remarquons à ce propos la place occupée par la
philologie dans l'horizon intellectuel de Wundt. En dépit de ses réfutations,
1
2
3
1. W. Wundt, Elemente der Völkerpsychologie, p. 118.
2. W. Wundt, Elemente der Völkerpsychologie, p. 130.
3. W. Wundt, Elanente der Völkerpsychologie, p. 284.
Usener est à l'horizon de sa pensée sur le divin. U n de ses collègues parmi
les professeurs de Leipzig est le maître de Nietzsche, le philologue Ritschl.
Écoutant Ritschl à Leipzig, Nietzsche ira également écouter Wundt.
L'organisation de la cité, cet État embryonnaire, modifie à travers la médiation de cultes spécifiques les attributions des Dieux singuliers. W u n d t procède à une véritable analyse sociologique des formes religieuses, distinguant
notamment la prière, le sacrifice et l'attribution du sacré. Dans le domaine
de la genèse des formes religieuses apparaît aussi une forme spécifique
d'interculturalité. Les Dieux perdent leur signification première et en regagnent une nouvelle en fonction de leur itinéraire : « C'est ainsi que sur le sol
grec Dionysos est un dieu immigré. Mais plus tard, grâce à sa relation avec
le culte des mystères, il l'emporte sur tous les autres dieux. » A lire la nature
des réflexions de W u n d t sur la genèse des religions et leur relation avec la
vie sociale des peuples, on observe, d'une part, le syncrétisme auquel il s'est
livré, mais on se représente, d'autre part, la fascination que son discours a
pu exercer sur les élèves étrangers, parmi lesquels les fondateurs d'une
sociologie française.
La notion d'humanité désigne pour W u n d t un espace global créé par
l'ensemble des membres d'un genre humain auxquels ont été reconnus des
droits et des devoirs spécifiques. Certes à l'époque des dieux et des héros,
des empires universels ou visant à l'universalité ont déjà vu le jour, mais ils
ne constituent pas une réalisation de l'idée d'humanité. Cela tient notamment à la question du langage. Les empires dits universels ont tenté ou
tentent par nature d'imposer une langue mondiale. Mais la culture mondiale, telle que la conçoit Wundt, repose sur la reconnaissance des singularités nationales. En effet, seule la reconnaissance des singularités dans la
culture universelle permet de concevoir cette dernière comme un processus
ininterrompu, comme une psychogenèse. U n modèle de culture universelle
lui est p a r exemple fourni par la Renaissance qui, tout en répondant à des
aspirations de la personne, ne remet pas en cause la pluralité des aspirations nationales. Après la culture universelle, la religion universelle est
l'une des caractéristiques de l'ère de l'humanité. La religion du salut qui
accompagne l'hellénisme, se poursuit dans l'Empire romain, est de façon
assez classique la base religieuse d'un passage entre culture nationale et
culture humaine. En conclusion, W u n d t réfléchit à la notion d'histoire universelle, ce qui lui permet de rejoindre, au terme de son parcours, l'orbite
plus étroite de la psychologie : « Mais comme l'histoire au sens propre du
terme est une histoire de l'esprit, que les moments physiques en elle n'ont
un sens que comme substrat nécessaire, le premier pas en direction d'une
philosophie de l'histoire qui ne conçoive pas la réalité à partir de l'idée
mais l'idée à partir de la réalité est donné p a r une histoire du développement psychologique de l'humanité. » Les chercheurs qui avaient accordé
1
2
1. W. Wundt, Elemente der Völkerpsychologie, p. 422.
2. W. Wundt, Elemente der Völkerpsychologie, p. 515.
toute leur confiance et leur admiration à la psychologie expérimentale ont
parfois considéré avec beaucoup de scepticisme son extension indéfinie à
une sorte d'organicisme historique. Pourtant, plutôt que de taxer W u n d t
d'idéalisme radical, il faut observer que sa recherche d'une psychogenèse
le conduit à intégrer dans le cadre de la recherche historique des objets
qui en étaient exclus ou n'y entraient qu'épisodiquement et sans effet de
cohérence par le biais de la philologie.
A partir de 1875, tous les semestres d'hiver W u n d t consacrait un
cours de deux heures hebdomadaires à la Völkerpsychologie. A mesure qu'il
avançait dans son enquête le domaine de la psychologie historique lui
apparaissait de plus en plus immense, abordait les champs de savoir les
plus divers. T o u t se passe notamment comme si les diverses disciplines
de sciences humaines et sociales enseignées à l'Université de Leipzig
trouvaient peu à peu leur place dans le vaste projet de Wundt. Du coup,
se fait sentir un besoin de contrôler les tendances centrifuges du propos.
Indépendamment du résumé publié en 1912, W u n d t présente aussi
le dixième et dernier volume de la série qui porte le titre spécifique de
Culture et histoire [Kultur und Geschichte] comme une tentative de mettre en
évidence le fil directeur de son travail. C'est là qu'il s'attache à présenter
sa définition du concept de culture. Il part du double sens du terme de
cultus qui désigne à la fois la culture des champs et le culte des dieux, la
culture matérielle et la culture spirituelle. L'histoire du concept de culture commence par une distinction entre les deux dimensions, quand le
culte religieux devient une affaire privée et que la culture du sol est
abandonnée aux esclaves. C'est sous l'influence des peuples germaniques
que le terme de culture se serait de nouveau appliqué aux mœurs, à la
vie culturelle et non plus aux activités matérielles. Alors que le concept
de culture conserve une dimension religieuse ou du moins spirituelle,
celui de civilisation se situe d'emblée sur un terrain sécularisé et désigne
le niveau atteint p a r les mœurs et les lois. La civilisation est une sécularisation de la culture dans un balancement entre individualisme et collectivisme. O r religion, philosophie et art relèvent davantage du domaine collectif de la culture, dans lequel débouche à nouveau la civilisation. Cette
division assez stéréotypée n'empêche pas W u n d t de reconnaître les inextricables mélanges dont sont issus les peuples latins et germaniques. La
différence que W u n d t croit structurante tient à l'incidence de langues différentes sur la psychogenèse : « Les latins et les peuples formés dans
l'esprit roman ne parlent au fond qu'une seule langue. Les mots qui portent l'idée reposent sur les mêmes fondements. » Les phonèmes et la
souplesse de la syntaxe donnent à la langue scientifique allemande une
qualité particulière. « U n inévitable corollaire est le fait que les latins ont
1
1. W. Wundt, Völkerpsychologie, zehnter Band Kultur und Geschichte, Leipzig, Alfred Kröner, 1920,
p. 178.
beaucoup plus de difficultés à assimiler la langue allemande que les
Germains une langue latine. » Langues de la sociologie, les langues
romanes ont pour idéal une culture internationale que la philosophie
allemande ne peut accepter que comme une forme d'extériorité de la
culture, un point de contact entre les cultures nationales. La Völkerpsychologie, partie de données scientifiques empiriques, s'approche parfois d'à
priori nationaux.
1
DE W U N D T A L A M P R E C H T
La pensée de W u n d t est peut-être moins intéressante maintenant
comme système cohérent que comme lieu de rencontre de préoccupations
multiples, comme point de convergence de la vie intellectuelle d'une
époque. L'importance de W u n d t tient, dans le même ordre d'idée, aux
réactions que son œuvre a suscitées chez ses auditeurs allemands ou étrangers. U n exemple particulièrement important est celui de Karl Lamprecht . A la différence de bien des étudiants étrangers de W u n d t qui se
sont d'abord intéressés au maître de la psychologie expérimentale, Karl
Lamprecht, lui, a fait d'emblée porter son attention sur l'historien de la
culture et l'auteur de la Völkerpsychologie. Q u a n d le jeune Lamprecht arrive
à Leipzig comme étudiant en 1877, l'économie, représentée p a r Wilhelm
Roscher, et la psychologie, représentée depuis deux ans p a r Wundt,
relayant Theodor Fechner, sont parmi les points forts de la faculté. Dans
la double référence à l'économie et à la psychologie des peuples s'annonce
déjà la spécificité du tournant historiographique de Lamprecht. Lamprecht
suit des cours de philosophie auprès de Wundt. Il est en relation avec le
premier titulaire d'une chaire d'histoire de l'art, l'hégélien Anton Springer.
Mais surtout il fait une thèse sous la direction de Roscher sur l'économie
agraire du nord-est de la France au X I siècle. Karl Lamprecht va retourner à Leipzig, cette fois comme professeur, en 1891. A cette époque,
l'Université jouit de la renommée du géographe Friedrich Ratzel,
l'inventeur d'un concept, celui d'espace vital [Lebensraum], promis à une
longue histoire. Ratzel n'était venu que tard à la géographie universitaire.
Il avait commencé par des études de zoologie dans les années 1860 alors
que le darwinisme était en Allemagne l'objet d'un intérêt passionné. Puis il
avait mené une carrière de journaliste et voyagé longtemps à travers
l'Europe et l'Amérique, s'intéressant chaque fois à l'environnement physique des mouvements de population. Il avait été recruté par Roscher et
confortait une tradition leipzigoise d'empirisme scientifique et de convergence des sciences humaines et naturelles contre des enseignants berlinois
2
e
1. W. Wundt, Völkerpsychologie, zehnter Band, Kultur und Geschichte, Leipzig, Alfred Kröncr, 1920,
p. 178.
2. Voir tout particulièrement Roger Chickering, Karl Lamprecht. A German Académie Life (18561921), New Jersey, Humanity Press, 1993.
qui tendaient plutôt à souligner la césure. Mais le véritable héros de
l'Université de Leipzig était Wilhelm Wundt, l'aîné de Lamprecht d'un
quart de siècle.
Entre Wundt, Lamprecht, Ratzel auxquels on pourrait joindre Karl
Bücher, le maître de Marc Bloch, s'était développée l'idée que leurs disciplines fragmentaires devaient aller vers un discours commun applicable à
tous les champs de connaissance. La psychologie dans la large acception
que lui donnait Wundt remplissait fort bien cette fonction. Au demeurant,
la dernière décennie du XIX siècle connaît en Allemagne un débat sur les
fondements psychologiques des comportements économiques. Lamprecht
s'intéresse à ces théories de Weber, Gustav Schmoller, Werner Sombart,
Theodor Lipps ou, pour la France, Gabriel Tarde. La psychologie sociale
de W u n d t n'est en fait qu'un confluent particulièrement visible de ces
débats. Convaincu que le psychisme structurait la réalité, W u n d t arrivait
nécessairement à la conception d'une réalité idéale. Toutes les dimensions
de l'existence, même si elles donnent lieu à des études ethnologiques,
aboutissent finalement à un ordre téléologique facile à déceler dans la
Völkerpsychologie. C'est la dimension spinoziste ou leibnizienne de Wundt,
auteurs que Lamprecht lui-même lit durant la période des contacts les plus
féconds avec Wundt. Mais de la psychologie expérimentale W u n d t a
conservé un intérêt primordial pour les processus. La psychogenèse est une
pensée historique. Le psychisme collectif doit être étudié dans sa processualité comme le psychisme individuel, c'est-à-dire de façon empirique et ce
« comme » explique l'intérêt de la Völkerpsychologie pour un historien.
Dépassant la psychologie expérimentale dans un sens ethnologique, la psychologie des peuples met au j o u r des mécanismes latents de volonté collective. Les détracteurs de W u n d t ont décelé dans ce dépassement des aspects
mystiques et dans le refus des déterminismes psychophysiques, dans
l'invocation de l'instance culturelle une forme de mysticisme. Sans nier ces
dérives on ne peut perdre de vue la fécondité particulière de la démarche
de Wundt pour un élargissement du c h a m p de l'histoire. La seule mise en
place d'un cadre théorique qui permette de traiter comme un tout la
culture intellectuelle et la culture matérielle résolvait un problème de fond
de l'historiographie.
e
Toujours est-il qu'une influence de W u n d t sur Lamprecht commence
à se manifester en 1894 lorsque l'historien en est à la publication du quatrième volume de son histoire allemande (chapitre sur les sagas) et qu'elle
se confirme dans les années qui suivent. Lamprecht utilise le terme de
psychologie dans sa double acception wundtienne d'expérimentation sur
le psychisme individuel et le psychisme social. Ce dernier, soumis à une
causalité que l'historien se doit de mettre en évidence, joue le rôle
d'infrastructure. L'arrière-plan psychologique, au sens de la Völkerpsychologie, est resté une des constantes de la conception de l'histoire de Lamprecht, faisant de lui, selon la perception dominante de son œuvre, le
représentant précoce d'une histoire des mentalités et d'une histoire éco-
nomique ou un héritier attardé de l'idéalisme philosophique. U n Franz
Mehring avait été plutôt sensible à l'aspect novateur de Lamprecht dont
la rupture avec la plupart de ses collègues historiens allemands est au
cœur de ce que l'on a appelé le Methodenstreit [querelle méthodologique].
M ê m e l'histoire de l'art, refondée p a r Warburg et ses élèves, a profité de
cet élargissement du champ de l'histoire. Aby Warburg ne s'était-il pas
intéressé aux travaux de Lamprecht dès son séjour à l'Université de
Bonn, avant la période leipzigoise ? Alors que Lamprecht était largement
dénigré pour ses dérives économistes et psychologisantes, W u n d t fait
partie du petit cercle d'universitaires, en particulier leipzigois, qui ont pris
fait et cause pour sa méthode historique. W u n d t se reconnaissait pleinement en Lamprecht que l'on pourrait dans une large mesure considérer
comme un praticien de la Völkerpsychologie.
Dans le contexte général de l'Allemagne wilhelminienne, un aspect de
Lamprecht n'a pu que séduire W u n d t : le souci de comprendre le développement des cultures européennes dans leurs imbrications réciproques.
Lamprecht a entretenu des relations d'amitiés avec divers historiens européens comme le Belge Pirenne, le Hollandais Blok, les Français Henri
Berr, Georges Blondel ou Gabriel M o n o d ou encore l'Américain William
E. D o d d qui avait soutenu une thèse à Leipzig en 1898. De son côté,
Lamprecht voyage beaucoup, parcourt l'Europe de la France à la Scandinavie, de la Grèce à l'Europe centrale et considère la perception directe
des villes et des paysages comme une condition du métier d'historien.
En 1904, il participe à u n Congrès international sur l'Unité des connaissances à Saint-Louis dans le Missouri, u n congrès organisé par Hugo
Münsterberg de Harvard qui avait été étudiant de W u n d t à Leipzig dans
les années 1880. Au même titre que celui de Wundt, le séminaire de
Lamprecht à Leipzig était devenu u n lieu de ralliement d'étudiants étrangers (notamment des Norvégiens, Polonais ou Finlandais pour lesquels
l'accent mis sur les spécificités ou les interactions culturelles rendait la
recherche historique plus accessible que les orientations purement politiques). L'Institut d'histoire universelle fondé en 1909 apparaît comme un
écho de l'Institut de psychologie expérimentale. Lamprecht souhaitait que
l'histoire culturelle des divers pays d'Europe ou du monde puisse être
enseignée dans son Institut avec la collaboration de jeunes chercheurs
appartenant à l'espace culturel qui était spécialement traité . C'est ainsi
qu'entre 1909 et 1914 plusieurs lecteurs francophones recrutés en général
sur les conseils de Lavisse travaillèrent à l'Institut . Les autres aires cultu1
2
1. Katharina Midell, Das Institut für Kultur- und Universalgeschichte bei der Universität
Leipzig und seine Beziehungen zu Frankreich bis zum Ausbruch des Ersten Weltkrieges, in Michel
Espagne, Matthias Middell, Von der Elbe bis an die Seine. Kulturtransfer zwischen Sachsen und Frankreich
im 18. und 19. Jahrhundert, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 1993, p. 354-379.
2. L'un d'entre eux fut Gaston Monod qui prononce des cours sur les grands historiens français des XVII , XVIII et XIX siècles ou sur la vie sociale à la cour de Louis XIV. L'un de ses successeurs en 1911-1912 fut le normalien historien Jeanmaire.
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e
relies étaient également représentées par d'autres lecteurs. C a r les Français régulièrement inscrits à Leipzig n'étaient pas les plus nombreux : au
semestre d'été 1908, on compte, pour 6 Français et 8 Alsaciens-Lorrains,
26 Américains, 20 Anglais et 218 Russes. Mais il est vrai que bien des
Français sont venus à Leipzig écouter des cours sans prendre
d'inscription régulière, notamment parmi les jeunes enseignants. M e m b r e
fondateur en 1912 d'une Association pour la compréhension entre les
nations [Verband für internationale Verständigung], Lamprecht voyait dans son
approche de l'histoire culturelle à la fois une possibilité d'améliorer la
politique culturelle de l'Allemagne à l'extérieur et de développer un esprit
cosmopolite en Allemagne même.
Dans son article « Qu'est-ce que l'histoire culturelle ? », qui paraît
dans la Revue allemande d'histoire [Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft]
en 1896 , Karl Lamprecht associe toute forme d'histoire à la psychologie,
à la psychologie individuelle quand il s'agit d'histoire politique, à la psychologie sociale quand il s'agit d'histoire culturelle. Les facteurs fondamentaux de la psychologie sociale sont la linguistique et l'économie. Mais
Lamprecht ajoute, en examinant rétrospectivement sa propre évolution,
l'influence déterminante de Burckhardt, c'est-à-dire de l'esthétique, et
considère que des parties entières de l'Histoire de la Renaissance en Italie
anticipent sur sa perception de l'histoire allemande. Dans la préface à la
seconde édition de l'Histoire allemande de 1894, on observe en outre un
renvoi appuyé aux sciences de la nature : « L'anatomie et la physiologie
se sont mises en place pour élucider et décrypter la vie et l'organisme de
ce qui est d'abord simple ; une science naturelle génétique s'est développée dont les questions ne portent pas sur la nature des choses mais sur
leur devenir. » O n reconnaît ici le souci de comprendre la genèse des
phénomènes psychiques qui caractérisait Wundt, le médecin devenu philosophe, lors de son arrivée à Leipzig, et de la fondation de l'Institut de
psychologie expérimentale. Aussi suspect que puisse apparaître aujourd'hui le terme de psychologie des peuples, il repose sur u n souci de rapprocher les sciences humaines et les sciences exactes et de décloisonner
les espaces nationaux ou plutôt de comprendre leurs interactions qui s'est
particulièrement affirmé dans le milieu très spécifique de l'Université de
Leipzig après 1870. Pour plusieurs décennies, les psychologues, historiens,
linguistes et économistes ont conçu leurs démarches comme solidaires, et
surtout leur objet, les cultures au pluriel, comme un objet unique. Sans
minimiser les dérives nationalistes, particulièrement sensibles autour de la
guerre de 1914, dans lesquelles ont pu déboucher les pistes initiées par
Wilhelm Wundt, leur indéniable fécondité au moment de leur émergence
1
2
1. DZf.G. NF., 1, 1896-1897, p. 75-150.
2. Karl Lamprecht, Deutsche Geschichte, 12 Bde + 3 Ergänzungsbände, 1. Band, 2. Auflage,
Berlin, Gaertner, 1894, p. VI.
se reconnaît à la fois dans la pluralité des disciplines concernées et dans
la fascination exercée sur de jeunes chercheurs étrangers qu'on ne saurait
suspecter de faiblesse pour un organicisme ethnocentrique. La dimension
interculturelle de la Kulturgeschichte ne peut être perçue qu'après l'avoir
débarrassée des strates d'idéologie guerrière qui dissimulent ses
fondements.
Transferts
45, rue d'Ulm
75005 Paris
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