L`épi-psy : les troubles psychiatriques dans l`épilepsie

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ÉDITORIAL
L’épi-psy : les troubles psychiatriques
dans l’épilepsie
Psychiatric disorders in epilepsy
‘É
pi-psy’, pourquoi ce néologisme ? Nous souhaitons qu’il devienne
rapidement familier au sein de la communauté médicale. ­L’épi-psy
définit une interdiscipline moderne, qui porte sur les maladies à la fois
épileptiques et psychiatriques, ou une sous-spécialité de la “neuropsychiatrie”,
cette discipline médicale qui a disparu en 1968. ­L’épi-psy s’intéresse aux intrications
entre les maladies psychiatriques et l’épilepsie, à leurs spécificités sémiologiques
et thérapeutiques.
C. Hingray
Service de psychiatrie,
Centre psychothérapeutique
de Nancy (CPN), Laxou ; service
de neurologie, CHU de Nancy.
L’épilepsie est l’affection neurologique invalidante la plus fréquente après
les troubles démentiels. En France, elle concerne près de 1 % de la population.
Au moins 1 patient sur 3 souffrant d’épilepsie présentera au cours de sa vie
une pathologie psychiatrique, et jusqu’à 80 % des patients souffrant d’épilepsie
pharmacorésistante. Cette problématique est donc particulièrement fréquente.
Les études retrouvent des prévalences augmentées, en particulier pour les troubles
de l’humeur, le suicide, les troubles anxieux et les troubles psychotiques.
On sait, aujourd’hui, que l’existence d’une pathologie psychiatrique augmente
significativement le risque ultérieur de développer une épilepsie. Ainsi, les troubles
psychiatriques peuvent précéder, accompagner et fortement compliquer
les syndromes épileptiques. Ces comorbidités ont un impact considérable
en termes de souffrance psychique et de mauvaise qualité de vie. Leur présence,
de surcroît, est préjudiciable au contrôle des crises épileptiques parce que
l’efficacité et la tolérance des traitements antiépileptiques sont moins bonnes en cas
de comorbidité psychiatrique non traitée.
Le lien qui unit épilepsies et pathologies psychiatriques est loin de n’avoir
qu’une causalité unidirectionnelle dans laquelle les troubles psychiatriques
se réduiraient aux seules conséquences psychosociales de l’épilepsie. En réalité,
il s’agit bel et bien d’une association. La relation entre pathologies épileptiques
et psychiatriques est bidirectionnelle, voire triangulaire − certains facteurs
physiopathologiques exposant les sujets à la fois à la survenue de manifestations
épileptiques et psychiatriques. Cette intrication est aussi évidente d’un point de vue
thérapeutique, avec l’utilisation grandissante des antiépileptiques en psychiatrie
(troubles bipolaires, trouble anxieux généralisé, schizophrénie, trouble addictif,
troubles du comportement alimentaire) ou encore l’efficacité
de l’électro-convulsivothérapie.
L’utilisation des critères diagnostiques définis dans les classifications
internationales des maladies psychiatriques (CIM-10 et DSM-5) est problématique
dans l’épilepsie. En effet, de nombreuses personnes épileptiques présentent
des symptômes psychiatriques sévères, invalidants, mais souvent atypiques
et spécifiques, qui échappent de ce fait aux critères standardisés. Ces troubles
spécifiques de l’épilepsie sont ainsi fortement sous-diagnostiqués. Le clinicien
doit être sensibilisé à cette question pour appréhender les manifestations
psychiatriques chez les personnes épileptiques, mais aussi, à l’inverse, pour chercher
une épilepsie chez un patient dont les symptômes psychiatriques sont atypiques.
84 | La Lettre du Psychiatre • Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2016
ÉDITORIAL
Une attention particulière doit être portée aux rapports temporels
entre les crises d’épilepsie et l’apparition des symptômes psychiatriques.
L’hypothèse d’un trouble iatrogène doit être aussi systématiquement envisagée.
Le clinicien doit ainsi connaître une classification spécifique des pathologies
psychiatriques dans l’épilepsie, qui distingue :
➤➤les troubles péri-ictaux : préictaux, ictaux, et postictaux
(en rapport chronologique direct avec les crises) ;
➤➤les troubles interictaux (sans rapport chronologique avec les crises) ;
➤➤les troubles iatrogènes.
Il est important de connaître certains tableaux cliniques, comme le syndrome
dysphorique interictal, les phobies spécifiques à l’épilepsie ou la psychose
postictale. Les crises non épileptiques psychogènes (CNEP) forment une entité
à part, trop méconnue, à la fois diagnostic différentiel de l’épilepsie et comorbidité
qui accompagne l’épilepsie. Les CNEP intéressent jusqu’à 20 % des patients
qui souffrent d’une épilepsie.
La reconnaissance de cette clinique psychiatrique spécifique est cruciale
pour améliorer la qualité de vie, l’efficacité thérapeutique et réduire le risque
suicidaire chez les patients souffrant d’épilepsie. Une prise en charge globale
et multidisciplinaire reste donc à développer en France : c’est cela, l’épi-psy. Il est
notamment nécessaire de lutter contre la peur de prescrire des psychotropes
à une personne épileptique, peur qui est fondée sur l’idée erronée que
les psychotropes abaissent le seuil épileptogène de manière cliniquement
significative. En cas de comorbidités psychiatriques, la prescription d’inhibiteurs
de la recapture de la sérotonine ou de certains antipsychotiques est nécessaire,
souvent indispensable et sans danger.
1. Thomas P, Biraben A,
eds. Épilepsie et psychiatrie.
Paris : Dunod, 2015 : 160 p.
C. Hingray déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts en relation
avec cet article.
L’épi-psy suscite de plus en plus d’intérêt. Épileptologues et psychiatres travaillent
désormais ensemble autour de cette problématique passionnante, qui a abouti
à la publication récente d’un ouvrage commun (1). Les collaborations se poursuivent,
avec le projet de rédaction de recommandations spécifiques de la Haute Autorité
de santé concernant les comorbidités psychiatriques dans l’épilepsie.
Dans ce dossier thématique, nous vous présentons plus en détail les différentes
formes de dépression, d’anxiété et de psychose dans l’épilepsie ainsi que les CNEP.
Alors, chères lectrices, chers lecteurs, excellente lecture et bonne découverte.
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