L`épi-psy : les troubles psychiatriques dans l`épilepsie

84 | La Lettre du Psychiatre Vol. XII - n° 4-5 - juillet-août-septembre-octobre 2016
ÉDITORIAL
Lépi-psy : les troubles psychiatriques
dans lépilepsie
Psychiatric disorders in epilepsy
Épi-psy’, pourquoi ce néologisme ? Nous souhaitons qu’il devienne
rapidement familier au sein de la communauté médicale. Lépi-psy
définit une interdiscipline moderne, qui porte sur les maladies à la fois
épileptiques etpsychiatriques, ou une sous-spécialité de la “neuropsychiatrie”,
cettediscipline médicale qui a disparu en1968. Lépi-psys’intéresse aux intrications
entre les maladies psychiatriques etl’épilepsie, à leurs spécificités sémiologiques
etthérapeutiques.
Lépilepsie est l’affection neurologique invalidante la plus fréquente après
les troubles démentiels. En France, elle concerne près de 1 % de la population.
Au moins 1patient sur3 souffrant d’épilepsie présentera au cours desavie
une pathologie psychiatrique, et jusqu’à 80 % des patients souffrant d’épilepsie
pharmacorésistante. Cette problématique est donc particulièrement fréquente.
Les études retrouvent des prévalences augmentées, en particulier pour lestroubles
de l’humeur, le suicide, les troubles anxieux et les troubles psychotiques.
Onsait, aujourd’hui, que l’existence d’une pathologie psychiatrique augmente
significativement le risque ultérieur de développer une épilepsie. Ainsi, lestroubles
psychiatriques peuvent précéder, accompagner et fortement compliquer
lessyndromes épileptiques. Ces comorbidités ont un impact considérable
entermes desouffrance psychique et de mauvaise qualité de vie. Leur présence,
desurcroît, est préjudiciable au contrôle des crises épileptiques parceque
l’efficacité etlatolérance des traitements antiépileptiques sont moins bonnes encas
decomorbidité psychiatrique non traitée.
Le lien qui unit épilepsies et pathologies psychiatriques est loin de navoir
qu’unecausalité unidirectionnelle dans laquelle les troubles psychiatriques
seréduiraient aux seules conséquences psychosociales de l’épilepsie. Enréalité,
ils’agit bel et bien d’une association. La relation entre pathologies épileptiques
et psychiatriques est bidirectionnelle, voire triangulaire −certains facteurs
physiopathologiques exposant les sujets à la fois à la survenue de manifestations
épileptiques et psychiatriques. Cette intrication est aussi évidente d’unpoint devue
thérapeutique, avec l’utilisation grandissante des antiépileptiques enpsychiatrie
(troubles bipolaires, trouble anxieux généralisé, schizophrénie, trouble addictif,
troubles ducomportement alimentaire) ouencore l’efficacité
de l’électro-convulsivothérapie.
L’utilisation des critères diagnostiques définis dans les classifications
internationales des maladies psychiatriques (CIM-10 et DSM-5) est problématique
dans l’épilepsie. En effet, de nombreuses personnes épileptiques présentent
dessymptômes psychiatriques sévères, invalidants, mais souvent atypiques
etspécifiques, qui échappent de ce fait aux critères standardisés. Ces troubles
spécifiques de l’épilepsie sont ainsi fortement sous-diagnostiqués. Le clinicien
doitêtre sensibilisé à cette question pourappréhender les manifestations
psychiatriques chez les personnes épileptiques, mais aussi, à l’inverse, pourchercher
uneépilepsie chez un patient dont les symptômes psychiatriques sont atypiques.
C. Hingray
Service de psychiatrie,
Centre psychothérapeutique
de Nancy (CPN), Laxou ; service
de neurologie, CHU de Nancy.
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Uneattention particulière doit être portée aux rapports temporels
entrelescrises d’épilepsie et l’apparition des symptômes psychiatriques.
L’hypothèse d’un trouble iatrogène doit être aussi systématiquement envisagée.
Le clinicien doit ainsi connaître uneclassification spécifique des pathologies
psychiatriques dans l’épilepsie, qui distingue :
les troubles péri-ictaux : préictaux, ictaux, et postictaux
(en rapport chronologique direct avec les crises) ;
les troubles interictaux (sans rapport chronologique avec les crises) ;
les troubles iatrogènes.
Il est important de connaître certains tableaux cliniques, comme le syndrome
dysphorique interictal, les phobies spécifiques à l’épilepsie ou la psychose
postictale. Lescrises non épileptiques psychogènes (CNEP) forment une entité
àpart, trop méconnue, àlafois diagnostic différentiel de l’épilepsie et comorbidité
quiaccompagne l’épilepsie. LesCNEP intéressent jusqu’à 20 % des patients
quisouffrent d’une épilepsie.
La reconnaissance de cette clinique psychiatrique spécifique est cruciale
pour améliorer la qualité de vie, l’efficacité thérapeutique et réduire le risque
suicidaire chez lespatients souffrant d’épilepsie. Une prise en charge globale
etmultidisciplinaire reste donc à développer en France : c’est cela, l’épi-psy. Ilest
notamment nécessaire de lutter contre la peur de prescrire despsychotropes
àunepersonne épileptique, peur qui est fondée sur l’idée erronée que
lespsychotropes abaissent le seuil épileptogène demanière cliniquement
significative. En cas de comorbidités psychiatriques, laprescription d’inhibiteurs
dela recapture de la sérotonine ou de certains antipsychotiques estnécessaire,
souvent indispensable et sans danger.
Lépi-psy suscite de plus en plus d’intérêt. Épileptologues et psychiatres travaillent
désormais ensemble autour de cette problématique passionnante, qui aabouti
àlapublication récente d’un ouvrage commun(1). Les collaborations sepoursuivent,
avec le projet de rédaction de recommandations spécifiques de la Haute Autorité
desanté concernant les comorbidités psychiatriques dans l’épilepsie.
Dans ce dossier thématique, nous vous présentons plus en détail les différentes
formes dedépression, d’anxiété et de psychose dans l’épilepsie ainsi que les CNEP.
Alors, chères lectrices, chers lecteurs, excellente lecture et bonne découverte.
1. Thomas P, Biraben A,
eds. Épilepsie et psychiatrie.
Paris : Dunod, 2015 : 160 p.
C. Hingray déclare ne pas avoir
deliens d’intérêts enrelation
avec cet article.
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