Module de Dynamique des Populations Modélisations des réseaux trophiques Professeur Patrice Francour [email protected] 04 92 07 68 32 Modélisation des systèmes complexes • systèmes complexes : systèmes (écosystèmes composés de nombreuses espèces en interaction) • pourquoi des modèles : historiquement, avant la compréhension de leur fonctionnement, ce qui était recherché était l’intérêt économique de leur exploitation • exemples pris, les pêcheries; intérêt économique = une espèce pêchée, économiquement intéressante • principale question posée : comment rentabiliser la pêche à long terme sans affecter la population ? Cela revient à se demander quel rendement d’exploitation une espèce peut supporter. Production (écologie) = Biomasse totale produite par les individus d’une population pendant un intervalle de temps = Production totale Production (pêcherie) = Partie de la production totale qui peut être exploitée par les pêcheurs sans affecter la régénération de chaque classe d’âge d’une population = Rendement Modélisation des systèmes complexes • comment répondre à cette question ? • modéliser la pêcherie d’une seule espèce, un stock • stock = regroupement d’individus d’une même espèce ayant même comportement alimentaire, même probabilité de croissance, de mortalité et même potentialité de recrutement • objectif : capturer la biomasse produite qui n’est pas nécessaire pour l’entretien des organismes • 2 grands types de modélisation des stocks, mais reposant sur les mêmes hypothèses Modélisation globale : dB/dt (variation de biomasse dans le temps) Modélisation analytique : R + G – (M + F) (facteurs influençant l’état du stock) R (recrutement), G (croissance), M (mortalité naturelle) , F (mortalité par pêche) principe de base commun : Y=F*B avec, Y (biomasse capturée) Modélisation des systèmes complexes • de nombreux modèles ont été développés • modèles globaux : Shaefer (1954), Fox (1970) • modèles analytiques : Beverton & Holt (1957), Gulland (1977), Ricker (1958) • régulièrement mis à jour et améliorés • la technique analytique vise à déterminer tous les paramètres R, G, M et F (+ Immigration et Emigration parfois); elle s’applique par cohorte (classe d’âge); les cohortes sont considérées indépendamment les unes des autres • la technique synthétique ou globale se fait pour l’ensemble du stock (pas de cohorte) et est donc moins exigeante en données de base; cela repose sur l’idée que les cohortes, dans la nature, sont rarement indépendantes entre elles. Modélisation des systèmes complexes Définitions : - Biomasse B : masse d’une population sur laquelle s’exerce l’exploitation - Effort de pêche : regroupe l’ensemble des moyens mis en œuvre pour une exploitation optimale (puissance et nombre de bateaux, matériel de pêche, techniques, durée des opérations…) - Recrutement R : nombre d’individus d’âge tc entrant dans la phase d’exploitation potentielle - Recrue (= capture) : poisson qui a atteint l’âge ou la taille de recrutement - Croissance G : variations de la taille moyenne d’un individu (longueur, poids) en fonction de l’âge - Mortalité Z : diminution de l’effectif d’une population attribuable à la mort naturelle ET aux captures par pêche Modèles analytiques Hypothèses : - F et M sont constants - les poissons d’une cohorte sont exploités en même temps - R est constant Calculs : - Rendement par recrue : Y/R = f(tc, F) Âge à la capture : dépend de la maille des filets Effort de pêche Beverton, Holt, Gulland : hypothèse sur la croissance (modèle Von Bertalanffy) Ricker : pas d’hypothèse sur la croissance Modèles globaux ou synthétiques Hypothèses : - approche toute cohorte confondue, sur au moins une dizaine d’années - la biomasse est maximale (B∞) au bout d’un temps infini; à ce moment là, dB/dt = 0 - la production est maximale quand la biomasse est la moitié de la biomasse infinie Calculs : - dB/dt = K * B (B∞ - B) K dépend du milieu Modèles globaux / analytiques Limites écologiques : - de nombreux autres modèles ont été développés/améliorés - tous possèdent les mêmes limites : notion de stock - ne tiennent donc pas compte des interactions entre espèces Les limites à la notion de stocks (Cheminée, Feunteun, Clerici, Cousin, Francour, 2014) Modèles globaux / analytiques Limites écologiques : - de nombreux autres modèles ont été développés/améliorés - tous possèdent les mêmes limites : notion de stock - ne tiennent donc pas compte des interactions entre espèces Evolutions : - prendre en compte le réseau trophique et les échanges et non pas un seul stock - d’autant plus important que les pêcheries sont complexes (pêches aux petits métiers en Méditerranée) - développement de modèles trophiques : les relations trophiques entre compartiments sont prises en en compte. Cela permet de comprendre réellement la structure des systèmes complexes … tout en répondant à des objectifs de gestion (exploitation par exemple) - importance des cascades trophiques (voir cours Ecologie) dans la structuration des systèmes - famille de modèles trophodynamiques : Ecopath, Ecotroph, Ecosim, Ecospace Modèles trophodynamiques Modèle simplifié de l’écosystème Modèles trophodynamiques Ecosystème méditerranéen classique. La simplification se fera notamment par regroupement des espèces en catégories (trophiques). A: sharks and rays B: monk seal C: birds D: piscivorous fishes E: cephalopods F: omnivorous fishes G: lobsters and crabs H: gastropods I: herbivorous fishes J: sea urchins K: errant polychaetes L: pycnogonids M: small crustaceans N: bryozoans O: hydroids P: anthozoans Q: zooplankton R: sponges S: bivalves T: tunicates U: sedentary polychates V: sipunculids W: holothurians X: nematodes Y: echiurids Z: insects Ea: erect algae Ta: turf algae Ca: coralline algae C: polyplacophorans De: detritus Lt: loggerhead turtle P: platyhelminths ph: phytoplankton Se: sea grasses S: starfish H: humans (Sala, 2004) Modèles trophodynamiques Modèle de base : ECOPATH - développé initialement par Polovina et al. (1984) puis par Christensen et Pauly (1992) - logiciel « user - friendly », téléchargeable gratuitement (www.ecopath.org); actuellement EwE (Ecopath with Ecosim); liens forts avec FishBase Modèles trophodynamiques Modèle de base : ECOPATH - développé initialement par Polovina et al. (1984) puis par Christensen et Pauly (1992) - logiciel « user - friendly », téléchargeable gratuitement (www.ecopath.org); actuellement EwE (Ecopath with Ecosim); liens forts avec FishBase - une « communauté » d’utilisateurs; dernière version octobre 2014 - environ 500 modèles à travers le monde; moins de 25 en Méditerranée (Colleter et al., 2013) Principe de base : - un groupe (boite) = un groupe fonctionnel - équilibre de masse pour estimer les flux - 2 équations de base, entre (P) ou au sein (C) d’un groupe : Production = Prédation + Pêche + Accumulation de Biomasse + Exports + Autres mortalités Consommation = Production + Respiration + Nourriture non assimilée (maladies, vieillesse,) Modèles trophodynamiques Groupes fonctionnels • • • • • • • un maximum de 100 composants et 20 pêcheries peuvent être inclus ; un des composants (au moins) doit représenter les détritus ; les similarités écologiques (même proies, même prédateurs) sont préférées aux affinités taxinomiques dans les groupement des espèces ; les composants sont aussi définis par la disponibilité de données ; l’effet de ne pas introduire un groupe important à cause d’un manque de données est pire qu’introduire des données approximatives ; tous les niveaux trophiques doivent être représentés à un niveau de détail similaire ; les bactéries peuvent être ignorées et considérées comme faisant partie des détritus. Modèles trophodynamiques Groupes fonctionnels • synthèse de la littérature • classement par TL puis par Lmax • première identification de groupes trophiques • limites affinées en fonction des régimes alimentaires • des groupes particuliers, monospécifiques, peuvent être retenus en fonction d’enjeux particuliers (les mérous ici pour Port-Cros) (Valls, 2009) (Valls, 2009) Modèles trophodynamiques Production = Prédation + Pêche + Accumulation de Biomasse + Exports + Autres mortalités Consommation = Production + Respiration + Nourriture non assimilée C5 Consommation, mortalités : • Qij la consommation = taux annuel • consommation d’un prédateur (B4) est la somme des consommations (ex. Q24 + Q34) • Mortalité d’une proie (un taux) Mij = Qij/Bi • Prise par pêche (un taux) Fi = Ci/Bi B5 Prises par pêche B4 Q34 Q35 B3 Q24 B2 Q13 Q12 B1 Modèles trophodynamiques Equation de base : Bi • P/Bi • EEi - ∑ (Bj • Q/Bj • DCij) - Yi = 0 Bi Bj P/Bi EEi Yi Q/Bj DCij = biomasse d’un composant proie « i » ; = biomasse d’un composant prédateur « j » ; = rapport production / biomasse du composant « i » = mortalité totale; Z = M + F ; = efficacité écotrophique du composant « i » ; la part utilisée par le système = prises des pêcheries du composant « i » = Fi • Bi ; = rapport consommation alimentaire / biomasse du composant « i » (voir définitions dans FishBase) ; = fraction du composant « i » dans la composition alimentaire de « j » (voir définitions dans FishBase). Résolution analytique des équations dans ECOPATH Modèles trophodynamiques Pi = taux de production de (i) Yi = taux de capture par pêche de (i) M2i = taux de prédation totale pour (i) Bi = biomasse de (i) Ei = taux d’exportation (émigration – immigration) BAi = taux d’accumulation de biomasse de (i) Pi(1-EEi) = autres mortalités pour (i) Très souvent Ei et BAi sont considérés comme = 0 (user manuel ECOPATH; ecopath.org) Modèles trophodynamiques Données nécessaires : Composant Bi P/Bi Q/Bi DCij Description biomasse production/biomasse consommation/biomasse composition alimentaire (« Diet Composition ») Unité (t • km-2)* (1 / an) (1 / an) (fraction) à noter : g.m-2 est équivalent à t.km-2 Il faut également EEi, l’efficacité écotrophique (la fraction de la production utilisée par le système); 0 ≤ EE ≤ 1. Dans EwE, il faut au moins 4 de ces 5 données; l’autre est calculée. Le plus souvent, c’est EE qui est calculée. Modèles trophodynamiques Estimations des paramètres : P/B = Z = F + M (an-1) La production biologique doit en effet compenser la mortalité totale Z (par pêche, F et naturelle, M) Q/B = 5.847 + 0.28 logZ – 0.152 logW∞ - 1.36T + 0.062A + 0.51H + 0.39d Modèle empirique, avec : Z = F+M W∞ = poids maximal à l’infini T = Température de l’eau de mer A = indice d’activité = h²/s H = herbivorie (1 chez les herbivores, 0 chez les autres) d = détritivorie (1 chez les détritivores, 0 chez les autres) h s Modèles trophodynamiques Estimations des paramètres : DC (diet composition) Composition alimentaire de l’espèce dominante, ou d’une espèce typique, ou une moyenne entre les espèces Détritus Tous les composants produisent des détritus; ce compartiment est donc obligatoire Niveaux Trophiques (TL) – calculés par le modèle (voir plus loin) Fixés par définition à 1 pour les végétaux, 2 pour les herbivores et les détritivores TLi = 1 + ∑ (TL j . DCij ) j Modèles trophodynamiques Développement du modèle : • Choix des groupes à considérer : selon les données disponibles, selon les objectifs (analyse d’une espèce en particulier), selon les ressemblances des régimes alimentaires • Entrée de toutes les données; si des données sont manquantes pour la zone considérée, utilisation de données de la littérature • Equilibrage du modèle : il faut que toutes les EE soient < 1 • Cela requiert du temps, de la patience et … du bon sens (nécessité de bien connaître la biologie et l’écologie des espèces) 22 modèles en Méditerranée; nombre de groupe variable; estimations par le modèle variables Modèle le plus complexe : 55 groupes L’échantillonnage de nombreux groupes posent des problèmes. Est-il alors possible de réduire ce nombre sans perdre de précision ? Testé sur le modèle de Port-Cros. Une agrégation selon les modèles D ou F produisent le moins de différences dans les résultats par rapport au modèle de base. Remarque : les modèles EwE sont également sensibles à la qualité des données (précision d’échantillonnage). L’optimisation peut se faire aussi à ce niveau. Modèles trophodynamiques Indices et Résultats du modèle : • indice de Pedigree : entre 0 et 1; indique la qualité du modèle • niveaux trophiques : calculés via les DC • niveau d’omnivorie : degré de spécialisation d’un prédateur (0 pour les spécialistes) • Keystoneness (degré d’importance comme espèce clé de voûte) • divers indices de maturité du système : indice d’omnivorie du système : complexité du réseau trophique ascendance : maturité du système index de Finn : degré de recyclage niveau trophique de la communauté Modèles trophodynamiques Réseau trophique du parc national de Port-Cros Modèles trophodynamiques Quantification relative des effets directs (prédation) et indirects (cascades trophiques) Modèles trophodynamiques (Colléter, Gascuel, Albouy, Francour, Tito de Morais, Valls, Le Loc’h, 2014) Modèles trophodynamiques Mesure de l’importance en tant qu’espèce clé de voute en fonction du niveau trophique Confirme par exemple le rôle important des céphalopodes comme groupe clé alors que peu de données existent sur le terrain (en Méditerranée) Modèles trophodynamiques Exportation possible de 2.6 t.km-2.an-1 Importance en termes de gestion de la pêche artisanale Exportation possible de 8.1 t.km-2.an-1 (Colléter, Gascuel, Albouy, Francour, Tito de Morais, Valls, Le Loc’h, 2014) Modèles trophodynamiques Simulations d’un effort de pêche et impact sur les différents niveaux trophiques (Ecotroph) Modèles trophodynamiques Niveaux trophiques Rendements Pêche Mortalité Pêche artisanale Mortalité Pêche artisanale Rendements Pêche (t.km-2.an-1) Mortalité Pêche à la ligne Pas de changement des prises si la pêche à la ligne est supprimée Mortalité Pêche à la ligne Augmentation du niveau trophique des prises si la pêche à la ligne est supprimée Valeur économique Modélisations des réseaux trophiques Que retenir (the take home message) ? • les systèmes sont complexes par nature : composés de nombreux éléments en interaction • alternative 1 : ne considérer qu’un seul « groupe » et développer une approche très précise • alternative 2 : accepter les simplifications et prendre en compte la totalité • pas de méthode « optimale », cela dépend des objectifs • les méthodes « énergétiques » ont l’avantage de prendre en compte un des fondements du fonction des systèmes : la circulation d’énergie • si les objectifs sont la gestion des ressources, il faut maintenant souvent prendre en compte non pas des systèmes écologiques mais des systèmes socio-écologiques complexes (Olstrom, 2009; Di Franco et al., 2014) Les facteurs de succès de la co-gestion Co-management (Di Franco, Bodilis, Piante, Di Carlo, Thiriet, Francour, Guidetti, 2013)