Monde et Société 97
absolus dont celui de choisir son
successeur, en publiant la Consti-
tution avant de soumettre le texte à
l'approbation du gouvernement
français, il était clair dans l'esprit de
Toussaint, le premier des Noirs, que
non seulement toute personne dans
la colonie était libre, mais aussi que
la colonie elle-même était
souveraine. Cependant, Toussaint
n'a pas eu le temps de voir son pays
évoluer selon son idéal de liberté,
d'égalité et de souveraineté. Deux
ans avant la promulgation de la
Constitution de 1801, Napoléon
Bonaparte prenait le pouvoir en
France et décidait de rétablir
l'esclavage dans les colonies.
2. La poursuite et l'étendue de
l'idéal de liberté
Suite à l'arrestation et la déportation
de Toussaint Louverture, résultats
de l'entêtement de Bonaparte de
ramener la colonie au statuquo
ante, l'armée rebelle s'est organisée
autour du général Jean-Jacques
Dessalines et a donné une autre
dimension à la lutte pour la liberté.
Les troupes françaises dirigées par
les généraux Victor Emmanuel
Leclerc puis Donatien Marie Joseph
de Rochambeau n'ont pu vaincre les
soldats de l'armée rebelle qui
entendaient « Vivre libre ou
mourir ». Le 1er janvier 1804, les
anciens esclaves ont proclamé leur
indépendance et fondé un État
souverain. La France a perdu sa
colonie7.
Les tentatives de réuni-
fication de l'île par les
premiers dirigeants haïtiens
n'étaient pas un projet impé-
rialiste, mais celui des pères
fondateurs
En principe, l'indépendance d'Haïti
contre la France devrait être effecti-
ve sur l'île entière qui a été réuni-
fiée par le traité de Bâle. Cela n'a
pas été le cas puisque des troupes
françaises s'étaient retranchées dans
l'ancienne partie espagnole de l'île
où l'esclavage a été rétabli en 1802.
Le général français Jean-Louis Fer-
rand, qui commandait ce territoire
bien avant l'indépendance d'Haïti, a
même osé publier un décret le 6
janvier 1805 annonçant que les Haï-
tiens qui traversaient la frontière
seraient réduits à l'esclavage. Aus-
si, contrairement à ce qu'affirme
l'intellectuel et homme politique
dominicain Joaquín Balaguer dans
La Isla al revés, les tentatives de
réunification des deux parties de
l'île par les premiers dirigeants
haïtiens n'étaient pas un projet
impérialiste8. Les pères fondateurs
ambitionnaient, en y faisant même
un vœu constitutionnel, de recou-
vrer l'ensemble du territoire d'Ayti
(nom indien de l'île), parce que
l'ancienne partie espagnole était
devenue un territoire français de-
puis 1795 et que ce territoire fonc-
tionnait selon l'ancien système
même après 1801 et 1804. L'his-
torien dominicain Jaime de Jesús
Dominguez reconnaît, de manière
assez lucide, que « l'un des bénéfi-
ces [de la réunification sous Boyer]
a été l'abolition de l'esclavage, le 9
février 1822 ». Dix-huit ans après
l'indépendance d'Haïti, il y avait
encore environ neuf mille esclaves
dans l'autre partie de l'île, selon les
estimations de Dominguez9.
C'était donc une obligation d'uni-
fier le territoire pour, d'une part,
enrayer la survivance de l'ordre
ancien et, d'autre part, consolider
l'indépendance. L'ostracisme
d'Haïti pendant la première moitié
du 19e siècle montre que les pères
fondateurs voyaient juste en redou-
tant de voir la France, l'Espagne ou
n'importe quelle autre puissance
utiliser la partie orientale de l'île
pour lancer une attaque qui mettrait
en péril la révolution des esclaves
qui elle-même avait terrassé le
système esclavagiste. Dans cette
perspective, Dessalines a poursuivi
la stratégie de Toussaint consistant
à étendre l'idéal de liberté et de
l'indépendance sur l'ensemble du
territoire avec la mer pour seule
frontière. En février 1805, Dessali-
nes, alors Jacques Ier, a décidé de
mettre le cap sur l'ancienne partie
espagnole de Saint-Domingue et,
avec ses généraux dont Henry
Christophe, il a défait les Français
dans plusieurs villes dominicaines.
25/3/1919 ː Quatre compagnies du 7ème Régiment de Marines embarquent vers Haïti pour appuyer
la Gendarmerie face aux dernières révoltes des Cacos.