Carcinoses péritonéales après cancer du sein : place de la

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La Lettre du Gynécologue - n° 297 - décembre 2004
a fréquence des métastases abdomino-pelviennes
d’origine mammaire – métastases digestives, ova-
riennes et carcinoses péritonéales secondaires – est
dépendante du type histologique.
Plusieurs études consacrées aux différences de comportement
métastatique des cancers du sein, selon qu’il s’agisse du type
canalaire infiltrant ou du type lobulaire infiltrant ont désigné
de manière concordante le tropisme préférentiel du lobulaire
pour les organes gastro-intestinaux, les organes génitaux
internes, les séreuses pleurales et péritonéales (1-3).
À la suite du travail princeps sur matériel nécropsique de Harris
publié en 1984 (4), relayé par Lamovec en 1991 (5), les études
cliniques rétrospectives ont confirmé ce génie métastatique parti-
culier (6-8). Plusieurs explications ont été suggérées : perte
d’expression d’une molécule d’adhésion cellulaire (Cadherine
D), déficit en fibronectine sur la bordure stromale épithéliale,
richesse en cellules épithéliomateuses mucipares dites “en bague
à chaton“ (9, 10).
En toute logique, la cœlioscopie a été proposée dans le bilan
d’extension métastatique des cancers du sein, face à l’apparition
d’une ascite (11, 12), de masses annexielles (13, 14), mais aussi
en l’absence de toute symptomatologie, devant une élévation
inexpliquée des marqueurs sériques CA 153 et/ou CA 125 (2, 15).
Cependant, la survenue d’une carcinose péritonéale après cancer
du sein ne correspond pas systématiquement à une carcinose péri-
tonéale secondaire d’origine mammaire, de même qu’un cancer
de l’ovaire développé chez une patiente ayant un antécédent per-
sonnel de cancer du sein ne correspond pas systématiquement à
un phénomène métastatique mais, probablement, à une seconde
maladie néoplasique primitive (16, 17).
Dans ces conditions, il convient d’obtenir la preuve anatomopatho-
logique de la nature de toute carcinose péritonéale survenant après
cancer du sein puisque les solutions thérapeutiques divergent ;
c’était l’objectif de ce travail d’évaluer l’intérêt diagnostique de
l’exploration cœlioscopique dans ce contexte carcinologique.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Il s’agit d’un travail rétrospectif monocentrique (1991-2003)
portant sur 21 dossiers cliniques histologiquement documentés
de carcinose péritonéale développée après cancer du sein.
Les situations de métastases ovariennes et péritonéales révéla-
trices d’un carcinome mammaire n’ont pas été incluses, de même
que les situations multimétastatiques inaugurales et les ascites
liées à des métastases hépatiques. Les masses pelviennes ou
abdomino-pelviennes et les occlusions intestinales sur obstacle
qui ont été abordées par laparotomie d’emblée n’ont pas été rete-
nues non plus dans ce travail dédié à la cœlioscopie.
Sur le plan histologique, les cancers du sein initiaux étaient neuf
fois de type canalaire infiltrant (CCI), huit fois de type lobulaire
infiltrant (CLI), deux fois mixtes (CCI + CLI), une fois médul-
laire et une fois indifférencié. Il existait un envahissement gan-
glionnaire axillaire (N+) dans 12 cas, mais, répétons-le, aucune
atteinte métastatique à distance, osseuse ou viscérale, lors de la
prise en charge investigatrice par cœlioscopie.
Quatre malades avaient d’autres antécédents néoplasiques :
mélanome de l’épaule controlatérale au cancer du sein, cancer
bronchique à petites cellules, tumeur de Grawitz du rein, can-
cer de l’ovaire avec prédisposition oncogénétique affirmée
(mutation BRCA1).
Par ailleurs, un antécédent d’hystérectomie totale avec
annexectomie bilatérale pour lésion bénigne (fibrome utérin)
était noté dans deux observations.
En date de la cœlioscopie, l’âge moyen des malades était de 58 ans
(extrêmes 41-65), l’intervalle de temps écoulé depuis la chirur-
gie du sein était en moyenne de 7 ans (extrêmes 1-17).
La symptomatologie était une ascite clinique ou échogra-
phique dans quatorze cas, associée à une pleurésie dans cinq
cas, à une urétérohydronéphrose unilatérale dans quatre cas.
En ce qui concerne les sept autres cas asymptomatiques, l’indi-
cation de cœlioscopie reposait sur une augmentation vérifiée
du taux sérique des marqueurs tumoraux antigéniques CA 153
et/ou CA 125, alors que l’enquête classique utilisant radiogra-
phie pulmonaire, échographie hépatique et scintigraphie
osseuse était infructueuse (tableau I).
Le bilan cœlioscopique comprenait le recueil du liquide périto-
néal dans le cul-de-sac de Douglas pour examen cytologique
(par lavage si besoin) et des biopsies multiples de topographie
variable, opportunistes, selon les constatations opératoires :
biopsies péritonéales, omentales, ovariennes, sachant que
l’annexectomie bilatérale était pratiquée chaque fois que tech-
niquement réalisable, en l’absence d’adhérences ou d’accole-
ments sur le tractus intestinal.
Certaines précautions techniques ont été observées compte
Carcinoses péritonéales après cancer du sein :
place de la cœlioscopie
G. Le Bouëdec, S. Cerisier, P. Gimbergues, C. Darq, C. Dalle, J. Dauplat*
*Centre Jean-Perrin (Centre régional de lutte contre le cancer), 58, rue
Montalembert, BP 392, 63011 CLermont-Ferrand Cedex 1.
Peritoneal carcinomatosis following breast cancer: the role of laparoscopy
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ISE AU POINT
tenu du caractère néoplasique des lésions : limitation du
nombre et du calibre des trocarts instrumentaux, introduction
atraumatique perpendiculaire à la paroi, extraction enveloppée
des prélèvements biopsiques dans un sac étanche, exsufflation
du gaz CO2 trocarts en place, fermeture du plan aponévrotique
des orifices après toilette bétadinée, etc. Avant de considérer la
procédure comme satisfaisante, l’opérateur se faisait préciser
en direct par le laboratoire d’anatomopathologie que le maté-
riel tissulaire biopsique était représenté en quantité suffisante.
RÉSULTATS
La cytologie péritonéale était positive dans quinze cas, néga-
tive dans quatre cas, suspecte dans deux cas. Cependant la pré-
sence de cellules adénocarcinomateuses restait d’origine orga-
nique indéterminée.
Pour les observations les plus récentes, des tests immunohisto-
chimiques ont été appliqués : E-cadhérine qui désignerait du
carcinome de type canalaire infiltrant, cytokératine qui dési-
gnerait plutôt le carcinome de type lobulaire infiltrant. Ces
immunomarquages ont été faiblement positifs et donc non
contributifs…
Les analyses anatomopathologiques des divers prélèvements
biopsiques ont permis de distinguer :
– 13 carcinoses péritonéales secondaires du cancer mammaire
(7 CLI, 4 CCI, 2 de type non précisé) ;
– 1 carcinose métastatique d’un cancer bronchique à petites
cellules dites “en grains d’avoine” ;
– 6 adénocarcinomes primitifs de l’ovaire (dont 1 reconnu a
posteriori grâce aux relectures après échec de chimiothérapie
AVCF) ;
– 1 adénocarcinome primitif de la trompe de Fallope.
La confrontation des résultats biopsiques obtenus par cœlio-
scopie dans la cavité abdominopelvienne avec les types histo-
logiques distincts des cancers du sein connus est synthétisée
dans le tableau II : 7 carcinoses péritonéales développées
après CLI sur 8 étaient de nature métastatique mammaire alors
que 5 carcinoses péritonéales après CCI sur 9 étaient de nature
oncogynécologique primitive, quatre fois ovarienne et une fois
tubaire.
Une conversion immédiate en laparotomie a été pratiquée dans
quatre circonstances : en raison d’une contrainte peropératoire
(plaie du grêle rigidifié par infiltration linitique extrinsèque),
en perspective intentionnelle d’une chirurgie d’exérèse opti-
male ou complète pour cancer primitif de l’ovaire profitant de
l’établissement du diagnostic à l’analyse extemporanée dans
trois autres cas.
Les suites opératoires ont été simples, en dehors de la plaie
grêlique mentionnée plus haut, à l’exception d’une greffe néo-
plasique sur trajet de trocart, développée cinq mois après la
cœlioscopie.
Les données en termes de survie ne sont qu’indicatives : 11
patientes sont vivantes, mais avec un recul insuffisant pour la qua-
lité de l’évaluation pour 6 d’entre elles (recul inférieur à 2 ans).
Soulignons un cas de survie sans récidive supérieure à 8 ans pour
l’adénocarcinome tubaire primitif et un cas de survie à 7 ans pour
une carcinose péritonéale secondaire d’origine lobulaire nécessi-
tant des chimiothérapies itératives. Dix patientes sur 21 sont décé-
dées : 5 dans les 2 ans et 5 entre 2 et 5 ans qui suivirent le dia-
gnostic de carcinose péritonéale établi par cœlioscopie.
DISCUSSION
Les métastases abdominopelviennes d’origine mammaire, méta-
stases ovariennes et carcinoses péritonéales ne s’inscrivent pas
forcément dans un contexte multimétastatique (2, 10, 15).
La survie est fonction de l’existence ou de l’absence d’autres
localisations secondaires. Dans notre expérience, la médiane
de survie est inférieure à 6 mois en cas de maladie plurimétas-
tatique, dans celle de Barakat la médiane de survie atteint 19
mois. En revanche, lorsque la carcinose péritonéale semble
isolée, la médiane de survie atteint 24 mois dans notre expé-
rience et 36 mois dans celle d’Eitan et Barakat (14, 15).
La cœlioscopie – via les biopsies optiquement dirigées –
constitue le meilleur moyen d’investigation des maladies péri-
tonéales émaillant l’évolution d’un cancer mammaire (2, 13).
Les risques de métastases orificielles après cœliochirurgie sur
ce terrain ne sont pas négligeables (18). Plusieurs mécanismes
paraissant intriqués expliquent l’apparition d’implants néopla-
siques au niveau des trajets de trocart : la mobilisation cellu-
laire, le traumatisme chirurgical, le phénomène d’aérosol
induit par le pneumopéritoine, l’effet du CO2 sur la proliféra-
tion cellulaire, la souillure des orifices d’extraction… Les
mesures de prévention proposées sont applicables dans les cir-
constances particulièrement favorisantes de carcinoses périto-
Cas CA 153 CA 125 Étiologie néoplasique
n°1 56 47,7 sein
n°2 733 52,5 sein
n°3 244 584 sein
n°4 16 520 ovaire
n°5 141 2293 sein
n°6 193 132 sein
n°7 45 141 sein
Dosages immunohistochimiques exprimés en UI/ml.
Tableau I. Taux sériques des marqueurs tumoraux des sept cas
asymptomatiques. Types de cancers mammaires
CLI CCI Mixte Autre
n = 8 n = 9 n = 2 n = 2
Âge moyen/sein 53 50 52 50
N+ axillaire 5 4 2 1
Délai d’apparition
(années) 6,5 6,8 7,5 5,5
Carcinose
secondaire (sein) n = 7 n = 4 n = 2 n = 0
Carcinome primitif
(ovaire) n = 1 n = 4 n = 0 n = 1
Autre étiologie
– cancer bronchique n = 1
– cancer tubaire n = 1
Tableau II. Série rétrospective de 21 cœlioscopies (2003-1991).
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néales avec ascite ; nous insisterons sur la limitation des manipu-
lations et fragmentations biopsiques, la protection par ensachage
du matériel tissulaire extrait, la précocité de la mise en œuvre de
la chimiothérapie systémique (7 à 8 jours postcœlioscopie).
Après obtention anatomopathologique du caractère secondaire
(sein) ou primitif (ovaire) de l’événement, la prise en charge thé-
rapeutique adéquate peut être envisagée, avec instauration le cas
échéant d’une chimiothérapie dans des délais brefs. La prescrip-
tion d’une chimiothérapie probabiliste à orientation mammaire
eut été préjudiciable dans plus d’un tiers des cas de notre série.
En effet, l’hypothèse d’un cancer primitif de l’ovaire après
cancer du sein, donc d’une carcinose péritonéale d’origine
ovarienne après cancer du sein n’est pas improbable (tableau
III). Plusieurs auteurs (16, 19, 20) ont enregistré davantage de
cancers primitifs que de cancers secondaires de l’ovaire dans
ce contexte oncologique précis.
Dans les deux principales séries cliniques l’étiologie métasta-
tique ne représentait que 13 à 38 % des cas de syndrome tumo-
ral ovarien avec ou sans épanchement ascitique (16, 19). Chez
les malades affectées d’un cancer du sein, l’apparition d’une
tumeur suspecte de l’ovaire – comme l’apparition d’une carci-
nose péritonéale avec ascite – n’est donc pas synonyme d’évo-
lution métastatique (10).
Pour Curtin et al. (19), l’éventualité d’un cancer primitif annexiel
– ovarien ou tubaire – est trois fois plus probable que celle d’une
métastase ovarienne. Pareillement pour Le Thai et al. (16) : la
proportion de cancers ovariens primitifs (62 %) est nettement
supérieure à celle des métastases mammaires (38%).
La découverte d’un cancer primitif de l’ovaire n’est pas un
événement rare après cancer du sein (21-23) ; selon Schenker,
elle concernerait 9 % de la population des femmes traitées
pour cancer du sein (in 10).
Les marqueurs antigéniques CA 153 et CA 125 font partie de
la surveillance biologique des cancers du sein et de l’ovaire,
respectivement. Dans des circonstances pathologiques compa-
rables aux nôtres, Le Thai et al. (16) ont noté que l’association
d’un taux de CA 153 normal et d’un taux de CA125 élevé
dénonçait des cancers ovariens primitifs alors que l’élévation
conjointe des deux marqueurs n’était pas contributive au dia-
gnostic différentiel entre la nature primitive ou secondaire
d’une tumeur de l’ovaire survenant après cancer du sein.
Dans notre expérience, parmi les 7 cas de carcinoses périto-
néales asymptomatiques détectés grâce à l’augmentation signi-
ficative des marqueurs, le seul cas dissocié (CA 153 normal/
CA 125 élevé) correspondait sur le plan histologique à un can-
cer primitif de l’ovaire.
Inversement, la dissémination péritonéale isolée d’un carci-
nome lobulaire infiltrant du sein rapportée par Fondrinier (2)
avait été diagnostiquée par cœlioscopie en l’absence de symp-
tomatologie clinique en présence d’une élévation décalée des
marqueurs : une discrète élévation du CA 153 (37 UI/ml) avait
précédé celle du CA 125, ensuite l’élévation confirmée du CA
153 était restée supérieure à celle du CA 125, à savoir 303 UI/ml
versus 52 UI/ml.
Le manque de spécificité du CA 125 est encore illustré ici par
sa constante élévation dans chaque carcinose péritonéale
qu’elle qu’en soit l’étiopathogénie.
Comme aucun argument clinique, radiologique, biologique et
même cytologique ne permet d’affirmer la nature secondaire
ou primitive d’une carcinose péritonéale après cancer du sein,
la cœlioscopie diagnostique nous semble justifiée, pour docu-
mentation anatomopathologique sur biopsie dirigée.
En revanche la chirurgie par laparotomie est indiquée quand il
existe de volumineuses masses tumorales abdominopelviennes
(tumeur de Krükenberg, gâteau omental, obstruction intestinale,
etc.), chirurgie essentiellement palliative (14, 15, 24-26).
L’algorythme proposé (figure 1) tient compte de la symptomato-
logie fonctionnelle, mais aussi du statut métastatique général.
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Curtin (19) 1994 60 44 16
Chalas (20) 1995 27 17 10
Mc Gonigle (21) 1999 26 10 16
Hann (22) 2000 14 7 7
Tableau III. Cancer de l’ovaire après cancer du sein. Revue de littéra-
ture.
Figure 1. Algorythme pragmatique. Carcinose péritonéale après can-
cer du sein.
BILAN D'EXTENSION
CA 153
CA 125
ASCITE MASSE OCCLUSION
+
CŒLIOSCOPIE
LAPAROTOMIE EXPLORATRICE
CHIMIOTHÉRAPIE
HORMONOTHÉRAPIE
RÉDUCTION
TUMORALE
RÉSECTION
INTESTINALE
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