LA CONTAMINATION PAR LE VIRUS DU SIDA
DEVANT LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF 1
Wahid FERCHICHI
Docteur en Droit, assistant à la
Faculté de Droit de Sfax
« Lorsque la vie s’éclipse devant
un sursis qui précède l’échéance, la
souffrance et la mort, il y a
forcement une injustice à vouloir
défendre un risque moyen. Le cri
des transfusés comme celui de tous
les séropositifs ne ressemble pas à
un merci »2.
INTRODUCTION
La contamination par le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH), dans le cadre des établissements de Santé Publique, pose un grand
nombre de problèmes qui sont liés au Droit et à sa capacité d’intégrer des
faits nouveaux et de suivre l’évolution scientifique et notamment
médicale.
A ce niveau, le Droit tunisien n’a pris en considération le virus du
SIDA, qu’en 1992. Dans cette année, la loi relative aux maladies
sexuellement transmissibles a été adoptée3. Il en est de même en ce qui
1 Ce travail a été réalisé avec l’aimable aide de Mme Donia BEN ROMDHAN, juge
au Tribunal Administratif.
2 Jean-Yves GANNAC, Information et responsabilité des autorités publiques dans la
contamination des hémophiles, RFDA, 10 (3), mai-juin 1994, p. 549.
3 Loi n°92 71 du 27 juillet 1992, JORT n°50 du 31 juillet 1992.
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concerne les textes relatifs à la transfusion sanguine4. Mais les cas de
contamination par le V.I.H avaient eu lieu longtemps avant 1992. C’est
en fait au milieu des années 1980 que les cas de séropositifs ont été
découverts.
Devant cette carence législative, le juge administratif a été saisi en
matière de contamination et ce à deux reprises et pour deux cas de
contamination très différents5. Le juge est dans l’obligation de statuer sur
l’affaire du sang contaminé alors qu’il n’y a eu aucun cas avant 1999.
Devant la nouveauté de la matière, la particularité de la maladie et surtout
l’absence d’un cadre juridique spécifique, les problèmes posés au juge
administratif étaient nombreux :
- Qui est le responsable de la contamination ?
- Quel sera le fondement de la responsabilité en matière de
sang contaminé ?
- A partir de quelle date doit-on retenir la responsabilité ?
- Quel préjudice réparer ?
La tâche du juge administratif n’était pas aisée. En effet, l’acte
médicale et notamment la transfusion sanguine est complexe du fait
qu’elle permet l’intervention de différentes personnes publiques : l’Etat,
par le bais du ministère de la Santé Publique6, qui demeure l’expression
4 En cette année le décret n°83-967 du 20 octobre 1983 organisant les centres de
transfusion sanguine (JORT n°69 du 28 octobre 1983) a été modifié par le décret
n°92-116 du 13 janvier 1992, abrogé aujourd’hui par le décret n°98-18 du 5
janvier 1998, JORT n°5 du 16 janvier 1998.
5 Il a été saisi en appel pour une contamination à travers une transfusion sanguine
dans un établissement public hospitalier par les héritiers de la victime qui est
décédée suite à sa contamination. Il s’agit de la décision rendue par la 3ème
chambre d’appel du Tribunal Administratif (T.A), dans l’affaire n°2192 du 16
avril 1999, Ministre de la Santé Publique c/ Héritiers Mustapha Ben Chadli
Yaccoubi (non publié). Le T.A a été saisi en référé dans le cadre de la
contamination d’un hémophile par le virus du SIDA (Jugement rendu par la 5ème
chambre d’appel au TA affaire n°23347 du 25 mai 2001 Ministre de la Santé
Publique c/ Aîcha Lourimi c (non publié). Mais en attend encore la décision du TA
sur le fond qui sera prononcée le 10 mai 2002.
6 Le ministère a été organisé par le Décret n°74604 du 28 novembre 1974, relatif
aux attributions et à l’organisation du ministère de la santé publique, JORT du 3
décembre 1974, p. 2653. Ce décret a été remplacé en ce qui concerne
l’organisation du ministère par le décret n°81-793 du 9 juin 1981, portant
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la plus nette de l’existence d’un service public de santé. Ainsi, et au
termes de niveaux d’exécution du service public, le ministère de la Santé
assure la responsabilité suprême du service de la santé7. Il relève de sa
compétence de contrôler les opérations relatives à la santé publique et
entre autres la transfusion sanguine. Il en est de même pour ce qui est des
centres de transfusion sanguine et notamment le Centre National8 qui a le
monopole des opérations de collecte du sang et qui a pour mission
d’assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement , le
conditionnement des dons de sang et de surveiller leur qualité.
L’intervention de l’établissement public hospitalier est aussi importante.
C’est au sein de ces établissements que les cas de contamination avaient
eu lieu. Cette multitude d’intervenants se renforce et se complique
d’avantage lorsqu’il s’agit de produits sanguins (notamment Le Facteur
VIII) importés auprès d’établissements étrangers.
La question se pose donc : au niveau de quel maillon de cette
chaîne se situe le responsable de la contamination par le VIH ? Pour des
raisons multiples, le juge administratif a retenu la responsabilité de l’Etat,
écartant de ce fait une éventuelle co-responsabilité.
Mais sur quelle base déclare-t-on l’Etat responsable en matière de
sang contaminé par le VIH ?
Dans une atmosphère dominée par la responsabilité pour faute et
notamment la faute de service, où la victime se tourne non vers un agent
de l’Etat mais, vers le service de son ensemble, le juge administratif,
considère la contamination issue de la transfusion sanguine, tant qu’il
organisation des services de l’administration centrale du ministère de la Santé
Publique. JORT n°40 du 12 juin 1981, p. 1405.
7 Pour ce qui est des niveaux d’exécution du service public voir, A-S.
Mescheriakoff, Droit des services publics, P.U.F 1991, p. 262.
8 Le Centre National de Transfusion Sanguine a été créé sous forme d’établissement
public, par l’article 14 de la loi n°63-58 du 31 décembre 1963, portant loi de
finances pour 1964, JORT du 31 décembre 1963. Alors que la loi n°82-26 du 17
mars 1982 a organisé la transfusion sanguine, JORT n°19 du 19 mars 1982. De
même, c’est le décret n°83-967 du 20 octobre 1983 qui a organisé les
établissements de transfusion sanguine (JORT n°69 du 28 octobre 1983) a été
modifié par le décret n°92-116 du 13 janvier 1992, abrogé aujourd’hui par le
décret n°98-18 du 5 janvier 1998, JORT n°5 du 16 janvier 1998.
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s’agit d’acte médical au sein d’un établissement public hospitalier, une
faute de service. Adoptant ainsi, et selon l’expression de H. Dupeyroux,
« la théorie de l’anonyme et inconnu, faute collective où les
responsabilités de chacun se fondent et disparaissent »9.
Mais, la responsabilité pour faute doit respecter certaines
caractéristiques, et la preuve de la faute doit être apportée par la victime.
A ce niveau, et dans un souci de privilégier les victimes, le juge
administratif a retenu la présomption de la faute comme fondement de la
responsabilité en matière du sang contaminé. Dans son choix de la
présomption, le juge présume aussi l’existence d’un lien de causalité
entre le dommage subi, la contamination par le VIH et la transfusion
subie dans l’établissement public hospitalier, et renverse la charge de la
preuve.
Il s’agit en fait d’un système de présomption, le juge administratif
présume d’une part l’existence d’une faute de service, à savoir un acte
entraînant un dommage. D’autre part, il présume le lien de causalité en se
basant sur un ensemble d’indices qui ne peuvent, si pris isolément,
justifier ce lien de causalité. Ainsi, et comme l’écrit Michel Paillet « si le
juge ne va pas la plupart du temps jusqu’à exiger que l’administration
ait eu une connaissance réelle du dommage, c’est-à-dire qu’elle ait été
informée avec certitude que l’événement dommageable allait se produire,
son appréciation repose sur la probabilité de cet événement »10. Ce
système de présomption a permis au juge de répondre à la question
relative à la période où l’autorité administrative est reconnue responsable
des dommages causés par le sang contaminé. La réponse du tribunal,
même si n’est pas précise, permet de conclure que la période de
responsabilité coïncide avec la période de l’importation du sang
contaminé. Ainsi et pour des raisons d’équité le juge administratif a
élargi cette période permettant de sorte d’indemniser l’ensemble des
personnes contaminées dans les établissements publics hospitaliers. Nous
allons donc, consacrer nos propos en matière de responsabilité du fait du
sang contaminé par le VIH à ce système de présomption établi par le juge
administratif. Retenons ainsi, la présomption de la faute elle même
9 Faute personnelle et faute de service, Thèse, 1922, p. 213, cité par J-Y. Gannac,
op. cit., p. 548.
10 La faute de service public en droit administratif, LGDJ, 1980, p. 33.
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(Première Partie) et la présomption du lien de causalité (Partie
Deux)11.
PREMIERE PARTIE
LE JUGE ADMINISTRATIF PRESUME LA FAUTE
EN MATIERE DE TRANSFUSION DU SANG
CONTAMINE.
Le Tribunal Administratif considère que la contamination de la
victime par le VIH dans un établissement public hospitalier constitue une
faute présumée de la part de cet établissement et ce en « considérant qu’il
ressort du dossier de l’affaire, une série de preuves affirmant la
responsabilité de l’administration sur la base de la faute présumée que
l’administration n’a pas pu infirmer »12. Ainsi, le juge administratif
continue à asseoir la responsabilité médicale sur le système de faute en
général (A) et la faute présumée en particulier (B).
A- La contamination par le VIH correspond à une faute de
service
Survenue dans un établissement public hospitalier, la
contamination par le VIH correspond à une faute de service. Ceci ressort
de l’acceptation du tribunal de statuer sur l’affaire. D’autant plus que ce
dernier, en condamnant l’Etat à indemniser les ayant droits de la victime
n’a pas prévu pour l’administration le droit de recourir à une action
récursoire contre l’agent fautif.
Le Tribunal Administratif ne semble pas rompre avec sa
jurisprudence antérieure, bien au contraire, il n’a fait que confirmer cette
jurisprudence, que ce soit au niveau de la conception de la faute de
service qui demeure large (1) au niveau du type de faute consistant dans
11 Nous écartons de ce fait l’étude de l’indemnisation qui n’a pas soulevé des
spécificités en la matière, du moins dans le cadre de l’affaire du sang contaminé du
16 avril 1999, en attendant la décision du TA relative à la contamination d’un
hémophile prévue pour début mai 2002.
12 T.A. Jugement du 16 avril 1999, op. cit. non publié.
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