La zone euro est-elle dans une trappe à liquidité

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N°22
DÉCEMBRE 2013
ECONOTE
Société Générale
Département des études économiques
LA ZONE EURO EST-ELLE DANS UNE TRAPPE À LIQUIDITÉ ?

Une économie bascule dans une « trappe à liquidité » lorsque la
politique monétaire conventionnelle devient inopérante du fait de taux
d'intérêt à court terme proches de zéro. Près de cinq ans après l’éclatement
de la crise financière internationale, la Banque centrale européenne (BCE) a
abaissé ses taux directeurs à un niveau proche de zéro, mais l'économie de
la zone euro continue de produire bien en-deçà de sa capacité.

La zone euro souffre d’un manque de demande. Celui-ci peut être
attribué aux politiques d'austérité menées, mais il peut être également
symptomatique d’une trappe à liquidité. Lorsque la crise du crédit a éclaté
en 2007, l'arrêt brutal des entrées de capitaux privés dans les pays de la
périphérie a contraint les agents à un désendettement rapide. Or, un choc
de désendettement peut plonger l'économie dans une situation où la baisse
du taux d'intérêt nominal à zéro ne permet pas de sortir de la récession.

La BCE a massivement recouru à des mesures de politique
monétaire dites « non conventionnelles », en injectant des montants record
de liquidités dans le système bancaire, qui se sont révélées incapables de
relancer le crédit et la croissance. L'inefficacité du canal du crédit bancaire –
une caractéristique de la trappe à liquidité – est largement imputable à la
fragilité des bilans des banques et des entreprises en Europe périphérique.

Comme l’a montré le Japon, une économie tombée dans une trappe
à liquidité ne reprend pas automatiquement le chemin de la croissance. La
décennie de stagnation économique qu'a connue ce pays dans les années
1990 a suscité un vif débat parmi les économistes sur la façon dont une
banque centrale peut stimuler l'économie une fois ses taux directeurs
abaissés à zéro. Des formes audacieuses d'assouplissement monétaire ont
été évoquées comme : 1) relever la cible d'inflation, ou 2) taxer la monnaie.
Marie-Hélène DUPRAT
+33 1 42 14 16 04
[email protected]
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
Depuis 2010, deux crises (au moins) ont menacé
l'existence même de l'euro : 1) une crise de confiance,
qui a conduit à des attaques spéculatives
autoréalisatrices sur les obligations des pays
périphériques de la zone euro, susceptibles à elles
seules de précipiter l’effondrement de l'Union
monétaire, et 2) une crise de croissance qui a créé une
spirale négative entre chômage et endettement. La
première menace a été considérablement réduite grâce
à l’OMT (« Outright Monetary Transactions ») de la BCE
(annoncé en septembre 2012), qui est un programme
d'achats
potentiellement
illimités
d'obligations
souveraines sur le marché secondaire1. En faisant
savoir que sa capacité de financement illimitée serait
mobilisée si besoin, la BCE a fortement réduit la
vulnérabilité de la zone euro à une panique
autoréalisatrice. Mais le déficit de croissance reste un
problème critique.
Le niveau du PIB réel dans les pays d'Europe
périphérique était toujours, au deuxième trimestre
2013, bien inférieur au pic enregistré avant la crise. Au
cours des cinq dernières années, les niveaux de
prospérité ont considérablement chuté dans les pays
du sud, et les perspectives de croissance restent
atones. À l’image du Japon des années 1990, la zone
euro court le risque de connaitre une « décennie
perdue » de stagnation économique et de production
très inférieure au potentiel2.
LE « CHOC DE DÉSENDETTEMENT »
LE SPECTRE D'UNE « DÉCENNIE
PERDUE »
La zone euro est sortie d'une récession longue de 18
mois au deuxième trimestre 2013, grâce à une
amélioration de l’activité manufacturière. Mais la
reprise reste insuffisante pour résoudre les multiples
problèmes de la zone, notamment la progression
continue de l'endettement et un taux de chômage
record.
Lorsque la crise financière mondiale a éclaté en 2007,
une décennie de « boom » de la demande intérieure
dans la zone euro s'est soudainement interrompue. La
confiance s'est évanouie, la liquidité s’est évaporée. Et
quand, fin 2009 – début 2010, l'ampleur du désastre
des finances publiques grecques a été mise au jour,
l'Europe a connu son « moment Minsky » (c.-à-d. une
révision à la baisse brutale des niveaux de dette
supportables, laquelle a imposé un désendettement
massif). Les niveaux d'endettement, considérés
comme acceptables la veille de l'annonce de la
situation budgétaire réelle de la Grèce, sont devenus,
tout à coup, intenables aux yeux des investisseurs. Les
spreads des pays périphériques de la zone euro ont
explosé, comme la perception du risque de défaut.
2
1
Aucun pays n'a encore eu recours aux OMT.
Il existe de grandes différences entre le Japon et l'Europe. Tout
d'abord, le taux de chômage au Japon n'a jamais égalé le niveau
actuellement atteint en Europe. En outre, le Japon souffre d'un
phénomène de déflation chronique, alors que l'inflation en Europe
est toujours en territoire positif.
2
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
long, lent et difficile, qui prend des années voire des
décennies.
Dans ce contexte, les pays du sud de l'Europe ont dû
mettre en place des programmes de consolidation
budgétaire draconiens afin de diminuer les ratios de
dette par rapport au PIB, améliorant ainsi la
« soutenabilité » de leur dette. Cependant, à
l'exception de la Grèce, la crise des pays de la zone
euro ne provient pas d’abord de l’excès de dépenses
publiques. Avant la crise financière de 2008, la dette
publique de l'Espagne et de l'Irlande était faible, et en
2006 et 2007, ces deux pays affichaient même un léger
excédent budgétaire. Le problème de ces deux pays
n'était pas alors la dette publique, il résidait dans une
accumulation insoutenable de dette privée détenue par
des
investisseurs
étrangers.
En
raison
de
l'assouplissement des contraintes de financement
externe qui a suivi l'adoption de l'euro, l'Espagne,
l'Irlande, la Grèce et le Portugal ont connu un boom du
crédit sans précédent, qui a engendré un excès
considérable de dette dans le secteur privé.
Il n’en demeure pas moins que, quelles que soient les
causes de la crise de la dette, les conséquences de la
crise financière mondiale ont été les mêmes pour tous
les pays affectés : l’« arrêt brutal » des entrées de
capitaux privés étrangers a contraint les débiteurs
(publics et privés) à réduire massivement leurs
dépenses3. Mais le désendettement est un processus
3
Le surendettement n'est pas l'apanage de la zone euro, mais un
mal commun à la plupart des économies développées.
AUSTÉRITÉ
La prescription standard de politique économique pour
atténuer les effets de l'austérité budgétaire est de
dévaluer la devise (« dévaluation externe ») afin de
rendre les exportations plus compétitives (sauf
poussée
inflationniste),
donc
d’engendrer
un
accroissement de la demande extérieure à même de
compenser, au moins en partie, la contraction de la
demande interne induite par le resserrement
budgétaire. Dans les pays du sud de l'Europe, la
dévaluation de la devise est également nécessaire pour
résorber les pertes de compétitivité accumulées depuis
le début des années 2000 vis-à-vis de l'Allemagne et
des autres pays du cœur.
Comme la dévaluation externe n'est pas une option
pour les pays endettés de la zone euro, ceux-ci sont
contraints de recourir à une « dévaluation interne »,
souvent accompagnée de réformes structurelles
destinées à stimuler la productivité. Afin, à la fois, de
substituer la demande interne à la demande externe et
de réaliser les gains de compétitivité nécessaires à la
résorption des déséquilibres extérieurs avec les pays
du cœur de l’Europe, les économies périphériques ont
dû restreindre les salaires nominaux, les retraites et les
autres coûts. Comme l’indique le graphique cidessous, les coûts unitaires du travail ont
considérablement
reculé
depuis
les
pics
3
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
précédemment atteints dans la plupart des pays
périphériques (à l'exception de l'Italie).
position d’équilibre extérieur, voire d’excédent. Il
n’empêche, en dépit des progrès accomplis, l'ampleur
des dévaluations internes réalisées par les pays
périphériques n'a pas, à ce jour, permis d’effectuer
l’ajustement nécessaire pour permettre à ces
économies de retrouver le chemin d’une croissance
solide.
LE PIÈGE DE LA DETTE
Ce processus d'ajustement a exercé d’importantes
pressions à la baisse sur les prix. En octobre 2013,
l'inflation dans la zone euro est tombée à 0,7 % (un
niveau bien en-deçà de l'objectif de 2 % fixé par la
BCE), versus 2,5 % à la même époque de l'année
précédente, tandis que l'inflation sous-jacente annuelle
ne ressortait qu’à 0,8 %. En Grèce, le taux d'inflation
est passé en territoire négatif en avril et affichait un
repli de 1,1 % en octobre. L'inflation reste positive
(bien que très faible) dans les autres pays
périphériques, car l’impact inflationniste des hausses
de fiscalité indirecte et de prix administrés a plus que
compensé les pressions déflationnistes engendrées
par la baisse des salaires. Si l'on exclut l'alimentation,
l'énergie et les effets des changements de taxes et des
prix administrés, l'inflation dans les pays périphériques
est aujourd’hui proche de zéro.
Les pays touchés par la crise ont fait preuve d'une
forte détermination dans la mise en place des mesures
de consolidation budgétaire. Les déficits budgétaires
ont été réduits et certains pays affichent même un
excédent primaire (c.-à-d. hors paiement des intérêts).
De plus, les salaires dans ces pays ont progressé
moins rapidement que la productivité, d’où une baisse
des coûts unitaires du travail, qui a amélioré leur
compétitivité externe. Cela a contribué à un net
rééquilibrage des balances courantes, et la plupart des
pays périphériques sont désormais revenus dans une
Des coûts unitaires du travail toujours trop élevés dans
les pays de la périphérie (par rapport aux pays du nord
de la zone euro), conjugués à une forte contraction de
la demande globale ont entraîné dans ces pays des
chutes d’emplois et de production dignes des pires
épisodes de dépression économique. Et parce que les
processus de désendettement et de dévaluation
interne ne sont pas encore achevés, la croissance
effective en Europe devrait rester durablement
inférieure à la croissance potentielle. Richard Koo
(2008)4 a fait valoir de manière convaincante que l'une
des principales leçons à tirer de la « décennie perdue »
du Japon était la mise en lumière de l’impact d’une «
récession de bilan » (« balance-sheet recession »).
L’expérience japonaise a montré que les reprises qui
suivent les récessions de bilan sont lentes et modestes
car les entreprises s’attachent davantage à la réduction
de leur dette qu’à la relance de leurs investissements.
L'économie ne retrouve alors le chemin d’une
croissance autonome que lorsque le secteur privé a
apuré ses dettes. Le problème en Europe c’est que la
persistance d’importants « écarts de production » (ou «
output gaps », c.-à-d. la différence entre la production
observée et la production potentielle) risque de plonger
les pays en crise dans un dangereux piège de la dette.
Il y a, en fait, une possible contradiction dans la
stratégie européenne d'aujourd'hui : la baisse des
salaires et des coûts nécessaire pour améliorer la
compétitivité risque d’aggraver le problème du
surendettement5. La raison en est que la déflation
4
The Holy Grail of Macroeconomics (John Wiley, 2008).
5
Afin de contourner ce problème, certains économistes comme
Paul Krugman, estiment que l'inflation dans les pays du cœur de
4
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
réduit les revenus nominaux, alors que la valeur de la
dette héritée (publique et privée) reste inchangée (sauf
programme de restructuration de la dette). La baisse
des prix entraîne une dégradation de la situation
financière des débiteurs car elle augmente le poids réel
de leurs dettes, selon un processus décrit par Irving
Fisher en 19336.
Plus les revenus des agents endettés se réduisent plus
le poids de leur dette s’alourdit. L’alourdissement du
poids de la dette conduit les gouvernements à
procéder à de nouvelles coupes dans les dépenses
publiques, ce qui dégrade encore un peu plus les
perspectives économiques. D’où le besoin de procéder
à de nouvelles dévaluations internes qui viennent, en
retour, alourdir le poids de la dette – en un cercle
vicieux. Le problème est que non seulement la
déflation et la récession augmentent les ratios
d'endettement, mais que le surendettement pèse sur la
reprise économique7. La périphérie de la zone euro
semble être prise dans un piège circulaire de la dette.
La spirale déflationniste que l'on observe notamment
en Grèce et en Espagne a entraîné dans ces pays une
contraction de la production telle que les coupes
budgétaires et les hausses d'impôt n'ont pas permis de
réduire le ratio dette publique/PIB. Ce dernier a
augmenté continûment dans la zone euro depuis 2008
et s'établit aujourd’hui à plus de 100 % (versus 70 %
en 2007), tandis que le taux d’endettement du secteur
privé non financier (ménages et entreprises non
financières) reste bloqué au-dessus de 130 % (niveau
virtuellement inchangé depuis la crise de 2008). La
situation de la zone euro dans son ensemble contraste
avec celle de l'Allemagne qui affiche une baisse des
ratios d'endettement du secteur privé par rapport au
début des années 2000.
« SOUTENABILITÉ » DE LA DETTE
l’Europe devrait être supérieure afin de fournir une marge de
manœuvre à la résorption des déséquilibres de compétitivité dans
la zone euro, sans pour autant imposer à l'Europe périphérique
des politiques déflationnistes qui aggravent le problème de la
dette. Voir Krugman (2012), « Internal devaluation, inflation, and
the euro », New York Times, 29 juillet.
6
Fisher, Irving, (1933), « The debt-deflation theory of great
depressions », Econometrica, Vol. 1, n°. 4. 4)
7
Un endettement public trop élevé pénalise la croissance car il
agit comme une taxe implicite sur l'investissement. Voir Eduardo
Cavallo, Eduardo Fernandez-Arias, (2012), « Coping with financial
crises: Latin American answers to European questions », Vox, 17
octobre. Voir également Carmen M. Reinhart, Vincent R. Reinhart,
Kenneth S. Rogoff, (2012), « Debt overhangs: past and present »,
NBER Working Paper N°. 18015, avril.
La « soutenabilité » de la dette publique nécessite que
le solde budgétaire primaire (recettes moins dépenses
hors intérêts) compense l’effet « boule de neige », à
savoir la différence entre le taux d'intérêt de la dette et
le taux de croissance du PIB nominal. Ainsi, l'évolution
du ratio dette publique/PIB dépend de quatre variables
clé :
- le déficit ou l'excédent primaire,
- le taux d'inflation (prix du PIB),
- le taux de croissance du PIB réel,
- le taux d'intérêt moyen payé sur la dette publique.
En plus de dégager un excédent primaire conséquent qui a fait jusqu’ici l'objet de toutes les attentions -,
l'Europe devrait idéalement avoir une croissance du
5
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
PIB réel élevée et des taux d'intérêt réels (c.-à-d. après
déduction de l’inflation) à long terme bas.
À l'heure actuelle, malgré les progrès importants
réalisés en matière de consolidation budgétaire, les
pays de l'Europe périphérique n'ont pas été en mesure
de dégager l'excédent primaire nécessaire à la
stabilisation de leur dette publique. Et bien que les
pays européens, à l'exception de la Grèce, continuent
d'afficher un taux d'inflation légèrement positif, le
niveau de ce dernier n'est pas suffisant pour leur
permettre de rembourser leur dette à moindre frais8.
Surtout, le taux d'intérêt dont les gouvernements des
pays périphériques doivent s'acquitter pour le service
de leur dette est bien supérieur à leur taux de
croissance nominale, du fait du niveau élevé des
primes de risque souverain (un facteur clé qui explique
la hausse du ratio dette publique/PIB dans ces pays)9.
A l’inverse, l'écart taux d'intérêt-taux de croissance en
Allemagne est négligeable, avec des taux d'intérêt à
long terme très bas (dû au statut de « valeur refuge »
de la dette publique allemande) comparables au taux
de croissance du PIB nominal.
monétaire a un impact sur la demande agrégée, du fait,
principalement, de ses effets sur les taux d'intérêt réels
à court et long terme11. Abaisser les taux d'intérêt
permet d’augmenter le montant des investissements
que les entreprises sont prêtes à réaliser, encourageant
ainsi les sociétés et les consommateurs à emprunter,
et de réduire les coûts d'emprunt pour les banques, qui
peuvent alors accorder plus de crédits, ce qui stimule
l'économie.
LES MESURES CONVENTIONNELLES DEVIENNENT
INOPÉRANTES DANS LA TRAPPE À LIQUIDITÉ
En certaines circonstances, cependant, une politique
monétaire expansionniste peut se révéler incapable de
relancer l’activité économique. C'est ce qui s'est
produit aux États-Unis lors de la Grande Dépression
des années 30 et au Japon à la suite de l'éclatement
de la gigantesque bulle immobilière en 1991, qui a
laissé en héritage une énorme dette privée. Tout au
long des années 90, la Banque du Japon a, à plusieurs
reprises, assoupli sa politique monétaire et, à la fin de
la décennie, les taux d'intérêt à court terme avaient été
réduits à zéro, mais il n'y a avait aucun signe de reprise
ou d'inflation. C’est ce que les économistes appellent
une « trappe à liquidité »12.
canal du prix des actifs (y compris celui du taux d'intérêt, du taux
de change et du cours des actions), ainsi que le canal du crédit.
La transmission de la politique monétaire via les prix des actifs
réels (y compris le taux de change réel) dépend de la capacité des
banques centrales à influencer les taux d'intérêt réels.
11
POLITIQUE MONÉTAIRE FACE AU RISQUE
DE TRAPPE À LIQUIDITÉ ?
Selon l’orthodoxie économique, la première ligne de
défense contre un ralentissement de la croissance
consiste à utiliser la politique monétaire, c'est-à-dire la
possibilité qu'a la Banque centrale d'abaisser ses taux
directeurs10. Dans un contexte normal, la politique
8
Une inflation plus élevée pourrait, in fine, se révéler défavorable.
Tôt ou tard, les anticipations du marché obligataire s'ajusteront et
le coût des emprunts pourrait augmenter. Les rendements
nominaux pourraient augmenter plus que l'inflation (entraînant
ainsi une hausse des taux d'intérêt réels) si les investisseurs
exigent une prime plus élevée pour compenser le risque de
nouvelles surprises concernant l'inflation.
9
La Grèce, le Portugal et l'Irlande ne payent pas le taux d'intérêt à
long terme du marché puisque ces pays ont été exclus du marché
de capitaux privés.
10
Les mesures conventionnelles de politique monétaire peuvent
potentiellement stimuler l'économie via deux types de canaux : le
Les théories classiques de la structure par terme des taux
d'intérêt suggèrent que les taux d'intérêt à plus long terme sont
principalement déterminés par les taux d'intérêt à court terme
actuels et par les anticipations du marché des taux courts à venir
(majorés d'une prime de risque). Les banques centrales contrôlent
largement les taux d'intérêt à court terme en fixant un objectif
pour le taux au jour le jour, et les anticipations du marché
concernant la manière dont les banques centrales vont fixer les
objectifs futurs pour ce taux doivent déterminer la trajectoire
attendue des taux à court terme futurs. Dans ce cadre, les
mesures de politique monétaires actuelles et anticipées jouent un
rôle prépondérant dans la fixation des taux à long terme.
12
La notion de trappe à liquidité était très présente dans la
littérature économique après la Grande Dépression, puis a été
progressivement reléguée au second plan avant de faire son
retour avec la « décennie perdue » du Japon. La question de la
trappe à liquidité a été de nouveau mise en avant par le lauréat du
prix Nobel d'économie Paul Krugman. Voir notamment Paul
Krugman (1998), « It’s baaack: Japan’s slump and the return of
the liquidity trap », Brookings Papers on Economic Activity, 2, pp.
137-205. Voir également Gauti B., Eggertsson et Michael
Woodford (2003), « The zero bound on interest rates and optimal
monetary policy », Brookings Papers on Economic Activity, 1, pp.
139-233, et Ben S. Bernanke, Vincent R. Reinhart, et Brian P.
Sack (2004), « Monetary policy alternatives at the zero bound: an
empirical assessment », FEDS Working Paper, septembre. Ces
dernières années, cette notion a fait l'objet d'une attention accrue
à la fois de la part de la communauté académique et des banques
centrales, les taux directeurs ayant été abaissés à zéro ou à un
6
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
peuvent normalement être inférieurs à zéro car
personne n'accorderait de prêts à ces conditions de
rémunération.
Dans une trappe à liquidité, les opérations d'open
market conventionnelles (achat par la Banque centrale
de dette publique à court terme) perdent de leur
influence sur l'économie réelle car les taux d'intérêt
nominaux à court terme sont à zéro ou proches de
zéro. Dans cette situation, les agents économiques
sont virtuellement indifférents entre détenir des titres
ou de la monnaie, qui deviennent des substituts
parfaits13. La demande de monnaie devient
virtuellement infinie et toute injection de liquidités
entraîne alors, avant tout, une baisse de la vitesse de
circulation de la monnaie. Lorsqu'une économie est
tombée dans la trappe à liquidité, la monnaie créée est
épongée par la thésaurisation, et l’activité de crédit
n’augmente pas, car les banques préfèrent détenir des
réserves excédentaires plutôt que d'accorder de
nouveaux prêts. Comme l'avait noté John Maynard
Keynes, la politique monétaire semble alors « pousser
dans le vide » (« pushing on a string »)14.
Dans une situation de trappe à liquidité, la demande
effective reste durablement inférieure à la capacité de
production de l’économie, en dépit de taux d'intérêt
nominaux à court terme à zéro ou proches de zéro.
Aujourd’hui, dans la zone euro, les taux d’intérêt
directeurs de la BCE sont quasiment à leur niveau
plancher de zéro16 : le taux d'intérêt des opérations
principales de refinancement de l'Eurosystème a été
réduit, le 7 novembre, à 0,25 %, son plus-bas
historique ; le taux d'intérêt de la facilité de prêt
marginal a également été abaissé de 25 points de base
à 0,75 % ; et le taux auquel l'Eurosystème rémunère
les liquidités placées en dépôt est à zéro. Le taux
d’intérêt au jour le jour (mesuré par l'Eonia) est
virtuellement à zéro (0,092 % le 1er novembre).
Le problème alors est que même si les taux directeurs
nominaux sont à zéro, les taux d'intérêt réels à court
terme sont trop élevés. Les taux d'intérêt nominaux qui
résulteraient de l’application de la politique monétaire
conventionnelle (tels que déduits de la règle de
Taylor15) sont négatifs, mais les taux nominaux ne
niveau proche de zéro dans les principales économies
développées. Voir Paul Krugman (2010), « How much of the world
is in a liquidity trap? », New York Times, mars 17.
13
Dans des circonstances « normales », les agents économiques
arbitrent entre rendement et liquidité. Ils détiennent de la monnaie
(qui ne rapporte pas d'intérêt) pour sa liquidité, mais leur
détention de monnaie est limitée par le coût d'opportunité
résultant des intérêts non perçus sur la monnaie. Toutefois,
lorsque les taux d'intérêt à court terme sont à zéro, il n’y a aucun
coût d’opportunité et, par conséquent, le public détient la
monnaie comme une réserve de valeur.
14
Keynes, John M (1936), The General Theory of Employment,
Interest and Money, Macmillan.
Cependant, l'économie de la zone euro continue de
fonctionner bien en-deçà de ses capacités de
production. Le FMI, la Commission européenne (CE) et
l'OCDE s’accordent en effet à penser que la taille de
l'output gap (la différence entre le niveau réel du PIB et
l’output gap, et 3) un résidu purement aléatoire (appelé le « choc
de politique économique »).
16
15
La règle de Taylor (du nom de John B. Taylor, qui a été le
premier à décrire ces mécanismes monétaires) lie, de manière
linéaire, le taux d'intérêt nominal à 1) l’écart entre l’inflation
actuelle observée et l’objectif d’inflation de la Banque centrale, 2)
La BCE fixe trois taux directeurs : le taux de rémunération des
dépôts, le taux de refinancement et le taux de prêt marginal. Ces
taux d'intérêt constituent le corridor dans lequel l'Eonia (le taux au
jour le jour auquel les banques se prêtent mutuellement) fluctue.
7
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
son niveau potentiel) dans la zone euro est importante,
se situant entre -2,9 % du PIB (CE) et -3,8 % (OCDE)
en 201317.
ÉCART DE PRODUCTION (en % du PIB potentiel)
2009 2010 2011 2012 2013
France
Allemagne
Irlande
Italie
Portugal
Espagne
Grèce
-2,7
-4,0
-4,4
-3,6
-2,7
-4,2
-1,2
-2,0
-1,2
-4,8
-1,8
-0,9
-4,7
-4,7
-1,1
0,8
-2,5
-1,5
-1,8
-4,4
-9,1
-2,1
0,0
-1,3
-3,2
-3,6
-5,1
-12,2
-2,9
-1,0
-0,9
-4,5
-4,6
-5,2
-12,8
Source: Commission Européenne, Automne 2013.
Par conséquent, il est légitime d’arguer que la limite
inférieure zéro représente aujourd’hui une contrainte
réelle sur la configuration des taux d'intérêt de la BCE.
POLITIQUE NON CONVENTIONNELLE
Le cas du Japon a montré qu’une économie
développée tombée dans la trappe à liquidité ne réussit
pas à se redresser spontanément via la demande
privée. Le Japon a basculé dans la trappe à liquidité au
milieu des années 90 et a connu depuis des décennies
de déflation et de PIB inférieur au potentiel. Pour sortir
de la trappe à liquidité, une économie a besoin d’une
politique budgétaire expansionniste18 et/ou de mesures
non conventionnelles de politique monétaire.
Les difficultés de coordination n’ayant pas permis de
mettre
en
œuvre
une
politique
budgétaire
expansionniste au niveau de l’ensemble de la zone
euro, tout le poids de la relance aujourd’hui en Europe
repose sur la politique monétaire. Aussi la BCE (tout
comme les autres principales banques centrales) a-telle eu massivement recours à des mesures non
conventionnelles de politique monétaire. Ces mesures
ont été mises en place afin 1) de restaurer le
fonctionnement normal de l'intermédiation financière
après l'éclatement de la crise mondiale du crédit et 2)
d’introduire, une fois atteinte la limite inférieure zéro sur
les taux courts, des mesures de stimulation
supplémentaires.
La forme la plus courante de politique monétaire non
conventionnelle mise en œuvre dans les pays
développés a consisté à créer de la monnaie pour
acquérir des actifs, une stratégie communément
appelée « assouplissement quantitatif » (en anglais, «
quantitative easing » ou QE). Les principales banques
centrales ont augmenté massivement la taille de leurs
bilans, via l'acquisition de dette publique à long terme,
d'obligations adossées à des crédits hypothécaires,
etc., afin d’abaisser les taux longs et d’inciter les
investisseurs à se reporter sur des actifs plus risqués et
à en faire ainsi monter le prix. Les banques centrales
ont également adopté une politique de « forward
guidance », par laquelle elles s’engagent à maintenir
des taux d'intérêt à court terme très bas pendant
longtemps. La BCE, toutefois, étant donné
l'importance des financements bancaires dans la zone
euro (par opposition aux financements de marché)19,
s’est principalement attachée à injecter d'importants
volumes de liquidités dans le système bancaire.
Contrairement aux autres banques centrales, les
achats directs d'actifs privés et publics de la BCE ont
été limités20.
17
Bien que l’output gap (qui est une mesure de la croissance
qu’une économie peut soutenir sans risque d’inflation) soit un
concept économique important, les méthodes utilisées pour
estimer sa taille ne font pas toujours l'unanimité. En conséquence,
les estimations d'output gap sont entachées d'incertitude.
18
Pour une discussion et des références, voir J. Bradford Delong
et Lawrence H. Summers (2012), « Fiscal policy in a depressed
economy », Brookings Papers on Economic Activity, Spring. La
politique budgétaire, toutefois, peut échouer à stimuler la
demande globale en cas d'équivalence ricardienne car les
réductions d'impôt financées par de nouvelles émissions de dette
publique n'ont alors pas d'effet sur la consommation privée, la
dette ne représentant alors qu'un impôt différé. Il est également
possible que l'État soit dans l'incapacité d'emprunter en raison
d'une solvabilité insuffisante.
19
Dans la zone euro, 80 % de l'intermédiation financière passe
par le système bancaire, alors qu'aux États-Unis 80 % des
financements de l’économie proviennent des marchés de
capitaux.
20
En 2012, le programme d'achat d'obligations sécurisées
(Covered Bond Purchase Program ou CBPP) de la BCE ainsi que
le Securities Markets Programme (SMP), lancé en mai 2010 en
réponse à l'aggravation de la crise de la dette souveraine dans la
zone euro, atteignaient seulement 3 % du PIB.
8
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
L'apport de liquidités aux banques de la zone euro a
été effectué pour l’essentiel via 1) la mise en œuvre
d'une procédure d'appels d'offres à taux fixe pour
garantir un accès illimité aux liquidités de la banque
centrale au taux de refinancement (sous réserve de
collatéral adéquat)21, 2) l'extension de la maturité des
apports de liquidité22 et 3) l'élargissement de la liste
des actifs admissibles en tant que collatéral. En
décembre 2011 et mars 2012, la BCE a sorti l'artillerie
lourde en lançant deux opérations de refinancement à
3 ans (LTRO), qui l’ont conduite à prêter plus de mille
milliards d'euros aux banques de la zone euro. D’où
une augmentation considérable de la taille du bilan de
la BCE, qui a atteint plus de 3 mille milliards d'euros à
son pic de la mi-2012. Le bilan de l’Eurosystème,
toutefois, s'est considérablement réduit depuis la fin de
l'été 2012, en raison du remboursement rapide des
prêts LTRO par les banques23. La BCE a évoqué la
possibilité de nouveaux LTRO à 3 ans en 2014, mais
aucune décision n’a à ce jour été prise à ce sujet.
La politique monétaire très expansionniste de la BCE a
été efficace pour contrer l'instabilité financière et
réduire la pression sur le financement des banques et
sur les marchés de la dette publique24. Les injections
massives de liquidités dans les banques en difficulté
ont stabilisé le système financier, réduit les risques
extrêmes et aidé les pays de la zone euro durement
touchés à se refinancer, apaisant ainsi la crise de la
dette souveraine. En septembre 2012, la simple
annonce du lancement du programme OMT de la BCE
prévoyant l'achat potentiellement illimité de dette
publique a réussi à ramener le calme sur les marchés
financiers, ouvrant la voie au retour des flux de
capitaux vers les pays en crise, ce qui a permis une
baisse significative des coûts d'emprunt pour les
gouvernements et les entreprises. Ceux-ci, toutefois,
se sont maintenus à des niveaux élevés dans les pays
périphériques, du fait du haut niveau des primes de
risque sur la dette publique et privée de ces pays.
21
Selon Lorenzo Bini Smaghi, la politique de la BCE relève
davantage d'un « assouplissement endogène du crédit » que d'un
« assouplissement quantitatif », la demande en liquidité à taux fixe
des banques étant déterminante dans la fixation du montant des
liquidités créées. Voir Lorenzo Bini Smaghi (2009), « Conventional
and unconventional monetary policy », Conférence au Centre
International d’Etudes Monétaires et Bancaires (ICMB), Genève,
28 avril.
22
L'Eurosystème a progressivement étendu ses opérations à plus
long terme (apport de liquidités à 3 et 6 mois) en lançant trois
opérations de plus long terme à un an en 2009 (en juin, octobre et
décembre), puis deux opérations à plus long terme à 3 ans en
décembre 2011 et mars 2012.
23
D'autres facteurs, comme la baisse de la valeur des réserves
d'or (qui n'a pas de conséquences monétaires), ont contribué à la
réduction de la taille du bilan de la BCE.
De plus, la politique monétaire très accommodante n'a
pas permis de relancer l'activité de crédit en Europe
périphérique, conséquence, en partie, de la
fragmentation persistante des marchés selon les
frontières nationales.
24
Voir Ursula Szczerbowicz (2012), « The ECB unconventional
monetary policies: have they lowered market borrowing costs for
banks and governments? », Working Paper du CEPII, N°2012-36,
décembre.
9
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
PÉNURIE DE CRÉDIT DANS LA PÉRIPHÉRIE
Malgré le très faible niveau des taux de la BCE et
l'injection massive de liquidités, les économies en
difficulté de la zone euro continuent de pâtir d’une
aggravation du resserrement du crédit. En octobre
2013, les prêts bancaires accordés au secteur privé ont
diminué de 2,1 %, après avoir reculé de 2 % en
septembre. Les prêts aux ménages sont restés atones
(+0,1 %), tandis que la contraction des prêts aux
sociétés non financières a continué de s’accélérer
(-3,7 %, après un repli de 3,6 % en septembre). En
Grèce, en Espagne et en Italie, les crédits bancaires
accordés au secteur privé ont continué de se
contracter.
Cette baisse du crédit dans la plupart des pays du sud
de l'Europe résulte, à la fois, de la faiblesse de la
demande d'emprunts, imputable aux efforts de
désendettement du secteur privé, et de contraintes sur
l'offre de crédit liées à une combinaison de facteurs
incluant le renforcement des exigences réglementaires
induites par Bâle III, le manque de fonds propres de
certaines banques et le deleveraging du secteur
financier. Compte tenu de la faiblesse de l'économie et
de la montée du risque de défaut, les banques,
soucieuses de limiter leur risque de crédit, rechignent à
accorder de nouveaux crédits. Dans le même temps,
les institutions financières faiblement capitalisées se
voient obligées de réduire leurs prêts afin d'augmenter
leurs ratios de fonds propres.
De fait, « l'inondation » de liquidités à laquelle a
procédé la BCE n'a pas permis d’enrayer la
fragmentation financière de la zone euro, qui a
engendré d’importantes disparités dans les conditions
de crédit entre les pays périphériques et les pays du
cœur de la zone (Allemagne et France). Les taux
d'intérêt appliqués aux entreprises et aux ménages par
les banques des pays du sud sont en effet largement
plus élevés que ceux appliqués à leurs homologues
des pays du cœur. Ceci reflète, à la fois, un coût du
risque plus élevé dans les pays périphériques
(conséquence de conditions économiques plus
dégradées, donc d’une fragilité plus grande des bilans
des entreprises) et un coût de financement plus
important des banques de ces pays.
Cette situation pèse plus fortement sur les petites
entreprises que sur les grandes, ces dernières se
finançant de plus en plus directement sur les marchés
(« désintermédiation »). Comme le montrent les
enquêtes de la BCE, les petites et moyennes
entreprises (PME), qui constituent le pilier de
l'économie de la zone euro25, rencontrent des
difficultés à obtenir des crédits dans les pays de la
périphérie. Bien que les taux d'intervention de la BCE
soient virtuellement à zéro, les PME italiennes et
espagnoles empruntent aujourd’hui à plus de 5 %,
alors que les taux appliqués par les banques à leurs
concurrents en Allemagne ou en France approchent
des plus bas historiques.
Ainsi donc, la politique de taux très faibles de la BCE
ne s’est guère répercutée sur le coût du crédit pour les
PME des pays périphériques de la zone euro. Alors que
l'injection record de liquidités par la BCE visait
principalement à rétablir le bon fonctionnement des
mécanismes de transmission monétaire à travers le
canal du crédit (via la substitution de financements
publics aux financements défaillants du marché), la
25
Les petites et moyennes entreprises (PME) représentent les 3/4
de l’emploi et génèrent environ 60 % de l'ensemble de la valeur
ajoutée dans la zone euro. Les pourcentages respectifs sont de :
85 et 70 % en Grèce, 80 et 68 % en Italie, 78 et 68 % au Portugal
et 76 et 66 % en Espagne (source : BCE).
10
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
crise du crédit s’aggrave, particulièrement dans les
pays périphériques, du fait, notamment, de la fragilité
des bilans des banques et des entreprises.
INEFFICACITÉ
APPARENTE
DE
LA
POLITIQUE
MONÉTAIRE POUR STIMULER LA DEMANDE
LIQUIDITÉ EXCÉDENTAIRE
Comme cela est caractéristique d'une situation de
trappe à liquidité, les institutions financières
accumulent de la monnaie centrale. Les injections
massives de liquidités par la BCE se sont simplement
traduites par une accumulation de réserves
excédentaires pour les banques de la zone euro, qui
soit ont réinvesti les sommes auprès de la BCE, soit
n'ont pas retiré leurs réserves excédentaires de la
banque centrale. De façon révélatrice, la répartition des
réserves excédentaires à la BCE est extrêmement
hétérogène, celles-ci étant pour l’essentiel détenues
par les banques des pays du cœur.
Last but not least, le mécanisme de transmission de la
politique monétaire par le canal du taux de change
apparait tout aussi bloqué alors que l’ensemble des
grandes banques centrales créent massivement de la
monnaie pour soutenir leurs économies. Le problème,
bien sûr, est que tous les pays ne peuvent pas
dévaluer leur devise en même temps.
Au total, en dépit de taux courts virtuellement à zéro et
d’apports massifs de liquidités, l'économie de la zone
euro fonctionne toujours bien en deçà de sa capacité
de production. Si l’horizon s’est quelque peu dégagé
récemment, la croissance économique dans la zone
euro en 2014 et 2015 restera inférieure à la normale.
Aussi de larges capacités excédentaires subsisterontelles dans les années à venir, sauf en Allemagne où
l'output gap semble presque éliminé.
Le problème le plus immédiat de la zone euro dans son
ensemble est l'insuffisance de la demande, qui peut
être la conséquence des politiques d'austérité
budgétaire menées dans la plupart des pays, mais qui
peut également être symptomatique d'un phénomène
de trappe à liquidité où la politique monétaire perd de
son efficacité en butant sur le plancher des taux zéro.
Toute injection supplémentaire de liquidités est alors
thésaurisée par le secteur privé, se révélant donc
incapable de stimuler les dépenses. Comme l'a montré
Paul Krugman (2010)26, un choc de désendettement
peut aisément faire tomber une économie dans la
trappe à liquidité. Lorsqu'une économie entre, à
marche forcée, dans un processus de désendettement
massif, même des taux d'intérêt à zéro sont
insuffisants pour inciter les agents économiques à
dépenser ou emprunter davantage.
La fragilité du bilan de certaines banques, combinée au
durcissement des contraintes prudentielles, ajoute aux
difficultés : la nécessité pour les banques de se
désendetter conduit à des restrictions du crédit, qui
pèsent sur les investissements. Un facteur aggravant
dans la zone euro est la fragmentation de ses marchés
financiers. Les fortes disparités existant entre les coûts
du crédit d’un pays à l’autre se sont traduites par une
pénurie de crédit en Europe périphérique, qui demeure
un obstacle majeur à la croissance dans ces pays.
26
Voir Paul Krugman (2010), « Debt, deleveraging, and the
liquidity trap », New York Times, 18 novembre.
11
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
Ainsi donc, en dépit d’un assouplissement sans
précédent, la politique monétaire reste globalement
restrictive au regard de l'économie réelle, surtout dans
les pays de la périphérie. Il est possible, cependant,
que la politique de soutien non conventionnelle de la
BCE n'ait pas été encore suffisamment audacieuse ou
d’ampleur suffisante pour venir à bout de la limite
inférieure zéro sur les taux courts.
VERS DES FORMES PLUS AUDACIEUSES
D'ASSOUPLISSEMENT MONÉTAIRE ?
Afin de surmonter la limite inférieure zéro sur les taux
d'intérêt nominaux à court terme, certains économistes
ont proposé
des
formes plus
audacieuses
d'assouplissement monétaire. Une littérature de plus
en plus abondante s’est attachée à analyser d’autres
solutions plus créatives pour relancer une économie
tombée dans la trappe à liquidité. Les pistes de
recherche récentes se sont concentrées sur deux
stratégies possibles pour dissuader la thésaurisation et
stimuler les dépenses : 1) relever la cible d'inflation afin
d’accroître les anticipations inflationnistes et 2) taxer la
monnaie.
RELEVER LA CIBLE D'INFLATION
Cette réflexion hors des sentiers battus a inspiré la
Banque du Japon (BoJ) qui s’est récemment engagée
dans un cycle d’assouplissement monétaire radical.
Afin de sortir le pays de presque 15 années de
déflation et d'atteindre une inflation de 2 % d'ici deux
ans environ, la BoJ a relevé, en janvier dernier, sa cible
d’inflation de 1 à 2 %. Puis, au mois d'avril, elle a
annoncé une refonte majeure de sa politique, en
retenant l’objectif de doubler la base monétaire du
pays d'ici deux ans via l’augmentation de ses rachats
de dette publique (dont la maturité passera d'environ
trois ans à l'heure actuelle à sept ans).
Krugman est l'un des plus fervents défenseurs du
relèvement des cibles d’inflation pour dissuader la
thésaurisation de la monnaie27. La transmission de la
27
Voir Paul Krugman (1998), « Japan’s trap » mai,
web.mit.edu/krugman/www/jpage.html. Voir également Paul
Krugman (1998), « Further notes on Japan’s liquidity trap »,
memo, juin. Voir aussi, par exemple, Bennett T. McCallum (2001),
« Inflation targeting and the liquidity trap », NBER Working Paper
8225, avril. Afin de relever les anticipations inflationnistes dans
une économie ouverte comme celle du Japon, Svensson se fait
l’avocat de l’adoption d'une combinaison de mesures, dont une
cible de niveau des prix, une dépréciation de la devise, un
engagement vers un régime de change fixe, et des taux d'intérêt à
zéro tant que l'objectif de niveau des prix n'a pas été atteint. Voir
Svensson, L. (2001), « The zero lower bound in an open economy:
a foolproof way of escaping from a liquidity trap », Bank of Japan,
Monetary and Economic Studies, 19 (S-1), February, pp. 277-312.
Voir également Svensson, L. (2003), « Escaping from a liquidity
politique monétaire à l'économie réelle dépend de la
capacité de la Banque centrale à influencer les taux
d'intérêt réels. Si les taux d'intérêt nominaux à court
terme ne peuvent être abaissés davantage, alors une
hausse des anticipations d'inflation est la seule façon
d’obtenir une réduction des taux d'intérêt réels. Les
anticipations d’inflation, cependant, ne sont pas un
instrument de politique monétaire. Pour accroitre les
anticipations inflationnistes, la Banque centrale peut
relever sa cible d'inflation. Mais une cible d’inflation
plus élevée ne conduira à la hausse requise des
anticipations d’inflation que si les agents économiques
croient en cette cible.
Afin de convaincre les consommateurs et les marchés
que l'inflation va augmenter, Krugman fait valoir que la
Banque centrale doit promettre une hausse
permanente de la base monétaire plutôt qu’une hausse
temporaire. Une fois que le public aura réellement
intégré le message selon lequel la Banque centrale
maintiendra son engagement à augmenter la base
monétaire et ce, même si l'économie commence à se
redresser (c'est-à-dire qu’elle recourra à une politique
jugée irresponsable dans d'autres circonstances), les
agents économiques anticiperont une augmentation de
l’inflation, ce qui viendra réduire les taux d’intérêt réels,
donc relancer les dépenses et l'économie.
Mais cela peut-il marcher ? Jusqu’ici, la stratégie de
ciblage d’inflation a été principalement adoptée par
des pays cherchant à réduire l'inflation28. Aussi peut-il
être difficile pour une Banque centrale qui a construit
sa réputation sur la lutte contre l'inflation de convaincre
le secteur privé qu'elle souhaite désormais atteindre
des niveaux d'inflation durablement plus élevés.
L'orthodoxie actuelle des banques centrales est
d'atteindre 2 % d'inflation29. Paul Krugman, cependant,
ainsi que d'autres économistes de renom (comme
Olivier Blanchard), plaident en faveur d’un objectif
d'inflation plus élevé – typiquement, 4 % – afin de
surmonter la limite inférieure zéro sur les taux courts30.
La plupart des banquiers centraux sont, toutefois, très
trap and deflation: the foolproof way and others », Journal of
Economic Perspectives, 17(4) Fall, pp. 145-166.
28
Il y a très peu d'exemples de pays ayant tenté d'augmenter les
prix en utilisant un régime de ciblage de l’inflation. Dans les
années 30, la Suède a été l'un des premiers pays à adopter un
système de cible d’inflation pour accroitre l’inflation. La Nouvelle
Zélande en 1990 est un autre exemple bien connu.
29
Outre la BoJ, la Fed a une cible d'inflation à 2 %, tandis que la
BCE a un objectif d’inflation « inférieur à, mais proche de 2 % ».
30
Voir Paul Krugman (2012), End This Depression Now! W. W.
Norton & Company ed., avril, et Blanchard, Olivier, Giovanni
Dell’Ariccia et Paolo Mauro (2010), « Rethinking macroeconomic
policy”, IMF Staff Position Note SPN/10/03. Voir également
Laurence Ball (2013), « The case for 4% inflation », Vox, 24, mai.
12
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
fortement opposés à l’adoption d’un objectif d'inflation
de 4 %, de peur que cela ne nuise à leur crédibilité,
qu’ils ont si durement acquise, en matière de ciblage
d’inflation à 2 % - point d’ancrage à long terme aux
anticipations31. Ils craignent, en particulier, qu’une telle
politique se traduise par une remontée immédiate des
taux d’intérêt nominaux, sans baisse des taux réels.
TAXER LA MONNAIE
Au cours de ces derniers mois, l'idée d'abaisser les
taux d'intérêt nominaux en dessous de zéro a retenu
l'attention. La BCE en particulier a déclaré ne pas
exclure la mise en place d’un taux négatif sur sa facilité
de dépôt, ce qui serait alors l'équivalent d'une taxe sur
les réserves excédentaires des banques déposées
auprès de la banque centrale32. L'idée d'abaisser les
taux d'intérêt en territoire négatif n'est pas récente. Elle
avait été initialement proposée par l'économiste
allemand Silvio Gesell à la fin du 19ème siècle33.
Gesell a proposé un système de monnaie « fondante »
ou « estampillée » (en anglais, « stamped » money)
avec l’application de frais de surestarie (en anglais «
demurrage charge »), qui est une taxe sur la
thésaurisation. Son raisonnement était que si la
monnaie perdait de sa valeur au cours du temps (en
d'autres termes, si elle portait un taux d'intérêt négatif),
elle perdrait alors de son attractivité en tant
qu’instrument de réserve de valeur et, par conséquent,
circulerait plus rapidement, stimulant les dépenses.
John Maynard Keynes a abondamment loué l’idée de
Gesell de taxer la monnaie, qu’il considérait comme un
moyen de sortir de la trappe à liquidité, même s'il a
émis des doutes sur sa pertinence pratique compte
31
Comme Ben Bernanke l'a déclaré en 2010 : « La Fed a prouvé
sa crédibilité sur une longue période dans le maintien de l'inflation
à un niveau bas, proche de 2 % Si nous devions aller à 4 % et dire
nous allons à 4 %, nous mettrions en péril cette crédibilité
durement acquise, car les gens se diraient : eh bien, si nous allons
vers les 4 %, alors pourquoi pas 6 % ? Il serait très difficile
d’ancrer les anticipations à 4 %. » Voir Bernanke, Ben S (2010),
« Testimony before the Joint Economic Committee of Congress »,
14 avril.
32
Fin 2012, Mario Draghi a déclaré que la BCE était prête,
opérationnellement, à abaisser les taux de rémunération des
dépôts jusqu'en territoire négatif. Au mois de mai, alors qu'il lui
était demandé lors d'une conférence si le taux de rémunération
des dépôts pourrait passer en dessous de son niveau actuel de
zéro, Mario Draghi a répondu : « Nous regarderons cela avec un
esprit ouvert ».
33
Voir Silvio Gesell, The Natural Economic Order: a Plan to
Secure an Uninterrupted Exchange of the Products of Labour,
1911, Trans. Philip Pye. Berlin: Neo-Verlag. Irving Fisher était
tellement enthousiaste à l’égard de ses idées qu'il a proposé le
système au président Roosevelt dans le contexte de la Grande
Dépression. Il a écrit un livre entier sur le sujet (voir Fisher, I. and
Fisher, H. (1934), Mastering the crisis (with additional chapters on
stamp scrip), George Allen & Unwin Ltd, London).
tenu des difficultés administratives de mise en œuvre.
Au cours du siècle passé, le système de monnaie
fondante de Silvio Gesell a été largement appliqué
dans le cadre des dispositifs de monnaies parallèles
(voir Encadré 1). L’idée a été récemment reprise par
des économistes de renom34 comme une solution
possible pour surmonter la limite inférieure zéro sur les
taux d'intérêt nominaux à court terme.
Si le paiement d'intérêts négatifs sur les billets et
pièces de monnaie ou autres titres anonymes
négociables sans endossement, tels que les
obligations au porteur, soulève des difficultés
pratiques, abaisser les taux en-dessous de zéro sur les
avoirs monétaires détenus par les banques auprès des
banques centrales ne pose, en revanche, pas de
problème technique. La logique derrière l’application
de taux d'intérêt négatifs sur les réserves des banques
(ce qui revient à dire que la Banque centrale ferait
payer des frais de conservation aux banques) serait
qu'elle décourage les banques de détenir des liquidités
en dépôt auprès de la banque centrale, les incitant
ainsi à prêter davantage aux consommateurs et aux
entreprises. Un autre avantage pourrait être de faire
baisser le taux de change, en décourageant la
détention de dépôts en monnaie domestique.
Quant à savoir si la mise en œuvre d’un taux d'intérêt
négatif sur les dépôts serait dans la zone euro une
mesure de relance monétaire efficace, cela reste une
question ouverte. En augmentant le coût d'opportunité
de la détention des réserves excédentaires,
l’application d’un taux de dépôt négatif entrainerait
probablement un recul de la demande de monnaie
centrale des banques dans les pays du cœur de
l'Europe (qui détiennent l’essentiel des réserves
excédentaires de la zone euro), mais elle impliquerait
également une pression supplémentaire sur la
rentabilité des banques, qui pourrait avoir pour
conséquence non désirée de renchérir le coût du crédit
bancaire. Une telle mesure pourrait aussi avoir comme
effets pervers : i) au lieu de réduire la fragmentation et
favoriser l’octroi de crédit dans la périphérie, d’inciter
les banques excédentaires des pays du cœur à acheter
des bons du Trésor nationaux, avec le risque de créer
une « bulle » sur ceux-ci, ou d’encourager les banques
allemandes à accorder des prêts immobiliers avec trop
34
Voir Willem Buiter and N. Panigirtzoglou (1999), « Liquidity
traps: how to avoid them and how to escape them », NBER
Working Paper, W7245, Willem Buiter (2005), « Overcoming the
zero bound on nominal interest rates: Gesell’s currency carry tax
vs. Eisler’s parallel virtual currency », Discussion Paper 96,
Hitotsubashi University Research Unit for Statistical Analysis in
Social Sciences, and Willem Buiter (2009), “The wonderful world
of negative nominal interest rates, again”, Vox, 4 juin. Voir
également Gregory Mankiw (2009), « It may be time for the Fed to
go negative », in: New York Times, April 18.
13
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
de largesse, au risque, là encore, de nourrir une bulle
sur ce marché ; ii) de conduire à la fermeture de
nombreux fonds monétaires (OPCVM), ce qui rendrait
ensuite difficile la recréation d’un marché monétaire
actif et dynamique.
Il y a eu récemment en Europe quelques cas
d'application de taux d'intérêt négatifs. En juillet 2009,
la Banque centrale suédoise a abaissé ses taux de
dépôt au jour le jour à -0,25 %, mais l'expérience n'a
duré guère plus d'un an. En juillet 2012, la Banque
centrale danoise a introduit un taux négatif sur les
dépôts, mais pour enrayer l'appréciation de la devise
locale et non pour stimuler l'économie. En pratique, il
n'y a que très peu d'exemples d'abaissement des taux
d'intérêt en dessous de zéro par les banques centrales,
en partie parce que faire payer les déposants plutôt
que les emprunteurs n'est pas dans l'ordre habituel
des choses.
RETOUR AU PROBLÈME DES TAUX
D’INTERÊT À ZÉRO
Au total, une Banque centrale plus proactive peut
introduire des mesures de politique monétaire pour
tenter de stimuler le crédit bancaire et la croissance
économique une fois atteinte la limite inférieure zéro
sur les taux courts, mais celles-ci sont expérimentales,
perçues comme risquées et ne sont pas, en
conséquence, pleinement exploitées.
Dans la zone euro, une contrainte supplémentaire sur
la politique monétaire réside dans le fait que les
mesures non conventionnelles se situent souvent aux
frontières de la politique budgétaire, et peuvent donc
se traduire in fine par des transferts d’un pays à l’autre.
D’où la difficulté de les mettre en œuvre en l’absence
d’union budgétaire. La fragmentation des marchés
financiers constitue également un obstacle majeur à la
bonne transmission monétaire spécifique à la zone
euro. Du fait de la structure unique de la zone euro (une
monnaie unique sans union budgétaire et bancaire), les
défis auxquels la politique monétaire est confrontée
dans cette région ne sont pas entièrement
comparables à ceux des autres économies
développées.
Mais dans tous les pays développés (dans la zone euro
et ailleurs), l’orthodoxie économique tend à limiter la
pleine utilisation des outils non conventionnels de
politique monétaire. Il en résulte que la limite inférieure
zéro sur les taux d'intérêt nominaux courts représente
une contrainte majeure pesant sur la politique
économique.
14
ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
ENCADRÉ 1 – MONNAIES PARALLÈLES ET THÉORIE DE LA MONNAIE FONDANTE DE GESELL
L'idée de taxer la monnaie a été développée par Silvio Gesell (1862-1930), un économiste né en Allemagne,
qui fut un entrepreneur prospère en Argentine. Pour Gesell, l’économie, lors d’une période d'instabilité
financière, souffre de la thésaurisation des liquidités. Pour dissuader la thésaurisation et stimuler les
dépenses, il a défendu l’idée selon laquelle l’argent, comme toutes les marchandises, devrait être considéré
comme denrée périssable. C’est le principe de la « monnaie fondante » : la monnaie, selon lui, devrait avoir
un coût de détention (appelé « demurrage charge » ou « intérêt négatif »), qui lui inflige une perte de valeur
régulière. Si l'idée de Gesell de taxer la monnaie n'a, à ce jour, jamais été adoptée à l’échelle nationale, il y a
eu de très nombreux cas d’application locale au cours du siècle passé. Les dispositifs de monnaie locale
développés à partir de sa théorie de la monnaie fondante ont connu un succès remarquable et ce, dans des
cultures et des contextes historiques très différents. Tous ces dispositifs ont, jusqu'ici, opéré en parallèle
avec la monnaie classique (habituellement appelée monnaie nationale ou fiduciaire).
Il y a eu, dans les années 1930, un boom des monnaies alternatives ou parallèles, dont l'exemple le plus
célèbre est le système de certificats émis par la ville de Wörgl (petite commune autrichienne). Le « miracle
de Wörgl » a débuté le 31 juillet 1932 lorsque le maire de la ville a émis des certificats appelés « certificats
de travail ». Ces certificats étaient échangeables contre la monnaie ayant cours légal (monnaie officielle),
mais à un coût (des frais de 2 % étaient appliqués en cas de conversion), et ils se dépréciaient de 1 % par
mois. Le succès a été phénoménal : l'introduction de cette monnaie a, en l’espace de quelques mois, ouvert
la voie à un redressement spectaculaire de l'activité économique de la ville et à une chute du chômage. Six
villages voisins ont alors décidé d'adopter le système de Wörgl. Mais le 1er septembre 1933, alors qu'une
assemblée réunissant 200 maires d'autres communes du pays venait de voter à l'unanimité l'adoption de
ces certificats, la Banque centrale autrichienne a ordonné au conseil municipal de Wörgl de mettre fin à ce
système, source, selon elle, d'inflation. En quelques mois, l'économie locale est retombée en dépression et
le taux de chômage s’est envolé à 30 %.
Depuis la fin des années 2000, les difficultés économiques croissantes des pays développés ont, de la
même manière, entraîné un fort regain d'intérêt pour ces systèmes de monnaies alternatives. Les monnaies
parallèles (qui sont parfaitement légales tant que l'on s'acquitte de l'impôt sur le revenu) ont notamment
proliféré dans les pays de la zone euro. L'Allemagne détient le record en matière de monnaies parallèles en
circulation, avec le Chiemgauer, sa principale monnaie alternative, utilisée dans le sud de la Bavière par plus
de 3 000 personnes dont plus de 600 entreprises. Les Chiemgauer sont échangeables contre des euros, et
vice versa, mais il faut payer une taxe de 5 ou 10 % lors du rachat d'euros. La durée de validité du
Chiemgauer est de 3 mois. Si un billet n'est pas utilisé, il peut être renouvelé pour trois mois grâce au
paiement d'un timbre coûtant 2 % de sa valeur - ce qui représente une dépréciation de la monnaie de 8 %
au bout d’un an. Pour éviter cette taxe, les participants dépensent le Chiemgauer le plus vite possible. On
estime que dans la région le Chiemgauer s'échange trois fois plus que l'euro. Cette monnaie, qui a
également séduit les banques coopératives et les établissements de crédit locaux, est devenue la monnaie
alternative la plus utilisée dans le monde, avec un volume de plus de 5 millions par an et un taux de
croissance annuel de 100 %.
Les monnaies parallèles ne sont généralement pas créées par les banques ou les gouvernements centraux,
mais par des communautés (individus, entreprises etc.). Plus récemment, toutefois, ces innovations
monétaires ont directement associé les autorités locales, qui reconnaissent, de plus en plus, leur utilité dans
le soutien social, la relocalisation des activités économiques ou l'apport d'opportunités de revenus aux
personnes les plus défavorisées.
Si les monnaies parallèles ont connu une forte expansion ces dix dernières années, leur importance
économique en termes de chiffre d’affaires reste marginale. Cela est principalement imputable à l’absence
de dynamique intégrée de ces dispositifs, qui ne visent pas à s'étendre au-delà de la communauté de leurs
membres. Le fait que ces monnaies alternatives soient restées locales et modestes par leur taille explique,
dans une large mesure, pourquoi les banques centrales ne s'en préoccupent pas outre mesure,
contrairement à ce qui s'est passé dans les années 30.
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NUMÉROS PRÉCÉDENTS
N°22 La zone euro est-elle dans une trappe à liquidité ?
Marie-Hélène DUPRAT (Décembre 2013)
N°21 Hausse de la dette publique au Japon : jusqu’à quand ?
Audrey GASTEUIL (Novembre 2013)
N°20 Pays-Bas : à la périphérie du cœur
Benoît HEITZ (Septembre 2013)
N°19 États-Unis : Un exportateur de gaz naturel liquéfié
Marc-Antoine COLLARD (Juin 2013)
N°18 France : Pourquoi le solde des paiements courants se dégrade-t-il depuis plus de 10 ans ?
Benoît HEITZ (Juin 2013)
N°17 Indépendance énergétique des États-Unis
Marc-Antoine COLLARD (Mai 2013)
N°16 Pays développés : Qui détient la dette publique ?
Audrey GASTEUIL-ROUGIER (Avril 2013)
N°15 Chine : Débat sur la croissance
Olivier DE BOYSSON, Sopanha SA (Avril 2013)
N°14 Chine : Prix immobiliers : l’arbre ne doit pas cacher la forêt
Sopanha SA (Avril 2013)
N°13 Le financement de la dette des États : vecteur de (dés-)intégration de la zone euro ?
Léa DAUPHAS, Clémentine GALLÈS (Février 2013)
N°12 La performance à l’exportation de l’Allemagne : analyse comparative avec ses pairs européens
Marc FRISO (Décembre 2012)
N°11 Zone euro : une crise unique
Marie-Hélène DUPRAT (Septembre 2012)
N°10 Marché immobilier et politiques macro-prudentielles : le Canada est-il synonyme de réussite ?
Marc-Antoine COLLARD (Août 2012)
N°9
Le «Quantitative Easing» britannique : plus d’inflation mais pas plus d’activité ?
Benoît HEITZ (Juillet 2012)
N°8
Turquie : Une politique monétaire atypique mais dépendante
Régis GALLAND (Juillet 2012)
N°7
Chine : Investissements directs à l’étranger : beaucoup de bruit pour rien
Sopanha SA, Meno MIYAKE (Mai 2012)
N°6
Royaume-Uni : Retour du spectre de l’inflation ?
Marc-Antoine COLLARD (Février 2012)
N°5
L’ajustement letton est-il un bon exemple pour les pays de la périphérie de la zone euro ?
Anna SIENKIEWICZ, Ariel EMIRIAN (Janvier 2012)
N°4
Chine : l'internationalisation sans convertibilité du renminbi
Sopanha SA, Meno MIYAKE (Décembre 2011)
N°3
États-Unis : États fédérés et collectivités locales, un frein à la reprise économique
Clémentine GALLÈS, Kim MARCH (Juin 2011)
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ECONOTE | N°22 – DÉCEMBRE 2013
ÉTUDES ÉCONOMIQUES
CONTACTS
Olivier GARNIER
Chef économiste du Groupe
+33 1 42 14 88 16
[email protected]
Constance BOUBLIL
Europe centrale et du sud-est
+33 1 42 13 08 29
[email protected]
Olivier de BOYSSON
Chef économiste Pays Émergents
+33 1 42 14 41 46
[email protected]
Marc-Antoine COLLARD
Pays du Golfe, Amérique Latine, Matières
Premières
+33 1 57 29 62 28
[email protected]
Marie-Hélène DUPRAT
Conseiller auprès du chef économiste
+33 1 42 14 16 04
[email protected]
Ariel EMIRIAN
Macroéconomie et analyse pays / Pays CEI
+33 1 42 13 08 49
[email protected]
Marc FRISO
Zone euro, Europe du nord et Afrique
Subsaharienne
+33 1 42 14 74 49
[email protected]
Régis GALLAND
Bassin Méditerranéen et Asie Centrale
+33 1 58 98 72 37
[email protected]
Benoît HEITZ
Macroéconomie et analyse pays / Zone euro
Clément GILLET
et Europe
+33 1 58 98 74 26
Europe du sud
[email protected]
+33 1 42 14 31 43
[email protected]
Clémentine GALLÈS
Emmanuel PERRAY
Analyse macrosectorielle / États-Unis
+33 1 57 29 57 75
Analyse macrosectorielle
clementine.GALLÈ[email protected]
+33 1 42 14 09 95
[email protected]
Françoise BLAREZ
Sofia RAGHAI
Analyse macrosectorielle
+33 1 58 98 82 18
Analyse macrosectorielle
franç[email protected]
+33 1 42 14 30 54
[email protected]
Sopanha SA
Asie
+33 1 58 98 76 31
[email protected]
Isabelle AIT EL HOCINE
Assistante
+33 1 42 14 55 56
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Valérie TOSCAS
Assistante
+33 1 42 13 18 88
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Sigrid MILLEREUX-BEZIAUD
Documentaliste
+33 1 42 14 46 45
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