
Au Danemark, les juridictions ont, ces dernières années, adopté une
position libérale, de telle sorte que, dans une affaire majeure (opé-
rant un revirement de jurisprudence des cours danoises), elles ont
admis que Greenpeace avait un intérêt à agir contre le grand projet
de construction du nouveau pont reliant le Danemark et la Suède
— en partie au motif qu’il ne répondait pas aux exigences posées
par la directive européenne relative à l’évaluation des incidences de
certains plans et programmes sur l’environnement (Impact
Assessment Directive).
J’ai remarqué que dans d’autres pays également (en Grèce, au
Portugal, mais aussi devant le Conseil d’État français), les juridictions
ont adopté une acception beaucoup plus large de la notion d’intérêt
à agir. En effet, les cours sont susceptibles d’accueillir une actio
popularis, là où le requérant n’est pas tenu de démontrer qu’il a un
intérêt à agir autre que celui que constitue l’intérêt public. En d’autres
termes, contrairement aux exigences normales, et par une démons-
tration quelque peu paradoxale de la nature très particulière des
actions portant sur l’environnement, le requérant pourrait être amené
à démontrer qu’il n’agit pas dans son propre intérêt.
La question de l’intérêt à agir revêt une importance toute particu-
lière dans la Convention d’Aarhus, datant de 1998, ratifiée par la
plupart des États membres de l’Union européenne, et qui devrait
jouer un rôle de premier ordre dans la promotion de l’accès effectif
aux tribunaux. Cette convention sur l’accès à l’information, la par-
ticipation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice
en matière de droit de l’environnement, part de l’idée, exprimée
dans le préambule, selon laquelle des mécanismes juridictionnels
effectifs devraient être mis à disposition du public dans les cas por-
tant sur les questions environnementales, de telle sorte que ses in-
térêts légitimes soient protégés, et que la loi soit appliquée.
L’article 9 est particulièrement pertinent pour le sujet qui nous re-
tient aujourd’hui. Plus particulièrement, l’article 9-2 institue un droit
d’accès devant une juridiction ou tout autre organe impartial ou
indépendant dans le but de faire examiner la légalité, tant formelle
que substantielle de la décision (au regard des dispositions de la
convention). L’article 9-4 vise à assurer que de telles procédures
proposent des recours adéquats et effectifs d’une part, et qu’elles
sont justes, équitables et ne sont pas l’objet de coûts exorbitants,
d’autre part. L’article 9-5 impose l’ obligation d’envisager la mise en
place de mécanismes d’assistance appropriés afin d’atténuer, voire
d’éliminer les obstacles financiers et de toute autre nature freinant
l’accès à la justice.
II. Le fond
Tournons-nous maintenant vers le fond des demandes introduites
devant les juridictions nationales, au sujet des questions
environnementales.
Dans les États membres de l’Union européenne, il semble qu’il y ait
eu peu d’efforts visant à instituer de nouveaux recours pour traiter
des questions environnementales en général. Au contraire, il a été
davantage question de savoir comment on pouvait adapter les re-
cours existants aux besoins spécifiques de la protection de l’envi-
ronnement. Mais les systèmes juridiques nationaux varient consi-
dérablement, et l’adaptation de ce que l’histoire a forgé, au fil des
événements comme un tout à des considérations spécifiques peut
facilement aboutir à des incohérences.
Si l’on prend l’exemple du droit anglais, on trouve plusieurs sortes
de torts (dans les autres systèmes, on recourt au terme de « délit »)
qui pourraient illustrer pertinemment mon propos. Je ferai état, très
brièvement, de trois types de responsabilités délictuelles.
Tout d’abord, ilyaletort d’ordre général, dit de négligence, qui
n’est pas sans présenter quelques analogies avec les dispositions
générales du Code civil. Il exige du demandeur qu’il établisse :
(i) qu’il pesait un devoir de prudence sur le défendeur ;
(ii) que le défendeur n’a pas honoré ce devoir ;
(iii) que le dommage subi par le demandeur est le résultat du non-
respect du devoir de prudence du défendeur.
Cependant le tort de négligence a de nombreux désavantages quand
il est utilisé dans le cadre de recours pour atteinte à l’environne-
ment. Tout d’abord, et surtout, il est fondé sur la faute, alors que les
autres torts ne recherchent pas la commission d’une faute. Ensuite,
le dommage doit avoir été raisonnablement prévisible — ce qui ne
peut pas toujours être le cas pour les atteintes à l’environnement, et
qui, peu importe le contexte, donne souvent lieu à de réelles dif-
ficultés. Enfin, le dommage, dans le cadre du tort de négligence,
implique qu’il y ait un véritable dommage à la propriété ou un
dommage corporel, de telle sorte que le tort de négligence ne peut
être utilisé si les demandes en réparation portent sur d’autres formes
de dommages, comme le désagrément, le stress, ou des symptômes
physiques d’un dommage corporel — comme cela pourrait être le
cas, par exemple avec les nuisances sonores. Pour ces formes de
dommages, il pourrait être nécessaire de se fonder sur d’autres torts,
telles que les nuisances ou la règle tirée de l’arrêt Rylands v. Fletcher,
que je me dois d’évoquer.
Le terme de nuisance qualifiant le tort du même nom couvre da-
vantage l’acception française de « source de préjudice », que le sens
moderne qu’on lui prête parfois et qui se définit par l’expression
anglaise « a pain in the neck » (un agacement). Le droit des nuisances
implique différentes notions non juridiques, ayant trait à l’usage d’une
terre par son propriétaire, ou des droits ou intérêts en rapport avec
cetteterre.Maisilyaplusieurs torts au sein de cette catégorie :
nuisances privées, nuisances publiques, statutory nuisance ; et un
tort complètement à part dégagé dans l’arrêt Rylands v. Fletcher,
selon lequel « la personne qui, de son propre chef, amène sur sa
terre, y entrepose et y conserve quelque chose susceptible de créer
un préjudice si celle-ci s’en échappe, est réputée le conserver à ses
propres risques, de telle sorte que si un dommage est causé, il sera
tenu responsable de tous les dommages se rattachant à ladite échap-
pée ». Pour ces torts, au contraire de la négligence, la responsabilité
doit être stricte, c’est-à-dire sans lien nécessaire avec la notion de
faute. Cependant de tels recours ne sont ouverts que dans une série
de circonstances limitées aux intérêts de la terre.
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