Mini-revue Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ; 22, n° 1 : 44-6 Accroissement gingival médicamenteux : un effet indésirable parfois majeur Iatrogenic gingival hypertrophy: sometimes a major indesirable side effect Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Arnaud Gauthier1, Cécile Rupin2, Philippe Rosec2, Sadika Hessaine1, Pierre Boutouyrie1,3, Philippe Bouchard2,4 1 Hôpital Européen Georges Pompidou, service de Pharmacologie et Inserm U970, Paris, France Hôtel-Dieu, AP-HP, Département de parodontologie, Service d’odontologie, Paris, France 3 Université Paris Descartes Paris 5, Paris, France <[email protected]> 4 Université Denis Diderot Paris 7, Paris, France 2 U n homme de 34 ans, d’origine haïtienne est adressé en octobre 2008, par son chirurgien-dentiste dans le département de parodontologie du service d’odontologie de l’Hôtel-Dieu Garancière (université Denis Diderot Paris 7, Paris, France) pour la prise en charge d’un accroissement gingival d’apparition récente. Observation Le patient consulte en novembre 2008 pour des saignements gingivaux, accentués lors du brossage et d’halitose. L’anamnèse révèle une hypertension artérielle connue depuis septembre 2007, insuffisamment contrôlée par valsartan (160 mg). En décembre 2007, un traitement en bithérapie d’association fixe par amlodipine/valsartan (5 mg, 80 mg, respectivement) est introduit, avec un excellent contrôle tensionnel. Le patient, n’ayant jamais fumé et ne consommant pas d’alcool, ne présente aucun antécédent médico-chirurgical en dehors d’antécédents familiaux de parodontite chronique. L’examen clinique exobuccal ne révèle pas de signes généraux ni d’adénopathie. À l’examen clinique endobuccal, il existe une inflammation sévère et généralisée de la gencive associée à un accroissement gingival marqué (figure 1). On observe des suppurations et un saignement profus et douloureux au sondage parodontal qui consiste à placer une sonde millimétrée entre la gencive et la dent. Une numération formule sanguine et un bilan inflammatoire permettent d’écarter les diagnostics d’hémopathies ou de maladies inflammatoires chroniques. Le diagnostic retenu est donc celui de parodontite agressive généralisée sévère compliquée d’accroissement gingival dû à l’administration d’antagonistes calciques [1]. Le cas est aggravé par la présence de prothèses dentaires iatrogènes. Contrôle de la pression artérielle Tirés à part : P. Boutouyrie 44 En raison des effets secondaires gingivaux, un relais par une association d’un antagoniste de l’angiotensine II et d’un diurétique (candesartan 16 mg/hydrochlorothiazide 12, 5 mg) est insSTV, vol. 22, n° 1, janvier 2010 doi: 10.1684/stv.2010.0451 Traitement et évolution Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Figure 1. Aspect des arcades dentaires lors de la première consultation : noter l’aspect prolifératif, hémorragique du tissu parodontal, notamment à la mâchoire supérieure. tauré par le médecin généraliste en décembre 2008. En février 2009, devant l’absence de contrôle tensionnel, il est adjoint un antihypertenseur d’action centrale (rilménidine 1 mg), triple association bien tolérée mais insuffisamment efficace. En mars 2009, un bêtabloquant (nébivolol 5 mg®) est ajouté. Devant l’absence de stabilisation tensionnelle, le patient est orienté en consultation spécialisée. Une bithérapie associant bêtabloquant et diurétique thiazidique (nébivolol 5 mg® et indapamide 1, 5 mg) est instaurée, permettant l’atteinte des objectifs tensionnels. Évolution Traitement de la maladie parodontale L’accroissement gingival est le plus souvent médicamenteux. Trois classes de médicaments peuvent déterminer cette pathologie : 1) les antagonistes calciques ; 2) certains immunosuppresseurs (principalement la ciclosporine) et (3) les anticonvulsivants (principalement phénytoïne). Cet accroissement est parfois favorisé ou secondaire à une modification hormonale (ménopause ou grossesse), une hémopathie (leucémie aiguë monoblastique) ou le saturnisme. C’est un effet indésirable des inhibiteurs calciques considéré comme rare, intéressant pourtant près de 3 à 6 % des sujets traités dans certaines séries [2]. La maladie parodontale est liée à la mala- Un traitement parodontal reposant sur une information spécifique concernant les mesures d’hygiène bucco-dentaire et un simple détartrage est instauré en première intention afin de soulager le patient. En mars 2009, une thérapeutique parodontale non chirurgicale est mise en place : technique rapide de désinfection globale mécanique (détartrage profond) et chimique (bain de bouche de chlorhexidine à 2 %). Une prescription d’antibiotiques vient compléter le traitement (amoxicilline). En mai 2009, la pression artérielle est stabilisée. Le patient perçoit une très nette amélioration (arrêt des saignements, patient non algique). L’examen endobuccal confirme l’absence de saignement et de suppurations et montre la régression complète de l’accroissement gingival (figure 2). Discussion Figure 2. Aspect des arcades dentaires après arrêt des antagonistes calciques et traitement intensif médico-chirurgical. A noter l’absence de saignements et de suppuration. A noter la nature prothétique iatrogène des incisives et canines supérieures. STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010 45 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. die athéromateuse [3] ; de fait, les lésions parodontales surviennent fréquemment chez des patients traités par des médicaments cardiovasculaires. Morisaki rapporte en 2001, qu’il est retrouvé plus fréquemment dans les suites d’un traitement par nifédipine que par amlodipine [4] ; cependant, il semble bien qu’il s’agisse d’un effet classe des antagonistes calciques car rapporté avec les autres représentants (diltiazem et vérapamil). Dans l’étude menée par Ellis et al. en 1999, il est montré que la prévalence du trouble chez les patients traités par amlodipine ne diffère pas significativement du groupe de sujets hypertendus non traités par inhibiteurs calciques [2]. L’accroissement gingival est secondaire à un processus chronique entraînant des réparations exubérantes d’origine inconnue. Cette réponse est un continuum car il a été montré que cet effet indésirable intéresse la quasi totalité des patients, et n’atteint un seuil symptomatique que chez une minorité [5]. On retrouve histologiquement une abondance de collagène. Les fibroblastes sont nombreux et associés à des cellules inflammatoires non spécifiques. L’épithélium de surface est souvent acanthosique. Ces lésions ne sont pas spécifiques. La biopsie ne se justifie qu’en cas de doute diagnostique persistant, particulièrement en cas d’hémopathie. Ellis et al. ont recherché des facteurs prédictifs de ce genre d’effets indésirables au sein desquels l’âge, le sexe, la durée du traitement, la dose du traitement, la classe sociale, l’indice de saignement et l’indice de plaque. Seul le sexe présente un risque significatif (p = 0,02) : les hommes sont 3,3 fois plus touchés que les femmes [2]. La prise en charge consiste le plus souvent en l’arrêt du médicament causal et en un contrôle de l’hygiène buccodentaire. La régression des symptômes est généralement 46 obtenue en trois à six mois. En cas de résultats insuffisants, particulièrement en cas de pathologie gingivale ou parodontale sous-jacente, un traitement parodontal chirurgical ou non peut s’avérer nécessaire. Conclusion Le suivi des patients sous inhibiteurs calciques demande l’observation de la cavité buccale pour permettre de dépister précocement cet effet indésirable. En cas de pathologie gingivale sous-jacente, un traitement local spécialisé peut être nécessaire. ■ Références 1. Armitage GC. Development of a classification system for periodontal diseases and conditions. Ann Periodontol 1999 ; 4 : 1-6. 2. Ellis JS, Seymour RA, Steele JG, Robertson P, Butler TJ, Thomason JM. Prevalence of gingival overgrowth induced by calcium channel blockers : a community-based study. J Periodontol 1999 ; 70 : 63-7. 3. Friedewald VE, Kornman KS, Beck JD, Genco R, Goldfine A, Libby P, et al. The american journal of cardiology and journal of periodontology editors’ consensus : Periodontitis and atherosclerotic cardiovascular disease (diamond). Journal of Periodontology 2009 ; 80 : 1021-32. 4. Morisaki I, Dol S, Ueda K, Amano A, Hayashi M, Mihara J. Amlodipine-induced gingival overgrowth : periodontal responses to stopping and restarting the drug. Spec Care Dentist 2001 ; 21 : 60-2. 5. Meisel P, Schwahn C, John U, Kroemer HK, Kocher T. Calcium antagonists and deep gingival pockets in the population-based SHIP study. Br J Clin Pharmacol 2005 ; 60 : 552-9. STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010