Accroissement gingival médicamenteux : un effet indésirable parfois

Mini-revue
Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ;
22, n° 1 : 44-6
doi: 10.1684/stv.2010.0451
Accroissement gingival me
´dicamenteux :
un effet inde
´sirable parfois majeur
Iatrogenic gingival hypertrophy: sometimes a major indesirable side effect
Arnaud Gauthier
1
,Ce
´cile Rupin
2
, Philippe Rosec
2
, Sadika Hessaine
1
, Pierre Boutouyrie
1,3
,
Philippe Bouchard
2,4
1
Hôpital Européen Georges Pompidou, service de Pharmacologie et Inserm U970, Paris, France
2
Hôtel-Dieu, AP-HP, Département de parodontologie, Service dodontologie, Paris, France
3
Université Paris Descartes Paris 5, Paris, France
4
Université Denis Diderot Paris 7, Paris, France
Un homme de 34 ans, dorigine haïtienne est adressé en octobre 2008, par son
chirurgien-dentiste dans le département de parodontologie du service dodonto-
logie de lHôtel-Dieu Garancière (université Denis Diderot Paris 7, Paris,
France) pour la prise en charge dun accroissement gingival dapparition récente.
Observation
Le patient consulte en novembre 2008 pour des saignements gingivaux, accentués lors du
brossage et dhalitose. Lanamnèse révèle une hypertension artérielle connue depuis septem-
bre 2007, insuffisamment contrôlée par valsartan (160 mg). En décembre 2007, un traitement
en bithérapie dassociation fixe par amlodipine/valsartan (5 mg, 80 mg, respectivement) est
introduit, avec un excellent contrôle tensionnel. Le patient, nayant jamais fumé et ne
consommant pas dalcool, ne présente aucun antécédent médico-chirurgical en dehors danté-
cédents familiaux de parodontite chronique.
Lexamen clinique exobuccal ne révèle pas de signes généraux ni dadénopathie. À lexamen
clinique endobuccal, il existe une inflammation sévère et généralisée de la gencive associée à
un accroissement gingival marqué (figure 1). On observe des suppurations et un saignement
profus et douloureux au sondage parodontal qui consiste à placer une sonde millimétrée entre
la gencive et la dent.
Une numération formule sanguine et un bilan inflammatoire permettent décarter les diagnos-
tics dhémopathies ou de maladies inflammatoires chroniques.
Le diagnostic retenu est donc celui de parodontite agressive généralisée sévère compliquée
daccroissement gingival dû à ladministration dantagonistes calciques [1]. Le cas est
aggravé par la présence de prothèses dentaires iatrogènes.
Traitement et e
´volution
Contrôle de la pression artérielle
En raison des effets secondaires gingivaux, un relais par une association dun antagoniste de
langiotensine II et dun diurétique (candesartan 16 mg/hydrochlorothiazide 12, 5 mg) est ins-
Tire
´sa
`part :
P. Boutouyrie
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tauré par le médecin généraliste en décembre 2008. En
février 2009, devant labsence de contrôle tensionnel, il
est adjoint un antihypertenseur daction centrale (rilméni-
dine 1 mg), triple association bien tolérée mais insuffisam-
ment efficace. En mars 2009, un bêtabloquant (nébivolol
5mg®)estajouté.Devantlabsence de stabilisation tension-
nelle, le patient est orienté en consultation spécialisée. Une
bithérapie associant bêtabloquant et diurétique thiazidique
(nébivolol 5 mg® et indapamide 1, 5 mg) est instaue, per-
mettant latteinte des objectifs tensionnels.
Traitement de la maladie parodontale
Un traitement parodontal reposant sur une information spé-
cifique concernant les mesures dhygiène bucco-dentaire et
un simple détartrage est instauré en première intention afin
de soulager le patient. En mars 2009, une thérapeutique
parodontale non chirurgicale est mise en place : technique
rapide de désinfection globale mécanique (détartrage
profond) et chimique (bain de bouche de chlorhexidine à
2 %). Une prescription dantibiotiques vient compléter le
traitement (amoxicilline).
Évolution
En mai 2009, la pression artérielle est stabilisée. Le
patient perçoit une très nette amélioration (arrêt des
saignements, patient non algique). Lexamen endobuccal
confirme labsence de saignement et de suppurations et
montre la régression complète de laccroissement gingival
(figure 2).
Discussion
Laccroissement gingival est le plus souvent médicamenteux.
Trois classes de médicaments peuvent déterminer cette
pathologie : 1) les antagonistes calciques ; 2) certains immu-
nosuppresseurs (principalement la ciclosporine) et (3) les
anticonvulsivants (principalement phénytoïne). Cet accrois-
sement est parfois favorisé ou secondaire à une modification
hormonale (ménopause ou grossesse), une hémopathie (leu-
cémie aiguë monoblastique) ou le saturnisme. Cest un effet
indésirable des inhibiteurs calciques considéré comme rare,
intéressant pourtant près de 3 à 6 % des sujets traités dans
certaines séries [2]. La maladie parodontale est liée à la mala-
Figure 1.Aspect des arcades dentaires lors de la première consultation : noter laspect prolifératif, hémorragique du tissu parodontal,
notamment à la mâchoire supérieure.
Figure 2.Aspect des arcades dentaires après arrêt des antagonistes calciques et traitement intensif médico-chirurgical. A noter
labsence de saignements et de suppuration. A noter la nature prothétique iatrogène des incisives et canines supérieures.
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die athéromateuse [3] ; de fait, les lésions parodontales
surviennent fréquemment chez des patients traités par des
médicaments cardiovasculaires. Morisaki rapporte en 2001,
quil est retrouvé plus fréquemment dans les suites dun trai-
tement par nifédipine que par amlodipine [4] ; cependant, il
semble bien quil sagisse dun effet classe des antagonistes
calciques car rapporté avec les autres représentants (diltiazem
et vérapamil). Dans létude menée par Ellis et al. en 1999, il
est montré que la prévalence du trouble chez les patients trai-
tés par amlodipine ne diffère pas significativement du groupe
de sujets hypertendus non traités par inhibiteurs calciques [2].
Laccroissement gingival est secondaire à un processus chro-
nique entraînant des réparations exubérantes dorigine incon-
nue. Cette réponse est un continuum car il a été montré que
cet effet indésirable intéresse la quasi totalité des patients, et
natteint un seuil symptomatique que chez une minorité [5].
On retrouve histologiquement une abondance de collagène.
Les fibroblastes sont nombreux et associés à des cellules
inflammatoires non spécifiques. Lépithélium de surface est
souvent acanthosique. Ces lésions ne sont pas spécifiques.
La biopsie ne se justifie quen cas de doute diagnostique
persistant, particulièrement en cas dhémopathie.
Ellis et al. ont recherché des facteurs prédictifs de ce genre
deffets indésirables au sein desquels lâge, le sexe, la durée
du traitement, la dose du traitement, la classe sociale,
lindice de saignement et lindice de plaque. Seul le sexe
présente un risque significatif (p= 0,02) : les hommes
sont 3,3 fois plus touchés que les femmes [2].
La prise en charge consiste le plus souvent en larrêt du
médicament causal et en un contrôle de lhygiène bucco-
dentaire. La régression des symptômes est généralement
obtenue en trois à six mois. En cas de résultats insuffisants,
particulièrement en cas de pathologie gingivale ou paro-
dontale sous-jacente, un traitement parodontal chirurgical
ou non peut savérer nécessaire.
Conclusion
Le suivi des patients sous inhibiteurs calciques demande
lobservation de la cavité buccale pour permettre de dépis-
ter précocement cet effet indésirable. En cas de pathologie
gingivale sous-jacente, un traitement local spécialisé peut
être nécessaire.
Références
1. Armitage GC. Development of a classification system for periodontal
diseases and conditions. Ann Periodontol 1999 ; 4 : 1-6.
2. Ellis JS, Seymour RA, Steele JG, Robertson P, Butler TJ,
Thomason JM. Prevalence of gingival overgrowth induced by calcium
channel blockers : a community-based study. J Periodontol 1999 ; 70 :
63-7.
3. Friedewald VE, Kornman KS, Beck JD, Genco R, Goldfine A, Libby P,
et al. The american journal of cardiology and journal of periodontology
editorsconsensus : Periodontitis and atherosclerotic cardiovascular
disease (diamond). Journal of Periodontology 2009 ; 80 : 1021-32.
4. Morisaki I, Dol S, Ueda K, Amano A, Hayashi M, Mihara J.
Amlodipine-induced gingival overgrowth : periodontal responses to
stopping and restarting the drug. Spec Care Dentist 2001 ; 21 : 60-2.
5. Meisel P, Schwahn C, John U, Kroemer HK, Kocher T. Calcium
antagonists and deep gingival pockets in the population-based SHIP
study. Br J Clin Pharmacol 2005 ; 60 : 552-9.
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