Position de Thèse 3
Christophe Bennet - Musique et radio dans la France des années trente – Université Paris-IV - 13 juin 2007
commerciaux. C’est ainsi que le musicologue socialiste Robert Jardillier, en charge des PTT dans le
Premier Gouvernement Blum, préconise une fragmentation de la musique de chambre, qu’il juge trop
peu accessible aux profanes. Les traditionnels concerts de sonates et quatuors se trouvent alors
remplacés par des défilés d’artistes anonymes qui assurent, au studio de la rue François Ier, de
quotidiens micro-récitals de chant, de piano, de violon ou de violoncelle. Des collectifs classiques
émergent également qui savent aussi bien exécuter des ouvertures d’opéras que des arrangements de
chansons à danser. Incarnant parfaitement la polyvalence et la vitalité de ces orchestres de studio, la
formation de Victor Pascal, par exemple, se produit plusieurs centaines de fois, à la fréquence d’un
jour sur deux. Dans le dispositif des relais d’antennes, qui doivent permettre à l’auditeur de trouver
chaque soir un programme à son goût sur les stations publiques, on remarque que le Poste national ne
développe guère ses plages de musique de divertissement, même si des professionnels comme Louis
Merlin sont engagés pour apporter du neuf dans les variétés. En outre, la station conserve son penchant
pour les mélanges de genres, puisqu’elle multiplie les émissions dites de « musique symphonique
légère et variée », une thématique fourre-tout proprement radiophonique. Mieux encore, les petits
orchestres plurifonctionnels humanisent désormais certaines des séquences bigarrées, et entretiennent
l’hétérogénéité stylistique, auparavant exclusive des émissions de disques (dont elle est née). Mais
dans l’ensemble, la suprématie de la musique savante n’a jamais été aussi affirmée qu’en cette fin de
décennie, où les proportions des catégories de musique de divertissement ne s’expriment généralement
que par un nombre à un chiffre.
Les études comparées des grilles de programmes et des musiciens diffusés en seconde période
font ressortir les dissemblances de nos deux modèles. La musique est très largement savante, française
et contemporaine sur Radio-Paris, alors qu’elle est, à tous points de vue, plus diversifiée sur Radio-
Cité. Aux dires de ses porte-parole, celle-ci cherche en fait à satisfaire le plus grand nombre
d’auditeurs, sans verser pour autant dans le populisme. Sur cette antenne, les séquences musicales sont
en moyenne deux fois plus courtes que sur Radio-Paris, mais aussi plus homogènes ; elles
s’enchaînent rapidement et n’excluent aucun genre. Réservant un créneau quotidien d’une vingtaine de
minutes à l’art musical, l’équipe de Bleustein diffuse des enregistrements des grands auteurs et
interprètes par échantillons. Ce faisant, elle bouscule le concept du concert classique, tel qu’il s’était
figé au milieu du XIXesiècle, et prolongé, sur les ondes, aux premières heures du média. Mais elle
réserve aussi des plages au spectacle vivant, comme les récitals exclusifs du virtuose Jacques Thibaud,
ou les concerts de l’Orchestre symphonique de Paris le dimanche soir. Les célébrités des films
musicaux, du tour de chant et du music-hall collaborent, elles aussi, aux émissions quotidiennes,
d’autant que les techniques d’enregistrement sur pellicule et disques souples rendent désormais
possibles de légers différés. Leurs prestations ne sont d’ailleurs pas désintéressées, et la puissance de
diffusion de la radio, démultipliée par les dizaines de stations, propulse littéralement des carrières de
chanteurs, dont celle de Tino Rossi ou de son contradicteur Charles Trenet. Ce dernier est également
animateur d’émissions sur Radio-Cité, et produit des spots musicaux pour des agences publicitaires.
Comme sur le Poste national, la station embauche des artistes qui se spécialisent dans le genre
radiophonique. Mais ignorant les pièces symphoniques, l’orchestre maison, que constitue le chef et
compositeur Michel Emer, ne développe qu’un répertoire de variétés. Il prête, chaque soir, son
concours à l’habillage des émissions publiques et galas d’artistes, des jeux et concours d’amateurs.
Ces spectacles grand public n’affichent pas nécessairement un programme strictement musical, mais
les ponctuations et interludes justifient la permanence du collectif. Inspirée par les savoir-faire et les
recettes de la radio américaine (qu’une délégation étudie en juin 1938), la station multiplie les
spectacles en public et en direct de grandes salles parisiennes, mais aussi de lieux de cabaret ou de
dancings à la mode. Construisant un « esprit de station » (qui n’est pas sans rappeler la convivialité
des associations d’auditeurs qui gravitaient autour des postes régionaux du début de la décennie),
Radio-Cité instaure des espaces de dialogue (écrit et radiophonique) qui l’aident à mieux sonder les
goûts et les critiques de son auditoire. La modification incessante des grilles se fait, d’ailleurs, sous
prétexte d’une amélioration perpétuelle de l’adéquation des programmes aux attentes des auditeurs.
Parce qu’elle ne verse pas dans la démagogie artistique, et qu’elle sait s’attirer la collaboration des
meilleurs représentants de chaque genre, la station fait parfois même, aux yeux d’observateurs de la
presse écrite, l’effet d’un exemple que devrait suivre la radio publique ronronnante. À l’instar de