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englober d‟autres types de performances ? Dans un article de The Drama Review, John Bell
soupçonne ce déni de tradition théâtrale autochtone d‟être une tentative de dévalorisation de la
culture arabe (Bell, 2005 :10), certes largement inconsciente, mais qui a cependant réussi à
investir l‟esprit des Arabes eux-mêmes. Car des genres littéraires contenant des éléments
dramatiques et des formes spectaculaires populaires existent bel et bien dans le monde arabe
avant le XIXe siècle, mais aucun de ces phénomènes n‟a été considéré comme relevant du
théâtre.
Par contre, toutes sortes de raisons ont été invoquées pour tenter d‟expliquer
l‟inexistence du théâtre dans la civilisation arabe. Des personnalités arabes et occidentales ont
prétendu que la « structure mentale » des Arabes était incompatible avec cette forme d‟art :
l‟esprit arabe, atomiste et individualiste, serait incapable de l‟organisation élaborée et de la
structuration nécessaires aux formes littéraires d‟envergure, comme l‟épopée ou le drame
(Ben Halima). Indépendamment du fait que cette thèse découle d‟un préjugé raciste, elle est
contredite par les nombreuses réalisations intellectuelles (sciences religieuses, philosophie) et
artistiques (architecture) des Arabes, impliquant toutes un esprit de synthèse et des facultés
d‟organisation exceptionnelles (Khozai, 1984 : 3 ; Badawi, 1988 : 5). Certains justifient cette
absence par une mythologie insufisamment développée (And), comme si le théâtre ne pouvait
éclore que du mythe.
Pour d‟autres (Tawfîq al-Hakîm, Zaki Tulaymat, Al-Raï), des facteurs
environnementaux, comme les rudes conditions météorologiques dans le désert et le
nomadisme avec ses pérégrinations continuelles, ses razzias et ses guerres intestines,
expliquent que le climat n‟ait pas été propice à la naissance du théâtre, celui-ci ne se
développant bien qu‟en milieu urbain. Or, le monde arabe s‟est sédentarisé et urbanisé dès la
période omeyyade, encore plus sous les Abbassides, et même à la période préislamique il
existait des centres urbains importants comme la Mekke et Ta‟if (Khozai, 1984 : 6 ; Badawi,
1988 : 4). On a également invoqué l‟interdiction faite aux femmes de se produire sur la scène
(Landau), en oubliant que les théâtres grec, romain et médiéval recouraient au travestissement
des acteurs pour les rôles féminins.
Les raisons d‟ordre religieux ont été jugées convaincantes par certains chercheurs : le
théâtre s‟appuie sur l‟existence d‟un conflit (conflit entre la volonté humaine et la toute-
puissance divine, entre l‟individu et les valeurs ou lois d‟une société, conflit interne, etc.) et le
musulman ne connaîtrait pas ces types de conflit à cause de sa conception autocratique de
Dieu et de sa soumission au destin (Aziza, Khozai). Nonobstant la compréhension assez
simpliste de l‟islam que cela implique, c‟est réduire le théâtre à la seule tragédie, la comédie