M I S E A U P O I N T Comprendre les douleurs musculaires : de l’évaluation clinique aux examens complémentaires adaptés Understanding muscular pain, from clinical assessment to optimal investigations ● S. Perrot* Mots-clés : Muscle - Douleur - Évaluation - Démarche diagnostique. Keywords: Muscle - Pain - Diagnosis - Investigations. P o i n t s f o r t s ■ Myalgies : symptôme extrêmement fréquent, importance de la pathologie fonctionnelle, mais pièges fréquents. ■ Différencier crampes et myalgies. ■ Apprécier le rôle de l’effort dans le déclenchement des myalgies. être extrêmement variable d’un patient à l’autre. Il faut différencier plusieurs types de myalgies : – les crampes, lorsque les douleurs s’accompagnent de contractures musculaires, – les myalgies spontanées (ou de repos), présentes au repos et parfois augmentées à l’effort, – le syndrome d’intolérance à l’exercice : il s’agit de myalgies déclenchées exclusivement à l’effort. Il faut éliminer d’autres douleurs : – les claudications douloureuses artérielles ou rhumatologiques, – les syndromes des loges, – la maladie de Fabry (déficit en alpha-galactosidase lié à l’X), responsable chez l’homme de douleurs d’effort avec sensation de chaleur des extrémités, accompagnée d’angiokératomes cutanés et de troubles de la sudation. ■ EMG systématique si myalgies et déficit moteur. ■ Pas de biopsie musculaire systématique. ■ Dosage des créatines phosphokinases (CPK) et bilan thyroïdien systématique. ■ Bilan biologique inflammatoire systématique si myalgies de repos. L es douleurs musculaires ou myalgies sont des symptômes extrêmement fréquents, en rhumatologie comme en médecine générale. Leur description sémiologique est polymorphe et la conduite diagnostique reste mal codifiée. Leurs étiologies sont nombreuses. Les myalgies sont le plus souvent bénignes, mais dans certains cas elles peuvent révéler des maladies graves. Il est important que le rhumatologue, à partir d’un examen clinique orienté, discerne ce qui peut être potentiellement grave et nécessiter des investigations complètes, parfois en centre spécialisé, ou au contraire ce qui peut faire l’objet d’une surveillance simple. SÉMIOLOGIE DES DOULEURS MUSCULAIRES Les myalgies se définissent comme des douleurs musculaires chroniques ou aiguës, diffuses ou focales, dont l’intensité peut * Service de médecine interne et consultation des douleurs rhumatologiques, Hôtel-Dieu, Paris. 12 Myalgies spontanées Ce sont les myalgies les plus fréquemment rencontrées. Elles se caractérisent par une sensation douloureuse ressentie au niveau du muscle, en dehors de tout exercice, le plus souvent dans les muscles proximaux, parfois même dans les muscles abdominaux. Elles sont migratrices, d’intensité extrêmement variable. Elles réveillent parfois le patient la nuit et sont aggravées lors du moindre effort. Il peut s’y associer des douleurs articulaires, et il est parfois difficile de faire la part entre ce qui est une authentique arthralgie et une myalgie ; on parle alors d’arthromyalgies. Les myalgies spontanées font volontiers suspecter une myopathie inflammatoire, mais dans la majorité des cas elles s’intègrent dans le cadre de myalgies dites “psychogènes”, voire d’un syndrome fibromyalgique ; un état anxiodépressif et des troubles du sommeil peuvent alors se rencontrer. Crampes et contractures Les crampes se définissent par une contraction musculaire douloureuse survenant indifféremment au repos ou à l’effort. Le muscle est induré et douloureux à la palpation. Les crampes peuvent être diffuses, le plus souvent aux mollets mais parfois dans des régions plus inhabituelles comme les muscles proximaux ou abdominaux. L’électromyogramme montre souvent une activité électrique synchronisée résultant d’une hyper-réactivité des unités motrices. Les crampes sont surtout rencontrées au cours des neuropathies périphériques ou lors d’atteintes du La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006 M motoneurone (sclérose latérale amyotrophique par exemple). Elles doivent être distinguées des myotonies, qui ne sont généralement pas douloureuses et dont l’activité électrique caractéristique provient de la fibre musculaire elle-même (maladie de Steinert, par exemple). Dans certains cas, on n’enregistre aucune activité électrique ; on parle alors de “crampes silencieuses”, essentiellement observées au cours des myopathies métaboliques. Ces contractures doivent être distinguées des contractures indolores observées après percussion (myoœdème), lors de l’hypothyroïdie. Intolérance musculaire à l’exercice Il s’agit de douleurs musculaires apparaissant exclusivement après un effort plus ou moins intense et plus ou moins prolongé. Il peut s’y associer une rhabdomyolyse plus ou moins sévère, et parfois une insuffisance rénale par myoglobinurie. Il est très important de faire préciser le délai d’apparition de ces douleurs en fonction de l’intensité et de la durée de l’effort. Si l’intolérance musculaire apparaît après un effort bref et soutenu, comme par exemple une course de 100 m, on s’orientera plutôt vers une pathologie des voies de dégradation du glycogène. Dans ce cas, on décrit le phénomène dit “de second souffle”, typique de certaines glycogénoses, qui se caractérise par la disparition des douleurs lors du maintien de l’effort intense. Si l’intolérance musculaire apparaît lors d’efforts plus prolongés (par exemple une course à pied sur plusieurs kilomètres), on s’orientera vers un trouble du métabolisme des lipides. Parfois, cette distinction est impossible car les douleurs apparaissent indifféremment après un effort court ou prolongé, ou sont inconstantes selon l’effort fourni. SIGNES ASSOCIÉS À RECHERCHER ATTENTIVEMENT Les signes associés sont extrêmement nombreux. Ils imposent un examen neurologique méticuleux et attentif, et la recherche de certains signes qui orienteront le clinicien vers une affection musculaire définie. Myoglobinurie d’effort À l’interrogatoire, il faut rechercher une myoglobinurie, révélée par des urines rouge foncé et survenant après un exercice, liée à une rhabdomyolyse parfois sévère. Déficit musculaire et/ou atrophie Dans les pathologies musculaires pures, il n’existe pas de troubles sensitifs et d’aréflexie ostéotendineuse, et la recherche d’un déficit musculaire ou d’une atrophie est tout à fait fondamentale. Parfois, ce déficit sera très discret. Il faudra préciser la topographie du déficit et/ou de l’amyotrophie, car certaines présentations permettent une orientation diagnostique. Rétractions musculaires et hypertrophie des mollets Il faut rechercher des rétractions musculaires, qui peuvent être précoces. Il faudra également chercher des déformations La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006 I S E A U P O I N T ostéo-articulaires, comme une scoliose au cours d’une atteinte des muscles paravertébraux. L’existence de gros mollets est un indice diagnostique important car ils sont essentiellement observés au cours de dystrophies musculaires comme les dystrophinopathies. Atteinte des muscles cardio-respiratoires Dans les myopathies, il est important de dépister une atteinte du muscle cardiaque ou des muscles respiratoires. Cette recherche est fondamentale pour le pronostic mais aussi pour orienter le diagnostic lorsque ces signes sont inauguraux ou précoces (atteinte respiratoire précoce au cours des déficits en maltase acide par exemple). Myotonie La recherche d’une myotonie doit être systématique devant toute suspicion de maladie musculaire, car sa présence est un indice étiologique important. Une myotonie se définit par une lenteur à la décontraction musculaire, ce qui la différencie des contractures rencontrées au cours du syndrome d’hyperexcitabilité du motoneurone. Elle est le plus souvent active et spontanée, apparaissant après certains efforts comme le fait de serrer la main, cette dernière restant agrippée à celle de l’examinateur. Elle est souvent augmentée par le froid. Elle s’améliore par la répétition du geste, l’inverse définissant la myotonie paradoxale de l’exceptionnelle paramyotonie d’Eulenburg. La myotonie est volontiers déclenchée à la percussion du muscle, par exemple sur la loge thénar. Elle peut être très distale, périorbitaire, péribuccale ou même généralisée, entraînant alors une véritable tétanisation responsable de chutes au démarrage, notamment dans les myotonies congénitales. Lorsqu’il existe une myotonie, on n’observe habituellement aucune vraie intolérance musculaire à l’effort, mais on peut parfois rencontrer des myalgies de repos et d’effort, notamment au cours du PROMM (myopathie proximale avec myotonie, proche de la maladie de Steinert). Autres signes associés Une atteinte du système nerveux central peut se rencontrer au cours de certaines myopathies comme les mitochondriopathies, par exemple. La recherche de signes cutanés rencontrés au cours des myopathies inflammatoires est déterminante, avec par exemple un œdème érythémateux périorbitaire typique associé à une éruption érythémateuse du décolleté et des doigts avec hyperhémie périunguéale, comme on peut l’observer au cours des dermatomyosites. Une altération de l’état général est aussi un indice déterminant. Il faudra rechercher dans certains cas une pathologie ophtalmologique comme une atteinte rétinienne (dans les maladies mitochondriales) ou une cataracte (dans certaines myotonies). Enfin, l’existence d’un état dépressif ou de troubles du sommeil oriente le clinicien vers une étiologie musculaire non organique ou “fonctionnelle”. ANTÉCÉDENTS PERSONNELS ET FAMILIAUX L’existence d’antécédents familiaux peut orienter vers un diagnostic, même si les transmissions sont en général récessives. On essayera de préciser la période de survenue, période périnatale ou 13 M I S E A U P O I N T petite enfance (antécédents d’hypoglycémie ou d’hépatomégalie comme on peut en rencontrer dans certaines glycogénoses). Les antécédents personnels ou familiaux d’hyperthermie maligne sont déterminants dans certaines étiologies (pathologie du canal calcique de couplage excitation-contraction). On doit enfin systématiquement rechercher la prise de médicaments myotoxiques comme certains hypolipémiants. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES INDISPENSABLES Les examens complémentaires ont un rôle déterminant dans le diagnostic des myalgies. De nombreuses explorations sont disponibles, et il est important de définir ce qui est indispensable ou accessoire, selon le contexte. Recherche d’un syndrome inflammatoire biologique et d’une dysthyroïdie En cas de myalgies de repos, la recherche d’un syndrome inflammatoire est fondamentale pour éliminer avant tout une dermatomyosite ou une polymyosite. Le dosage de TSH doit être également systématique. Dosage des enzymes musculaires (créatine kinase [CK] surtout) Le dosage des CK est indispensable, et peut être complété par le dosage de l’aldolase, des LDH ou des transaminases. Dosage des CK : pièges • On observe fréquemment des taux de CK entre 200 et 300 UI sans aucune maladie musculaire : on tolère parfois une élévation chronique avec des taux allant jusqu’à 1 000 ou 1 500, en particulier chez les sujets avec forte masse musculaire, et chez les sujets noirs. • En cas d’élévation brutale, il faut d’abord éliminer les facteurs favorisants tels qu’un effort récent ou une injection intramusculaire. • Il faut rechercher systématiquement la prise de traitements, en particulier hypolipémiants. • Une élévation supérieure à 500, reproductible sur au moins deux dosages, est un critère diagnostique extrêmement important et guide le clinicien vers la réalisation d’explorations comme la biopsie musculaire. • En cas d’élévation modérée (entre 200 et 400), il faut d’abord confirmer les taux de CK et ne pratiquer une biopsie musculaire qu’en cas de signes anormaux (voir infra). • À noter qu’il existe des maladies musculaires avec CK normales. • Une élévation transitoire des enzymes musculaires après un effort peut révéler une rhabdomyolyse avec un taux de CK très élevé. La constatation d’une telle élévation enzymatique au cours d’un effort doit faire évoquer une maladie musculaire métabolique. On réalisera un dosage de la myoglobinémie, de la myoglobinurie et de la créatininémie. Électromyogramme (EMG) L’EMG fait partie des explorations complémentaires quasi systématiques lors de myalgies. Sa rentabilité est faible si l’examen clinique est rigoureusement normal, par exemple au cours des myopathies métaboliques. 14 On recherchera un syndrome myogène, notamment lors d’une atrophie musculaire et/ou d’un déficit. L’EMG est intéressant dans les myopathies inflammatoires peu déficitaires car on peut observer des activités spontanées au repos (fibrillations et ondes lentes positives) traduisant une nécrose musculaire non spécifique (activités observées également dans certaines dystrophies très nécrosantes). La recherche d’une myotonie est déterminante, car elle oriente le clinicien vers certaines pathologies bien définies (PROMM, par exemple). L’EMG permet de rechercher aussi une neuropathie sous-jacente qui peut expliquer des crampes ou s’intégrer dans le cadre d’une neuromyopathie (myopathie inflammatoire ou mitochondriopathie, par exemple). À noter qu’il est tout à fait inutile de faire une recherche de myasthénie comme on le demande parfois pour des patients présentant des myalgies et une fatigabilité musculaire. Les douleurs musculaires ne font pas partie des symptômes de la myasthénie. EXAMENS À RÉALISER SELON LE CONTEXTE D’autres examens peuvent être réalisés pour préciser les données sémiologiques et fournir des arguments pour une pathologie organique. Imagerie musculaire L’IRM et le scanner sont utiles dès qu’il existe un déficit moteur ou une atrophie peu marqués. Ils permettent de déterminer la topographie de l’atrophie. L’imagerie est souvent normale dans les myopathies métaboliques non déficitaires au début de leur évolution. L’IRM est surtout pertinente en cas de suspicion de myopathies inflammatoires, car elle montre des hypersignaux musculaires en relation avec l’inflammation focale intraparenchymateuse. On demandera des coupes avec analyse en T1-T2 et surtout des séquences STIR afin de différencier les hypersignaux de ceux observés au cours des dégénérescences graisseuses du muscle. Cette imagerie permettra de cibler le site de la biopsie. Spectro-résonance magnétique nucléaire d’effort du phosphore 31 Cet examen permet d’étudier les constantes métaboliques lors de l’effort musculaire et d’orienter vers une glycogénose ou une maladie mitochondriale. Il ne permet toutefois jamais à lui seul de porter un diagnostic, seulement confirmé par la biopsie. Épreuve d’effort (sur bicyclette ergométrique ou griptest de l’avant-bras) Il s’agit d’une évaluation métabolique avec dosages sanguins des lactates, pyruvates, ammoniémie au repos et au cours de l’effort musculaire. Selon le type d’anomalie rencontré, on peut être orienté vers le diagnostic d’une maladie métabolique musculaire de type glycogénose (avec absence d’élévation du lactate après effort) ou de mitochondriopathies (perturbation du rapport lactates pyruvates). On peut aussi doser le rapport lactates/pyruvates au repos – dosage de technique difficile. La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006 M Diagnostic génétique L’analyse de l’ADN du sujet est fondamentale dans les affections musculaires d’origine génétique dont le gène est connu et les mutations identifiées. Dans ce cas, la biopsie musculaire est inutile, la détection de la mutation par génétique moléculaire étant fiable à 100 %. Cela concerne essentiellement la maladie de Steinert (séquence d’ADN instable), la dystrophie facio-scapulo-humérale (Landouzy-Dejerine : réduction de la taille d’une séquence d’ADN) et les dystrophies de Duchenne et de Becker (délétion du gène de la dystrophine). Mais, en général, ces maladies génétiques musculaires se manifestent plus par un déficit et une amyotrophie et/ou hypertrophie que par des myalgies. BIOPSIE MUSCULAIRE C’est l’examen clé du diagnostic dans la plupart des maladies musculaires. Tout le problème est d’en poser l’indication. Il est en effet hors de question de réaliser une biopsie musculaire pour tous les patients présentant des myalgies, et il faudra donc disposer d’un certain nombre d’arguments, dont les plus pertinents sont les suivants : – antécédents familiaux de myopathie, – intolérance musculaire à l’effort sans troubles de l’adaptation, surtout s’il existe un phénomène de second souffle très évocateur de glycogénose, – signes déficitaires même minimes à l’examen clinique, évocateurs d’une atteinte myopathique (sauf s’il s’agit d’une myopathie qui peut être diagnostiquée par la biologie moléculaire), – existence d’une hypertrophie des mollets ou de rétractions, – neuropathie associée (dans les myopathies inflammatoires ou mitochondriales), – altération de l’état général, – élévation franche des CK (au moins trois fois la normale), – syndrome inflammatoire biologique persistant, La Lettre du Rhumatologue - n° 321 - avril 2006 I S E A U P O I N T – EMG de type myogène, – spectro-IRM ou test d’effort pathologique. En dehors de ces situations, on sera parfois amené à discuter une biopsie musculaire chez certains patients présentant des myalgies diffuses de repos et/ou d’effort, sans anomalie à l’examen clinique mais associées à une discrète élévation des CK (200 à 400, par exemple). On peut parfois tempérer cette attitude en proposant différentes tentatives thérapeutiques habituellement utilisées dans les syndromes fibromyalgiques (tricycliques à petites doses, par exemple). Cependant, en cas d’échec, on pourra proposer une biopsie, avec une rentabilité qui en pratique apparaît extrêmement faible. Sur la biopsie, il faudra réaliser différentes techniques histologiques de référence (HES, trichrome de Gomori, colorations oxydatives), complétées au besoin d’une analyse biochimique, histoenzymologique, voire génétique, selon les orientations diagnostiques. Ainsi, cette biopsie ne devrait être pratiquée que dans un centre habitué à réaliser ces analyses extrêmement complexes, selon les orientations apportées par ■ le clinicien. Po u r e n s av o i r p l u s . . . • Capra NF, Ro JY. Human and animal experimental models of acute and chronic muscle pain: intramuscular algesic injection. Pain 2004;110:3-7. • Cheung K, Hume P, Maxwell L. Delayed onset muscle soreness: treatment strategies and performance factors. Sports Med 2003;33:145-64. • De Recondo J, De Recondo AM. Pathologie du muscle strié : de la biologie cellulaire à la thérapie. Paris : Éd. Flammarion, 2001. • Eymard B, Laforêt P. Comment j’examine un patient suspect d’affection musculaire. Rev Neurol 2001;153:114-21. • Miller TM, Layzer RB. Muscle cramps. Muscle Nerve 2005;32:431-42. • Thompson PD, Clarkson P, Karas RH. Statin-associated myopathy. JAMA 2003;289:1681-90. 15