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LeTemps.ch | Aux origines génétiques de la schizophrénie
22.08.11 08:42
neurosciences Mercredi17 août 2011
Aux origines génétiques de la schizophrénie
Par Pierre Kaldy
Ce n’est pas un gène mais de nombreux variants génétiques qui
seraient impliqués dans une forme ou une autre de la maladie
Comment expliquer l’apparition au sein d’une famille d’une grave maladie mentale telle que la
schizophrénie? Comment expliquer aussi que cette maladie, pourtant très invalidante, reste si
fréquente, affectant sous toutes les latitudes près de 1% de la population? Deux études parues ces
derniers jours dans la revue Nature Genetics apportent un début de réponse à ces questions, un siècle
exactement après la première caractérisation de la maladie par le psychiatre suisse Eugen Bleuler.
La schizophrénie est une maladie déroutante pour les parents qui voient leur enfant adolescent perdre
progressivement le contrôle de ses pensées, de ses émotions et devenir la proie d’angoisses et
d’hallucinations irrépressibles. Elle est un fléau pour la société car elle frappe des individus jeunes,
leur fait perdre leur autonomie dans 90% des cas, et cause une détresse souvent insupportable pour
eux et leur entourage. Elle entraîne aussi une mortalité importante, responsable d’un quart des
suicides dans un pays comme la France chaque année.
La schizophrénie trouble aussi les psychiatres pour une autre raison. Il s’agit clairement d’une maladie
à caractère génétique, marquée par le fait que le risque d’être atteint est d’autant plus élevé que l’on a
un parent proche malade. Pourtant, elle apparaît le plus souvent dans des familles sans antécédents.
Et aucun gène susceptible d’expliquer la maladie n’a pu être identifié malgré des décennies d’intenses
recherches.
Jusqu’à présent, les études génétiques ont tenté de trouver des facteurs de risque, c’est-à-dire des
variations dans l’ADN plus fréquentes chez les schizophrènes que dans la population générale. Des
succès ont parfois été enregistrés, comme la découverte du gène «Disc», dont la modification chez la
souris permet de reproduire plusieurs caractéristiques de la maladie en perturbant le développement
de son cerveau.
Ces études comparant des centaines, voire des milliers de cas avec des sujets sains se sont pourtant
avérées frustrantes, car si des dizaines de gènes candidats ont pu être trouvés, ils ne sont finalement
associés qu’à un très faible risque supplémentaire. Les gènes de la schizophrénie paraissaient à la fois
multiples et insaisissables.
Avec les progrès de la génomique, une approche plus directe est devenue possible: la comparaison de
tous les gènes entre les patients et leurs parents. Grâce à la technique du séquençage d’exome qui
cible les 21 000 gènes de notre génome codant pour des protéines, les scientifiques parviennent à
trouver des mutations à l’origine de maladies rarissimes apparaissant au sein de familles, et qui
seraient totalement inaccessibles autrement. C’est l’approche qu’a choisie l’équipe franco-canadienne
de Guy Rouleau au Québec (Université de Québec) et Marie-Odile Krebs à Paris (Hôpital Sainte-Anne-
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Université Descartes-Inserm) avec 14 patients, ainsi que l’équipe américaine de Maria Karayiorgou à
New York (Université Columbia) auprès de 53 schizophrènes et leurs parents.
Le résultat a été une riche moisson de mutations spécifiques chez les malades: 15 dans le premier cas
et 32 dans le second; la moitié d’entre elles ont été jugées délétères pour l’organisme et donc
potentiellement responsables de la maladie.
Pour la professeure Kim Do Cuénod, qui dirige le Centre de neuro​sciences psychiatriques du CHUV à
Lausanne, «ces travaux sont très intéressants. Ils révèlent qu’un nombre considérable de gènes,
formant des associations différentes, sont potentiellement impliqués dans une forme ou une autre de
la maladie.»
Les mutations portent sur des protéines inconnues, ou parfois déjà associées à la schizophrénie, qui
sont autant de pistes pour mieux comprendre l’origine de la maladie. Ou plutôt des maladies car,
comme le précise Marie-Odile Krebs, «il est probable que pour une part, la schizophrénie soit un
ensemble de maladies rares dont l’expression se ressemble, et qu’au-delà des différences de
populations apparaisse un très grand nombre de mutations différentes. On ne peut exclure qu’elles
touchent, à des niveaux variés, une même fonction ou une voie de signalisation des cellules qui
pourra alors devenir une cible thérapeutique.» La majorité des cas de schizophrénie relèveraient ainsi
de mutations sporadiques dans le génome, comme le suggère aussi la même approche pour d’autres
troubles mentaux complexes tels que l’autisme ou le retard mental.
Si ces résultats pouvaient être anticipés au vu des travaux antérieurs et de l’épidémiologie de la
maladie, une surprise attendait néanmoins les chercheurs: le taux particulièrement élevé de mutations
délétères chez les schizophrènes. L’origine de cette fréquence élevée reste inconnue. Mais l’âge du
père pourrait parfois être en cause. Une étude récente publiée dans la revue L’Encéphale par des
chercheurs français a en effet montré que le risque d’avoir un enfant schizophrène augmentait avec
l’âge du père; il était même multiplié par quatre au-delà de 50 ans. Or la probabilité d’apparition de
mutations dans le génome croît avec le nombre de divisions des cellules précurseurs des
spermatozoïdes qui ont été accumulées chez l’homme. D’autres facteurs semblent toutefois impliqués
car le nombre de mutations transmises par les parents paraît très variable d’un individu à l’autre.
Rançon d’un développement particulièrement poussé, notre système nerveux s’avère ainsi à la merci
de mutations d’origines diverses et imprévisibles. La schizophrénie sera-t-elle pour cela toujours
inévitable? «Non, estime Marie-Odile Krebs. D’abord parce que les facteurs génétiques ne sont pour
l’instant qu’un facteur de risque. Et même s’il existe des mutations potentiellement causales, la
démonstration qu’elles mènent inéluctablement à la maladie n’est pas faite. Ensuite le pronostic peut
être considérablement amélioré avec une prise en charge ayant lieu très tôt. Chez les sujets
présentant des signes avant-coureurs, des programmes d’intervention précoce se développent et
montrent leur efficacité pour réduire l’apparition d’un premier épisode psychotique.»
Ainsi, face à une maladie aussi complexe c’est finalement le dépistage et l’accompagnement humain
des personnes à risque qui feront, demain encore, toute la différence.
© 2011 Le Temps SA
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