LE « GLOSSAIRE DU LATIN PHILOSOPHIQUE MÉDIÉVAL »

LE «
GLOSSAIR
E
DU LATIN
PHILOSOPHIQUE
MÉDIÉVAL
»
La carte d'identité duGlossaire du latin philosophique mediéva
l
n'est pas difficile à établir
: projeté depuis plusieurs années, i
l
fut organisé en
1944
par
M
. BAYER,
Professeur à la Sorbonne
.
Le « Glossaire » a été placé en octobre 1957 sous la direction d
e
M
. de Gandi]lac, Professeur à la Sorbonne
. Il constitue une entre
-
prise du C
. N
. R
. S
. de Paris, qui lui assure, en personnel comm
e
en matériel, les moyens nécessaires à son fonctionnement, le fai
t
qu'il y soit rattaché à la section « Philosophie » précise son
orienta-
tion
doctrinale et non philologique
.
Vous &tes trop au courant des méthodes selon lesquelles s
e
construisent les dictionnaires pour qu'il y ait lieu d'insister su
r
l'aspect matériel du travail, tel qu'il se présente dans le stade ac-
tuel où nous rassemblons les matériaux nécessaires pour la ré-
daction du Glossaire
: l'élément essentiel en est la fiche qui port
e
en exergue le mot considéré et le nom de l'auteur qui l'emploie
;
le corps de cette fiche est constitué par un texte de cet auteu
r
donnant la définition de ce mot, ou l'employant d'une manièr
e
éclairant cette définition
. Le « mot » peut-être en fait une
expres-
sion
complète correspondant à un seul concept
:
anima
mundi
,
primum moyens, liberum arbitrium,bonum
commune,
quod
qui
d
est,
etc
.
.
. D'autre part on peut trouver sur certaines fiches, e
n
nombre relativement restreint et distinguées par une marqu
e
apparente, deux autres renseignements
: les fiches d'équivalenc
e
portent l'indication du mot grec, ou, transcrit en caractères ro
-
mains, sémitique, auquel correspond le mot latin dans les tra-
ductions
; elles renseignent sur la valeur donnée par le traducteu
r
(*)
A la demande des organisateurs de la conférence internationale de Cra-
covie, M
. Lefèvre a donné lecture de cette communication, rédigée par le
prin-
cipal
collaborateur du « Glossaire du Latin Philosophique médiéval », M
. l'abb
é
Pierre Michaud-Quantin
.
24
0
au mot latin en cause, et sur le contexte de pensée orientale don
t
ce terme se trouve désormais chargé
. Les fiches bibliographique
s
renvoient aux ouvrages ou articles dans lesquels le mot a fai
t
l'objet d'une étude, doctrinale, plus poussée
; elles restent d'ail
-
leurs strictement objectives
; ne portant pas de jugement cri
-
tique sur ces travaux, elles indiquent au lecteur où trouver l
e
commentaire des textes cités par le Glossaire et lui fournissent u
n
point de départ pour les recherches qu'il désirerait entreprendre
.
Quels mots figurent dans ce Glossaire ? C'est évidemment l
à
un des points les plus délicats
: si l'on répond « ceux qui ont un
e
signification ou une valeur philosophique » on se borne à déplace
r
et renvoyer la difficulté
. Pour circonscrire le terrain, en restan
t
dans la problématique médiévale, on peut dire qu'il est celui que
couvre au XIIe s
. la science théorique, pratique et logique, a
u
XIIIe le
Corpus aristotelicum
;
mais à condition d'ajouter aussitô
t
qu'il ne s'agit pas de suivre les auteurs dans tous les développe-
ments qu'ils donnent à ces connaissances, tels le cours de jardinag
e
d'Albert le Grand dans son
De Vegetabilibus,
les descriptions géo-
graphiques ou cosmographiques des Chartrains
; de par sa natur
e
même le Glossaire exclut ce que l'on entend aujourd'hui par le
s
« Sciences Physiques, Chimiques et Naturelles » selon la formul
e
des Facultés françaises
.
Il existe bien une liste des termes à retenir et à étudier dans le
s
fiches
; composée dès le début du Glossaire elle reste très util
e
comme base de référence, mais l'expérience a montré que pa
r
rapport au vocabulaire effectivement employé elle se trouve dan
s
la situation exprimée par la formule
«deficit
et superhabundat »
.
Sans même parler des auteurs au vocabulaire spécial comme
Ber
-
nard
Silvestre ou Raymond Lulle, des domaines possédant leur
s
termes techniques,
De modis signi facandi, de gradibus /ormarum
,
de tormalitatibus,
il existe dès le douzième siècle, par exempl
e
chez Gilbert de Poitiers et ceux qui s'en inspirent, des penseur
s
capables d'aller chercher parfois très loin leur moyen d'expres-
sion quand ils ne le forgent pas eux-m@mes
. C'est pourquoi, tou
t
en restant très ferme sur ses principes, le Glossaire doit reste
r
très ouvert à ce qu'il rencontre et admettre un certain empirisme
dans ses méthodes
: il ne prétend pas enseigner le latin philoso-
phique aux médiévaux, mais l'apprendre d'eux
.
24
1
Autour de la philosophie on rencontre certaines zones-frontière
s
disciplines voisines avec lesquelles elle possède un terrain com-
mun
; c'est pourquoi le fichier général est flanqué de trois vocabu-
laires marginaux, un grammatical, un scientifique, un juridique
;
ce n'est d'ailleurs qu'un stade provisoire destiné à faciliter le
tra
-
vail
en confiant la supervision de ces domaines particuliers à de
s
collaborateurs spécialisés, mais les mots ne sont recueillis e
t
étudiés qu'en vue de leur intégration dans le Glossaire lors de l
a
rédaction, donc en fonction de leur valeur philosophique
.
Pour constituer le « corps » de la fiche, le meilleur texte es
t
évidemment une définition du mot envisagé
; aussi le Glossaire le
s
enregistre-t-il avec un soin particulier
; tout en reconnaissant l
a
valeur des arguments de
LINDSAY
déclarant inutiles pour le
s
recherches modernes les divers lexiques médiévaux, il sembl
e
nécessaire d'utiliser ceux-ci lorsque l'on se préoccupe davantag
e
de pénétrer la pensée du milieu qui les a composés et s'en es
t
servi, que de faire oeuvre de philologie
. Le fait particulièremen
t
s'impose en matière de définitions étymologiques
; elles peuven
t
être artificielles et môme fausses, elles n'en constituent pas moin
s
un témoignage, indirect et à exploiter s'entend, sur la valeur sé
-
mantique profonde, les résonances, que possédait un terme
;
d'autres définitions se rencontrent dans des glossaires spéciaux, o
u
dans les introductions,accessus, materiae,
etc
. de certaine
s
oeuvres, que l'on peut dire pratiques, voire « opérationnelles
o
;
elles précisent à l'intention de l'auditeur ou du lecteur la
signifi-
cation
à donner aux principaux vocables du texte que le maîtr
e
entend exposer
. On peut même considérer comme des diction-
naires spécialisés, présentés sous forme de traités, des oeuvre
s
comme les
Summulae logicales
et la
Scientia
libri
de anima
d
e
Pierre d'Espagne
. A côté des définitions les données les plu
s
intéressantes sur la valeur sémantique d'un mot peuvent s
e
ranger dans la catégorie
actio passìo,
le rôle spécifique de l
a
réalité désignée par ce mot, mais aussi dans celle de
relatio
;
pou
r
éclairer cette dernière idée, peut être moins aisée à saisir, il suffi
t
de penser aux valeurs différentes du terme
intellectus,
selo
n
qu'il est opposé
à
ratio, à sensus, ou
introduit dans l'énumé-
ration «
ratio, intellectus, intelligentia »
.
La principale
diffi-
culté lorsqu'il ne s'agit pas d'une définition proprement dite
242
est de trouver une phrase qui, tout en dégageant bien cett
e
signification donnée
per accidens, soit suffisamment brève pou
r
être immédiatement saisie par le lecteur et ne pas offrir elle
-
même de problèmes d'interprétation
.
Depuis que les fiches ont commencé à s'accumuler en quan-
tité intéressante, en fait depuis deux ans, il est procédé dè
s
leur établissement et leur premier rangement à une sorte d
e
pré-classification
: il semble en effet inexact de dire que le lati
n
philosophique a comporté pour le Moyen
Age
un vocabulair
e
technique hautement spécialisé
; il y a en fait toute une séri
e
de vocabulaires techniques qui
. coexistent et interfèrent entr
e
eux
. Au début du XII
e
s
. l'opposition
animalis-spirituali
s
peut indiquer l'opposition entre la vie sensible et la vie
spi
-
rituelle
au sens actuel, mais si l'auteur s'inspire des donnée
s
médicales, non seulement chez les Chartrains, mais chez certain
s
Cisterciens, cette opposition sera inversée,
spiritualis,
ratta-
ché au
s/iiritus
indiquera le moins noble des niveaux de vie
,
alors
qu'animales,
adjectif de
anima,
signifiera
(c
spirituel »
.
Lex
est pour un canoniste la justice civile, pour un maître-
ès-arts la Révélation divine
. On trouve même des confusion
s
chez les contemporains
: Guy d'Orchelles affirme que l'Incar-
nation est une
dispensatio
au sens du grec
oixovo
i
Lda
et l'expli-
que par la définition juridique
iuris communis relaxant
,
.
L
e
futur Alexandre III faillit bien être massacré à la Diète Impérial
e
de Besançon parce que ses auditeurs avaient pris le mot
bene-
ficium
au sens de fief, non dans le sens général de bienfait que l
e
Pape dut expliquer dans une décrétale spéciale
.
Dès maintenant le Glossaire se prépare donc à pouvoir in-
diquer, comme les dictionnaires modernes, les sens pris pa
r
un même mot dans les divers domaines spéculatifs touchan
t
à la philosophie où il se rencontre
.
Il y a bien une autre multiplicité de sens, peut-être plu
s
frappante, car elle est susceptible de se rencontrer à l'intérieu
r
d'une seule oeuvre, voire d'un passage assez court, celle qu
i
provient des divers courants de pensée
:
natura
. .
.
bonum
. . .
numerus
.
.
. motus
.
.
.
Mais à ce moment articuler et étiquete
r
ces divers sens serait sortir du rôle que doit remplir un diction-
naire et porter un jugement
. Pour rester objectif, le Glossaire
24
3
groupera les textes qu'il a pu rassembler d'après la similitud
e
des formules qu'ils contiennent et les contextes où ils ont ét
é
extraits, laissant au lecteur le soin de les utiliser pour les tra
-
vaux d'interprétation et d'histoire doctrinale qu'ils pourron
t
suggérer
.
Ainsi peut-on espérer que notre entreprise atteindra le doubl
e
but en vue duquel elle a été conçue et organisée
. Elle faciliter
a
l'accès aux textes philosophiques du moyen âge à ceux qu
e
rebute et détourne d'un contact direct l'emploi d'une langu
e
dont nous devons bien reconnaître qu'elle constitue un obstacl
e
à vaincre
. Mais le Glossaire vise aussi à rendre aux médiéviste
s
ses modestes services
; il n'est pas nécessaire de suivre dans l
e
détail la problématique de la psychologie moderne langag
e
et pensée pour se rendre compte qu'il existe une influenc
e
réciproque entre le concept et l'expression qui lui est donnée
,
surtout dans ce moyen âge où le culte de
l'auctoritas
du «
Magis-
ter
dixit
» donnait une importance spéciale aux formules
. E
n
retraçant l'évolution sémantique d'un mot le Glossaire souhait
e
grouper des matériaux dont l'exploitation rendra plus facil
e
la tâche aux historiens de la pensée médiévale
.
Paris
Pierre
MICHAUD-QUANTIN
.
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