Prise en charge des piqûres de scorpion en Afrique et au Moyen

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Venin Trop
Médecine et Santé Tropicales 2016 ; 26 : 130-133
Prise en charge des piqûres de scorpion
en Afrique et au Moyen-Orient
Management of scorpion stings in Africa and the Mediterranean region
Chippaux J.-P.
UMR 216 Institut de recherche pour le développement, Cotonou, Benin. UMR MERIT « Santé de la mère et de l’enfant
face aux infections tropicales », Bénin
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Article accepté le 13/3/2016
Résumé. Particulièrement fréquentes au sud et à
l’est du Bassin méditerranéen, les piqûres de
scorpion peuvent constituer une urgence médicale
grave, notamment chez le jeune enfant. Nous
rappelons ici quelques principes diagnostiques et
thérapeutiques. L’indication de l’antivenin et le
traitement symptomatique sont précisés en fonction
de la symptomatologie et de la gravité clinique de
l’envenimation.
Mots clés : envenimation, piqûre de scorpion,
traitement, antivenin, Afrique, Méditerranée.
Abstract. Common in the southern and eastern
Mediterranean basin, scorpion stings can develop
into a severe medical emergency, especially in
young children. Here we review several principles
of diagnosis and treatment. The indications for
antivenom and symptomatic treatment are detailed
according to the symptoms and clinical severity of
envenomation.
Key words: envenomation, scorpion sting, treatment, antivenom, Africa, Mediterranean region.
Correspondance : Chippaux J-P
<[email protected]>
Introduction
L’incidence des piqûres de scorpion est élevée en Afrique du
Nord, au Proche et Moyen-Orient, entraı̂nant encore de trop
nombreux décès particulièrement chez les jeunes enfants [1].
Les piqûres de scorpion sont fréquentes en milieux rural (oasis)
et périurbain où les scorpions abondent, attirés notamment par
la prolifération des cafards. Si la plupart des piqûres de scorpion
ne sont suivies que d’une envenimation minime ou modérée,
l’action du venin sur les fonctions vitales, cardiaques,
pulmonaires et neurologiques peuvent mettre en jeu le
pronostic vital [2].
Devant toute piqûre de scorpion, on établira un bilan
clinique précis avant de placer le patient en observation et
d’instituer rapidement un traitement approprié jusqu’à la
normalisation des principaux symptômes, laquelle survient
assez rapidement, sauf complication majeure.
Chez tout sujet consultant pour piqûre de scorpion, il convient :
– de rassurer le patient et son entourage ;
– de nettoyer la piqûre et rechercher les signes d’envenimation
locale ;
– d’effectuer un examen clinique précis pour établir le niveau
de l’envenimation dont va dépendre le traitement [3] ;
130
Pour citer cet article : Chippaux JP. Prise en charge des piqûres de scorpion en Afrique et au Moyen-Orient. Med Sante Trop 2016 ; 26 : 130-133. doi : 10.1684/mst.2016.0571
doi: 10.1684/mst.2016.0571
Confirmer et évaluer la gravité
de l’envenimation
– de considérer la vulnérabilité et la rapidité d’évolution
clinique chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes
enceintes.
La distinction entre les signes de stress – bien compréhensibles (nausées, vomissements, palpitation, polypnée) – et les
symptômes de l’envenimation est difficile parce que le venin
reproduit la plupart d’entre eux (tableau 1). Cependant, en
région de forte endémie, surtout en période estivale, on pensera
à une piqûre de scorpion chez un nourrisson présentant
des pleurs inexpliqués et une zone inflammatoire punctiforme
sur le tégument. L’identification du scorpion n’est pas
indispensable car les antivenins sont polyvalents et couvrent
la plupart des espèces méditerranéennes et moyen-orientales
(tableau 2).
On pratiquera un électrocardiogramme (ECG) et une
échographie cardiaque (ECC), en cas de troubles cardiaques
ou respiratoires [4].
Le bilan biologique, lorsqu’il est possible, comprendra au
minimum :
– une numération formule sanguine le dosage de la protéine C
réactive (CRP), pour évaluer l’intensité du syndrome inflammatoire (leucocytose et thrombocytose, augmentation de la
CRP dès la 6e heure) ;
– dosage de la glycémie, acide lactique, transaminases (SGOT,
SGPT), créatinine phosphokinase (CPK), lipase et amylase pour
évaluer les fonctions hépatique, cardiaque et pancréatique qui
peuvent être altérées par l’action du venin ;
Prise en charge des piqûres de scorpion en Afrique et au Moyen-Orient
Tableau 1. Liste des antivenins disponibles pour l’Afrique du Nord et le Proche ou Moyen-Orient
Table 1. List of antivenoms available for North Africa and the Near- and Middle-East
Nom
Scorpifav1
Fabricant
Sanofi Pasteur, France
Inoscorpi1 MENA
Inosan Biopharma, Espagne
Polyvalent Scorpion
Antivenom
National Antivenom & Vaccine
Production Center (NAVPC),
Arabie Saoudite
VACSERA
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Purified Polyvalent
Anti-scorpion Serum
Sérum antiscorpionique
Scorpion antivenom
Institut Pasteur de Tunis,
Tunisie
South African Vaccine Producers
(SAVP), Afrique du Sud
Présentation
F(ab’)2 équin purifié
Liquide (1 mL)
F(ab’)2 équin purifié
Lyophilisé (120 mg)
F(ab’)2 équin purifié
Liquide (1 mL)
F(ab’)2 équin purifié
Liquide (non précisé)
F(ab’)2 équin purifié
Liquide (10 mL)
F(ab’)2 équin purifié
Liquide (5 mL)
Neutralisation*
Valences
Buthus occitanus ; Androctonus
australis ; Leiurus quinquestriatus
Buthus occitanus ; Androctonus
australis ; Leiurus quinquestriatus
Androctonus crassicauda ; Leiurus
quinquestriatus
50 DE50
250 DE50
50 DE50
Non précisé
Non précisé
Androctonus australis garzonii ;
Buthus occitanus tunetanus
Parabuthus transvaalicus
100 DE50
Non précisé
* DE50 (Dose efficace 50 %) = nombre de doses létales 50 % neutralisé par le contenu d’une ampoule.
Tableau 2. Évaluation de la gravité des envenimations scorpioniques par gradation des principaux syndromes
Table 2. Graded assessment of scorpion sting severity, according to symptoms
Grade Symptômes
inflammatoires
Douleur minime
(piqûre d’épingle)
0
Pas d’ecchymose
ni d’œdème
Douleur vive,
ecchymose site
piqûre, œdème
1
circonscrit
2
Symptômes
digestifs
Parfois nausées
Symptômes
Symptômes
neurologiques
cardiovasculaires
Pas de signe local ou Parfois palpitation
général
Idem
Paresthésies locales*
(fourmillements,
picotements, prurit,
éruption bulleuse,
engourdissement)
Sueur profuses,
somnolence ou
agitation, fasciculation
du membre mordu
Sialorrhée*,
larmoiements*,
myosis* ou mydriase*,
priapisme*
Convulsions, Glasgow
6 (hors sédation),
paralysie muscles
striés
Idem,
température
38 ˚C
Température
39 ˚C*
Voir biologie
(NFS, CRP)
Ballonnement
abdominal,
nausées, diarrhée
Vomissements*
Idem
Idem
3
* Signes prédictifs de passage au grade supérieur.
$
Symptômes
pulmonaires
Parfois respiration
rapide
Signes
biologiques
Bilan normal
Idem
Idem
Traitement
symptomatique$
Antivenin$
Hypertension artérielle Dyspnée
Râles bronchiques*
Bradycardie* ou
tachycardie*,
vasoconstriction
périphérique*
Leucocytose,
thrombocytose,
augmentation : CRP,
glycémie, acide
lactique, anomalie
électrolytes sanguins
Traitement
symptomatique$
Antivenin$
Cyanose extrémités,
dyspnée grave,
œdème aigu du
poumon
Idem +
augmentation : CPK,
SGPT, SGOT, lipase,
amylase
Réanimation
(ventilation,
oxygène)
Traitement
symptomatique$
Antivenin$
Idem
« Myocardite
scorpionique » =
arythmie, allongement
QT, anomalie ST,
inversion ou
augmentation T,
baisse fraction éjection
systolique avec ou
sans troubles cinétique
myocardique
Conduite à tenir
Mise en observation
3 heures minimum
: voir précisions dans le texte.
– la surveillance des électrolytes sanguins (sodium, potassium
essentiellement, éventuellement calcium et magnésium) ;
– la diurèse et créatininémie pour surveiller la fonction rénale.
Traitement de l’envenimation
La plupart des piqûres de scorpion (80 %) se limitent à une
douleur locale intense qui persiste jusqu’à 24 heures [5]. À
l’opposé, moins de 5 % des patients connaissent une évolution
grave mettant en jeu le pronostic vital essentiellement par choc
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 26, N8 2 - avril-mai-juin 2016
cardiogénique et œdème aigu du poumon (OAP), causes
principales des décès que l’on observe encore [6].
Traitement spécifique : l’antivenin
Le grade 1 – qui exclut toute envenimation systémique et
symptômes généraux – fait l’objet d’un traitement symptomatique. Cependant, l’administration systématique d’antivenin
(1 ampoule), recommandée par certains programme nationaux
(Algérie), se justifie pour éviter toute aggravation brutale,
131
J.-P. CHIPPAUX
Grade 1
Grade 2
Grade 3
Observation
≥ 3 heures
Enfant ≤ 5 ans
Femme enceinte
Signes prédictifs Grade 2
Antivenin = 1 dose
Traitement
symptomatique
Traitement
symptomatique
Passage Grade 2
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Enfant ≤ 5 ans
Femme enceinte
Signes prédictifs Grade 3
Antivenin = 2 doses
Traitement
symptomatique
Passage Grade 3
Persistance ou aggravation
des symptômes systémiques
Antivenin = 1 dose
Persistance ou aggravation
des symptômes systémiques
Antivenin = 2 doses
Sortie après guérison de tous les signes généraux et systémiques
Figure 1. Algorithme de traitement des envenimations scorpioniques en fonction de leur niveau de gravité.
Figure 1. Algorithm for treatment decisions for scorpion sting envenomation according to severity.
surtout en présence de signes prédictifs de passage au grade 2,
chez le jeune enfant, la femme enceinte ou dans un centre de
santé isolé.
Les grades 2 et 3 correspondent à des envenimations
systémiques marquées par des signes généraux (tableau 1).
Ils doivent faire l’objet d’une immunothérapie par un
antivenin administré par voie veineuse, soit en perfusion
(dilué à 10 %, en 30 minutes pour 100 ml), soit en
intraveineuse directe lente (3 minutes pour 10 ml). La
posologie est directement liée à l’évaluation de la gravité de
l’envenimation (figure 1).
Les réticences exprimées dans de nombreuses publications
à l’égard de l’antivenin viennent de la grande variabilité de leur
pouvoir neutralisant selon les fabricants [2]. Généralement la
présentation de l’antivenin en tient compte (tableau 1), ce qui
permet de standardiser l’algorithme de traitement (figure 1).
Une éventuelle intolérance à l’antivenin (prurit, urticaire,
rash, toux, dysphagie), au demeurant rare, sera traitée par un
antihistaminique ou de l’adrénaline en cas de brutale hypotension ou de choc anaphylactique.
Traitement symptomatique
On n’oubliera pas la prévention antitétanique par vaccination
ou immunovaccination selon le statut du patient, surtout si des
traitements traditionnels ont été appliqués.
Le traitement symptomatique s’attachera à réduire la douleur
et le syndrome inflammatoire (grade 1) avec de l’acide
acétylsalicylique (10 mgkg-1 toutes les 4 heures) et/ou du
paracétamol (10 mgkg-1 toutes les 6 heures). Le refroidissement local, voire une anesthésie en bague ou par infiltration par
un anesthésique local (lidocaı̈ne) seront envisagés en face d’une
douleur intense rebelle aux antalgiques [5]. La morphine et ses
analogues (tramadol, codéine) sont très efficaces mais sont
132
potentialisés par le venin et peuvent entraı̂ner une dépression
respiratoire.
Les manifestations cardiovasculaires (grades 2 ou 3), conséquences de la surcharge en catécholamines, sont fréquentes avec
les espèces méditerranéennes et moyen-orientales [2]. Elles
conduisent à une « myocardite scorpionique » qui évolue vers
l’OAP (tableau 2). Lorsque le pronostic vital est en jeu (grade 3),
le patient sera transféré en service de soins intensifs où la
réanimation comprendra l’administration d’électrolytes sanguins,
une ventilation assistée et une oxygénothérapie selon les besoins.
Les patients présentant des troubles cardiorespiratoires graves
avec troubles du rythme et/ou de la fréquence cardiaque,
anomalies de l’ECG (et parfois de l’ECC) bénéficieront d’un
traitement par un bstimulant (perfusion de dobutamine,
10 mgkg-1 par minute) [4-6]. On peut lui associer un inhibiteur
de l’enzyme de conversion (captopril 0,5 mgkg-1 toutes les
8 heures), bien que ce dernier inhibe la dégradation de la
bradykinine et peut favoriser l’apparition d’un œdème aigu du
poumon (OAP), pour réduire la charge ventriculaire gauche et
améliorer le débit cardiaque. Les diurétiques ne sont pas indiqués
sauf dans le cas exeptionnel d’une hypertension artérielle sans
troubles du rythme (ECG normal) qui pourrait justifier l’utilisation
d’a1-bloquant (prazosine, 30 mgkg-1 toutes les 6 heures).
Les troubles neurologiques cèdent rapidement avec
l’immunothérapie. Les benzodiazépines sont déconseillées en
raison du risque de dépression respiratoire. Les complications
du syndrome cholinergique entraı̂nant une bradycardie relèvent des parasympatholytiques (atropine). Cependant, cette
dernière augmente le risque d’orage adrénergique et réduit la
sudation, ce qui peut entraı̂ner chez le jeune enfant des troubles
de la thermorégulation.
L’antibiothérapie est inutile en l’absence d’infection
confirmée.
La corticothérapie n’a pas fait la preuve de son efficacité.
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 26, N8 2 - avril-mai-juin 2016
Prise en charge des piqûres de scorpion en Afrique et au Moyen-Orient
Surveillance et prise en charge
des complications
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Surveillance immédiate
La surveillance du patient sera régulière, au cours de l’heure
qui suit l’administration d’antivenin pour dépister et traiter les
effets indésirables puis 2, 4, 6, 12, 24 heures après le traitement
initial et chaque jour ensuite jusqu’à la guérison en cas de
complication. L’examen clinique est identique à celui effectué
à l’entrée du patient et conduira à réévaluer la gravité de
l’envenimation selon les mêmes critères.
Un premier bilan sera effectué une heure après la mise en
route du traitement (H1). En cas d’aggravation manifeste de
l’état du patient, notamment un passage à un grade supérieur,
l’immunothérapie sera administrée ou renouvelée.
Un second bilan sera pratiqué une heure après (H2). En
l’absence d’amélioration de l’état du patient ou si les symptômes
persistent, on renouvellera l’antivenin (2 ampoules).
Complications
La principale complication de l’envenimation scorpionique est liée
à l’orage adrénergique qui va entraı̂ner un choc cardiogénique et
un OAP [6]. L’administration précoce d’antivenin réduit significativement l’incidence de ces complications cardiorespiratoires.
La pancréatite aiguë est plus rare. D’apparition rapide,
parfois dominant le tableau clinique, elle dure de 24 à 48 heures
[7]. L’étiologie est discutée mais elle semble liée au syndrome
muscarinique dû à certaines toxines du venin. Son traitement est
celui de l’envenimation scorpionique, l’immunothérapie ayant
une efficacité significative.
Médecine et Santé Tropicales, Vol. 26, N8 2 - avril-mai-juin 2016
Suivi après l’hospitalisation
Il n’y a pas de séquelle décrite à la suite de piqûre de scorpion.
Cependant, après la sortie de l’hôpital, il faut prévenir le patient
d’une éventuelle maladie sérique (10-15 % des patients),
généralement sans gravité (fièvre, arthralgies, myalgies, urticaire, adénopathies) qui sera traitée par un anti-inflammatoire
non stéroı̈dien, un antihistaminique ou un corticoı̈de en
fonction de la gravité.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en
rapport avec cet article.
Références
1. Chippaux JP, Goyffon M. Epidemiology of scorpionism : a global
appraisal. Acta Tropica 2008 ; 107 : 71-9.
2. Chippaux JP. Emerging options for the management of scorpion stings.
Drug Design, Development and Therapy 2012 ; 6 : 165-73.
3. Khattabi A, Soulaymani-Bencheikh R, Achour S, Salmi LR. Classification
of clinical consequences of scorpion stings : consensus development. Trans
R Soc Trop Med Hyg 2011 ; 105 : 364-9.
4. Delma K. Echocardiographic changes during acute pulmonary edema
subsequent to scorpion sting. J Venom Anim Toxins incl Trop Dis 2012 ; 18 :
421-6.
5. Goyffon M, Billiald P. Envenimations VI. Le scorpionisme en Afrique. Med
Trop 2007 ; 67 : 439-46.
6. Elatrous S, Besbes-Ouanes L, Fekih Hassen M, Ayed S, Abroug F.
Les envenimations scorpioniques graves. Méd. Trop 2008 ; 68 :
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7. Mouaffak Y, Bennaoui F, Boutbaoucht M, et al. Pancréatite aiguë :
manifestation inhabituelle de l’envenimation scorpionique. Arch Pediatr
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