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Médecine
& enfance
Conduite à tenir en cas d’envenimation
vipérine ou marine
D’après les communications de P. Harry, centre antipoison-toxicovigilance, CHU d’Angers, et S. Larréché, service de biologie clinique,
hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé, au Congrès de la Société française de pédiatrie, Marseille 11-14 mai 2011
Rédaction : C. Faber
Les accidents par morsures d’animaux venimeux sont fréquents. En France métropolitaine, les envenimations par les vipères européennes concernent principalement les régions du
Sud et de l’Ouest. Elles ne présentent pas de spécificités pédiatriques en termes d’incidence et de répartition des formes
graves. En revanche, les enfants ont une vulnérabilité accrue
aux envenimations marines et développent plus souvent des
tableaux sévères que les adultes.
MORSURES DE VIPÈRES
EUROPÉENNES
En 2008, 182 expositions à des vipères
ont été répertoriées par les centres antipoison. Ces accidents concernaient autant les enfants que les adultes, avec
une prédominance masculine dans
toutes les tranches d’âge.
QUATRE GRADES CLINIQUES
Un tableau de gradation clinique des
morsures et des envenimations par vipères européennes a été proposé en
1992 [1] :
첸 grade 0 : pas de morsure ou « morsure blanche » (pas d’injection de venin).
Une attente de quatre à six heures est
nécessaire avant d’affirmer avec certitude l’absence d’envenimation ;
첸 grade 1 : envenimation mineure. Il se
caractérise par un œdème local et l’absence de signes généraux ;
첸 grade 2 : envenimation modérée. Le
patient présente un œdème régional du
membre mordu, et/ou des signes généraux modérés ou biologiques, et parfois
des signes digestifs de type vomissements ou diarrhée. Cette dernière est
déjà un signe de gravité ;
첸 grade 3 : envenimation sévère. L’œdème est majeur et extensif, atteignant
le tronc ; il s’accompagne de signes systémiques sévères (hypotension, choc,
œdème de Quincke) et de troubles de
l’hémostase, et peut se compliquer
d’une atteinte polyviscérale. Il existe
une corrélation entre l’extension de l’œdème et la gravité des signes généraux,
ainsi qu’entre la concentration sanguine
de venin et la sévérité de l’envenimation. Chez l’enfant comme chez l’adulte,
la demi-vie du venin est de huit heures
[2]. Il n’y a pas de rebond tardif de la veninémie circulante. La définition des
grades 2A (œdème extensif sans signes
généraux ni biologiques) et 2B (œdème
extensif et signes biologiques) a été justifiée par l’étude de ce paramètre.
UTILISATION DES SÉRUMS
ANTIVENIMEUX
La preuve de l’efficacité de l’immunothérapie intraveineuse par Viperfav ®
sur la durée d’hospitalisation et les séquelles a été établie dès la fin des années 90, alors que l’antivenin était disponible en autorisation temporaire
d’utilisation (ATU) [3]. Viperfav® a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France en 2000.
juin 2011
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Une étude rétrospective sur les envenimations vipérines modérées ou sévères
(n = 268) traitées au centre antipoison
d’Angers entre 1999 et 2009 confirme
l’intérêt de ce traitement et l’absence de
différence de la répartition de la gravité
dans les différentes tranches d’âge, y
compris aux âges extrêmes [4]. Dans cette série, une seule dose de Viperfav® a
permis de faire disparaître les signes
systémiques dès la fin de la perfusion, y
compris chez les patients en état de
choc, et de corriger les perturbations de
l’hémostase en six à huit heures (n
= 162 patients).
Pour une efficacité optimale, l’immunothérapie doit être administrée le plus
rapidement possible, dans les dix premières heures suivant la morsure. Dans
ces conditions, Viperfav® permet de réduire d’un facteur deux la durée de
l’hospitalisation et le risque d’hématome, et d’un facteur trois la gêne fonctionnelle persistante évaluée au quinzième jour après morsure. Les doses
multiples n’ont pas de bénéfice additionnel sur ces critères d’efficacité.
L’immunothérapie par Viperfav ® est
bien tolérée. Aucun des patients de cette série n’a eu de choc anaphylactique
ou d’infection systémique sévère. Un
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Les héparines de bas poids moléculaire
doublent le risque d’hématomes et aggravent la gêne fonctionnelle. Les corticoïdes et les antibiotiques n’améliorent
ni la durée d’hospitalisation ni la gêne
fonctionnelle. Il n’y a donc pas d’indication d’une antibiothérapie et d’une corticothérapie systématiques dans les envenimations vipérines en Europe.
UNE BANQUE DE SÉRUMS
ANTIVENIMEUX
Une banque de sérums antivenimeux
(SAV) a été constituée en 2003 par le
centre antipoison et le CHU d’Angers
avec les éleveurs capacitaires de la région. A cette banque devenue nationale
participent les vivariums, les muséums,
les zoos et les laboratoires de recherche
qui élèvent des serpents venimeux exotiques. A ce jour, 152 espèces de serpents
venimeux exotiques ont été recensées
dans les élevages agréés français. Un des
objectifs est la sélection de SAV ayant les
critères d’efficacité et surtout d’innocuité
nécessaires pour une demande d’ATU à
l’Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (Afssaps). Les SAV
ayant une ATU sont l’antivenin d’origine
mexicaine Antivipmyn-tri®, actif contre
les serpents d’Amérique centrale, du Sud
et du Nord, FAV-Afrique®, qui couvre
principalement les espèces d’Afrique
subsaharienne, et Antivipmyn-Africa®,
dont le spectre d’action est un peu plus
large. D’autres SAV sont en attente
d’ATU : Favirept® pour le traitement des
envenimations par les serpents du Maghreb et du Moyen-Orient, Bothrofav ®
contre les serpents de Martinique et l’antivenin de la Croix-Rouge Thaï (Thai Red
Cross antivenin).
ACCIDENTS DUS
AUX MÉDUSES, POISSONS
ET CÔNES
L’épidémiologie des envenimations par
LES MÉDUSES
La survenue et la sévérité des symptômes de l’envenimation varient selon
l’espèce en cause et l’étendue de la surface cutanée mise en contact avec les
tentacules.
첸 Les scyphozoaires sont des méduses
des mers tropicales et tempérées, notamment de la Méditerranée. Leur piqûre provoque une douleur immédiate et
l’apparition très rapide de signes cutanés : rash maculopapuleux érythémateux et phlyctènes. La cicatrisation de
ces lésions est souvent de mauvaise
qualité. Elles peuvent évoluer vers une
pigmentation résiduelle définitive. L’atteinte reste locorégionale, même chez
les enfants [6].
첸 Les physalies (« galère portugaise »)
vivent dans l’Indo-Pacifique et l’Atlantique, essentiellement sur les côtes américaines, mais peuvent être déportées
par le vent sur les côtes européennes. Il
ne s’agit pas de méduses stricto sensu,
mais de colonies de polypes dérivantes.
L’envenimation par ces animaux se traduit le plus souvent par une atteinte locale avec une douleur à type de brûlure,
des paresthésies et une éruption papuleuse et érythémateuse au niveau de la
zone de contact avec les tentacules. Des
cas de défaillance rénale et de collapsus
cardiovasculaire ont été décrits, notamment chez l’enfant [7].
첸 Les cuboméduses, parmi lesquelles la
« guêpe de mer », qui est la plus dangereuse des méduses, vivent en Indo-Pacifique, notamment au large de l’Australie. Leur venin est responsable d’une atteinte locale et systémique. Le tableau
commence par une atteinte cutanée
avec une douleur intense et peut aboujuin 2011
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Raie armée
© Dr François Rual
AUTRES TRAITEMENTS
animaux marins est mal connue, car ces
accidents sont le plus souvent traités
par les secouristes sur le lieu où ils se
sont produits. Sur les 2 552 envenimations répertoriées sur le littoral aquitain
durant l’été 2009, seulement 4 %
avaient fait l’objet d’une prise en charge
par un médecin libéral ou hospitalier [5].
En Australie, on observe chaque année
au moins un décès d’enfant par piqûres
de méduse.
Rascasse (Pterois volitans)
© Dr François Rual
seul cas d’infection localisée a été observé, et ce chez un patient qui avait reçu
des antibiotiques.
tir à une défaillance vitale hémodynamique, respiratoire ou neurologique,
avec un risque de décès [8].
첸 Les piqûres de Carukia barnesi et
d’autres carybdéidés sont douloureuses
et entraînent un syndrome bien individualisé (syndrome d’Irukandji) qui associe une « chair de poule » généralisée
inaugurale, des myalgies diffuses, une
atteinte rénale avec oligurie, une hypertension artérielle parfois maligne et un
œdème aigu pulmonaire cardiogénique
pouvant engager le pronostic vital.
LES POISSONS VENIMEUX
Les poissons responsables d’envenimation sont classés en poissons osseux
(vives, rascasses, poissons-pierre) et cartilagineux (raies armées). Contrairement
aux méduses et aux cônes, leur appareil
venimeux est purement défensif.
L’envenimation réalise un tableau à début brutal, avec un syndrome local important dominé par une douleur syncopale irradiant rapidement à l’ensemble
du membre et un œdème qui peut être
extensif. La plaie est souvent nécrotique
et, dans le cas des piqûres de rascasse,
peut s’accompagner d’un saignement
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local. Sa guérison est difficile et longue
(plusieurs mois). Des signes généraux à
type de fièvre, de nausées, voire de
prostration, apparaissent fréquemment,
en particulier chez les enfants. Les aiguillons des raies armées, qui mesurent
jusqu’à 30 cm, peuvent provoquer des
plaies perforantes intrathoraciques ou
intra-abdominales. Le risque de surinfection est important. Les décès sont exceptionnels et le plus souvent dus à la
noyade.
LES CÔNES
Les espèces de cônes les plus dangereuses vivent en Indo-Pacifique tropical
et subtropical. Le venin de ces mollusques gastéropodes donne un tableau
clinique dont la gravité est corrélée à la
taille du spécimen. Le tableau débute
par une douleur majeure accompagnée
de paresthésies et de signes inflammatoires [9]. Chez l’enfant, on observe fréquemment des signes systémiques à type de vomissements, sensation de soif,
prurit généralisé et douleurs diffuses.
Le risque est celui de l’apparition d’un
tableau neurologique avec des tremblements, des troubles de la déglutition et
de la phonation, un ptosis, une abolition des réflexes ostéotendineux et une
paralysie flasque ascendante à l’origine
d’une détresse respiratoire.
CONDUITE À TENIR
Quel que soit l’animal, la première mesure est de sortir immédiatement l’enfant
de l’eau afin d’éviter la noyade. Il faut
alerter les secours s’il présente des signes
systémiques, et surveiller et maintenir
les fonctions vitales en cas de défaillance
Références
[1] AUDEBERT F., SORKINE M., BON C. : « Envenoming by viper
bites in France : clinical gradation and biological quantification
by ELISA », Toxicon, 1992 ; 30 : 599-609.
[2] AUDEBERT F., SORKINE M., ROBBE-VINCENT A., BON C. :
« Viper bites in France : clinical and biological evaluation ; kinetics of envenomations », Hum. Exp. Toxicol., 1994 ; 13 : 683-8.
[3] HARRY P., DE HARO L., ASFAR P., DAVID J.M. : « Evaluation
de l’immunothérapie intraveineuse par le fragment F(ab')2 purifié (Viperfav) », Presse Méd., 1999 ; 28 : 1929-34.
d’organes. Les mesures de sauvetage
« héroïques » comme le garrot, l’incision
et la succion sont à proscrire.
L’analgésie, qui est un temps fondamental de la prise en charge, doit être réalisée sur place par application de glace
dans des sachets ou de « cold-packs », de
gels anesthésiques ou d’antalgiques per
os ou intraveineux. Elle permet non seulement de soulager l’enfant, mais aussi
de ralentir la diffusion du venin. La
désinfection des lésions doit également
être systématique pour prévenir la surinfection. Dans les formes bénignes, qui
sont les plus fréquentes, des antihistaminiques ou des corticoïdes peuvent être
prescrits à visée anti-inflammatoire.
En cas de piqûre par une méduse, le principe de base est de ne pas frotter la zone
touchée. Ce geste entraîne la dévagination des nématocystes restés intacts et,
par conséquent, entretient l’envenimation et la douleur. La dévagination étant
également favorisée par l’osmolarité de
l’eau douce, les lésions cutanées doivent
être rincées à l’eau de mer. Une autre
pratique est utilisée en Australie : la
neutralisation transitoire des nématocystes par application de vinaigre. Mais
elle nécessite un diagnostic sûr d’espèce,
car le vinaigre est efficace pour les cuboméduses et formellement contre-indiqué pour les physalies. On peut utiliser
du jus de citron, qui aurait aussi des vertus antiseptiques. L’ablation des tentacules collés à la peau est réalisée avec
des pincettes ou un morceau de carton
rigide (ou une carte bleue) après application de mousse à raser ou de sable sur
les lésions. Les sauveteurs australiens
ont recours en pré-hospitalier au sérum
antivenimeux (Box Jellyfish Antivenom®) et au sulfate de magnésium en
cas de décompensation cardiorespiratoire ou de douleur majeure.
[4] BOELS D., HAMEL J.F., BRETAUDEAU M., HARRY P. : « Viperfav® and viper envenomings : a retrospective case review study »,
Congrès international de l’Association européenne des centres
antipoison. Bordeaux, 11-14 mai 2010.
[5] BÉDRY R., PILLET O., RIVET P., HA D. et al. : « Epidémiologie
des agressions par animaux venimeux marins sur le littoral Atlantique sud pendant la période estivale 1996 », Réanimation Urgences, 1998 ; 4 : 375-80.
[6] BURNETT J.W. : « Treatment of Atlantic cnidarian envenomations », Toxicon, 2009 ; 54 : 1201-5.
[7] KAUFMAN M.B. : « Portuguese man-of-war envenomation »,
Pediatr. Emerg. Care, 1992 ; 8 : 27-8.
[8] TIBBALLS J. : « Australian venomous jellyfish, envenomation
syndromes, toxins and therapy », Toxicon, 2006 ; 48 : 830-59.
[9] FEGAN D., ANDRESEN D. : « Conus geographus envonimation », Lancet, 1997 ; 349 : 1672.
[10] « Efficacité du ‘choc thermique’ dans le traitement des envenimations par vives et rascasses : expérience du centre antipoison de Marseille au cours de l’été 1999 », JEUR, 2001 ; 14 : 171.
[11] WINKEL K.D., MIRTSCHIN P., PEARN J. : « Twentieth century
toxinology and antivenom development in Australia », Toxicon,
2006 ; 48 : 738-54.
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En cas de piqûre par un poisson ou par un
cône, on recommande d’ôter la combi-
naison de plongée, en raison de la survenue possible d’un œdème rapidement
extensif. En cas de piqûre par cône, la
technique de pression-immobilisation
précoce est validée pour limiter la diffusion du venin (bandage du membre réalisant une occlusion veineuse et lymphatique). L’extraction des débris de
l’appareil venimeux non mobilisables
doit être chirurgicale.
Les venins des poissons étant thermolabiles, l’analgésie peut être réalisée par
choc thermique local. Cette technique
consiste à approcher une source de chaleur supportable (bain d’eau chaude,
sèche-cheveux, à tester préalablement
sur soi par prudence), puis, après deux
minutes, à appliquer un glaçon dans un
linge ou une canette glacée [10]. Pour les
envenimations dues au poisson-pierre,
les équipes australiennes recommandent
l’emploi d’un SAV en pré-hospitalier [11],
mais ce produit n’est pas disponible partout, comme à la Réunion par exemple.
QUAND HOSPITALISER ?
Les indications d’hospitalisation sont la
présence de signes systémiques, une
douleur réfractaire ou une plaie perforante, ainsi que les envenimations par
cuboméduses australiennes, qui, même
asymptomatiques, nécessitent une surveillance hospitalière pendant au moins
six heures afin de prendre en charge une
éventuelle manifestation retardée.
첸
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