Médecine
& enfance
MORSURES DE VIPÈRES
EUROPÉENNES
En 2008, 182 expositions à des vipères
ont été répertoriées par les centres anti-
poison. Ces accidents concernaient au-
tant les enfants que les adultes, avec
une prédominance masculine dans
toutes les tranches d’âge.
QUATRE GRADES CLINIQUES
Un tableau de gradation clinique des
morsures et des envenimations par vi-
pères européennes a été proposé en
1992 [1] :
grade 0 : pas de morsure ou « morsu-
re blanche » (pas d’injection de venin).
Une attente de quatre à six heures est
nécessaire avant d’affirmer avec certitu-
de l’absence d’envenimation ;
grade 1 : envenimation mineure. Il se
caractérise par un œdème local et l’ab-
sence de signes généraux ;
grade 2 : envenimation modérée. Le
patient présente un œdème régional du
membre mordu, et/ou des signes géné-
raux modérés ou biologiques, et parfois
des signes digestifs de type vomisse-
ments ou diarrhée. Cette dernière est
déjà un signe de gravité ;
grade 3 : envenimation sévère. L’œ-
dème est majeur et extensif, atteignant
le tronc ; il s’accompagne de signes sys-
témiques sévères (hypotension, choc,
œdème de Quincke) et de troubles de
l’hémostase, et peut se compliquer
d’une atteinte polyviscérale. Il existe
une corrélation entre l’extension de l’œ-
dème et la gravité des signes généraux,
ainsi qu’entre la concentration sanguine
de venin et la sévérité de l’envenima-
tion. Chez l’enfant comme chez l’adulte,
la demi-vie du venin est de huit heures
[2]. Il n’y a pas de rebond tardif de la ve-
ninémie circulante. La définition des
grades 2A (œdème extensif sans signes
généraux ni biologiques) et 2B (œdème
extensif et signes biologiques) a été jus-
tifiée par l’étude de ce paramètre.
UTILISATION DES SÉRUMS
ANTIVENIMEUX
La preuve de l’efficacité de l’immuno-
thérapie intraveineuse par Viperfav®
sur la durée d’hospitalisation et les sé-
quelles a été établie dès la fin des an-
nées 90, alors que l’antivenin était dis-
ponible en autorisation temporaire
d’utilisation (ATU) [3]. Viperfav®a obte-
nu une autorisation de mise sur le mar-
ché (AMM) en France en 2000.
Une étude rétrospective sur les enveni-
mations vipérines modérées ou sévères
(n = 268) traitées au centre antipoison
d’Angers entre 1999 et 2009 confirme
l’intérêt de ce traitement et l’absence de
différence de la répartition de la gravité
dans les différentes tranches d’âge, y
compris aux âges extrêmes [4]. Dans cet-
te série, une seule dose de Viperfav®a
permis de faire disparaître les signes
systémiques dès la fin de la perfusion, y
compris chez les patients en état de
choc, et de corriger les perturbations de
l’hémostase en six à huit heures (n
= 162 patients).
Pour une efficacité optimale, l’immuno-
thérapie doit être administrée le plus
rapidement possible, dans les dix pre-
mières heures suivant la morsure. Dans
ces conditions, Viperfav®permet de ré-
duire d’un facteur deux la durée de
l’hospitalisation et le risque d’hémato-
me, et d’un facteur trois la gêne fonc-
tionnelle persistante évaluée au quin-
zième jour après morsure. Les doses
multiples n’ont pas de bénéfice addi-
tionnel sur ces critères d’efficacité.
L’immunothérapie par Viperfav®est
bien tolérée. Aucun des patients de cet-
te série n’a eu de choc anaphylactique
ou d’infection systémique sévère. Un
Les accidents par morsures d’animaux venimeux sont fré-
quents. En France métropolitaine, les envenimations par les vi-
pères européennes concernent principalement les régions du
Sud et de l’Ouest. Elles ne présentent pas de spécificités pé-
diatriques en termes d’incidence et de répartition des formes
graves. En revanche, les enfants ont une vulnérabilité accrue
aux envenimations marines et développent plus souvent des
tableaux sévères que les adultes.
Conduite à tenir en cas d’envenimation
vipérine ou marine
D’après les communications de P. Harry, centre antipoison-toxicovigilance, CHU d’Angers, et S. Larréché, service de biologie clinique,
hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé, au Congrès de la Société française de pédiatrie, Marseille 11-14 mai 2011
Rédaction : C. Faber
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seul cas d’infection localisée a été obser-
vé, et ce chez un patient qui avait reçu
des antibiotiques.
AUTRES TRAITEMENTS
Les héparines de bas poids moléculaire
doublent le risque d’hématomes et ag-
gravent la gêne fonctionnelle. Les corti-
coïdes et les antibiotiques n’améliorent
ni la durée d’hospitalisation ni la gêne
fonctionnelle. Il n’y a donc pas d’indica-
tion d’une antibiothérapie et d’une cor-
ticothérapie systématiques dans les en-
venimations vipérines en Europe.
UNE BANQUE DE SÉRUMS
ANTIVENIMEUX
Une banque de sérums antivenimeux
(SAV) a été constituée en 2003 par le
centre antipoison et le CHU d’Angers
avec les éleveurs capacitaires de la ré-
gion. A cette banque devenue nationale
participent les vivariums, les muséums,
les zoos et les laboratoires de recherche
qui élèvent des serpents venimeux exo-
tiques. A ce jour, 152 espèces de serpents
venimeux exotiques ont été recensées
dans les élevages agréés français. Un des
objectifs est la sélection de SAV ayant les
critères d’efficacité et surtout d’innocuité
nécessaires pour une demande d’ATU à
l’Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (Afssaps). Les SAV
ayant une ATU sont l’antivenin d’origine
mexicaine Antivipmyn-tri®, actif contre
les serpents d’Amérique centrale, du Sud
et du Nord, FAV-Afrique®, qui couvre
principalement les espèces d’Afrique
sub saharienne, et Antivipmyn-Africa®,
dont le spectre d’action est un peu plus
large. D’autres SAV sont en attente
d’ATU : Favirept®pour le traitement des
envenimations par les serpents du Magh-
reb et du Moyen-Orient, Bothrofav®
contre les serpents de Martinique et l’an-
tivenin de la Croix-Rouge Thaï (Thai Red
Cross antivenin).
ACCIDENTS DUS
AUX MÉDUSES, POISSONS
ET CÔNES
L’épidémiologie des envenimations par
animaux marins est mal connue, car ces
accidents sont le plus souvent traités
par les secouristes sur le lieu où ils se
sont produits. Sur les 2552 envenima-
tions répertoriées sur le littoral aquitain
durant l’été 2009, seulement 4 %
avaient fait l’objet d’une prise en charge
par un médecin libéral ou hospitalier [5].
En Australie, on observe chaque année
au moins un décès d’enfant par piqûres
de méduse.
LES MÉDUSES
La survenue et la sévérité des symp-
tômes de l’envenimation varient selon
l’espèce en cause et l’étendue de la sur-
face cutanée mise en contact avec les
tentacules.
Les scyphozoaires sont des méduses
des mers tropicales et tempérées, no-
tamment de la Méditerranée. Leur piqû-
re provoque une douleur immédiate et
l’apparition très rapide de signes cuta-
nés : rash maculopapuleux érythéma-
teux et phlyctènes. La cicatrisation de
ces lésions est souvent de mauvaise
qualité. Elles peuvent évoluer vers une
pigmentation résiduelle définitive. L’at-
teinte reste locorégionale, même chez
les enfants [6].
Les physalies (« galère portugaise »)
vivent dans l’Indo-Pacifique et l’Atlan-
tique, essentiellement sur les côtes amé-
ricaines, mais peuvent être déportées
par le vent sur les côtes européennes. Il
ne s’agit pas de méduses stricto sensu,
mais de colonies de polypes dérivantes.
L’envenimation par ces animaux se tra-
duit le plus souvent par une atteinte lo-
cale avec une douleur à type de brûlure,
des paresthésies et une éruption papu-
leuse et érythémateuse au niveau de la
zone de contact avec les tentacules. Des
cas de défaillance rénale et de collapsus
cardiovasculaire ont été décrits, notam-
ment chez l’enfant [7].
Les cuboméduses, parmi lesquelles la
« guêpe de mer », qui est la plus dange-
reuse des méduses, vivent en Indo-Paci-
fique, notamment au large de l’Austra-
lie. Leur venin est responsable d’une at-
teinte locale et systémique. Le tableau
commence par une atteinte cutanée
avec une douleur intense et peut abou-
tir à une défaillance vitale hémodyna-
mique, respiratoire ou neurologique,
avec un risque de décès [8].
Les piqûres de Carukia barnesi et
d’autres carybdéidés sont douloureuses
et entraînent un syndrome bien indivi-
dualisé (syndrome d’Irukandji) qui as-
socie une « chair de poule » généralisée
inaugurale, des myalgies diffuses, une
atteinte rénale avec oligurie, une hyper-
tension artérielle parfois maligne et un
œdème aigu pulmonaire cardiogénique
pouvant engager le pronostic vital.
LES POISSONS VENIMEUX
Les poissons responsables d’envenima-
tion sont classés en poissons osseux
(vives, rascasses, poissons-pierre) et car-
tilagineux (raies armées). Contrairement
aux méduses et aux cônes, leur appareil
venimeux est purement défensif.
L’envenimation réalise un tableau à dé-
but brutal, avec un syndrome local im-
portant dominé par une douleur synco-
pale irradiant rapidement à l’ensemble
du membre et un œdème qui peut être
extensif. La plaie est souvent nécrotique
et, dans le cas des piqûres de rascasse,
peut s’accompagner d’un saignement
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Raie armée
Rascasse (Pterois volitans)
© Dr François Rual © Dr François Rual
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local. Sa guérison est difficile et longue
(plusieurs mois). Des signes généraux à
type de fièvre, de nausées, voire de
prostration, apparaissent fréquemment,
en particulier chez les enfants. Les ai-
guillons des raies armées, qui mesurent
jusqu’à 30 cm, peuvent provoquer des
plaies perforantes intrathoraciques ou
intra-abdominales. Le risque de surin-
fection est important. Les décès sont ex-
ceptionnels et le plus souvent dus à la
noyade.
LES CÔNES
Les espèces de cônes les plus dange-
reuses vivent en Indo-Pacifique tropical
et subtropical. Le venin de ces mol-
lusques gastéropodes donne un tableau
clinique dont la gravité est corrélée à la
taille du spécimen. Le tableau débute
par une douleur majeure accompagnée
de paresthésies et de signes inflamma-
toires [9]. Chez l’enfant, on observe fré-
quemment des signes systémiques à ty-
pe de vomissements, sensation de soif,
prurit généralisé et douleurs diffuses.
Le risque est celui de l’apparition d’un
tableau neurologique avec des tremble-
ments, des troubles de la déglutition et
de la phonation, un ptosis, une aboli-
tion des réflexes ostéotendineux et une
paralysie flasque ascendante à l’origine
d’une détresse respiratoire.
CONDUITE À TENIR
Quel que soit l’animal, la première mesu-
re est de sortir immédiatement l’enfant
de l’eau afin d’éviter la noyade. Il faut
alerter les secours s’il présente des signes
systémiques, et surveiller et maintenir
les fonctions vitales en cas de défaillance
d’organes. Les mesures de sauvetage
« héroïques » comme le garrot, l’incision
et la succion sont à proscrire.
L’analgésie, qui est un temps fondamen-
tal de la prise en charge, doit être réali-
sée sur place par application de glace
dans des sachets ou de « cold-packs », de
gels anesthésiques ou d’antalgiques per
os ou intraveineux. Elle permet non seu-
lement de soulager l’enfant, mais aussi
de ralentir la diffusion du venin. La
désinfection des lésions doit également
être systématique pour prévenir la sur-
infection. Dans les formes bénignes, qui
sont les plus fréquentes, des antihistami-
niques ou des corticoïdes peuvent être
prescrits à visée anti-inflammatoire.
En cas de piqûre par une méduse, le prin-
cipe de base est de ne pas frotter la zone
touchée. Ce geste entraîne la dévagina-
tion des nématocystes restés intacts et,
par conséquent, entretient l’envenima-
tion et la douleur. La dévagination étant
également favorisée par l’osmolarité de
l’eau douce, les lésions cutanées doivent
être rincées à l’eau de mer. Une autre
pratique est utilisée en Australie : la
neutralisation transitoire des némato-
cystes par application de vinaigre. Mais
elle nécessite un diagnostic sûr d’espèce,
car le vinaigre est efficace pour les cubo-
méduses et formellement contre-indi-
qué pour les physalies. On peut utiliser
du jus de citron, qui aurait aussi des ver-
tus antiseptiques. L’ablation des tenta-
cules collés à la peau est réalisée avec
des pincettes ou un morceau de carton
rigide (ou une carte bleue) après appli-
cation de mousse à raser ou de sable sur
les lésions. Les sauveteurs australiens
ont recours en pré-hospitalier au sérum
antivenimeux (Box Jellyfish Antive-
nom®) et au sulfate de magnésium en
cas de décompensation cardiorespiratoi-
re ou de douleur majeure.
En cas de piqûre par un poisson ou par un
cône, on recommande d’ôter la combi-
naison de plongée, en raison de la sur-
venue possible d’un œdème rapidement
extensif. En cas de piqûre par cône, la
technique de pression-immobilisation
précoce est validée pour limiter la diffu-
sion du venin (bandage du membre réa-
lisant une occlusion veineuse et lym-
phatique). L’extraction des débris de
l’appareil venimeux non mobilisables
doit être chirurgicale.
Les venins des poissons étant thermola-
biles, l’analgésie peut être réalisée par
choc thermique local. Cette technique
consiste à approcher une source de cha-
leur supportable (bain d’eau chaude,
sèche-cheveux, à tester préalablement
sur soi par prudence), puis, après deux
minutes, à appliquer un glaçon dans un
linge ou une canette glacée [10]. Pour les
envenimations dues au poisson-pierre,
les équipes australiennes recommandent
l’emploi d’un SAV en pré-hospitalier [11],
mais ce produit n’est pas disponible par-
tout, comme à la Réunion par exemple.
QUAND HOSPITALISER ?
Les indications d’hospitalisation sont la
présence de signes systémiques, une
douleur réfractaire ou une plaie perfo-
rante, ainsi que les envenimations par
cuboméduses australiennes, qui, même
asymptomatiques, nécessitent une sur-
veillance hospitalière pendant au moins
six heures afin de prendre en charge une
éventuelle manifestation retardée.
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& enfance
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[7] KAUFMAN M.B. : « Portuguese man-of-war envenomation »,
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[8] TIBBALLS J. : « Australian venomous jellyfish, envenomation
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[11] WINKEL K.D., MIRTSCHIN P., PEARN J. : « Twentieth century
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