Épilepsie Retard de mise en route d’un traitement antiépileptique : une perte de chance pour le patient ou non ? ● S. Dupont* n pratique, il est parfois difficile de décider de la mise en route d’un traitement antiépileptique chez un patient ayant présenté une crise comitiale unique ou ayant des crises très peu fréquentes. Le risque de récurrence après une première crise varie selon les études de 27 à 52 %. Le délai de survenue des récurrences est le plus souvent bref : 50 % des récidives surviennent dans les 6 premiers mois, 80 % dans les 2 ans qui suivent la première crise. Néanmoins, hors situation laissant présager une récurrence rapide et une fréquence élevée de crises, il convient toujours d’établir pour le patient le ratio bénéfices/risques de la mise en route d’un traitement antiépileptique, traitement par ailleurs non dénué d’effets indésirables. L’autre question cruciale qui se pose est la perte de chance éventuelle que constituerait pour le patient un retard de mise en route du traitement. Cette étude multicentrique randomisée répond clairement à cette dernière question. E PLAN EXPÉRIMENTAL Il s’agit d’une étude britannique, multicentrique, randomisée en deux bras : un bras avec traitement antiépileptique immédiat et un bras avec traitement antiépileptique différé (aucun traitement sauf si celui-ci devient une nécessité). Les critères d’inclusion étaient : âge supérieur à 1 mois, antécédent d’une ou plusieurs crises comitiales non provoquées, bilan complet réalisé, doute sur la nécessité d’instaurer ou non un traitement, absence de traitement antiépileptique antérieur. Sur les 1 847 patients pressentis, 1 443 ont accepté de participer à l’étude et ont été randomisés : 722 dans le groupe traitement immédiat et 721 dans le groupe traitement différé (figure 1). Le suivi était fondé sur le délai séparant les 1re, 2e… et 5e crises en cas de récidive, le délai sans crises jusqu’à 5 ans après randomisation et le délai pour obtenir une rémission de 2 ans sans crises. L’analyse était en intention de traiter. 1 847 patients pressentis 404 n’acceptent pas la randomisation 1 443 randomisés 722 reçoivent immédiatement le traitement 721 n’acceptent pas la randomisation 712 malades inclus 713 malades inclus 685 suivis 652 suivis ≥ 1 an 628 suivis ≥ 2 ans 695 suivis 650 suivis ≥ 1 an 616 suivis ≥ 2 ans Figure 1. Schéma de l’étude. RÉSULTATS Dans le groupe traitement immédiat, on notait une amélioration du devenir à court terme, avec une augmentation significative du délai séparant la première crise de la seconde, et une diminution significative du délai pour obtenir une rémission de 2 ans sans crises. À long terme, sur le suivi à 5 ans, le devenir des deux groupes était similaire : 76 % des patients du groupe traitement immédiat versus 77 % des patients du groupe traitement différé étaient libres de crises depuis une période de 3 à 5 ans suivant la randomisation (figure 2). COMMENTAIRES * Unité d’épileptologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. 94 Cette étude bien menée confirme que le risque de récurrence des crises est réduit chez les sujets traités précocement par antiépileptiques. Néanmoins, si l’on regarde à plus long terme, on La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 3 - mars 2006 0,8 Une seule crise à la randomisation 0,8 Crises multiples à la randomisation Différé 0,6 0,6 Différé 0,4 Immédiat 0,4 Immédiat 0,2 0,2 0 0 0 2 4 6 8 Années après randomisation 0 2 4 6 8 Années après randomisation Figure 2. Proportion cumulative des patients randomisés après une première crise et stratifiés par bras de traitement et nombre de crises. s’aperçoit que le fait de traiter ou non dès la première crise n’a pas d’incidence sur l’évolution de l’épilepsie et que, à 5 ans, les taux de rémission seront équivalents dans les deux groupes. On peut donc confirmer que, chez des patients présentant des crises uniques ou peu fréquentes, il n’y a pas d’urgence à traiter La Lettre du Neurologue - vol. X - n° 3 - mars 2006 et que le retard de mise en route du traitement ne constitue pas une perte de chance pour le patient. ■ ■ Marson A, Jacoby A, Johnson A et al. Immediate versus deferred antiepileptic drug treatment for early epilepsy and single seizures: a randomised controlled trial. Lancet 2005;365:2007-13. 95