Marcowitz — L’Allemagne vingt ans après la chute du Mur de Berlin
4. L’ALLEMAGNE EN PLEINE MUTATION : VERS LA NORMALISATION
L’autre grand champ de recherche concerne celui des conséquences de
l’unification. Grâce à celle-ci et à la chute du Mur, l’ancienne RFA ne s’est pas
seulement agrandie, elle a aussi connu des changements majeurs dans ses
structures et au plan politique : depuis 1990, elle est en pleine mutation. Bien
entendu, l’Allemagne d’aujourd’hui est le successeur de l’ancienne RFA, mais en
même temps, elle a rompu avec plusieurs de ses traditions ― très souvent par la
force des choses, et à contre cœur.
On a déjà constaté qu’on ne pouvait pas comprendre l’histoire de la chute du Mur
et de l’unification sans se souvenir de leur contexte mondial. De même, on ne peut
pas comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui sans tenir compte des changements
mondiaux survenus depuis 1990 : la fin du conflit Est-Ouest n’était pas la « fin de
l’histoire » et la victoire du libéralisme économique et politique, l’heure de
l’avènement d’un monde unique et sans conflits. Bien au contraire : depuis le
début des années 1990, le système international est beaucoup plus compliqué et
conflictuel, voire dangereux. Au lieu de deux blocs idéologiques, bien sûr
effrayants parce qu’ils étaient très armés, mais en même temps bien contrôlés par
leurs « chaperons » respectifs – les États-Unis et l’Union soviétique ―, se sont
formés plusieurs centres de gravitation : tout d’abord les États-Unis,
« superpuissance » dont l’influence semblait si importante pendant les années 1990
qu’on a parlé d’un système unilatéral, mais qui aujourd’hui connaît ses propres
limites, la Russie, affaiblie mais malgré tout puissance atomique, la Chine qui
gagne de plus en plus en importance, l’Inde, le Brésil, enfin l’Union européenne
(UE), qui est loin d’être une grande puissance, mais qui est un acteur économique
très important. Bref, au lieu du bipolarisme d’hier, on a aujourd’hui un système
multipolaire qui est beaucoup plus difficile à gérer que l’ancien ordre de la Guerre
froide. C’est Henry Kissinger qui a constaté dès le début des années 1990 un
« retour de l’histoire » : en effet, le système international actuel ressemble
beaucoup au concert européen du XIXe siècle. De plus, dans l’ancienne sphère
d’influence de l’Union soviétique on a pu constater le renouvellement du
sentiment national, longtemps supprimé et donc tout à fait légitime, mais qui tend
parfois vers un nouveau nationalisme, ou même vers une vision ethnique exclusive
et éliminatoire. Depuis la guerre de sécession en Yougoslavie au début des années
1990, l’Europe même est confrontée au danger des conflits militaires. La furie
guerrière, longtemps contrôlée par les deux superpuissances, est à nouveau un
instrument politique. En outre, depuis l’attaque des Twin Towers de Manhattan, le
11 septembre 2001, un autre danger est apparu : le terrorisme mondial, qui a
poussé les États-Unis et leurs alliés, en Afghanistan et en Irak, vers des guerres
asymétriques, difficiles, voire impossibles à gagner. Enfin, le monde d’aujourd’hui