P`tit Dej` avec Haïm Korsia, Grand Rabbin de

publicité
EREZ LICHTFELD
14 Rue Raymonde Salez 93260 Les Lilas - email : [email protected] - Tél. : 01 43 60 20 20 - Fax. : 01 43 60 20 21- www.actuj.com - www.actujboutique.fr
Fondateur : Serge Benattar
ISSN 0291 1159
Zal
d”sb
10
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
www.actuj.com
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
P’tit Déj’ exclusif avec
Le grand rabbin de France
Haïm Korsia
“
EREZ LICHTFELD
Faisons ce que
nous savons le mieux
faire, à savoir servir
l’Éternel dans la joie
et l’allégresse
Exclu
Actu. J
“
■ Pour la troisième année consécutive, le grand rabbin
de France Haïm Korsia s’est prêté au rituel d’Actualité
Juive, celui du P’tit déj organisé en sa compagnie. Un
rituel que notre journal avait instauré du temps du grand
rabbin Joseph Sitruk, z’l, et auquel nous ne pouvons
que rendre hommage encore. Le P’tit déj d’Actualité Juive
représente ainsi ce moment convivial qui permet,
comme tout un chacun avant les fêtes de Tichri, de faire
un bilan de l’action de l’année écoulée et d’esquisser
les engagements souhaités pour l’année à venir.
■ Propos recueillis par Laëtitia Enriquez et Catherine Garson
■ Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable
du restaurant « Le Charkoal », 164 rue de Paris, 94220 Charenton-le-Pont.
Tél. : 01 56 29 18 18.
www.actuj.com
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
11
EREZ LICHTFELD
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
Le grand rabbin
de France Haïm Korsia
en compagnie
de nos journalistes
Laëtitia Enriquez
et Catherine Garson.
: Le grand rabbin Sitruk nous
a quittés, il y a deux semaines. Vous
avez été sans doute son plus proche collaborateur pendant de nombreuses années et vous avez su trouver les mots
pour lui rendre hommage. Que garderez-vous de ses enseignements ?
Haïm Korsia : Sans aucun doute, son
amour incommensurable pour chacune et
chacun, comme son désir d’aller à la rencontre de tous. Le grand Rabbin Sitruk z’l,
qui fut comme un père pour moi, a su, avec
le talent oratoire qui était le sien, placer la
Torah au centre de nos vies et guider les fidèles dans l’accomplissement des mitsvot.
Je voudrais aussi saluer sa famille et ses
proches, auxquels je redis toute mon affection et mon attachement.
: Comment, dans vos fonctions de grand rabbin de France, pensez-vous vous inspirer du modèle que
laisse le grand rabbin Sitruk ?
HK : J’inscris mon engagement d’aujourd’hui dans le prolongement de ce que
j’avais entrepris quand je portais modestement une part de l’action du grand rabbin Sitruk z’l lorsqu’il était grand rabbin de France.
L’essentiel étant que lui se reconnaissait dans
les positions et les actions que je défendais.
J’essaie d’occuper la fonction avec la même
humilité et la grande accessibilité qu’a toujours su conserver le grand rabbin Sitruk z’l,
lui qui a donné tant d’élan. Je continue sur
cette voie, car même si les chemins sont différents, le souffle est toujours là. Au-delà de
simplement le consulter, j’ai toujours associé
le grand rabbin Sitruk z’l aux grandes décisions que j’ai eues à prendre.
– occulté les Juifs, les policiers et les militaires, tous victimes du même terrorisme.
Depuis les attentats de novembre dernier,
le dispositif de sécurité a été étendu à l’ensemble de la société, sans oublier pour autant les lieux communautaires. Il faut aujourd’hui s’atteler aux préoccupations politiques globales, sans jamais oublier l’individu. Il s’agit de penser pour la Nation, tout
en prenant en compte les besoins spécifi-
don ou une baisse du niveau de protection,
mais bien une intégration de la protection à
l’ensemble de l’espace public. C’est d’ailleurs la démarche que j’avais prônée, auprès des pouvoirs publics, dès le début de
la mise en place de l’opération Sentinelle.
Une récente étude de l’IFRI (ndlr : « La
sentinelle égarée ? L’armée de Terre face
Exclusivité Actuj.com
« C’est un enjeu majeur pour la société de
faire vivre à la fois le collectif et l’individuel »
: L’année qui s’achève a encore été marquée par des attentats qui
ont touché de manière aveugle toute la
société. Comment dans ce contexte, peuton, doit-on, expliquer que la communauté
juive représente une cible spécifique ?
HK : Il a pourtant hélas fallu le redire. Récemment encore, après l’appel de responsables musulmans publié dans le JDD, qui a
tragiquement – de manière consciente ou non
ques de chacun. Cette problématique s’était
d’ailleurs déjà posée, dans la Bible, au moment de la sortie d’Égypte, société dans laquelle le collectif écrasait l’individu. Moïse
a alors voulu conduire le peuple, en respectant chaque personne au prix de l’occultation du concept de peuple. Il a fallu qu’intervienne Yitro pour le convaincre d’allier
les deux logiques, que l’une n’allait pas
sans l’autre. Aussi, l’évolution du dispositif
aujourd’hui ne signifie-t-elle pas un aban-
Visionnez les Vœux de
Roch Hachana 5777
du grand rabbin de France
sur
www.actuj.com
12
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
www.actuj.com
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
« Je ne veux pas
que le judaïsme
passe en France
par pertes et
profits »
EREZ LICHTFELD
: Au cours de l’année, on a
souvent eu le sentiment que certains ont
cherché à opposer le judaïsme orthodoxe qui serait rétrograde, au judaïsme
libéral autrement plus progressiste…
« J’essaie d’occuper la fonction
avec la même humilité et
la grande accessibilité qu’a
toujours su conserver le
grand rabbin Sitruk z’l, lui
qui a donné tant d’élan »
au terrorisme » d’Elie Tenenbaum – juin
2016) a rappelé la nécessité de prendre en
compte la perception de ce dispositif par
nos concitoyens, afin de construire durablement le sentiment d’unité dans la sécurité.
C’est donc un enjeu majeur pour la société de faire vivre à la fois le collectif et
l’individuel. Je l’ai constaté récemment
encore lorsque je suis allé rendre visite
aux représentants de la communauté chinoise de France, meurtrie par le terrible
assassinat de l’un des leurs – ou plutôt devrais-je dire, de l’un des nôtres – à Aubervilliers. J’ai été stupéfait de l’importance
que revêtait pour eux ce geste d’amitié et
de solidarité. Nous avons connu ce sentiment d’isolement et d’indifférence que
nous avons trop longtemps subi et dénoncé ; nous savons plus que quiconque
qu’il faut tendre la main à ces concitoyens
qui se sentent particulièrement attaqués
dans leur identité.
: La présence militaire, ultrarassurante pour la communauté, tend
pourtant à disparaître des abords des
écoles juives…
H.K. : Elle ne disparaît pas, elle est plus globale. Les écoles juives furent les premières à
intégrer dans les coûts et dans le fonctionnement une garde, un dispositif de sécurité et
une vigilance collective. Toutes les écoles y
sont aujourd’hui confrontées et organisent
des journées de formation à la sécurité.
Étant donnée la situation, il est aussi normal que la sécurité soit prise en compte par
tous les opérateurs, comme le font déjà le
Consistoire, le Crif, le FSJU, le SPCJ et
tant d’autres acteurs locaux.
: Vous avez cette année dénoncé le vote de la France à l’UNESCO
sur les Lieux Saints de Jérusalem. C’était
la première fois semble-t-il qu’en tant
que grand rabbin de France, vous êtes
sorti de votre réserve…
H.K. : Mon mode de fonctionnement n’est
pas un mode comminatoire. Le Talmud dit
« Maï de ava, ava » qui signifie « ce qu’il y
a eu, est ». J’ai contacté le ministère des
Affaires étrangères, en me plaçant dans une
démarche non pas politique, mais théologique, qui d’ailleurs engage également les
Chrétiens ; car ce vote de la France d’un
texte qui nie l’existence du Temple à Jérusalem pourrait également renvoyer les
Évangiles au néant.
Après m’être assuré auprès du Quai
d’Orsay que ce vote serait ultérieurement
désavoué, il était de mon devoir d’intervenir pour défendre une vérité historique
et disons-le simplement, le bon sens.
C’est la raison pour laquelle j’ai publié
une tribune dans Le Figaro, dans laquelle
j’ai donné l’écho des Textes et repris ce
verset d’Isaïe: « Pour Jérusalem, je ne
me tairai point » (LXII, 1). Dans cette
affaire, je ne suis donc pas sorti de ma
méthode, mais je suis allé au bout de
celle-ci. Il s’agit de défendre le judaïsme
chaque fois qu’il est mal compris et de
défendre la France chaque fois que l’on
oublie ce qu’elle est. La France ne peut
pas, en notre nom à tous, signer des déclarations insultantes.
: Revenons sur l’appel des
quarante-et-une personnalités musulmanes publié par le JDD, qui n’a pas
mentionné les victimes juives parmi celles victimes des attentats. Vous êtes intervenu auprès d’eux. Ils ont cherché à
faire amende honorable sans pour autant modifier leur texte.
Comment comprendre le fait qu’ils ne
parviennent pas à citer nommément les
victimes juives ?
H.K. : Inconsciemment ou non, les signataires ont dû estimer qu’ils allaient
faire un geste compréhensible par le plus
grand nombre, ce qui a finalement abouti
à une cote mal taillée. Comme dit le Talmud, « s’il y a deux personnes pour
touiller une soupe, elle n’est ni chaude ni
froide, elle est tiède ».
Ces responsables musulmans avaient
pourtant une idée magnifique : celle de
l’engagement des citoyens portant des valeurs républicaines avec un prisme religieux et la volonté de défendre ce que l’on
essaie de construire tous ensemble. Mais, à
vouloir ne pas s’engager, ils ont en fait,
d’une façon presque psychanalytique, commis un acte manqué incompréhensible. Je
voudrais toutefois retenir que l’initiative
aurait pu être belle et forme le vœu que
l’élan soit conservé.
H.K. : Le judaïsme du Consistoire n’est
pas un judaïsme « light ». Il doit être le
judaïsme de l’accueil, ouvert à tous. Le
judaïsme libéral se vit quant à lui comme
il l’entend. Je n’ai pas à valoriser ou à minorer le travail qui est fait par les uns et
les autres. Je respecte chacun dans son
engagement et espère amener tout le
monde à une pratique qui corresponde à
ce que défend le Consistoire, un judaïsme
respectueux de la Halakha et en conformité avec les lois de la République.
En outre, s’agissant de conversions ou de
divorces par exemple, ce n’est pas parce
que l’on dit non à quelqu’un que l’on n’est
pas aussi là pour l’aider. Il faut trouver le
moyen d’élever les gens, c’est-à-dire leur
donner encore à espérer et garantir un ac-
cueil, respectueux, digne et bienveillant.
Nous suivons les dossiers et les étudions
au cas par cas, tout en suivant des règles
qui ont, par essence, une portée générale.
Nous ne sommes pas là pour répondre favorablement à toutes les demandes sans les
peser et les mesurer. Le cas par cas est justement la force du judaïsme. Cela rejoint
encore la notion que j’évoquais tout à
l’heure, celle du collectif et de l’individu.
Ainsi sommes-nous toujours dans la
construction du respect de chacun. C’est ce
que je m’efforce de faire modestement depuis que je suis grand rabbin de France :
continuer à faire en sorte que chacun, par
l’intermédiaire des deux médiateurs que
j’ai nommés (Charles Sulman et Dolly
Touitou) puisse avoir un recours. Cela me
permet alors d’être en position d’arbitrer
dans un sens ou dans l’autre. Je tiens d’ailleurs ici à saluer les rabbins et les présidents de communautés, qui font eux aussi
un travail remarquable dans ce domaine.
: Après cette affaire, la candidature d’Evelyne Gougenheim à la présidence du Consistoire central a provoqué une polémique où l’on a eu l’impression que l’on vous guettait sur le
côté libéral, cherchant visiblement à
vous prendre en défaut sur ces sujets…
H.K. : Je n’ai jamais eu comme ambition
d’être reconnu ou aimé de tous. Je fais
confiance aux maîtres qui m’ont formé et qui
ont contribué à faire de moi l’homme que je
suis aujourd’hui. J’ai l’ambition de conduire
la communauté juive française dans une dynamique d’action, de progrès et d’engage-
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
www.actuj.com
13
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
ment, afin qu’elle soit respectée dans le
monde. Emeric Deutsch, disait : « L’image
de quelqu’un, c’est la somme de toutes les
fausses idées que l’on se fait sur lui ».
Quant à la polémique autour de la candidature d’Evelyne Gougenheim, j’estime
qu’avec la commission juridique du
Consistoire, nous avons préservé l’institution et son honneur. Il eut été parfaitement inconcevable de s’opposer à cette
candidature, au risque d’aller à l’encontre
du droit associatif français. Il n’est pas
pour autant question d’abdiquer la règle
de Halakha, mais la Halakha – faut-il le
rappeler – s’inscrit dans ce que l’on appelle la Hanaga, c’est-à-dire la conduite.
Mon travail consiste aussi à arbitrer entre
les avis, parfois nombreux et contradictoires, des décisionnaires.
H.K : Il y a une différence entre vouloir
quelque chose et en faire un symbole. Si
une femme veut réciter le Kaddish pour
elle, pourquoi le lui interdire ? Pour autant,
on ne va pas chercher à ce que tout le
monde y réponde. Il en va de même pour la
lecture de la Torah. Il n’y a aucun mal à ce
qu’une femme lise, bien au contraire, mais
pourquoi aller ensuite demander la présence d’hommes derrière une Me’hitsa ? Et
pourquoi ne pas participer tout simplement
à nos offices qui sont accueillants et portent
la tradition d’un judaïsme authentique ?
: Cela fait deux ans et demi
que vous êtes grand rabbin de France.
Comment esquissez-vous les contours de
votre fonction et votre relation avec les
autres responsables communautaires ?
H.K. : J’essaie de poser des gestes et de
dire les choses quand il me semble utile de
le faire. Pour autant, je m’inscris dans une
dynamique collective. Avec le président du
Consistoire, Joël Mergui, nous travaillons
en bonne intelligence. Avec le grand rabbin
de Paris, Michel Gugenheim, qui assume
également, avec la sagesse que nous lui reconnaissons tous, la présidence du Tribunal
rabbinique de Paris, nous échangeons très
régulièrement et je prête toujours la plus
grande attention à ses avis. Sur d’autres sujets, j’envoie au-devant d’autres rabbins qui
connaissent bien les dossiers. C’est le cas
notamment du grand rabbin Claude Maman
s’agissant de la Hevra Kadicha, du rabbin
Michaël Azoulay pour les affaires sociétales, du rabbin Moshé Sebbag pour les relations avec Israël ou du grand rabbin Bruno
Fizson pour la Chehita. Comme dit Sun Tzu
dans l’Art de la Guerre, « quand un général
est sur le champ de bataille, c’est lui qui décide ». Je n’ai donc pas vocation à m’attribuer tous les mérites, mais à synthétiser
l’expression de tout ce que font les rabbins
et tout ce qui émane du judaïsme. Je travaille dans un réel partenariat avec le Crif,
le FSJU, l’OSE, le Casip, les écoles et l’ensemble des institutions qui, sur le terrain,
portent un dévouement qui force au quotidien mon admiration et mes bénédictions.
: Une question revient de
manière récurrente chaque année et sur
laquelle vous êtes très impliqué. Où en
est le problème des examens universitaires qui tombent un jour de chabbat
ou de fête ?
H.K. : Nous avons réalisé un travail considérable avec le soutien appuyé du ministère. Il n’en demeure pas moins que nous
avons essuyé des échecs. J’assume de
n’avoir pas toujours su trouver les mots
avec les uns et les autres, dans un climat de
laïcisme dur qui n’a plus rien à voir avec la
laïcité mais avec le rejet de tout ce qui est
EREZ LICHTFELD
: Au-delà de cette affaire,
comment expliquez-vous la crispation
d’une partie du Consistoire sur des
attitudes de femmes que la Halakha
n’interdit pas ?
« Le circuit de consommation de
la viande cachère doit produire
du bien pour l’ensemble
de la communauté »
religieux. Nous sommes donc trop souvent
devenus des dégâts collatéraux et je ne
veux pas que le judaïsme passe en France
par pertes et profits.
Nos étudiants concernés par ce problème
des examens sont des héros de la République. Ils défendent une laïcité intelligente,
celle de la liberté de pratique religieuse. Ils
sont aussi des héros du judaïsme. Et c’est un
enjeu majeur. Il en va de la garantie pour nos
jeunes de pouvoir continuer leurs études en
France. C’est un enjeu qui dépasse la question du judaïsme et qui touche à ce qu’est la
France. Peut-on oui ou non respecter sa foi et
poursuivre un enseignement supérieur dans
notre pays ? Ma réponse est clairement positive et je peux vous annoncer que dans la loi
université, le zéro éliminatoire va disparaître,
ce qui est une avancée fondamentale.
: Autre domaine problématique, celui de l’abattage rituel. Doit-on
craindre, au-delà des bonnes conclusions
du récent rapport parlementaire, que sa
pratique soit menacée en France ?
« Le judaïsme
s’est toujours
engagé dans la
construction
de la Nation »
H.K. : Il faut dire et redire les choses. Le
gouvernement, quel qu’il soit, a toujours
été d’une aide sans aucune ombre sur ce
sujet. Améliorer le traitement des animaux
dans leur mise à mort est une nécessité, au
regard des scandaleuses vidéos de souffrance animale qui ont circulé, et qui rappelons-le, ne concernaient pas les bêtes abattues rituellement.
Rendons aussi hommage à la qualité du
travail du grand rabbin Fiszon qui est dans
la recherche permanente d’une solution satisfaisante pour tous.
Dans son rapport, la commission parlementaire a rappelé sa préoccupation de
garantir le bien-être animal et préconisé
que les responsables religieux soient parties prenantes aux comités d’éthique des
abattoirs. Elle n’a pas rendu obligatoire
l’étourdissement réversible ou post-jugulation, ce qui nous satisfait pleinement.
Ainsi, les députés ont réaffirmé leur attachement intangible à la laïcité, en préservant l’abattage rituel et le libre exercice
de culte. Pour autant, il nous faut demeurer particulièrement vigilants, car d’autres
propositions de loi visant à interdire
l’abattage rituel sans étourdissement sont
actuellement à l’étude.
: Certains grands chevillards
de la communauté seraient aujourd’hui
tentés d’aller vers d’autres certifications
cachères que le Consistoire. Ce qui représenterait un manque à gagner gigantesque pour l’institution…
H.K. : Ce n’est pas au moment où le pouvoir politique va fortement conseiller, pour
ne pas dire obliger, à canaliser les ressources de l’abattage rituel musulman vers des
besoins communautaires, que nous allons
agir en sens contraire. Il faut intégrer les
opérateurs qui ont toujours porté une
préoccupation du bien commun. Le Consistoire a, en la matière, un rôle central qui
doit être équilibré. Il a toujours considéré
les besoins de chaque obédience, dans la
mesure où celles-ci respectent les règles.
La situation et la fragilité de notre système globalisé vont nous obliger à trouver
des chemins intelligents. Cela devra
conduire à une meilleure péréquation, sachant que ce circuit de consommation de la
viande cachère doit produire du bien pour
l’ensemble de la communauté.
: les 11 et 12 novembre
se déroulera le Chabbat mondial.
En quoi cet événement est-il important ?
H.K. : Ce projet que porte mon conseiller
spécial, le rabbin Moché Lewin, avec beaucoup de bénévoles, est une façon de montrer à ceux qui pensent que le Chabbat est
14
www.actuj.com
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
« Je défends
toujours le
bien-être de la
communauté »
« Je suis à la fois dans un rôle de fédération
de la communauté juive et en même temps
de représentation de ce qu’est le judaïsme
pour l’ensemble de la société »
: La déconnexion que permet
le Chabbat est-elle une idée que vous
souhaitez développer à l’extérieur de
la communauté ?
H.K : Absolument. Je suis à la fois dans un
rôle de fédération de la communauté juive
et en même temps de représentation de ce
qu’est le judaïsme pour l’ensemble de la
société. Quant à cette nécessité de déconnexion, pensez que certains, lors de la COP
21 se sont battus pour obtenir un jour dans
l’année sans voiture. Chez nous, il y a
soixante jours par an sans voiture si l’on
compte les chabbatot et Yom Tov !
Je parle donc aussi à la société. Je veux
partager utopie et théorie du bonheur. Le
général Foch disait, avant la bataille de la
Marne « ma droite est enfoncée, ma gauche
cède. Tout va bien, j’attaque ». Nous sommes menacés, nous avons des problèmes…
soit, faisons ce que nous savons le mieux
faire, à savoir servir l’Éternel dans la joie
et l’allégresse.
: C’est une année politique
qui s’ouvre avec les présidentielles.
Comment abordez-vous cette période ?
H.K. : Les échéances électorales voient
toujours émerger violence verbale, démagogie et tentatives de segmentation de la
société. La campagne a d’ailleurs déjà
commencé. Comment interpréter la volonté
affichée par certains d’interdire les signes
religieux dans l’espace public : que penser
alors des kipot, tsitsit, chapeaux… que
sais-je encore ! Et ce n’est qu’un début,
nous n’en sommes qu’au stade des primaires ! Il faudrait pourtant rappeler aux candidats de se concentrer sur l’essentiel, à savoir le choix du modèle de société dans laquelle nous voulons vivre.
: Imaginons un scénario catastrophe. Marine Le Pen est élue au premier tour avec plus de 50% des voix…
H.K. : Je réponds : « Al tifta’h peh
lassatan », ne créons pas une réalité en en
parlant outre mesure. Il faut avoir
confiance dans notre capacité de sagesse
collective à trouver des solutions et à ne
pas se laisser perturber par la peur de
l’avenir, le rejet de l’autre, la panique de
l’Europe. Retrouvons un peu de cette
confiance et, ensuite, nous trouverons les
réponses justes. Rappelons que le judaïsme
s’est toujours engagé dans la construction
de la Nation et qu’il saura une fois encore
répondre présent, pour faire barrage à ceux
qui prônent l’exclusion.
EREZ LICHTFELD
un temps de contraintes, qu’il est en fait
un temps de bonheur. Ce rendez-vous
mondial est une façon d’amener des gens
à une pratique du Chabbat, ce qui représente quelque chose de vital. De plus, la
société a besoin de comprendre l’existence d’une nécessité de déconnexion.
Ce à quoi le Chabbat contribue.
C’est la raison pour laquelle j’appelle toutes les communautés à préparer dès maintenant cette manifestation exceptionnelle et
les fidèles à nous rejoindre toujours plus
nombreux. Et je peux vous dire que même
l’artiste que le rabbin Lewin fait venir pour
le concert de Havdala au Palais des Congrès
de Montreuil porte un nom prédestiné, puisque ce sera Shlomi Shabbat…
: Existe-t-il une configuration
politique nationale ou locale face à laquelle vous envisageriez où vous pourriez vous imaginer dire à la communauté qu’il faut partir ?
H.K. : La France est une aspiration à
construire. Notre engagement est dans cette
construction, y compris, comme cela a été
le cas, dans les heures les plus noires. La
question se pose : comment défendre un judaïsme authentique, heureux, tout en défendant ce qu’est la France. Car, nous ne pouvons pas exiger du bonheur que pour nous.
Comme il est dit : « Prie pour la paix dans
le royaume, parce que de sa paix, dépendra
ton bonheur ».
: C’est ce que vous diriez à
ceux qui vous reprochent de vous soucier plus des relations avec la France
que de votre travail communautaire ?
H.K. : Je défends toujours le bien-être de la
communauté. Mon travail, mon objectif ne
sont pas d’aller dans le sens des peurs, des
angoisses, mais de les pallier, d’y répondre
et de faire en sorte que la réponse soit collective, venant de l’ensemble de la société.
Il est vrai que je rappelle en permanence notre attachement à la France. Je
maintiens que c’est lorsque l’on rend la
France à ce qu’elle a de plus beau, qu’on
la rend fidèle à ce qu’elle a toujours promis et assuré aux Juifs. S’il existe un décalage, cela ne fonctionne plus. À ce
propos, je rappelle qu’il est de notre devoir de réciter la prière pour la République dans les synagogues ; de pavoiser
ces mêmes synagogues lors des fêtes patriotiques. Il est scandaleux que, dans
certaines villes, aucun rabbin ne se déplace lors des cérémonies du 11 novembre ou du 8 mai.
Je suis persuadé que nous avons une
responsabilité particulière. Dans nos
textes, il est écrit que nous devons être «
ohr lagoyim », une lumière pour les peuples. Nous devons donc être aussi responsables et engagés dans ce qui se
passe autour de nous.
: Dans un domaine plus
communautaire, quels sont vos grands
projets pour l’année qui vient ?
H.K. : Il y a, tout d’abord, la mise en réseau des batei-dinim, les Tribunaux rabbiniques, sur les questions des agounot. Nous
avons déjà eu quelques modestes réussites ;
notamment lorsque nous avons échangé des
informations. À ce propos, je veux redire
que le Beit-Din de Paris est très proactif en
la matière. Certes, chaque cas est insuppor-
table, mais l’engagement des rabbins pour
entendre la souffrance est réel et sincère.
Je veux, aussi, que l’on accompagne
beaucoup mieux les questions de formation, notamment dans le cadre des conversions. Il existe notamment un projet du
rabbin Malka de formation des enfants
dont le père est juif et la mère ne l’est
pas. Cette régularisation est une marque
de respect vis-à-vis de ces enfants qui vivent baignés dans le judaïsme et qui doivent seulement faire l’effort d’apprendre
et de mettre en pratique ce que, souvent,
ils vivent plus ou moins déjà. Cela renvoie à une certaine forme d’engagement.
Nous ne pouvons pas juste entériner ce
que les gens sont. Il doit y avoir une sorte
d’élévation. Or, l’enseignement, c’est
l’élévation car, un élève c’est celui qui
s’élève. Je crois que l’on oublie trop souvent cette donnée fondamentale.
Je voudrais ici rendre hommage au projet
d’e-learning du Consistoire, porté par
Anne-Marie Boubli et Charles Sulman, qui
font un travail remarquable pour que chaque enfant, puisse avoir accès aux enseignements du Talmud-Torah.
www.actuj.com
N° 1407 - JEUDI 6 OCTOBRE 2016
15
P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia
Je souhaite également, que dans la synagogue, chacune et chacun trouve sa
place, ait une responsabilité et un engagement. Le dévouement des présidents et
des rabbins que je rencontre partout en
France a comme résultat un immense élan
de cohésion, de bonheur. Chaque fois que
je passe un Chabbat quelque part, je suis
enchanté par cette capacité à faire vivre
un judaïsme heureux. Et peut-être encore
plus, un judaïsme d’espérance, ce dont la
société a peut-être le plus besoin. Nous
avons, nous, la responsabilité d’instiller
l’espérance dans l’avenir à l’ensemble de
la société française.
que jette un discrédit sur l’institution
consistoriale, notamment vis-à-vis des
pouvoirs publics ?
H.K. : Si le Rav Steinemann a réagi, cela
montre la sensibilité toute particulière de
cette affaire. En tout état de cause, les pouvoirs publics nous ont toujours affirmé
qu’ils respecteraient la Halakha, dans ce
dossier qui concerne non seulement les
Français originaires d'Algérie, mais tout
juif conscient du respect que nous devons à
nos morts sans aucune distinction.
: Pour terminer, quels sont
vos vœux pour la communauté ?
H.K. : Dès la parution de l’arrêté du 26 mai
dernier relatif au regroupement de sépultures européennes en Algérie, le grand rabbin
Claude Maman, mon conseiller en charge
de la Hévra Kadicha nationale, a adressé un
courrier à l’ensemble du corps rabbinique
pour qu’ils puissent diffuser l'information
auprès de leurs fidèles. Depuis lors, de
nombreuses demandes de personnes originaires d'Algérie installées en France, mais
aussi en Israël, aux États-Unis comme ailleurs en Europe, nous sont parvenues. C'est
la raison pour laquelle j’ai consulté le
Dayan Chanoch Ehrentrau, décisionnaire
reconnu mondialement et Av Beth-Din de
EREZ LICHTFELD
: Depuis le mois de mai un
décret français permet l’éventuel transfert des tombes juives en péril, à savoir
un peu plus d’un millier qui se trouvent
en Algérie. En tant que GRF, quelle est
votre position et celle de vos dayanim
sur cette éventualité ?
la Conférence des Rabbins Européens, dont
je suis le vice-Président. J’attends donc aujourd’hui sa réponse, pour pouvoir me prononcer sur le sujet et rappelle que ce décret
est une possibilité d’agir mais non une obligation de faire.
: L’affaire de l’avenir de ces
tombes juives en Algérie a été exportée
en Israël. Une sommité du monde orthodoxe a même écrit une lettre ouverte au président Hollande.
Ne craignez-vous pas que cette polémi-
H.K. : Ce sont des vœux de confiance, de
bonheur et de bonne santé. Je pense qu’il
faut se sentir bien soi-même pour être en
mesure de transformer positivement la société. L’idée fondamentale est de réenchanter ce lien à la France, ce lien d’engagement dans le judaïsme, cette façon particulière du judaïsme français d’être lui-même.
Mes vœux sont aussi que cette symbiose si
parfaitement représentée par l’exemple de
Rachi trouve à s’incarner dans chacune et
chacun des membres de la communauté
juive française. Dans la joie, la prospérité
et dans un lien serein avec Israël. ●
Chana tova oumetouka,
puissiez-vous tous ainsi
que vos proches,
être inscrits dans
le Livre de la Vie !
Téléchargement