Terra Nova – Note - 5/10
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la mondialisation, condamnation qui se double d’un refus des sociétés ouvertes, magistralement
analysé en 1945 par Karl Popper15, c’est-à-dire des démocraties libérales en opposition aux
« sociétés fermées » d’où est évacué l’« Autre ». Nous sommes en présence d’une culture ouvrière,
populaire16, qui s’exprime parfois par un sentiment d’appartenance à un groupe sans conscience de
classe (en effet, il existe encore des ouvriers ayant une conscience de classe, mais qui votent
néanmoins pour le Front national), par une valorisation du « nous » et par un rejet des « autres »,
sans autre forme d’idéologie. Il s’agit donc d’une volonté de repli « entre soi », entre « mêmes » et
s’articulant avec un rejet de l’« Autre », provoquée par la mondialisation néolibérale. Ce sentiment
communautaire/affinitaire pouvait être contenu, jusqu’au milieu des années 1980, par les partis et
syndicats ouvriers, et se trouver transcender par un discours politique. Depuis cette époque, ce n’est
plus le cas. Le « sens commun » partagé par ces classes populaires en crise d’identité, du fait de
l’effacement de ses repères traditionnels notamment produit par le monde du travail, fait que la
qualité de « français » s’est substitué à l’ancienne qualification « d’ouvrier ». De ce fait, certains, au
sein de ce parti, prônent un « nationalisme social ».
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2 – LE COMBAT CONTRE « L’ISLAMISATION DE LA FRANCE »
Si le Front national a beaucoup insisté sur les réponses économiques et politiques à donner à la
mondialisation, il n’en reste pas moins qu’il a aussi intégré, à l’instar des autres partis populistes
européens, la thématique identitaire17. Celle-ci s’exprime prioritairement par un discours
altérophobe18 à l’égard des populations musulmanes, analysé dès 1993 par l’équipe de Pierre
Bourdieu19 où nombre des témoignages de Français expriment la sensation d’être exilé chez soi. De
fait, « le national-populisme concentre ses attaques sur le danger musulman, l’islam étant assimilé à
une religion fanatique et expansionniste. Ce discours présente les flux migratoires en provenance du
monde musulman comme une invasion du continent européen par l’Union européenne, partie
prenante du projet “mondialiste” de destruction des identités nationales. Généralement, l’islam est
perçu comme une menace pour l’identité européenne en raison de son incompatibilité avec les
valeurs culturelles et politiques du continent20 ». Ainsi, en 2012, le Front national a porté plainte
auprès du procureur de la République de Nanterre « pour tromperie sur la marchandise parce que les
Français consommeraient de la viande halal sans le savoir »21.
15 Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, Paris, Seuil 1979, p. 20
16 Cf. Michel Wieviorka, La France raciste, Paris, Seuil, 1992.
17 Cf. Nicolas Lebourg, « La Diffusion des péjorations communautaires après 1945. Les nouvelles altérophobies »,
Revue d’éthique et de théologie morale, n°267, décembre 2011, pp. 39-58
18 La production idéologique de l’altérophobie se situe dans la Périphérie, la radicalité politique, mais la diffusion de
ses schèmes se fait ensuite vers le Centre par une série d’agents sociaux qui n’ont souvent aucun rapport avec
cette radicalité et peuvent même être mus en cela par son rejet (c’est là le paradoxe d’une islamophobie amplement
produite par l’extrême droite radicale mais légitimée par l’antitotalitarisme). Cf. Stéphane François et Nicolas
Lebourg, Mutations et diffusions de l’altérophobie. Des hiérarchies raciales aux concurrences identitaires, Perpignan,
Presses universitaires de Perpignan, 2013
19 Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993
20 Magali Balent, « La rhétorique identitaire », in Marie-Claude Esposito, Alain Laquièze & Christine Manigand (dir.),
Populismes. L’envers de la démocratie, op. cit., pp. 89-90
21 Raphaël Liogier, Le Mythe de l’islamisation, op. cit., p. 159