Alain Rollat: "Marine Le Pen ne sera jamais élue Présidente de la république" Spécialiste de l'extrême droite, Alain Rollat estime que l'émergence de l'intégrisme religieux est une aubaine de plus pour le FN, mais que son programme suscitera toujours plus de rejet que d'adhésion. lors que les électeurs français sont toujours plus nombreux à accorder leur voix au A Front national (FN), et que l'immigration, l'islam et le fondamentalisme religieux sont des thèmes favoris de Marine Le Pen, nous avons interrogé Alain Rollat, spécialiste de l'extrême droite. uteur de trois ouvrages qui font référence - "L'effet Le Pen" (en collaboration avec A Edwy Plenel, en 1984), "Les Hommes de l'extrême droite" (1985) et "La République menacée. Dix ans d'effet Le Pen" (1994) - Alain Rollat a été journaliste au Monde pendant 25 ans et effectue actuellement au Maroc une mission de formation à la Page 1/4 déontologie journalistique pilotée par l'Union européenne. Quels sont les principaux facteurs favorisant aujourd'hui la montée de l'extrême droite en France ? e fonds de commerce électoral de la famille Le Pen n'a pas changé depuis ses L premiers succès enregistrés aux élections européennes de 1984. Trente ans ont passé mais le Front national exploite toujours les mêmes thèmes : l'immigration, le chômage, l'insécurité, la prétendue corruption des élites, la prétendue décadence de la France, etc. e qu'il y a de nouveau, aujourd'hui, c'est le fait que de plus en plus d'électeurs français C osent voter pour lui, même quand ils éprouvent des doutes sur sa capacité à gouverner et sur sa compatibilité avec les valeurs démocratiques. Dans les années 1980, il y avait déjà un électeur français sur quatre qui se disait plus ou moins d'accord avec les thèses du Front national mais, même quand ils étaient d'accord avec ses idées, la plupart de ces gens ne prenaient pas le risque de voter pour lui - ils le disaient dans tous les sondages d'opinion- parce qu'ils le jugeaient dangereux pour la démocratie. Leur crainte constituait un verrou qui condamnait le Front national à être un parti protestataire, comme le Parti communiste français l'avait été auparavant. ujourd'hui, ce verrou a sauté. Marine Le Pen a une image moins sulfureuse que celle A de son père, et de plus en plus de gens osent voter pour elle. D'une certaine façon, ce changement est logique. Le raisonnement de ces gens est simple : ils constatent que les résultats économiques et sociaux des politiques de gauche ne sont pas meilleurs que les résultats des politiques de droite, et ils se disent que, après tout, ils n'ont plus rien à perdre à miser sur le Front national, la seule voie politique que la France contemporaine n'ait pas encore tentée... Ces électeurs à la vue courte se trompent dangereusement mais, en politique, il y a souvent des comportements irrationnels. .. Le FN est aujourd'hui à la tête de plusieurs communes, et peut-être de départements, à partir de dimanche, chose inconcevable par le passé. Peut-il remporter, dans les prochaines années, les élections législatives ou une présidentielle ? - Il ne faut pas sous-estimer la force électorale du Front national, qui est désormais bien installé dans le paysage politique français. Mais il ne faut pas non plus la surévaluer car c'est le niveau des abstentions qui grossit artificiellement son importance. Dimanche 22 mars, à l'occasion du premier tour des élections départementales, 5,15 millions d'électeurs ont voté pour ses candidats, et cela faisait 9,3% de plus qu'aux élections de 2014, mais la France compte plus de 43 millions d'électeurs. Le Front national reste donc très loin de pouvoir disposer d'une majorité électorale. a droite, au premier tour des élections départementales, a d'ailleurs progressé plus L spectaculairement que le Front national puisque les candidats de l'UMP-UDI, rassemblés derrière Nicolas Sarkozy, ont progressé, eux, de 44,2% par rapport à 2014 ; ils sont Page 2/4 passés de 5,07 millions à 7,32 millions. Cela montre qu'il y a eu un effet Sarkozy plus fort que l'effet Le Pen. ien que le Parti socialiste ait subi une déroute le bloc des gauches, lui aussi, a B progressé : il est passé de 6,45 millions d'électeurs à 7,48 millions. Cela montre que si le Front national progresse, sa progression reste modérée. Et comme le Front national fait cavalier seul, n'a pas d'alliés et se complaît dans l'isolement, il lui sera difficile de dépasser à la fois la droite et la gauche qui lui feront toujours barrage parce que, sinon, elles se suicideraient politiquement. Voilà pourquoi, si la situation économique et sociale de la France ne s'améliore pas, il lui arrivera sans doute d'enregistrer quelques succès aux élections législatives mais voilà, pourquoi aussi Marine Le Pen ne sera jamais élue président de la République parce que les rejets que ses idées et son programme suscitent seront toujours plus mobilisateurs que les adhésions dont elle bénéficie aux élections intermédiaires grâce à l'effet amplificateur des taux d'abstention. Le jour où la France redescendra dans la rue pour le lui faire savoir, vous retrouverez dans la rue la France du 11 janvier dernier qui s'est spontanément mobilisée pour défendre la Liberté, avec un « L » majuscule. En France, le jour où la République sera vraiment menacée, tout le monde ira voter, comme cela s'est déjà vu quand Jacques Chirac s'est retrouvé face à Le Pen père au second tour de l'élection présidentielle de 2002. Le FN a opéré plusieurs changements importants depuis l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête. Quelles sont les principales évolutions qu'il doit faire s'il veut devenir un parti de gouvernement et concurrencer la droite classique ? Celles-ci sont-elles réalisables par ses dirigeants et acceptables par ses militants ? Les changements que le Front national a opérés depuis que Marine Le Pen a remplacé son père à la tête de cette « affaire de famille » sont de purs changements de façade. En l'état actuel de ses ressources humaines, et de son mode de fonctionnement autoritaire, ce parti n'est pas en état de gouverner, d'autant moins que son programme est un tissu d'aberrations. C'est bien parce que la plupart des Français en ont conscience que la dynamique dont il bénéficie depuis une dizaine d'années atteint aujourd'hui ses limites. Quelle place tiennent l'immigration, et la composante de la société française issue du monde musulman, dans la montée du FN ? ne place centrale. Les votes qui gonflent aujourd'hui les scores électoraux du Front U national sont motivés - toutes les enquêtes d'opinion s'accordent sur ce point- par des raisons identitaires et sécuritaires qui se nourrissent des fantasmes entretenus depuis trente ans par Jean-Marie Le Pen qui a été le premier à lier la question de l'immigration à la question de la sécurité. Et, sur ce terrain, l'émergence du fanatisme religieux qui s'incarne désormais dans les Page 3/4 agissements terroristes du soi-disant « Etat islamique » a été « pain bénit » -si j'ose direpour l'extrême droite française qui surfe sur la paranoïa qui en résulte dans les couches les plus vulnérables de la population française. Comment le FN s'est-il emparé de la question de l'islam, et pour quels objectifs ? Il s'est emparé de cette question en se posant en champion de la lutte contre l'islam radical, en champion de la défense de l' « identité nationale », et en préconisant une laïcité de combat contre tous les signes extérieurs de la religion musulmane. Son objectif est de transformer en bulletins de vote la paranoïa qu'il entretient. uand on l'interroge, à ce sujet, Marine Le Pen répond, pour essayer de justifier ses Q outrances contre le port du voile, la construction de nouvelles mosquées, les repas de substitution dans les cantines scolaires, etc., elle répond: « ce n'est pas l'islam qui pose problème, c'est sa lisibilité ». ais cette réponse est une réponse de mauvaise foi car, depuis quelques années, en M France, toutes les communautés religieuses sont en quête de « visibilité » et, en la matière, les intégristes chrétiens et les intégristes juifs ne sont pas moins zélés que les islamistes radicaux. Marine Le Pen est délibérément sélective quand elle stigmatise les Français et les émigrés de confession islamique. L'instrumentalisation de la question de l'islam ne risque-t-elle pas de devenir un inconvénient dans sa volonté de remporter des scrutins nationaux ? ui, vous avez raison : à force de tirer sur cette corde, Marine Le Pen risque d'effacer O elle-même le vernis policé dont elle se pare volontiers pour faire croire que son parti n'est plus un parti d'extrême droite depuis qu'elle en est devenue la présidente. 'est bien connu : « Chassez le naturel, il revient au galop. » Regardez ce qui s'est déjà C passé dimanche dernier : c'est Nicolas Sarkozy qui a été remis en selle ! Page 4/4