Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1993,12 (1), 73-82
Modélisation événementielle de la dynamique
de la transmission de l'infection à virus de
l'immunodéfîcience humaine :
un exemple pour l'épidémiologie animale *
F. LE PONT et A.-J. VALLERON **
Résumé : Pour simuler la dynamique de la diffusion du virus de
l'immunodéficience humaine (VIH), une approche événementielle a été
développée en raison de sa capacité à intégrer aisément de nouvelles
connaissances et à prendre en compte la variabilité d'un grand nombre de
facteurs sociologiques, biologiques et démographiques ainsi que la dynamique
du réseau relationnel des individus. A titre d'exemple, le modèle a été appliqué
aux données recueillies chez des homosexuels de San Francisco (Etats-Unis
d'Amérique) entre 1980 et 1987, ce qui a permis d'estimer la probabilité de
transmission du VIH par partenaire selon deux hypothèses concernant
l'évolution de la contagiosité d'un individu infecté au cours de la période
d'incubation. L'analyse de sensibilité du modèle a permis de dégager les
paramètres qui ont une forte influence sur l'évolution de l'épidémie. La
généralisation de cette technique à l'ensemble de la population française est
envisagée.
MOTS-CLÉS : Epidémiologie - Modèle événementiel - Simulation -
Syndrome d'immunodéficience acquise - Virus de l'immunodéficience
humaine.
INTRODUCTION
Beaucoup de modèles ont été développés pour étudier la dynamique de la diffusion
du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) car c'est souvent la seule approche qui
permette d'estimer des paramètres de transmission, de dégager les paramètres clefs de
l'épidémie du syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA), de tester les politiques
de prévention et de faire des prévisions (9).
La méthode la plus couramment utilisée est la méthode mathématique
compartimentale basée sur un système d'équations différentielles (9). Elle consiste à
diviser la population en un nombre limité de sous-groupes homogènes selon des
caractéristiques principalement sexuelles et épidémiologiques. Ces compartiments sont,
* Bien que traitant de l'épidémiologie d'une maladie de l'Homme, cet article présente un grand
intérêt pour les épidémiologistes des maladies animales. En effet, les procédés employés pour simuler la
diffusion de cette épidémie sont analogues à ceux qui peuvent être utilisés chez l'animal. Pour les
modélisateurs, l'Homme est aussi un «mammifère en liberté».
** Institut national de la santé et de la recherche médicale, Unité de recherches biomathématiques
et biostatistiques (U263), Tour 53,2, place Jussieu, 75251 Paris Cedex 05.
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par exemple, les homosexuels et les hétérosexuels et, parmi les homosexuels : les
homosexuels à partenaires multiples, ceux à faible nombre de partenaires, ceux vivant
en couple de façon stable. Cette méthode est surtout adaptée à l'étude des tendances de
l'épidémie dans de grandes populations mais elle pose des problèmes lorsque l'on désire
étudier la diffusion de l'épidémie dans l'ensemble de la population en prenant en
compte les différents modes de transmission (par voie sexuelle, par échange de seringue
chez les toxicomanes, etc.) et la diversité des comportements à risque.
Ainsi, en particulier du point de vue sociologique, il est difficile de définir les
compartiments. Par exemple, à partir de combien de partenaires un individu est-il «à
partenaires multiples» ? Plus de 2, plus de 10, plus de 50 ou plus de l00 partenaires par
an ? Quelle est la définition d'un individu bisexuel ? Doit-on définir ces compartiments
en fonction du type de sexualité (homo/bi/hétérosexuel) ou bien des pratiques
sexuelles? De plus, le type de compartiments est susceptible de varier dans le temps,
selon les populations considérées et même selon le modélisateur. Les problèmes posés
par ce formalisme sont donc l'arbitraire de la définition des compartiments, le fait que
les réseaux des liaisons sexuelles entre les individus ne sont pas représentés et que, pour
pouvoir analyser le système, les auteurs sont amenés à limiter le nombre de
compartiments. Enfin, de nouvelles études épidémiologiques et sociologiques
apportent continuellement des données que la structure fixe des modèles
compartimentaux n'est pas capable d'intégrer aisément.
Pour toutes ces raisons, une méthode plus souple et plus réaliste a été choisie,
appelée simulation événementielle car elle permet de prendre en compte les
caractéristiques individuelles sans catégorisation. Ainsi, le modèle a la capacité de
prendre en compte la notion de réseaux de liaisons sexuelles (qui rencontre qui et
quand ?), la formation et dissolution des couples, l'existence de liaisons de couples à
plusieurs partenaires, les pratiques sexuelles ainsi que les descriptions détaillées des
processus biologiques.
Cette méthodologie sera décrite, ainsi que les simulations réalisées entre 1980 et
1987 chez des homosexuels de San Francisco (Etats-Unis d'Amérique), car cette
population est la mieux connue jusqu'à présent, tant du point de vue de la croissance de
l'épidémie que de l'évolution du comportement (7). Cette étude a permis d'estimer la
probabilité de transmission sexuelle du VIH et de dégager les paramètres qui ont une
forte influence sur l'évolution de l'épidémie.
MÉTHODE
Le modèle permet de simuler la dynamique de la transmission sexuelle du VIH chez
des hommes ou des femmes qui peuvent avoir un comportement hétérosexuel et/ou
homosexuel. Le programme de simulation est écrit en langage Pascal et exécuté sur des
ordinateurs VAX (système VMS) ou IBM RISK 6 000 (système UNIX). La
représentation du système est inspirée des langages orientés objets (représentation des
individus et des liaisons sexuelles par des objets dont les attributs sont modifiés en
respectant la règle d'encapsulation).
Chaque individu de la population est représenté séparément par l'ensemble de ses
caractéristiques démographiques, sociologiques et biologiques. Ces caractéristiques
constituent la fiche signalétique de l'individu et définissent son état ou son
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comportement. Elles indiquent, en particulier, la date à laquelle l'individu a été infecté
par le VIH, son statut sérologique et contagieux, son stade d'infection (pré-SIDA ou
SIDA), les partenaires avec lesquels il est en relation à un moment donné de la
simulation («réseau sexuel» de l'individu) et le nombre de partenaires qu'il rencontre
par an. Le modèle permet de représenter les deux situations dans lesquelles un individu
sensible peut être infecté par le VIH lors d'une liaison sexuelle : lorsqu'il a une nouvelle
liaison sexuelle avec un individu contagieux ; lorsque l'un de ses partenaires sexuels
devient contagieux (dans ce cas, le programme teste si le virus est transmis à chacun des
individus de son réseau sexuel). Différents types de liaisons ont été définis en fonction
du sexe du partenaire (même sexe pour une liaison homosexuelle et sexe opposé pour
une liaison hétérosexuelle) et de la durée de la liaison (un jour pour une liaison
occasionnelle et supérieure à un jour pour une liaison stable). La fiche signalétique de
chaque individu est créée au début de la simulation en fonction des données disponibles
et peut être modifiée au cours de la simulation.
La simulation est représentée par l'exécution, chaque jour, d'une suite d'événements
classés à partir de cette date dans un tableau appelé échéancier. Ces événements, de
type démographique, épidémiologique ou comportemental, sont des sous-programmes
qui décrivent, par exemple, la mort d'un individu, l'entrée d'un individu dans le stade
SIDA ou la rupture de la liaison sexuelle entre deux individus. La Figure 1 explique le
fonctionnement de l'échéancier dans le temps en prenant l'exemple simple de trois
individus.
Statut épidémiologique
et
comportemental
des individus
Temps
(jours)
11
12
Echéancier
Evénements
simulés
Date
Evénements
11 Rencontre
entre Y
et
Z
État
final de l'échéancier
12 Contamination de
Y
12 Rupture de Y
et Z
18 Rupture
de
Y
et X
18 Z développe
le SIDA
Date
Evénements
12 Contamination
de Y
i
12 Rupture
de Y et Z
18 Rupture
de Y et X
18 Z développe
le SIDA
27 Y devient
contagieux
2280 Y
développe
le
SIDA
Légende sensible contagieux
infecté
non
contagieux
individus
en couple
FlG.l
Fonctionnement de l'échéancier du modèle de simulation événementiel
L'échéancier
est un tableau journalier qui contient des listes d'événements classés par date
croissante.
Un événement est une structure qui comprend le
sous-programme
à exécuter et l'objet
concerné
(individu ou liaison par exemple) . Chaque jour, le programme exécute les événements
contenus
dans l'échéancier à cette date. Ceci peut entraîner des modifications de l'état initial des
individus
et la
création
d'autres
événements
qui seront
insérés
à une date
ultérieure
dans
l'échéancier.
76
Au début du jour 11, les individus X et Y sensibles sont liés, Z est contagieux et
célibataire. La case 11 de l'échéancier contient l'événement «rencontre de Y et.
Le jour 11, l'événement «rencontre de Y et Z» est exécuté. La durée de la liaison
entre Y et Z est déterminée selon la loi de distribution de la durée des liaisons et
l'événement «rupture de liaison» entre Z et Y est intégré dans l'échéancier à la date
adéquate (ici le jour 12, flèche descendante). Etant donné que le chiffre aléatoire tiré
entre 0 et 1 est inférieur à la probabilité de transmission du VIH, Z transmet le virus à
Y. La date de la contamination de Y est tirée au hasard sur la durée de la liaison entre Y
et Z et l'événement «contamination de Y» est inséré à cette date.
Le jour 12, les événements prévus, «Z et Y rompent» et «Y devient infecté» sont
exécutés. Les attributs des trois individus sont modifiés en conséquence et deux événements
sont insérés dans l'échéancier
:
«Y devient contagieux» le jour 27 et «Y développe le SIDA»
le jour 2
280.
Les dates d'exécution de ces deux événements sont déterminées en fonction de
la distribution des délais de latence et d'incubation de l'infection.
Plusieurs populations peuvent être définies par des caractéristiques démographiques
(sexe-ratio, taille, taux annuel de recrutement et d'émigration), épidémiologiques
(prévalence initiale du VIH, distribution de la durée de conversion sérologique - délai
entre la contamination et la détection possible des anticorps anti-VIH, distribution du
délai d'incubation - délai entre la contamination et le stade SIDA, distribution de la
mortalité d'un individu au stade SIDA, probabilités de transmission du VIH en fonction
du sexe et des pratiques sexuelles) et sociologiques (distribution du taux annuel de
rencontres de partenaires masculins ou féminins, durées des liaisons stables et
occasionnelles, pratiques sexuelles, existence de liaisons à plusieurs partenaires).
RÉSULTATS
A titre d'exemple, le modèle a été appliqué aux données provenant de la littérature
et des observations (7) d'une cohorte de 359 homosexuels de San Francisco (la Figure 2
présente l'évolution de la prévalence cumulée de l'infection à VIH et du nombre annuel
moyen de partenaires sexuels avec pratique du rapport anal réceptif sans préservatif
entre 1979 et 1987). L'épidémie observée dans cette cohorte est comparable à celle qui a
été observée dans la population d'homosexuels de San Francisco. Les simulations étant
réalisées sur une période de seulement sept ans (1980-1987), seule la mortalité due au
SIDA a été prise en compte. En l'absence de données sociologiques concernant les
modifications de comportement en fonction du statut sérologique, il a été supposé que
les individus contaminés modifient leur comportement sexuel uniquement lorsqu'ils
développent le SIDA (ils deviennent alors sexuellement inactifs). Les résultats obtenus
sont résumés ci-après.
Estimation de la probabilité de transmission du virus de l'immunodéficience humaine
chez les homosexuels
Pour chaque simulation, les paramètres épidémiologiques, sociologiques et
démographiques sont tirés au sort dans l'ensemble des valeurs possibles (par exemple,
entre 7 et 13 ans pour la durée moyenne de la période d'incubation avec un coefficient
de forme pour la loi de Weibull entre 2 et 4). L'estimation de la probabilité de
transmission a été réalisée par ajustements successifs sur 400 simulations, les
probabilités retenues étant celles qui minimisent les écarts entre l'épidémie simulée et
l'épidémie observée. Le critère utilisé est celui du %2.
77
1979 80 81 82 83 84 85 86 87 88
Années
FIG. 2
Evolution du nombre moyen de partenaires sexuels par individu et par an avec
pratique du rapport anal
passif,
avec éjaculation et sans préservatif, observée de 1979
à 1987 chez des homosexuels de San Francisco
(7)
100 -.
90 -
_ 80 -
"I
1 1 1 1 1 1 1 1 1
1979 80 81 82 83 84 85 86 87 88
simulations
Années
observations
FiG. 3
Exemple d'ajustement des résultats du modèle (en trait continu) aux données, avec
une probabilité de transmission du virus de l'immunodéfîcience humaine par
partenaire sexuel constante au cours de l'incubation, et égale à 5,5 %
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