Fiabilité médiocre des tests de décentrages de l - chu

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Kinesither Rev 2016;16(176–177):16–23
Savoirs / Contribution originale
Fiabilité médiocre des tests de
décentrages de l'articulation
scapulo-humérale
Poor reproducibility of shoulder-joint decentering
assessment
Sylvain Peterlongo
1, avenue de Corbera, 75012 Paris, France
Reçu le 30 avril 2016 ; accepté le 22 mai 2016
RÉSUMÉ
MOTS CLÉS
Contexte. – Le concept de décentrage de l'articulation scapulo-humérale est largement utilisé
pour la kinésithérapie de l'épaule.
Objectif. – Évaluer la reproductibilité inter-évaluateur des tests de décentrage.
Méthode. – Au total, 29 patients consécutifs ont été inclus. Ils étaient adressés en cabinet de
kinésithérapie pour une plainte de l'épaule. Six kinésithérapeutes ont formés des pairs spontanés d'évaluateurs en insu. Deux évaluations espacées de 5 minutes des tests de décentrage
antéro-supérieur et en rotation médiale et ont été effectuées.
Résultats. – La reproductibilité est médiocre. Le coefficient kappa est de 0,37 0,34 (p < 0,05)
pour le test de décentrage antéro-supérieur et de 0,23 0,36 (p > 0,05) pour le test de décentrage en rotation médiale.
Conclusion. – La reproductibilité inter-évaluateur des tests de décentrage est trop faible pour
permettre de recommander leur usage dans la pratique clinique. La principale source de
variation est la perception tactile de la fermeté.
Niveau de preuve. – 4.
Décentrage
Épaule
Évaluation
Reproductibilité
Test
KEYWORDS
Decentering
Shoulder
Assessment
Reproductibility
Test
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
SUMMARY
Context. – The concept of scapulohumeral joint decentering is widely used in shoulder physiotherapy in France.
Objective. – To determine the interrater reproducibility of decentering assessment.
Method. – In total, 29 consecutive patients referred to our physiotherapy clinic for shoulder
complaints were included. Six physiotherapists formed blinded pairs of raters, on spontaneous
criteria. Anterosuperior and medial rotation decentering was assessed twice at 5-minutes'
interval.
Results. – Reproducibility was poor. Kappa coefficient was 0.37 0.34 (P < 0.05) for anterosuperior decentering and 0.23 0.36 (P > 0.05) for medial rotation.
Conclusions. – Interrater reproducibility was insufficient for recommendation in clinical practice.
The principal source of variation was tactile perception of stiffness.
Level of evidence. – 4.
© 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
INTRODUCTION
Les pathologies musculo-squelettiques de la
région de l'épaule sont les plus fréquentes
après celle de la région lombaire et du genou.
Entre 14 et 21 % de la population souffre de
l'épaule. Les pathologies de l'épaule représentent à elles seules 25 % des maladies
Adresse e-mail :
[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2016.05.019
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
16
Savoirs / Contribution originale
Fiabilité médiocre des tests de décentrages de l'articulation
scapulo-humérale
professionnelles [1]. La rééducation de l'épaule demande un
investissement important du patient. La Haute Autorité de
Santé (HAS) recommande 25 séances de kinésithérapie et
jusqu'à 50 séances après chirurgie [2].
Dans le cadre de douleurs de la région de l'épaule, le diagnostic du kinésithérapeute amène à différentes hypothèses.
L'une d'elles est un positionnement pathologique de l'articulation scapulo-humérale ; autrement dit « quelque chose n'est
pas à sa place dans cette articulation ».
Ce positionnement articulaire pathologique se situe dans les
amplitudes physiologiques, sans perte de continuité articulaire, ce n'est donc pas une luxation ou subluxation. Selon
les concepts, il est évoqué une malposition, une translation, un
dérangement, ou un décentrage. La notion de décentrage est
largement utilisée et enseignée en France. Cette notion est
notamment diffusée par la Société Française de Rééducation
de l'Épaule (SFRE) et évoquée dans les recommandations de
la Haute Autorité de Santé (HAS, 2001) [2].
Le terme de décentrage de l'épaule est utilisé pour la première
fois par Sohier en 1959 [3]. Trois types de décentrage sont
alors décrits : supérieur, antérieur et en rétroversion. Il s'agit
conceptuellement d'un trouble positionnel qui mène à la pathologie en altérant la cinétique articulaire. Cette approche est
actuellement enseignée en formation initiale et continue de
kinésithérapie et repose sur des avis d'expert et quelques
études de cas cliniques [4–10]. À partir de cette approche
Marc et al. [5] puis Srour et al. [6] ont décrit différentes formes
de décentrages, n'en retenant que deux types : antéro-supérieur et en rotation médiale. Une articulation scapulo-humérale
décentrée présenterait un positionnement articulaire de repos
pathologique perturbant son schéma biomécanique physiologique (Fig. 1). Un déplacement anormal du centre instantané
de rotation lors de la mobilisation de l'articulation serait responsable de douleur et de lésion des tissus péri-articulaires.
Des études de modélisation informatique et des études cadavériques montrent qu'un décentrage est possible d'un point de
vue biomécanique sans qu'il n'en soit fait directement allusion
[11–13].
Plusieurs techniques de recentrage sont décrites [7]. Ce sont
des techniques de mobilisation de thérapie manuelle ou des
exercices actifs. L'intérêt d'un recentrage de l'articulation scapulo-humérale est d'améliorer la fonction de l'épaule douloureuse, notamment par l'augmentation des amplitudes et une
diminution des douleurs.
Une large revue de littérature a été effectuée sur la base de
données Medline avec les mots clés « decentering and shoulder », « centering and shoulder ». Sur les 37 réponses de la
base de données, 5 sont des études biomécaniques in vivo ou
informatiques [11–13], 3 concernent un essai clinique contrôlé
randomisé [14,15] les autres ne sont pas pertinentes (article de
chirurgie, de traumatologie ou de psychologie). Une recherche
sur la base de données PEDro donne 3 résultats dont 1 non
pertinent et 2 des essais référencés sur Medline.
Une recherche sur la base de données Kinédoc avec les mots
clés « décentrage » et « épaule » donne 10 résultats dont 1 non
pertinent, 3 études de cas après chirurgie, 2 avis d'expert,
3 séries de cas [8,9], et 1 essai non randomisé [10].
Un seul essai contrôlé randomisé est disponible (Beaudreuil,
2011) [14]. Cette étude compare un protocole de traitement par
centrage dynamique avec un groupe traité par des exercices
non spécifiques. Au suivi à 3 mois, les patients ayant suivi le
traitement par centrage dynamique ont rapporté moins de
douleur et un moindre recourt à la médication antalgique,
Figure 1. Représentation schématique des décentrages. Épaule
gauche ; vue supérieure.
par rapport à ceux ayant eu des exercices non spécifiques.
Il n'y a pas d'autres différences entre les groupes. Lors du suivi
à 12 mois, aucune différence n'est constatée, tous critères
confondus. Une analyse stratifiée postérieure des résultats de
cette même étude montre une tendance, pour les patients
ayant un test de Neer positif, à une meilleure efficacité du
protocole de centrage dynamique comparé au protocole de
mobilisation non spécifique sur les critères de douleur et de
fonction du score de Constant (Beaudreuil et al. et Charles et
Neer) [15,16]. Cette analyse révèle l'existence d'un sousgroupe de patients répondeurs au protocole de recentrage.
Si les tests de décentrage permettent d'identifier ce sousgroupe de patients répondeurs, leur importance clinique est
déterminante. Suivant les résultats, le diagnostic mécanique
sera différent, de même que le pronostic et le traitement préconisé. La pertinence de l'intervention thérapeutique dépend
de la justesse de ces tests diagnostiques. Or, la fiabilité de
cette classe de test clinique est mise en question par la revue
de littérature de May et al. (2010) [17]. Aucun test clinique
comparable n'a un niveau de concordance inter-évaluateur
très bon (kappa 0,81). Les tests de décentrage n'ont pas
fait l'objet d'étude spécifique de leurs qualités métrologiques.
L'objectif de cette étude est d'évaluer la reproductibilité interexaminateur de la procédure de test de décentrage.
MÉTHODE
Schéma d'étude
L'étude effectuée est transversale et monocentrique. C'est une
étude de fiabilité diagnostique, d'évaluation de la reproductibilité inter-examinateur. Le schéma d'étude transversale est la
méthode de choix pour une étude de reproductibilité interexaminateur afin de minimiser le temps entre deux évaluations
et d'éviter le biais d'évolution spontanée de la présentation
clinique du patient. Cette étude suit les recommandations
disponibles pour la conduite d'étude de reproductibilité [18].
Population
Les sujets éligibles étaient les patients consécutifs de plus de
18 ans se présentant avec une prescription médicale à notre
cabinet pour des soins de kinésithérapie. Ce cabinet situé
à Paris regroupe huit kinésithérapeutes dont environ un quart
à un tiers de la patientèle consulte pour une pathologie
d'épaule.
17
S. Peterlongo
Savoirs / Contribution originale
L'évaluation d'inclusion avait lieu lors de la première consultation de kinésithérapie. Le critère d'inclusion était une plainte
de la région deltoïdienne (douleur et/ou difficulté fonctionnelle). Les critères de non-inclusion étaient une pathologie
neurologique centrale ou périphérique concernant la région
scapulaire et deltoïdienne, des antécédents chirurgicaux, de
fracture, de luxation, une pathologie rhumatologique chronique, un syndrome douloureux régional complexe, des
lésions cutanées de la région deltoïdienne, un tableau hyperalgique (douleur instantanée 8/10) et un refus de participation. Ces présentations cliniques ont été écartées, car dans
ces conditions les résultats des tests de décentrage présentent peu d'intérêt dans l'établissement du diagnostic mécanique. Ces éléments peuvent aussi perturber ou interdire la
bonne réalisation des tests.
La taille de l'échantillon nécessaire est de 25 doubles évaluations. Le nombre de patients à inclure a été défini grâce à la
table de Sim et Wright [19]. L'objectif est d'écarter l'hypothèse
nulle (kappa = 0,0) avec un risque alpha de 0,05, une puissance de 80 %, un coefficient kappa attendu de 0,50 et une
prévalence attendue de 70 % (58 à 75 % selon Gerardi et
Vittori) [8,9].
Procédure
La procédure consiste en deux évaluations consécutives du
même patient par deux kinésithérapeutes différents. Les paires d'évaluateurs sont formées de façon spontanée et l'ordre
de passage est aléatoire.
Lors de la première consultation, le kinésithérapeute traitant
propose à son patient de participer à l'étude, explique l'objectif
et le déroulement de l'étude, recueille son consentement écrit,
vérifie les critères d'inclusion et de non-inclusion, puis consigne les données du patient. Le recueil de données des
patients comprend : l'âge du patient, le sexe, la durée de
l'épisode (moins de 6 semaines, 6–12 semaines, plus de
12 semaines), les douleurs instantanées et maximum sur
l'épisode évaluées à l'aide d'une échelle numérique verbale
cotée sur 10, le diagnostic médical. Ces données sont recueillies avant l'évaluation. Les deux évaluateurs y ont accès avant
de pratiquer leur test afin qu'ils aient chacun les mêmes a priori
sur la présence possible d'un décentrage.
Le kinésithérapeute traitant effectue une première évaluation
et note ses résultats. Il transmet à son collègue préalablement
absent les données initiales du patient puis quitte la pièce. Le
second kinésithérapeute prend connaissance des données du
patient puis effectue à son tour son évaluation et note les
résultats. Le patient sort de l'étude et le kinésithérapeute
traitant reprend le soin habituel. Les événements indésirables,
comme la levée d'insu ou autres difficultés rencontrées lors de
l'évaluation sont consignés.
Afin de limiter un éventuel biais dû à l'échauffement induit par
la première évaluation, la seconde évaluation est faite après
cinq minutes de repos. Lors d'études de reproductibilité de
tests palpatoires comparables [20–22], il est parfois prévu des
exercices d'échauffement avant chacune des évaluations.
Pour cette étude, il a été préféré un temps de latence de
5 minutes de repos assis. Une évaluation « à froid » est
conforme aux recommandations disponibles pour la procédure évaluée. De même, cela se rapproche plus de la pratique
réelle des kinésithérapeutes. Il est en effet rare de proposer
des exercices « à l'aveugle » avant d'avoir établi un diagnostic.
18
Évaluateurs
Six kinésithérapeutes ont été disponibles pour l'étude dont
4 juniors (3 à 5 ans d'expérience) et 2 seniors (10 et 16 ans
d'expérience). Tous avaient été formés avant l'étude à la pratique des tests de décentrages en formation initiale de kinésithérapie et durant au minimum deux stages de formation
continue. Une session de remise à jour spécifique a été
conduite pour l'étude. Le nombre de patients similaires traités
par an est d'environ 60 à 200 selon les kinésithérapeutes. Les
tests évalués font partie de leur pratique courante. Les évaluateurs sont donc habitués à ces conditions d'évaluations (au
minimum une évaluation initiale par semaine, hors suivi des
patients).
Procédure de test
Le patient est assis adossé sur une chaise, détendu, épaule
nue. Le kinésithérapeute est debout du côté à évaluer, en fente
avant, le buste parallèle à celui du patient pour le test en
flexion, de trois-quarts pour le test en abduction (Fig. 2 et 3).
La main postérieure du kinésithérapeute est posée sur l'épaule
du patient, le pouce le long et en avant de la clavicule, les
autres doigts sur l'épine de la scapula, l'éminence thénar en
avant de l'articulation acromio-claviculaire. Cette main stabilise la scapula avec une pression d'environ 5 kilogrammes.
L'autre main effectue une prise en berceau au niveau du
coude.
La main antérieure effectue successivement des mouvements
passifs de flexion puis d'abduction frontale avec un retour en
position neutre avec le bras le long du corps entre les deux
tests. Les tests sont effectués en rotation nulle. L'avant-bras
du patient reste dans un plan sagittal lors de la flexion, et
parallèle à un axe dorso-ventrale lors de l'abduction. Deux ou
trois allers-retours d'une trentaine de degrés sont effectués
jusqu'à la fin de la course articulaire, c'est-à-dire jusqu'à ce que
la poursuite du mouvement soit impossible sans une participation de la scapula.
L'évaluation repose sur la sensation de fermeté de la fin de
course articulaire ressentie par le thérapeute au niveau de
l'éminence thénar de sa main postérieure. On entend par
fermeté la vitesse de progression de la résistance lors de la
fin de course articulaire. La sensation est ferme lorsque la
résistance au mouvement passif est rapidement importante.
On note sur une barre de 100 millimètres, allant de très souple
à très ferme, la sensation de fermeté lors de la fin de course.
Une fermeté anormalement élevée en flexion associée à une
perte d'amplitude passive signe un décentrage antéro-supérieur. Une fermeté anormalement élevée en abduction frontale
indique un décentrage en rotation médiale. Lors de l'évaluation, le kinésithérapeute coche une des deux cases de décentrage « présent » ou « absent ».
La procédure a été revue et confirmée entre praticiens, et les
points litigieux ont été éclaircis par observation mutuelle et
concertation. Lorsque cela était possible, les évaluations ont
été faites devant un étudiant en kinésithérapie en stage dans le
cabinet afin qu'il puisse attester du respect du protocole.
Analyses statistiques
Le coefficient Kappa de Cohen est calculé afin de représenter
l'accord inter-évaluateur en dehors de l'accord attribuable au
hasard. C'est le critère de jugement principal [23,24].
Fiabilité médiocre des tests de décentrages de l'articulation
scapulo-humérale
Savoirs / Contribution originale
Figure 2. Test du décentrage antéro-supérieur.
Figure 3. Test du décentrage antéro-supérieur.
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S. Peterlongo
Savoirs / Contribution originale
Tableau I. Données descriptives de la population de
l'étude.
Catégories
Moyenne W écart-type
Sexe
19 femmes
10 hommes
Âge (années)
53,3 15,0
Côté atteint
19 droites
9 gauches
Douleur à l'examen/10
1,5 2,1
Douleur maximum/10
7,0 1,4
Épisode
8 aigus
7 sub-aigus
14 chroniques
Diagnostic médical
13 tendinites
2 bursites
2 ruptures de coiffe
1 bec acromial
0 omarthrose
4 calcifications
Une analyse secondaire en sous-groupes du coefficient kappa
permet d'établir si la concordance est influencée par le diagnostic médical, la durée des symptômes ou l'intensité des
douleurs. Les résultats issus de la sensation de fermeté
recueillie sur les barres de 100 mm sont analysés par le test
des rangs signés de Wilcoxon. Un diagramme de type BlandAltmann permet d'illustrer la concordance entre évaluateurs en
fonction de l'importance de la fermeté ressentie. Ce diagramme permet d'objectiver si le diagnostic de décentrage
est plus évident lorsque que la sensation de fermeté est
extrême (très ferme ou très souple). La corrélation pour un
même évaluateur entre les résultats numériques issus de la
barre de 100 mm et le diagnostic de décentrage est calculée
par une courbe receiver operating characteristics (ROC) et
l'aire sous la courbe (AUC).
RÉSULTATS
Un total de 29 patients (soit 58 évaluations) ont été évalués du
28/02 au 12/07/15. Le nombre médian de patients évalués
pour l'étude par praticien a été de 8. Sur les 58 évaluations, il a
été diagnostiqué 25 décentrages antéro-supérieurs (43 %) et
35 décentrages en rotation médiale (60 %). Quatre écarts au
protocole ont été rapportés : 3 évaluations ont été faites alors
que le patient était assis sur la table sans dossier et une
rupture d'insu entre évaluateurs a été constatée. Les autres
évaluations ont eu lieu conformément au protocole. Les données descriptives de la population étudiée sont présentées
dans le Tableau I et Fig. 4.
Pour le test de décentrage antéro-supérieur, la concordance
brute entre évaluateurs est de 69 % (20 accords sur 29) et le
coefficient kappa de 0,37 0,34 (p < 0,05).
Pour le test de décentrage en rotation médiale, la concordance
brute est de 62 % (18 accords sur 29) et le coefficient kappa de
0,23 0,36 (p > 0,05).
Pour le critère de jugement secondaire, c'est-à-dire l'évaluation de la sensation de fermeté notée sur une barre de
20
100 millimètres, le test des rangs signés de Wilcoxon est
significatif pour la fermeté en flexion (p < 0,02), mais pas en
abduction (p = 0,28). Le calcul a été effectué avec le logiciel
stat R. Sur les diagrammes de Bland-Altman (Fig. 5 et 6) il
n'apparaît pas de variation significative de l'accord entre évaluateurs en fonction de l'importance de la fermeté ressentie. La
sensation de fin de course a été jugée plus ferme lors de la
seconde évaluation comparativement à la première dans
26 cas sur 58 (45 %). Pour un même évaluateur, la corrélation
entre les sensations de fermeté et la conclusion sur la présence d'un décentrage est très significative (AUC = 0,93).
DISCUSSION
Les résultats de cette étude peuvent être généralisés à l'ensemble de la pratique libérale par des kinésithérapeutes formés à cette technique. La population de patient inclus est
représentative de celle rencontrée en pratique ambulatoire,
et le recrutement a été fait de façon aléatoire (patients consécutifs). Le recueil de données a aussi été fait dans des conditions réelles de soin courant. L'évaluation a été réalisée en
double insu et l'ordre de passage des évaluateurs était aléatoire. Le protocole d'évaluation suivi était détaillé et conforme
aux recommandations et avis d'experts disponibles dans la
littérature.
Le niveau de concordance des tests de décentrage correspondent à un niveau médiocre (Tableau II). Les données de
cette étude font état d'une reproductibilité inter-évaluateur des
tests de décentrage trop faible pour permettre de recommander leur usage dans la pratique clinique. D'autres études de
plus grande puissance pourraient corroborer ces résultats. La
validité d'un test étant bornée par sa fiabilité, la validité des
tests de décentrage ne peut pas être supérieure à la fiabilité
observée ici. Cette faible fiabilité n'encourage donc pas
à entreprendre une étude de validité (une confrontation des
tests de décentrage avec un test de référence).
En ce qui concerne le test de décentrage en rotation médiale,
l'intervalle de confiance à 95 % du coefficient kappa inclut la
valeur zéro et p > 0,05. De même, le critère de jugement
secondaire de la sensation tactile de fermeté n'est pas significatif (p = 0,28). Il n'est donc pas exclu que la faible concordance observée soit uniquement attribuable au hasard.
La concordance inter-évaluateur ne semble pas influencée par
les tiers facteurs identifiés (durée des symptômes, diagnostic
médical ou douleur à l'examen). Les concordances dans ces
sous-groupes sont comprises dans l'intervalle de confiance
quel que soit le sous-groupe (Tableau III). Un diagnostic
Tableau II. Qualité de la concordance entre observateurs mesurée à partir coefficient Kappa.
Niveau de concordance
Kappa
Très bon
> 0,81
Bon
0,80–0,61
Modéré
0,60–0,41
Médiocre
0,40–0,21
Mauvais
0,21–0,00
Très mauvais
< 0,00
Savoirs / Contribution originale
Fiabilité médiocre des tests de décentrages de l'articulation
scapulo-humérale
Evalués pour
éligibilité
(n=59)
patients
Patients inclus (n=29)
Ont été évalués (n=29)
Temps moyen entre évaluation
(4min 20sec)
évaluateurs
Évaluateurs (n=6)
Nombre de patients évalués
/thérapeute (médiane=8,5) [1 ; 24]
Analysés (n=29)
Analyse
Assignation
Assignation
Enrôlement
Non-inclus (n=30)
-ne remplissaient pas les critères
d’inclusions (n=22)
-refus de participation (n=0)
-autres (n=8) généralement pas
de 2ème évaluateurs disponibles
Exclus de l’analyse (n=0)
Différence entre évaluations en mm
50
40
30
20
10
0
-10
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
-20
-30
-40
-50
Fermeté de fin de course à l'abduction (mm)
Différence entre évaluations (mm)
Figure 4. Diagramme de flux.
80
60
40
20
0
-20
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
-40
-60
-80
Fermeté à la flexion (mm)
Figure 5. Diagramme de Bland-Altman, différence entre évaluation
en fonction de la fermeté à l'abduction. Lecture : chaque point
correspond à une paire d'évaluations. En abscisse, la moyenne des
deux évaluations, et en ordonnée la différence entre les
évaluations.
Figure 6. Digramme Bland-Altman, différence entre évaluations en
fonction de la fermeté à la flexion.
médical précis et écrit étant non disponible dans 12 cas sur 29,
cette catégorie n'est pas interprétable. La seule tendance qui
se dégage est une meilleure concordance du test de décentrage en rotation médiale lorsque le patient fait état de douleur
chronique (kappa 0,70). Cette observation est à nuancer pour
trois raisons. Le nombre de patients est faible pour ce sousgroupe (seuls 3 patients suffisent pour expliquer la tendance),
cette tendance est inversée par rapport au test de décentrage
21
S. Peterlongo
Savoirs / Contribution originale
Tableau III. Concordance entre évaluateur des tests de décentrage de l'articulation scapulo-humérale, coefficient
kappa.
n
Antéro-supérieur
Rotation médiale
29
0,37 0,34
0,23 0,36
Tendinite
13
0,05
0,09
Autre ou non renseigné
16
0,55
0,65a
Aigu, subaiguë
15
0,56
Chronique
14
0,43
0,70a
Absente (EVA = 0)
18
0,26
0,54
Présente (EVA 0)
11
0,48
0,22
Ensemble
Diagnostic médical
Durée des symptômes
0,17a
Douleur à l'examen
a
Écart à la moyenne significatif
antéro-supérieur sans raison évidente, et l'on observe une
inflation du risque alpha lors de la multiplication des analyses
en sous-groupes. Un nombre de patients plus important permettrait de confirmer ou d'infirmer cette tendance.
L'hypothèse d'un biais d'évaluation due à l'échauffement induit
par la première évaluation est écartée étant donné que la
sensation de fermeté est supérieure ou égale lors de la
seconde évaluation dans 26 cas sur 58 soit quasiment une
fois sur deux. L'analyse graphique des diagrammes de BlandAltman ne permet pas de conclure à une éventuelle relation
entre le niveau de fermeté et la concordance. Il n'apparaît pas
de relation de type dose-effet ou d'effet plateau.
Il existe une grande cohérence dans les résultats d'un même
évaluateur.
La reproductibilité inter-évaluateur des tests de
décentrage est trop faible pour permettre de
recommander leur usage dans la pratique clinique.
La concordance entre la fermeté rapportée par un évaluateur
et ce qu'il en conclut sur la présence d'un décentrage est très
significative (AUC = 0,93). Il apparaît très nettement un seuil
autour d'une raideur cotée à 30 mm/100 au-delà duquel les
évaluateurs concluent à un décentrage et inversement. La
principale source de variations entre évaluateurs est l'étape
de la perception manuelle de la fermeté. C'est donc à ce
niveau que réside le potentiel d'amélioration de la fiabilité
des tests de décentrage, par une procédure palpatoire plus
précise, par un recueil de données instrumentales, ou par une
combinaison avec d'autres signes ou tests cliniques.
Déclaration de liens d'intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.
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