Les présentations cliniques.
Vous êtes assidu à ces présentations cliniques. Avez-vous noté, chez certains patients, des
différences de comportements, des approches différentes, des commentaires ou des
demandes ?
« Rien n'est basé sur des preuves évidemment, mais incontestablement il y a des gens à qui
cela fait du bien. Plusieurs sont venus me voir et m'ont dit « ça m'a fait du bien d'en parler »,
c'est satisfaisant. Mais à l'opposé, j'ai l'impression que des gens sont venus, qui étaient plutôt
bien dans leur tête, qui ont été contents d'avoir rendu service, mais qui n'ont pas forcément tiré
de ces rencontres un bénéfice personnel absolu. Je ne dis pas qu'il y a des gens qui ont besoin
de voir quelqu'un parce qu'ils ne sont pas bien dans leur tête et d'autres non, mais surtout je
crois qu'il y a des gens qui ne sont pas bien parce qu'ils n'ont pas compris ce qu'il leur arrivait
et que ce genre de présentations peut leur faire prendre conscience d'un certain nombre de
choses. Et que ça, ça leur fait du bien. Ou que leur état est très lourd à porter, comme ce
patient qui m'a dit « je ne parle à personne de ma maladie, mais là, ça m'a fait du bien d'en
parler ». En fait, c'est du cas par cas. Je peux dire tout de même que toutes les personnes à qui
j'ai proposé ce type d'entretien (une douzaine environ atteintes de sclérodermie) ont accepté,
sauf une qui avait donné son accord mais qui, la veille, s'est décommandée. Mais globalement
le retour que j'ai eu de ces présentations est positif, les personnes ayant été contentes de parler
librement de leur maladie à des gens qui les écoutaient et essayaient de voir si, finalement, il
n'y avait pas des facteurs qui avaient pu favoriser leur affection. Souvent les gens s'interrogent
sur le mode « pourquoi moi et pas les autres ? ». On ne leur apporte pas la réponse, bien sûr,
mais quelquefois ils la trouvent pas eux-mêmes dans les propos qu'ils ont tenus dont ils
n'avaient pas pris conscience auparavant. Si ces rencontres servent à ça, ça peut être bien. Ma
seule crainte est qu'elles puissent tourner à la séance « télé réalité », ce qui ne serait pas bon.
Il faut laisser les gens s'exprimer librement, mais, comme disait mon ancien Maitre « quand
vous cherchez un diagnostic, écoutez les malades, ils vous disent le diagnostic » . Voilà, il faut
prendre le temps; dans ces présentations on écoute le patient pendant une heure, c'est plus
que ce qu'on fait d'habitude et surtout, moi je n'interviens pas, j'écoute. Evidemment ça ne me
donne pas un pouvoir surnaturel, loin de là, mais ça peut m'aider à comprendre le malade et à
l'aborder différemment. On peut aussi s'apercevoir que des gens que l'on croyait obnubilés par
des aspects de leur maladie ne le sont pas et ce sont d'autres choses qui les inquiètent. C'est ce
registre qui est intéressant. Et ça peut amener à une prise de conscience du médecin et du
malade sur certains aspects de leurs rapports, conduire à revoir la fréquence des visites par
exemple, cerner les peurs de certains malades ou reparler de la prise du traitement. Et ça, c'est
un point capital, quand on sait que, quelles que soient les maladies, le taux d'observance des
traitements et de 50% en moyenne, c'est très impressionnant...Un malade sur deux ne suit pas
le traitement prescrit, y compris dans des maladies graves, type leucémie myéloïde chronique.
Aujourd'hui on la traite avec des produits qui amènent à des survies prolongées comme
l'Imatinib par exemple. Et bien même dans ces cas, il y a des malades qui ne sont pas
observants ! Et on ignore pourquoi. Il est difficile de comprendre pourquoi les gens ne se
traitent pas. Il serait intéressant de creuser ça et ce n'est pas par une approche conventionnelle
qu'on peut voir ce qui se passe. Et notamment avec les patients qui ne coopèrent pas. Après
tout, il y a peut-être des gens qui vont se suicider d'une manière inconsciente ! Je ne suis pas
dans le domaine de la psychanalyse, mais on peut imaginer des choses comme ça. Tout est
ouvert, c'est ce qui me plait. On n'est pas enfermés dans un système. Autant je suis un grand
défenseur des progrès thérapeutiques actuels, autant je pense que les échecs n'en dépendent
pas, mais dépendent de l'individu lui-même. Et ça il faut l'approcher sinon on traite une
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