Professeur Pierre Philippe, chef de pole médecine interne à l`hôpital

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ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR PIERRE PHILIPPE, CHEF DU
DE CLERMONT-FERRAND LE 20 FÉVRIER 2012
CHRISTINE CARTERON, MARTINE ROQUES, MICHEL CONTE
PÔLE MÉDECINE INTERNE À L'HÔPITAL
ESTAING
« L'homme qui a perdu le don de s'émerveiller est un homme mort ». Professeur Pierre
Philippe, paraphrasant la citation d'Albert Einstein dans Discours et entretiens.
Interniste « super généraliste »
« Quand je décide de faire médecine, c'est pour devenir médecin de campagne dans la région
tourangelle. A cette époque des séries de télévision valorisent le métier de médecin de
campagne. Dans la médecine, l'aspect recherche m'intéresse aussi; à la télévision encore c'est
la grande époque des émissions sur la recherche médicale signées Igor Barère et Etienne
Lalou ».
Pierre Philippe, vous avez vécu « au gré des opportunités » qui se sont présentées à vous : à
la Faculté de médecine, persuadé au départ que cela ne vous servirait pas pour la médecine
de campagne, vous entrez finalement à l'internat, comme vos camarades étudiants, avec
l'idée que vous aurez creusé à fond la science médicale, que vous saurez travailler et que
vous serez capable de gérer les situations que vous rencontrerez.
« Oui, et après avoir été reçu à l'internat, n'aspirant pas à prendre une spécialité d'organe je me
dirige vers la médecine interne. Pendant mon internat je me forme à de nombreuses
spécialités, dont certaines capitales pour un interniste comme la cancérologie, la cardiologie,
l'hématologie, la neurologie…En fin d'internat, je recherche un "clinicat" pour devenir chef de
clinique. C'est le Pr Jean-Claude Marcheix qui me mettra le pied à l'étrier. J'opte ensuite pour
l'exercice en hôpital général (je ferai notamment 11 ans à l'hôpital Nord de Cébazat). Agrégé
de médecine interne en 1989, je prends en 1992 un poste de chef de service à l'Hôtel-Dieu de
Clermont-Ferrand. Je développe ce service en faisant venir des collaborateurs dans lesquels
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j'ai confiance. Un peu en avance sur mon temps, je crée une « fédération de services » :
hématologie, maladies infectieuses et médecine interne, avec une consultation commune et un
hôpital de jour commun. Cela répondait à une demande du milieu hospitalier pour "mutualiser
les moyens". Depuis le déménagement à Estaing, la « fédération » est devenue « pôle » et, aux
côtés de la médecine interne et de l'hématologie, la dermatologie a pris la place du service des
maladies infectieuses ».
Le Pr Pierre Philippe y occupe aujourd'hui le poste de Chef de pôle parce que, dit-il avec
modestie, il est le plus ancien, les chefs des trois services sous sa responsabilité ayant tous
quinze ans de moins que lui. Mais, comme il a lui-même beaucoup profité de l'expérience
des anciens, il transmet de son mieux aujourd'hui la sienne aux plus jeunes.
Parole et technique
Quel est votre rapport au malade, Pr Pierre Philippe ?
« Ce qui me frappe et m'inquiète dans la médecine actuelle, c'est qu'il y a de moins en moins
de place pour l'explication adaptée. Cela ne sert à rien de dire au malade : « vous souffrez
d'une maladie auto-immune avec des lymphocytes T…», ce sont des mots savants qu'il ne
comprend pas. Il vous écoute poliment mais le courant ne passe pas. Moi je suis très basique,
j'essaie de prendre des exemples que les gens connaissent bien pour pouvoir leur donner des
images. A partir de là ils comprennent mieux. Par exemple pour parler des facteurs de risques,
à quelqu'un qui me demande « pourquoi j'ai fait une phlébite ? » je réponds « c'est comme un
accident de la circulation entre deux voitures qui se rencontrent à un carrefour. Peut-être qu'il
fait nuit, qu'il pleut, peut-être que l'un des conducteur a bu, ou qu'il somnole, que l'un n'a pas
de frein et l'autre pas d'essuie-glaces…si un seul de ces facteurs disparaît l'accident, si ça se
trouve, ne se produit pas. A l'inverse si un se rajoute, l'accident aura lieu ». Ce que l'on
cherche à connaître, c'est de la médecine technique, c'est quelle est la puissance de chacun de
ces facteurs. Alors, dans cet exemple, je dis au patient « c'est beaucoup plus grave de ne pas
avoir de frein que de ne pas avoir d'essuie-glaces parce que si il ne pleut pas, ça n'a pas
d'importance alors que si vous n'avez pas de freins, quoi qu'il arrive, ça va mal se passer.
Donc il y a des facteurs dont il faut faire la liste et qu'il faut classer. Il suffit qu'un de ces
facteurs manque et vous n'avez pas la maladie, ou se rajoute et vous êtes atteint ». Cela peut
paraître bête mais c'est une explication que les gens sont plus à même de comprendre, que si
vous allez leur parler de trombophilie et de ses facteurs identifiés…J'ai tendance à faire de la
vulgarisation, de « bas étage » m'a-t-on dit parfois, mais je préfère agir ainsi que de rester
hermétique. Que ce soit dans le dit ou le non dit, la médecine est une interactivité permanente
et, en fonction de la manière dont les gens reçoivent ce que je dis, je modifie mon discours.
Et c'est vrai que ça ne va pas de soi, qu'on n'a pas toujours le temps d'expliquer. Et puis il y a
des gens avec qui ça marche et d'autres pas, il faut s'adapter. Mais ça reste tout de même plus
un travail de médecin que de « paramédical ». Et c'est pour cela que je suis intéressé par le
travail avec vous, les psychanalystes. Parce que cela permet une autre approche, nouvelle
pour moi, qui m'a permis de me rendre compte que le contact entre le médecin et le patient est
extrêmement important, car ce qui me fait peur dans la médecine actuelle c'est qu'on
privilégie de plus en plus l'acte technique, la procédure à l'entretien avec le patient. Je suis
persuadé que le lien avec le malade est un élément très important dans la thérapeutique. Oui
cela prend du temps, mais ça le vaut bien ».
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Médecine et psychanalyse
Vous dites que cette approche de la psychanalyse par la médecine est un peu nouvelle pour
vous, Pr Philippe, même si vous avez déjà travaillé avec des psychiatres à Cébazat et à
l'Hôtel-Dieu, et notamment avec le Dr Jean-François Charbonnier.
« En médecine interne nombre de symptômes peuvent être aussi bien d'origine psychiatrique,
dans une dépression par exemple, que d'origine organique, dans le cadre d'une pathologie. J'ai
beaucoup appris du Dr Charbonnier sur le comportement humain, « l'âme humaine » et j'ai
noté que, parfois, des gens que l'on croyait très malades avaient surtout des problèmes d'ordre
psychologique et vice et versa. Il arrive que des personnes soient très malades de la façon dont
ils vivent ou ont vécu, ce qui ouvre la porte au travail que vous faites. Cela ne permet pas
forcément de trouver des solutions thérapeutiques mais cela donne des explications qui
permettent de voir les gens un peu différemment. Ce que j'apprécie dans les présentations
cliniques, c'est que cela amène à comprendre des gens qui ne sont pas bien et cela augmente
l'empathie qu'on peut avoir pour eux. Ce qui m'intéresse beaucoup dans ce travail que nous
faisons ensemble, c'est que l'on part de deux horizons différents, médecine et psychanalyse,
et qu'on essaie de trouver un point de rencontre. On sait, je l'ai dit, que beaucoup de gens sont
malades de leur histoire, de leur caractère, de leur façon de ressentir les choses. Il y a des
événements que l'on ne contrôle pas, mais c'est vrai que ça n'arrive pas à tout le monde. Il y a
des gens qui semblent attirer la maladie, d'autres, au contraire, s'en sortent bien. Je pense que
le caractère, l'âme, l'existence de l'individu apportent un éclairage incontestable sur ses
pathologies. Lorsque le rapport humain entre le malade et son médecin est un rapport de
confiance, ça se passe mieux et ça résout un certain nombre de ses problèmes. Donc, je ne
mets pas d'obstacle théorique à la pratique d'une approche du patient différente de celle que
nous utilisons au plan purement technique mais qui se rapproche de celle dont nous devons
nous servir au plan relationnel. Je suis dans un monde, comme je l'ai dit, qui est de plus en
plus technique et pour lequel il y a de plus en plus d'explications à fournir à des gens qui ne
sont pas forcément à même de les comprendre toutes et qui vivent dans un système qui leur
est propre. Là où je marque le pas, si vous voulez, c'est qu'à la différence d'avec vous, les
psychanalystes, nous les médecins ne ressentons pas forcément le besoin de retourner sur le
vécu du passé des gens, de ce qu'ils ont fait ou pas fait, même si je pense que c'est
effectivement à même sinon d'expliquer au moins de comprendre parfois ce qui se passe.
Nous ne nous sentons pas, comme vous, la légitimité ni la compétence pour ce travail. On a
cependant bien l'impression que c'est sûrement très utile dans un certain nombre de situations
et pas forcément dans celles que l'on croirait. Je veux dire par là qu'il y a des gens qui ne vont
pas bien dans leur tête, ça on est capable de le voir très rapidement, mais à la limite là c'est
plus vers le psychiatre qu'il faut les envoyer, plus que de travailler nous-mêmes directement
sur des techniques de psychanalyse. Mais à l'opposé je trouve qu'on peut avoir une approche
intéressante et différente d'un certain nombre de pathologies que nous traitons le plus souvent
d'une façon purement technique. Nous le faisons avec de l'empathie bien sûr : on dit aux gens
« on va vous expliquer ce que vous avez », mais nous n'allons pas aussi loin que vous n'allez
dans les présentations cliniques qui nous réunissent ».
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Les présentations cliniques.
Vous êtes assidu à ces présentations cliniques. Avez-vous noté, chez certains patients, des
différences de comportements, des approches différentes, des commentaires ou des
demandes ?
« Rien n'est basé sur des preuves évidemment, mais incontestablement il y a des gens à qui
cela fait du bien. Plusieurs sont venus me voir et m'ont dit « ça m'a fait du bien d'en parler »,
c'est satisfaisant. Mais à l'opposé, j'ai l'impression que des gens sont venus, qui étaient plutôt
bien dans leur tête, qui ont été contents d'avoir rendu service, mais qui n'ont pas forcément tiré
de ces rencontres un bénéfice personnel absolu. Je ne dis pas qu'il y a des gens qui ont besoin
de voir quelqu'un parce qu'ils ne sont pas bien dans leur tête et d'autres non, mais surtout je
crois qu'il y a des gens qui ne sont pas bien parce qu'ils n'ont pas compris ce qu'il leur arrivait
et que ce genre de présentations peut leur faire prendre conscience d'un certain nombre de
choses. Et que ça, ça leur fait du bien. Ou que leur état est très lourd à porter, comme ce
patient qui m'a dit « je ne parle à personne de ma maladie, mais là, ça m'a fait du bien d'en
parler ». En fait, c'est du cas par cas. Je peux dire tout de même que toutes les personnes à qui
j'ai proposé ce type d'entretien (une douzaine environ atteintes de sclérodermie) ont accepté,
sauf une qui avait donné son accord mais qui, la veille, s'est décommandée. Mais globalement
le retour que j'ai eu de ces présentations est positif, les personnes ayant été contentes de parler
librement de leur maladie à des gens qui les écoutaient et essayaient de voir si, finalement, il
n'y avait pas des facteurs qui avaient pu favoriser leur affection. Souvent les gens s'interrogent
sur le mode « pourquoi moi et pas les autres ? ». On ne leur apporte pas la réponse, bien sûr,
mais quelquefois ils la trouvent pas eux-mêmes dans les propos qu'ils ont tenus dont ils
n'avaient pas pris conscience auparavant. Si ces rencontres servent à ça, ça peut être bien. Ma
seule crainte est qu'elles puissent tourner à la séance « télé réalité », ce qui ne serait pas bon.
Il faut laisser les gens s'exprimer librement, mais, comme disait mon ancien Maitre « quand
vous cherchez un diagnostic, écoutez les malades, ils vous disent le diagnostic » . Voilà, il faut
prendre le temps; dans ces présentations on écoute le patient pendant une heure, c'est plus
que ce qu'on fait d'habitude et surtout, moi je n'interviens pas, j'écoute. Evidemment ça ne me
donne pas un pouvoir surnaturel, loin de là, mais ça peut m'aider à comprendre le malade et à
l'aborder différemment. On peut aussi s'apercevoir que des gens que l'on croyait obnubilés par
des aspects de leur maladie ne le sont pas et ce sont d'autres choses qui les inquiètent. C'est ce
registre qui est intéressant. Et ça peut amener à une prise de conscience du médecin et du
malade sur certains aspects de leurs rapports, conduire à revoir la fréquence des visites par
exemple, cerner les peurs de certains malades ou reparler de la prise du traitement. Et ça, c'est
un point capital, quand on sait que, quelles que soient les maladies, le taux d'observance des
traitements et de 50% en moyenne, c'est très impressionnant...Un malade sur deux ne suit pas
le traitement prescrit, y compris dans des maladies graves, type leucémie myéloïde chronique.
Aujourd'hui on la traite avec des produits qui amènent à des survies prolongées comme
l'Imatinib par exemple. Et bien même dans ces cas, il y a des malades qui ne sont pas
observants ! Et on ignore pourquoi. Il est difficile de comprendre pourquoi les gens ne se
traitent pas. Il serait intéressant de creuser ça et ce n'est pas par une approche conventionnelle
qu'on peut voir ce qui se passe. Et notamment avec les patients qui ne coopèrent pas. Après
tout, il y a peut-être des gens qui vont se suicider d'une manière inconsciente ! Je ne suis pas
dans le domaine de la psychanalyse, mais on peut imaginer des choses comme ça. Tout est
ouvert, c'est ce qui me plait. On n'est pas enfermés dans un système. Autant je suis un grand
défenseur des progrès thérapeutiques actuels, autant je pense que les échecs n'en dépendent
pas, mais dépendent de l'individu lui-même. Et ça il faut l'approcher sinon on traite une
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maladie, on ne traite pas un malade. On sait de plus en plus traiter les maladies, mais je ne
sais pas si on sait toujours bien prendre en charge le malade.
Les anglo-saxons font la distinction entre « il est malade » et « il se sent malade »; nous, nous
en restons à « il est malade, point ». Ils ont aussi une troisième manière de définir la maladie
c'est « ce qu'a le patient c'est qu'il n'est pas bien et ça a une répercussion sur sa façon de vivre,
d'être et de travailler ». Il y a donc plusieurs façons d'envisager la maladie, le « desease », la
maladie de Machin et le « illness », la maladie de monsieur Untel, selon la terminologie
anglaise. Il ne suffit donc pas, même si c'est important, de voir la maladie sous le seul angle
du « desease ».
Les jeunes internes sont sensibles à cette dimension ?
"C'est comme les malades, c'est propre à chacun. Certains sont réceptifs, d'autres moins. Il
faut dire aussi qu'entrent en ligne de compte aujourd'hui des dimensions nouvelles auxquelles
on avait peu à faire face auparavant, ce sont les dimensions judiciaires et économiques qui
font que certains préfèrent se limiter à des actes très précis qu'ils savent très bien faire plutôt
qu'à prendre des risques qui pourraient, en cas d'échec, les entrainer à devoir en répondre
judiciairement.
Il m'arrive, à moi, de prendre des risques, je peux faire ça à mon âge car j'ai à cœur, tout en
soignant la maladie, de soigner le malade ».
Vos projets
« Je me suis tourné vers un travail de recherche basé sur les entretiens avec les patients, pour
mieux comprendre ce qui se passe dans leur tête, travail à mettre en balance avec ce qu'on
approche par les méthodes classiques
Pour le Congrès National de Médecine Interne qui se tiendra au mois de juin prochain à
Clermont-Ferrand, j'aimerais animer un atelier consacré à ce sujet Je pense que je ne
l'appellerais pas « Médecine et Psychanalyse » car cela pourrait effrayer mes confrères de
médecine interne, mais plutôt quelque chose comme « l'approche qualitative a-t-elle droit de
cité dans l'approche du malade ? ». Et j'espère avoir le temps de présenter mon travail sur la
sclérodermie où je pourrais faire la comparaison entre les « questionnaires de qualité de vie »
que j'ai mis en place avec une quinzaine de malades et le rapport humain tel qu'il est présenté
par les patients lors des présentations cliniques ».
"J'aime ce que je fais. Si c'était à refaire, je le referais".
Professeur Pierre Philippe.
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