UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE DE GEOGRAPHIE DE PARIS Laboratoire de recherche ENEC UMR 8185 THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline/ Spécialité : Géographie Présentée et soutenue par : Grégory MORISSEAU le : 08 février 2013 MER COMBATTUE, MER ACCEPTÉE : UN PROJET DE PAYSAGES ET SES PROBLÉMATIQUES Bas-Champs (Picardie, France) et Camargue (PACA, France) Sous la direction de : Mr Jean-Paul AMAT JURY : Mr Richard LAGANIER rapporteur Mr Philippe DEBOUDT rapporteur Mr Paul ALLARD examinateur Mme Sylvie SERVAIN examinateur Mr Jean-Paul AMAT examinateur Mr Bernard CAVALIE examinateur Professeur de géographie, Université Paris IV Professeur de géographie, Université Paris VII, Maître de conférences HDR en géographie, Univ. Lille1, Professeur d’histoire, Université de la Méditerranée, Maître de conférences en géographie, ENSNP, Professeur de géographie, Université Paris IV, Paysagiste, Directeur de l’Atelier de l’Ile Paris, position de la thèse MER COMBATTUE, MER ACCEPTÉE : UN PROJET DE PAYSAGES ET SES PROBLÉMATIQUES Bas-Champs (Picardie, France) et Camargue (PACA, France) L a soumission des territoires et paysages littoraux à des risques naturels de mieux en mieux identifiés et croissants nous impose de proposer des réponses pertinentes en terme d’aménagement et d’adaptation aux mutations notamment liées au changement climatique. Comment, dans une logique proactive, tirer parti des modifications de paysages tout en limitant, contrôlant, voire corrigeant les dérives induites par la hausse du niveau marin sur les littoraux ? L’objectif est de montrer qu’il est possible de s’ajuster à ces risques par la prise en compte des paysages et par la pratique d’une gestion plus douce et raisonnée des aménagements côtiers. Dans le contexte actuel incertain et à partir d’un questionnement liminaire relatif à la situation des Bas-Champs de Cayeux-sur-Mer (Picardie), la thèse cherche à démontrer que le paysage est une composante essentielle à la résolution des problèmes de risques d’inondation et de submersion ; problèmes auxquels le paysagiste, ingénieur ou architecte, doit prendre part afin d’anticiper puis de conforter l’avenir des territoires et des paysages littoraux. Survenue au cours de la maturation de cette thèse, la tempête Xynthia prouva la défaillance des stratégies de prévention et de protection jusque-là employées ; elle fut l’occasion d’évaluer la gestion réactive de la crise mobilisant notamment des stratégies préconisées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer, à l’instar du repli stratégique et de la délocalisation des enjeux. Conjugué à une absence de prise en compte du paysage, l’usage de ces stratégies a généré d’autres vulnérabilités (urbaines, paysagères, sociales…) qui limitèrent la résilience du territoire. Une planification anticipée des enjeux et la reconversion spatiale de certains secteurs furent ultérieurement plébiscitées comme le montrent certaines expériences (notamment anglaises et néerlandaises) où la prise en compte du paysage apporte une valeur ajoutée aux sociétés et aux territoires littoraux. Dans ces opérations, souvent de dépoldérisation (Wallasea Island, Tiengemeten Island…), la construction de (nouveaux) paysages participe à réduire la vulnérabilité des sites ou des territoires face au risque de submersion, voire même à en tirer parti ; c’est la mitigation (atténuation) paysagère. D’autres exemples, soumis à une politique de relocalisation des 2 Mer combattue, mer acceptée : un projet de paysages et ses problématiques enjeux bâtis (Blois et la déconstruction du quartier de la Bouillie notamment), font l’objet de réflexions prospectives afin d’identifier des formes de productions paysagères, sociales et économiques, qui intègrent le risque d’inondation. L’expérience blésoise montre comment passer d’une (simple) reconversion spatiale à la reconquête du territoire et comment la mitigation paysagère est susceptible de faire émerger une nouvelle culture sociétale du risque d’inondation. L’analyse de cet exercice prospectif a permis d’identifier le projet de paysage, processus holistique de conception et de partage de visions à long terme, comme un outil de réduction de la vulnérabilité et d’affirmer l’importance de conduire une prospective intégrant continuellement les mutations sociétales (et climatiques) et les interactions nature/société/paysage. Dès lors, plutôt que d’adaptation, nous avons jugé plus exact de parler d’ajustement. A ce titre, la thèse se focalise dans une seconde partie sur la Camargue, territoire deltaïque emblématique éminemment représentatif, tant par ses problématiques d’inondabilité et de submersibilité que par ses trajectoires passées, présentes et futures contrastées. En effet, l’influence conjuguée des eaux douces et des eaux salées a façonné un milieu méditerranéen contrasté et mobile auquel les hommes se sont inlassablement ajustés par des stratégies mobilistes puis fixistes. Les transformations progressives (par poldérisation notamment) ont réduit les risques d’inondation et de submersion et ont contribué à produire des paysages multifonctionnels, marque d’une mitigation paysagère riche mais complexe à laquelle ont contribué l’industrie salinière et la culture rizicole. La valeur (écologique, paysagère…) produite par cette mitigation des paysages fit émerger une société militante d’un romantisme naturaliste qui décria l’agriculture productiviste qui en fut pourtant la matrice. Bien que fondé sur ce paradoxe, cet ajustement identitaire permit d’inventer la culture camarguaise, la prise de conscience du paysage et, avec elle, la garantie de leur préservation. Ce protectionnisme subsiste, relayé par les gestionnaires de la nature en Camargue attachés à démontrer une exemplarité en matière de gestion de milieux écologiquement riches. Mais la thèse s’attache à démontrer que cette attitude fixiste conservative apparaît illusoire face aux nombreuses mutations endogènes et exogènes du delta du Rhône, et ce, en dépit de l’arsenal juridique détenu par l’écocomplexe camarguais. Aussi elle démontre que l’enjeu camarguais majeur est la conservation de son potentiel d’ajustement stratégique continu face aux changements, notamment climatique, qui impose une remise en cause du combat engagé contre la mer. En outre, en mobilisant certaines références culturelles et géographiques, il est devenu urgent de définir les nouvelles trajectoires de la Camargue de demain, au risque de perdre ce qu’on a voulu protéger. Certains outils de planification et documents d’orientation stratégiques traduisent les visions à court-moyen terme d’une Camargue désirée (ou refoulée) par les acteurs locaux. Cependant, exprimées dans le contrat de Delta et la charte du PNRC, elles illustrent, à l’horizon 2015-2022, une Camargue moins animée par l’ajustement aux mutations présentes et futures que par une volonté d’exemplarité de gestion et de préservation des écosystèmes (maintenus artificiellement) ; une Camargue consensuelle refusant l’audace qui l’a amené à (ré)inventer ses paysages. D’autres visions tendancielles, construites à partir des variables actuelles (renchérissement énergétique, périurbanisation, croissance des flux démographiques, effets du changement climatique…), apparaissent incompatibles 3 position de la thèse avec un développement territorial équilibré et durable ; à l’exception d’un scénario. Scénario qui implique d’importantes transformations spatiales et la délocalisation d’enjeux économiques, mais qui, du même coup, abandonne l’espace littoral à la mer et à ses excès, amputant la mitigation paysagère qu’il était susceptible de porter. S’impose alors une autre prospective, celle d’une vision globale de l’anthroposystème camarguais par laquelle doit s’établir une nouvelle planification des enjeux spatiaux et territoriaux et se construire une nouvelle méthodologie. Ainsi, en plaçant les effets du changement climatique, notamment la hausse eustatique, en amont des réflexions (mainstreaming) conduisant invariablement à une rupture des digues marines et fluviales, les scénarios explorés par la thèse démontrent les opportunités et la capacité de l’anthroposystème camarguais à s’ajuster aux mutations et à se réinventer en continu. C’est ainsi que le scénario de rupture construit dans le cadre du PNRZH, « Camargue 2030 », illustre un territoire nouvellement attractif bien qu’inattendu et montre que la gestion hydraulique n’est pas nécessairement le facteur déterminant du système deltaïque. En revanche, en plaçant le paysage et l’organisation spatiale du territoire comme déterminant, la thèse explore d’autres scénarios à partir d’hypothèses de la DATAR (Territoires 2040) et propose deux Camargues à l’horizon 2040 : le « dôme rural méditerranéen », de rayonnement régional et interrégional, bâti sur d’importantes mutations économiques et urbaines, mais conservateur des paysages du début du 21e siècle ; et le « spot mondial » d’une néo-culture relative à l’ajustement au changement climatique, construit sur une nouvelle diversité paysagère admise par l’audace et l’expérimentation. Enfin, une projection à l’horizon 2080 conduit l’auteur à imaginer une Camargue protégée par une mangrove susceptible d’instaurer une nouvelle fixité deltaïque. Chacune des visions a notamment permis de mesurer le sens et la légitimité de la protection des Saintes-Maries-de-la-Mer dont la pérennité n’est pas toujours assurée et dont la disparition ne serait pas nécessairement synonyme de faillite camarguaise. En s’inscrivant dans la recherche d’une mitigation paysagère ambitieuse, la thèse démontre que la Camargue présente la capacité et l’opportunité de devenir une composante essentielle du programme d’aménagement d’un territoire durable à l’échelle interrégionale, voire au-delà. Mais cela implique de concevoir une nouvelle littoralité par une profonde réorganisation des enjeux territoriaux et des paysages deltaïques : la thèse revendique un « renouvellement littoral ». Par son approche globale et sa dynamique de projets, le renouvellement littoral proposé introduit et caractérise une nouvelle Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC). Il s’appuie sur des modèles prospectifs d’ajustement entre dynamiques sociétales et changement climatique dans lesquels le paysage est déterminant. Il pourrait être exprimée par des Plans d’Ajustement au Changement Climatique (PACC), documents phares coordinateurs de projets d’ajustement expérimental et réversibles. Il implique de poursuivre sans discontinuité la réflexion prospective afin qu’elle s’ajuste au fur et à mesure à l’état présent, aux idéologies et aux innovations. Dans ce contexte, la Camargue apparaît comme un territoire potentiellement pilote du renouvellement littoral conduit par le PNRC et accompagné par l’Etat, à l’instar de l’étude de faisabilité d’une dépoldérisation partielle des Bas-Champs du Vimeu engagée en 2011 par le Syndicat Mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard et dont les premiers résultats sont livrés en fin de thèse. 4 Mer combattue, mer acceptée : un projet de paysages et ses problématiques La hausse eustatique préfigure des changements de paysages qui doivent être anticipés et que la recherche doit intégrer. Plusieurs voies à approfondir doivent mieux saisir les temporalités du projet de paysage en question en imaginant des dispositifs méthodologiques qui impliquent d’intervenir à tous les temps de ce dernier (avant, pendant et après), dans le cadre d’une prospective paysagère. Il semble urgent que la recherche sur le paysage s’ouvre plus largement à la réflexion prospective pour proposer des modèles de fonctionnement et de développement nouveaux sur lesquels s’appuyer pour que les acteurs territoriaux puissent débattre des choix d’aménagement et initier un renouvellement littoral qui devra tôt ou tard s’imposer. Mais il faut souligner l’importance d’insuffler de la créativité dans ces scénarios de renouvellement littoral (à la différence de la démarche prédictive ou tendancielle trop à la mode aujourd’hui) ; ce que le projet de paysage et les visions paysagistes peuvent véhiculer. Enfin, pour répondre aux nombreux enjeux qu’imposent ce renouvellement littoral et, plus globalement, le changement climatique, le paysagiste devra lui-même se défaire d’une approche en terme de projet urbain pour penser en terme de “ projet de nature “ : un paysagiste non plus (seulement) urbaniste mais “littoraliste“. Puisse cette thèse contribuer à nourrir les approches méthodologiques et appliquées qui aideront les sociétés à passer d’une mer combattue à une mer désirée… 5