Entretien avec Edouard Jacquemin, commandeur de la Légion d

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Commandant
Edouard JACQUEMIN
Commandeur
de la
Légion d’Honneur
Entretien
Une carrière militaire
exceptionnelle
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L’enfant de la victoire
L’appel de l’aventure
La drôle de guerre
Au cœur de l’action
Départ pour l’Angleterre
Bombardements sur
l’Allemagne
L’enfant de la victoire
– J’ai une petite particularité car je suis un enfant de la
victoire. En effet, je suis né le 10-08-1919 donc si vous
calculez bien et que vous remontiez neuf mois plus tôt
pour trouver la date de ma conception vous trouverez la
date du 11/11/1918 qui est le jour de la victoire de la
première guerre mondiale. C’est peut-être pour ça
qu’étant enfant de la victoire, j’ai eu une carrière
particulière.
– Je suis né à Chenay, j’étais un petit garçon comme
vous. J’habitais près de la maison où habite maintenant
votre petite camarade. Je suis allé à l’école de Chenay.
L’appel de l’aventure
• Je suis allé plus tard au
séminaire. Mais comme
cela ne me plaisait pas
d’être prêtre je suis allé au
lycée rue de l’Université.
Après le lycée je suis
parti, en 1937, en Algérie
faire
une
école
d’agriculture et un stage
dans un domaine agricole.
J’allais à l’école de
Maison Carrée à Alger
pour apprendre le métier
d’œnologue.
La maison Carrée - Alger
La drôle de guerre
Retour à Reims
Quand j’ai fini ce stage qui a duré 9 mois, je me suis engagé par devancement
d’appel dans l’armée de l’air afin de terminer mon service militaire plus tôt.
Pourquoi avez-vous devancé l’appel ? (Nicolas)
Lorsque j’étais au lycée, j’avais fait un certificat d’aptitude à l’emploi de
mécanicien d’avions, comme maintenant une préparation militaire et ce certificat
me donnait le droit d’effectuer mon service militaire dans l’armée de l’air. J’ai
donc demandé l’aviation et j’ai été affecté à la base 112 de Reims en octobre
1938.
Étant à la base de Reims , je suis parti à Nancy en décembre 1938 pour faire un
brevet de mitrailleur-observateur.
Un mitrailleur-observateur a pour but entre autre de diriger les tirs d’artillerie.
Lorsque j’ai terminé ce stage, je suis rentré sur la base de Reims en juin 1939.
J’ai été affecté à la 12 ème escadre qui à cette époque avait des blocs 210 .
La déclaration de guerre
Adolphe HITLER
La mobilisation
• C’est alors que la guerre a été déclarée. Au
départ, il eut ce qu’on appelait la « drôle de
guerre ». La guerre était déclarée mais il n’y
avait peu de combats. Les troupes ne se
combattaient presque pas, il n’y avait pas de
front.
• Il me semble à l’époque que les deux pays
n’étaient pas prêts à s’affronter. Les Allemands
ont pris la Pologne car c’était facile d’avancer
mais pour la France il fallait passer la ligne
Maginot. Quant à la France et l’Angleterre,
nous n’étions pas prêts.
• Quel effet ça fait quand on apprend qu’il va y
avoir la guerre ? (yohan)
• C’est difficile à dire. J’étais jeune, mais ça ne
m’a pas fait peur car on m’avait déjà tellement
parlé de la guerre contre les allemands qui
étaient restés pour nous les ennemis et nous
voulions en découdre.
A la déclaration de guerre, nous avons été desserrés de Reims. Par groupes, nous
avons été envoyés sur différents terrains. Mon unité a été envoyée à OzinVilliers dans les Vosges. Ce terrain était en herbe et court pour les avions que
nous avions et pour décoller de ce terrain, il fallait être à vide. Donc on ne
pouvait pas faire grand mal…Il fallait choisir ou mettre les bombes ou
décoller ! ! Ce qui montre que la préparation pour la guerre n’était pas au point.
Pendant cette drôle de guerre on a commencé à changer de matériel. Nous avons
touché des avions qui comparés à ceux que nous avions, étaient ultra modernes,
c’était les avions les plus modernes probablement du monde : le LéO 45.
Le LéO 45
C’était un avion qui avait été préparé pour
bombarder entre 6 000 et 8000 mètres et
qui était déjà équipé d’un viseur assisté par
un « espèce » d’ordinateur qui permettait
d’afficher les vents, d’afficher les
altitudes… Ils étaient à l’époque très
sophistiqués. C’était des bi-moteurs qui
pouvaient embarquer deux tonnes de
bombes et aller à 450 km/heure .
On s’entraînait sur ces avions. Nous étions quatre : un pilote, un observateur, un
radio et un canonnier. Normalement le canonnier et l’observateur étaient
interchangeables.
A l’époque ces avions avaient un rayon d’action de 1500 kilomètres. Nos objectifs
devaient toujours être militaires (usines, gares) mais à la fin de la guerre, comme
nous le verrons par la suite, les bombardements furent aussi les villes allemandes
afin de faire fléchir le moral de l’ennemi.
Les premières missions sur les LéO 45, quand les allemands ont contourné la ligne
Maginot et sont arrivés par Sedan, furent de les bombarder.
Mais au lieu d’être engagé pour bombarder avec ces avions prévus pour
bombarder à 6000 mètres, nous avons attaqué des cibles à 800 mètres d’altitude
ce qui rendait nos viseurs inutilisables.
Nous avons du bricoler des viseurs de fortune avec des boites d’allumettes et
deux allumettes.
J’ai eu l’occasion lorsque le Général Veygand a repris le commandement et a
demandé une photographie du front . Nous sommes partis pour photographier la
Somme et le Nord de la France. Notre mission était presque terminée lorsque
nous avons rencontré deux chasseurs allemands, alors nous nous sommes mis en
légère descente et nous avons pu leur échapper. J’ai fait une autre mission de
bombardement juste après mais elle a tourné court car nous avons eu un moteur
qui a flanché.
Une autre mission consistait à aller
bombarder une colonne de tanks qui
descendait la route au nord d’Amiens. Nous
sommes partis à trois avions, le leader de la
formation avait fait ce qu’on appelle une
PSV (pilotage sans visibilité) c’est à dire
qu’il s’est élancé dans les nuages.
Notre pilote qui était un vieux pilote qui avait fait la guerre du Rif au Maroc n’a
pas osé traverser les nuages. Nous sommes donc restés seuls et nous sommes
partis seuls vers cet objectif. Mais au nord d’Amiens nous n’avons rien trouvé.
Nous avons commencé à tourner, lorsque nous avons aperçu une grande cour de
ferme qui était remplie de tanks. Alors comme à l’exercice, nous avons fait un
premier tour pour bien préparer la visée puis nous avons lâché deux bombes. Au
deuxième passage, nous avons eu quatre chasseurs allemands sur le dos. J’ai réussi
à en abattre un, mais quelques minutes après, nous avons été abattus, nous sommes
tombés dans un verger.
L’avant du Leo s’est coupé la queue de l’appareil s’est rabattue vers l’avant. Le
pilote et le radio ont été tués et l’observateur qui était devant est sorti
miraculeusement indemne et moi qui était derrière j’ai pu sortir seul malgré mes
blessures. Nous sommes tombés juste dans les lignes françaises. J’ai vu arriver
des soldats je leur ai dit « faites pas les cons je suis français ». Ils m’ont sorti de
là et mis dans un trou d’obus. Je leur ai dit de faire attention car l’avion allait
sauter. Les soldats m’ont assommé avec une forte ration de rhum pour me
calmer.
Ils m’ont emmené à travers les lignes pour recevoir les premiers soins. De là, j’ai
été évacué sur Beauvais, j’ai été opéré par un médecin qui avait fait la guerre
d’Espagne et qui ce jour là le 31 mai opérait depuis 48 heures sans interruption.
Quand je suis arrivé, il m’a dit : « je bois un coup et je t’enlève ta ferraille. »
Je suis resté en relation avec la femme du pilote puis plus tard avec sa fille et son
gendre qui habitent Marseille. Mais pas au début car c’était difficile moi étant
vivant…
Le fait que j’ai descendu un avion le 31 mai, j’ai été décoré de la croix de guerre
avec une palme. C’était ma première décoration.
Après avoir été soigné à Beauvais j’ai été évacué en Bretagne à Morlaix et quand
les allemands sont arrivés j’ai été fait prisonnier à l’hôpital. J’ai eu l’occasion de
contacter le médecin chef français qui m’a fait obtenir des papiers de reforme
définitive en allemand.
J’avais des papiers comme quoi j’étais inapte à la guerre. Grâce à ces papiers, je
suis revenu à Chenay mais malheureusement il y avait une commandanture qui
gérait le secteur. Quand ils ont su que j’étais prisonnier de guerre, je me suis
retrouvé chef des corvées dans le village (entretien des routes). J’étais obligé de
me présenter à la commandanture tous les matins pour prendre les ordres et le soir
à 18 heures. J’ai fait cela de octobre 1940 à décembre 1940.
En décembre 1940 lorsque j’ai entendu dire que la commandanture allait changer,
j’ai profité pour ne plus venir me présenter tous les matins. Après quelques jours,
comme personne n’était venu me chercher, je
suis parti à Paris.
J’ai pris le train direction Vierzon puis
Châteauroux afin d’essayer de passer en
zone libre.
Dans le train j’ai eu de la chance de
rencontrer un mécanicien qui avait convoyé
un train à Paris et qui redescendait vers
Vierzon. J’ai parlé avec lui et je me suis un
peu confié à lui.
Il avait une quarantaine d’année et on prenait
des risques tous les deux. Je lui ai montré mes
blessures aux jambes ainsi que ma veste
d’aviateur. Là il m’a dit qu’il allait m’aider. A
Vierzon, nous sommes descendus et je l’ai
suivi à distance, il m’a emmené au dépôt de la
gare, j’ai été pris en charge. Le lendemain
matin on m’a donné un bleu de travail. Nous
avons formé un train, avec d’autres
mécaniciens. Nous avons eu la visite d’une
patrouille allemande juste avant le départ
mais tout s’est bien passé.
La zone libre
Poste de contrôle au passage de
la zone libre
Le fait que je sois sur la locomotive m’a permis d’échapper au contrôle. J’ai eu
beaucoup de chance. Car pris, j’aurais été envoyé en Allemagne parmi les
prisonniers évadés appelés les têtes dures.
J’ai rejoint mon escadrille qui était à Istre en début 1941. J’ai été accueilli très
gentiment par mes camarades. Malheureusement mon escadrille a été désignée
pour aller en Syrie. Mais en Syrie il fallait se battre contre les Anglais car Pétain et
Laval avaient promis à Hitler que l’on défendrait nos territoires à l’étranger. Alors
là, j’ai refusé. J’ai eu des camarades de tuer en se battant contre les anglais. Par
contre, certains en Syrie sont passés directement chez les Anglais.
Départ pour l’Angleterre
Je suis reparti en Afrique du Nord où
j’avais fait mon stage d’œnologie. En
temps que prisonnier évadé j’étais
considéré comme un militaire en congé
d’armistice. J’ai travaillé pendant un an
et demi sur le domaine. A l’époque
nous faisions sur place un peu de
résistance. Quand les américains sont
débarqués en novembre 1942, nous
avons pris contact avec eux afin de faire
la liaison.
En 1943, je me suis porté volontaire
afin de partir en Angleterre où j’ai
rejoint les groupes lourds : le groupe
Tunisie et le groupe Guyenne.
Arrivés en Angleterre les groupes ont été baptisés par les Anglais les
« scadrons 346 et 347 ». L’entraînement dans les écoles d’aviation anglaise a
duré de novembre 1943 à mai 1944. Chaque spécialité retournait dans les
écoles anglaises.
Les équipages ont été engagés avec la Royal Air Force sur Halifax. C’était des
quadrimoteurs qui pouvaient transporter 6 tonnes de bombes. Nous faisions
des missions en plusieurs vagues de 250 avions et plus à deux minutes
d’intervalle. Pour certaines missions plus de mille avions étaient engagés.
L’Halifax
Le bombardement
des villes allemandes
Nous étions sur une base en Angleterre, près de York. C’était une base française équipée
d’avions anglais. Il y avait quelques officiers anglais avec nous pour les liaisons
particulières. Les équipages venant de France étaient qualifiés, et avaient déjà une
certaine expérience. Quelques pilotes venaient d’Air France et étaient chevronnés. Nos
missions étaient de bombarder des objectifs particuliers. Nous sommes allés bombarder
la Ruhr et bien d’autres endroits. Nous avions exactement le même entraînement que les
anglais et les mêmes risques : nous pouvions être abattus par la chasse ou par la DCA.
On faisait en moyenne quatre grosses missions de bombardement par mois. Chaque
mission était consignée dans notre carnet de vol.
Carnet de missions
Combien de temps
missions (Edouard) ?
duraient
les
En moyenne plus de cinq heures car il
fallait accomplir le trajet, bombarder
les objectifs et retourner . Parfois on
prenait des voies détournées afin de
tromper l’ennemi sur nos objectifs
réels. Mais c’était dangereux, car à
cette époque il y avait en Allemagne
des
chasseurs
très
entraînés
spécialement pour la chasse de nuit.
Lorsque les chasseurs surprenaient les
vagues de bombardiers, parfois
cinquante avions pouvaient être
abattus. Par contre les pertes
importantes étaient dues surtout à la
DCA qui formait un mur de feu et de
fer.
E. Jacquemin
D.C.A allemande
Compte tenu du nombre important
d’avions engagés, il y avait ce qu’on
appelait des « maîtres de cérémonie »
Ces équipages, beaucoup plus
entraînés, appelés des « path finder »
étaient marqueurs d’objectifs. Nous
naviguions à la minute près. On avait
aussi un radar qui nous aidait à nous
guider le long des côtes au nous
permettait de prendre des repaires
lorsque nous passions au-dessus des
villes. Nous pouvions aller aussi
bombarder des sites de bombes
volantes V1 et V2.
V2
Pour en revenir aux décorations, lorsque
vous aviez effectué quatre ou cinq missions
en « tour d’opération » vous aviez le droit à
une citation. Comme j’avais déjà la croix
de guerre j’avais une citation en plus. Au
total j’ai fait 36 missions de ce genre et j’ai
eu cinq citations. A la fin des « Tour
d’opération » j’ai eu pour couronner le tout
la médaille militaire. Alors que les officiers
avaient la Légion d’Honneur.
A la fin de la guerre, je n’ai pas été
démobilisé de suite vu le petit nombre
d’aviateurs qualifiés.
J’ai donc poursuivi et j’ai fait du transport
militaire. J’ai participé à l’ouverture des
lignes long courrier: Dakar, Dar-El Salam,
Abidjan…sur Halifax, transformés en
avions de transport.
Par la suite, je suis passé sous-lieutenant en 1951. Je me suis retrouvé en
1953 moniteur au CIET (Centre d’Instruction des Équipages de Transport)
En 1954, j’ai été promu chevalier de la Légion d’Honneur.
En 1956, je me suis retrouvé en Indochine puis je suis revenu au CIET
comme moniteur.
En 1959, je suis parti en Algérie, toujours comme navigateur commandant
d’avion et de ce fait ai participé aux opérations en Afrique du Nord. (médaille
de la valeur militaire – 3 citations).
De retour en 1962, j’ai servi au GLAM (Groupe des Liaisons Aériennes
Ministérielles) comme officier adjoint au commandement. Mes fonctions
m’ont amené à rencontrer les hautes autorités de l’époque, notamment le
Général De Gaulle et bien d’autres personnages de l’État.
J’ai été promu Officier de la Légion d’Honneur en 1964 et terminé ma
carrière militaire comme officier supérieur à l’État-Major du transport.
A partir de 1966, j’entame une carrière civile que je termine en 1981 comme
Directeur Général de Société.
Depuis, en retraite, j’ai été honoré par mes pairs qui m’ont promu
Commandeur de la Légion d’Honneur en 2002.
Entretien réalisé par l’ensemble de la classe de
CM2 de l’École Primaire Saint-Thierry
Moyens vidéo : Jérome Plongeron et Marine Cousin
Photos : Nicolas Bénadassi et Yohan Prévôteau
Recherche Internet : Edouard Michaud – Xavier Chapput
Montage son : Marie Aucouturier Maryanne Godimus
Maquette pochette : Nicolas Lambin et Jonathan Prévôteau
Mais aussi : Christine Buché, Edouard
Guillemard, Florie Costenoble, Loïc Natier.
L’enseignant de la classe : Régis Camus
Aide à la réalisation : Eric Sinet Animateur
Informatique – Reims V
FIN
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