Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot ENTRE GUERRE et PAIX C’est triste à dire, mais il faut avoir vécu le temps de guerre pour « mesurer » ce que nous étions devenus dans ce contexte, n’en prenant conscience que la guerre finie. Rien ne sert de tergiverser : la guerre rend fou ! Oui, il m’arrive d’avoir honte des réactions qui étaient alors les nôtres. Si je dis « les nôtres » c’est tout simplement que dans l’exaltation nous les partagions en commun. L’exemple le plus frappant reste celui des raids de l’aviation. Il faut s’en souvenir …et je me souviens de nos joies ! Au début de cette « drôle de guerre » autant dire que l’aviation ne s’était pas particulièrement signalée à notre attention. D’ailleurs nous étions convaincus de la suprématie française avec les « Potez » « Morane Saunier » etc. Sauf que, depuis radio STUTTGART, le dénommé Paul FERDONNET, de sinistre mémoire, n’en promettait pas moins les pires cataclysmes. C’est ainsi qu’il informait régulièrement les Dijonnais que la Luftwaffe allait venir « élargir la rue de la Liberté ». Ce ne sera qu’à partir de l’offensive allemande, le 10 Mai 1940, que tout allait changer dans le ciel de France. Ce fut d’abord ce combat aérien, d’un avion pourchassant l’autre alors que les obus de la DCA (Défense Contre Avions) en explosant dans le ciel, produisaient de petits nuages cotonneux gris sombres. Touché l’avion français allait s’écraser avec son pilote sur le territoire de PRENOIS. Ce fut la première vision d’un combat aérien. Mais c’est surtout à partir de 1941 que nous serons amenés à prendre conscience de certains passages d’avions le soir, avec des retours tardifs dans la nuit. Le bruit de ces avions était nettement distinct de celui des avions allemands. Nous avons vite compris qu’il s’agissait d’avions alliés. Puis, par le peu d’informations de propagande dont nous disposions, nous avons pu savoir que ces passages réguliers visaient surtout des sites Italiens. La propagande nous annonçait que X avions anglais avaient été abattus à Turin, Milan ou Gênes. Puis ayant observé que partant toujours vers la même heure, à peu de minutes près, ils n’en revenaient pas aux mêmes heures. Alors s’en référant aux annonces antérieures de la propagande, nous pouvions dire, lorsque repassaient ces avions, ils reviennent de TURIN ou alors de MILAN. En cette triste époque c’était devenu comme un jeu. Vous ne pouvez imaginer la joie collective qui était la nôtre à la maison forestière. Lorsqu’approchait l’heure, tous nous étions à l’écoute du ronronnement des moteurs. Entendre ces avions qui partaient arroser de leurs bombes l’ennemi, c’était la preuve tangible et constante que des « amis », étaient là, toujours là, pour combattre les nazis, pour nous libérer un jour ! Combien de fois n’a-t-on pas dit : « si seulement nous avions une bouteille de champagne pour fêter ça !». C’est ainsi que nous vivions les passages de ces escadrilles de la mort. Nous n’ignorions rien, sachant parfaitement que des dégâts militaires certes ils y en auraient, mais des pertes civiles : femmes et enfants aussi. Pour autant nos ardeurs n’étaient pas freinées. Et toujours, nous attendions le lendemain dans l’espoir de les entendre passer à nouveau. Nous étions insatiables, drogués de l’époque, au bruit de ces moteurs qui préparaient la victoire prochaine. Qu’importaient les morts par centaines…pour nous seule comptait une Libération la plus prompte possible. 1 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot Et puis, un jour ces avions libérateurs nous les avons vus régulièrement passer dans le ciel bleu, c’était en 1944. Ils passaient par centaines, groupés par vagues successives. Parfois le matin mais plus souvent dans l’après midi. Et là c’était en Allemagne qu’ils partaient. Lorsqu’ils repassaient, rentrant à leurs bases, nous pouvions mesurer l’importance des dégâts subis, à partir des manques perceptibles dans chaque vague. Mais notre exaltation n’était pas pour autant refrénée… surtout que les « manques » allaient devenir de moins en moins importants, ce qui nous permettra de vérifier que la « machine de guerre » de GOERING faiblissait de plus en plus ! Le 25 Avril 1944, l’aérodrome de LONGVIC et la gare de triage de PERRIGNY LES DIJON sont attaqués. L’un des bombardiers sévèrement touché par la « Flack » s’est trouvé contraint de faire demi-tour avant d’avoir largué ses bombes. Ce qu’il fera en bas de MESSIGNY au lieu dit « sous les clos ». Douze bombes tomberont, entre le chemin « du Dessous les Clos » et celui « de la Perrière St Valier », en y creusant d’énormes trous dans les champs. Quelques trois cents mètres plus à gauche et une partie du village était rasée. Jackie MARTIN, à l’époque écolier, se souvenait très bien de son camarade Jean MICHOT jeté à terre par le souffle des bombes, alors que l’instituteur M. THENADEY était frôlé par l’éclat d’une vitre qui venait d’exploser. Les trous des bombes seront rebouchés par les agriculteurs et des habitants du village sous forme de « prestation en nature » c’est-à-dire en règlement d’une partie des impôts communaux, pratique courante à l’époque. 2 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot Cette photo a été faite par Michel COGNIARD. Au bord de l’un de ces trous de bombes, 4 chevaux, attelés à un tombereau, nous permettent d’apprécier son importance dès lors que l’on peut vérifier que l’attelage représente approximativement le diamètre du trou, en surface. A partir de l’année 1942, assez couramment au petit matin, nous trouvions le sol garni d’une multitude de petits papiers d’aluminium « Windows ». Ils avaient été largués par les avions lors de leurs passages pour « brouiller » les appareils de détection de plus en plus sophistiqués de la D.C.A. allemande, notamment les radars qui venaient de voir le jour, sur le plateau de St Jean de Bœuf, en particulier. D’autres fois ce sont carrément des bulletins d’informations qui nous étaient parachutés. Ainsi au petit matin nous avions des infos, parvenues directement d’Angleterre. Vous ne pouvez imaginer à quel point elles nous dopaient le moral. Pour avoir vécu pleinement cette époque, je suis à même de dire combien nous étions à la fois forts et fragiles. Forts et prêts à tout, quand il était question de résister, mais néanmoins faibles dès qu’une information contraire à nos souhaits nous arrivait. Certes, cette démoralisation n’était que passagère, mais insidieusement elle nous marquait. Cela nous faisait mal, très mal, si mal que parfois le doute s’installait… Et ce doute était insupportable ! Pour nous l’occupation était pénible à vivre. Mais force est de dire que pour les populations de certaines contrées italiennes ou allemandes ce fut encore bien autre chose. Les bombardements incessants, de plus en plus importants et destructeurs, allaient devenir pour elles insupportables. A partir de Mai 1942, ce sont des tonnes et des tonnes de bombes qui seront déversées, détruisant tout, sans distinction entre les objectifs militaires et les populations civiles. Aujourd’hui, nous avons peine à imaginer ces horreurs. Prenons quelques exemples marquants : « Dans la nuit du 30 au 31 Mai 1942 le « Bomber Command de la Royal Air Force » lança à l’assaut de la ville de Cologne 1050 appareils, formant un flot ininterrompu de 110 kms de long. Les avions submergèrent les défenses allemandes et pendant 75 minutes lâchèrent 1.455 tonnes de bombes sur la ville dont 951 tonnes d’incendiaires. 3 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot Certes 36 usines rasées, 70 gravement touchées et 242 plus légèrement mais il y a 383 civils et 85 militaires tués, plus 5.000 blessés et 45.000 sans abri. Seule la cathédrale subsistera, presque épargnée.» « le 25 Juillet 1943, 791 bombardiers larguèrent sur Hambourg 2.300 tonnes de bombes. 35.700 immeubles sont entièrement détruits ainsi que plus de 400 édifices publics. Les avions reviendront 3 jours plus tard, cette fois pour y déverser des bombes incendiaires qui provoqueront une immense tempête de feu. Les abris seront inefficaces. La température sera si élevée que l’asphalte se mettra à fondre avec l’oxygène happé par le feu. Le 29 les incendies étant calmés, les sauveteurs pourront intervenir mais ne trouveront dans les abris que des milliers de morts calcinés, la plupart asphyxiés avant d’être brûlés par l’intense chaleur. En Août, quand cessèrent les raids sur Hambourg, près de 45.000 personnes y avaient trouvé la mort. 2.000 corps ne seront pas retrouvés. On dénombrera plus de 37.200 blessés.» « le 13 février 1945, vers 22 h, 233 bombardiers lourds lâchent 800 tonnes de bombes (dont 650.000 plaquettes incendiaires) sur la ville de Dresde. Le lendemain, 529 Lancaster viendront parachever l’œuvre de mort et de destruction. Les civils se retrouvent brulés au phosphore, asphyxiés et carbonisés dans les abris. 28.700 morts sont inhumés et des milliers d’autres sont brûlés sur de grands bûchers, constitués de traverses de chemin de fer. Les raids ont fait entre 40.000 et 150.000 morts. 75.000 immeubles ont été détruits. Il faudra déblayer 18 millions de m3 de décombres. » En 1970, en voyage d’études à Düsseldorf, l’hôtesse qui m’accompagnait me contera « les artères principales de la ville ont été tracées par les bombes. Les urbanistes ayant décidé de détruire le peu qui restait debout, dans l’alignement des largages de bombes.» Elle était jeune, n’avait pas connu la guerre et me contait cela très naturellement…et pourtant ! A partir de Juin 1940, les Anglais eux aussi devront supporter des bombardements intenses, du moins tant que les Allemands pourront conserver la maîtrise de l’air. Puis ce fut les bombes volantes V1 et V2. La France n’avait pas été épargnée en 1940. Elle ne le sera pas davantage par les bombardements alliés pendant l’occupation comme dans tout le secteur du débarquement, en Juin 1944, où des villages et des villes furent quasiment rayés de la carte. Plus tard, la Libération venue, enfin sortis de notre séquestration morale et de cette funeste ambiance guerrière, vous ne pouvez imaginer combien nous avons été amenés à nous juger. Notre espèce d’égoïsme collectif nous avait conduits, par exemple, à vouloir ignorer le ravage des bombes ne songeant qu’à une Libération la plus rapide possible. Après, y réfléchissant, oui j’ai eu honte et j’ai toujours honte. Honte d’avoir souhaité une coupe de champagne quand passaient les avions destructeurs. Des êtres humains, qui de surcroit n’y étaient pour rien, allaient mourir et nous : « nous souhaitions fêter ça au champagne ! » C’est là, et surtout à partir de ce point de repère, que je clame aujourd’hui qu’il faut faire la guerre à la guerre. En état de guerre, les peuples perdent les repères de l’humanité, tout est faussé, le cerveau est détraqué. Je sais, certains diront, nous ne 4 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot tomberions pas dans ce travers. Ils se trompent, ils ne savent pas. En état de guerre on a vite la rage chevillée au corps. Et bien vite votre sagesse y perd la raison. Rendons hommage à tous ces soldats « étrangers » venus pour nous libérer, quelle que soit leur couleur de peau. Sans eux que serions nous devenus ? Ils sont morts par milliers pour contraindre à la paix un peuple qui était notre ennemi et pas encore tellement le leur. Songeons à l’angoisse de leurs lointains parents, en droit de s’interroger sur la présence guerrière de leurs fils, hors du territoire national, en des lieux « à feu et à sang »… Il importe de garder le souvenir de tous ces soldats de notre Libération, de leur rendre hommage, et de s’incliner, ô combien, devant leurs bravoures et leurs sacrifices. Songeons aux vaillants combattants de Stalingrad. Sans les pertes énormes subies en Russie par l’armée allemande les opérations de débarquement en Normandie auraient elles été permises ?...Où en serions nous aujourd’hui ? Vainqueur ou vaincu, personne ne sort intact d’une guerre. La guerre rend fou… le comble, ce ne sont pas ceux qui la déclarent qui la feront et en souffriront le plus. Mais l’occupation allemande c’était aussi……une multitude de choses, devenant de plus en plus insupportables, à mesure que s’écoulait le temps. Ainsi les contraintes diverses imposées par l’occupant : le couvre-feu, l’arrêt à l’envoi des couleurs allemandes, l’obligation de loger l’occupant, l’interdiction de discuter à plus de 3 personnes dans la rue, le camouflage des lumières, les restrictions alimentaires, les interdictions de tuer : porcs, moutons, vaches, cette présence physique, cette contrainte morale, ces réquisitions diverses d’un peu tout : céréales, volailles, veaux, vaches, porcs, toutes ces marches militaires avec le bruit des bottes, ces défilés de prétendus chars qui passaient et repassaient toute une journée, les informations truquées à la gloire de la Grande Allemagne et du régime de Vichy, la litanie constante des arrestations et des exécutions. Bref, tout était fait pour nous réduire, nous saper le moral…d’autant que quantité de citoyens, fiers du régime de Vichy, vantaient les mérites du régime hitlérien ! Individuellement toutes ces rigueurs imposées pouvaient paraître anodines mais accumulées, jour après jour, elles rendaient l’occupation de plus en plus insupportable. Du moins pour tous ceux qui devaient vivre sous un régime allemand alors qu’ils se voyaient toujours Français. De cette époque, d’autres « en feront leur beurre » c’est bien le cas de le dire ! Le couvre-feu : Certes une guerre impose des rigueurs de préventions. Par exemple en cas de prévisions d’attaques aériennes. Mais là, pendant l’occupation, ce n’était plus le cas. A partir de Juin 1940, pour l’occupant, qui imposait le couvre-feu, c’était surtout dans le sens de sa protection. Pour éviter que les populations occupées vivent et circulent hors de leurs domiciles à des heures devenues gênantes pour en garantir le contrôle, ont été imposées des heures (matins et soirs) où il était interdit d’être à l’extérieur de son domicile. En ville notamment ce fut très contraignant. 5 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot L’envoi des couleurs : Pour celles et ceux qui se trouvaient en ce lieu, alors que ce cérémonial militaire allait commencer, aussitôt c’était le refuge dans la boucherie PALLEGOIX. Sinon, c’était la pause exigée, mains pendantes collées au corps, jusqu’au terme de la cérémonie conduite par un officier. Il fallait supporter d’entendre claquer les bottes au «pas de l’oie » Etre Français et contraint d’accepter ce respect au drapeau allemand était intolérable ! Vous avez là copie de l’instruction Allemande. Puis traduite en français, par le maire de Messigny M. Emile MONTIGNY 6 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot Le logement des soldats allemands : Un inventaire complet des possibilités en logements avait été dressé en 1940, afin d’en faire bénéficier les soldats Français stationnés à Messigny. Lorsque les Allemands arriveront le 16 Juin 1940 les mêmes possibilités seront mises à leur disposition. Certaines familles ont donc été contraintes de faire de la place pour loger 1 ou 2 allemands. Certaines n’ont connu aucune difficulté dans cette contrainte de cohabitation avec l’occupant. D’autres ne sont jamais parvenues à supporter cette présence allemande sous leur toit. A Messigny l’occupation effective allait se faire en 2 périodes, d’environ 1 année chacune. Par contre, en d’autres lieux, la réquisition d’une partie du logement allait durer 4 années, avec des soldats allemands, autrichiens ou autres, sans cesse renouvelés. Ce fut encore beaucoup plus pénible à vivre. Certains soldats cherchaient à être le moins gênant possible alors que d’autres étaient là en conquérants et tenaient à le faire sentir ! Au final certains soldats ont été acceptés assez facilement, au point qu’ils étaient appelés par leur prénom, parfois même un sobriquet, ainsi l’un d’eux se laissait appeler « maître corbeau » ayant à diverses reprises récité la fable de La Fontaine, devenant du coup très populaire et mieux toléré que d’autres. Le rassemblement de plus de 3 personnes interdit : Oui, ces messieurs prenaient des précautions. A cet effet tout rassemblement, dans la rue, de + de 3 personnes était interdit. Ils voulaient ainsi éviter que se propage trop rapidement certaines informations anti allemandes. Ce fut assez efficace car très rapidement il a pu se vérifier que cette obligation était respectée. Vous passiez, 3 personnes discutaient, pas question de s’arrêter, saluer oui, s’arrêter pour causer non ! C’était gênant car vous pouviez avoir là un ami ou deux, avec qui vous auriez aimé parler. Peut-être même aviez vous certaines choses à leur dire et vous ne le pouviez. La liberté de paroles en extinction… Interdiction de circuler : Pour avoir le droit de circuler soit en auto, soit en moto, il fallait préalablement avoir obtenu l’autorisation de la Préfecture. Cette autorisation était loin d’être évidente car elle n’était délivrée qu’après accord des autorités Allemandes. 7 Le temps qui passe L'Occupation, la Résistance - 8 George Balliot A partir du document joint on peut constater que l’autorisation accordée à un brigadier des Eaux et Forêts, pourtant en service 7 jours sur 7, lui est certes délivrée, mais « sauf le dimanche ». L’autorisation est accordée pour une auto et une moto « à raison d’un seul véhicule à la fois » en zone Côte d’Or pour exercice de la profession. «… à raison d’un seul véhicule à la fois » On voit mal comment il aurait pu en être autrement. Etrange rédaction de l’imprimé. Par ailleurs il fallait constamment faire renouveler ces autorisations. Cette autorisation n’était valable que pour « exercice de la profession ». Les restrictions prouvent combien la circulation était verrouillée. Bientôt la suite du Temps qui passe…. 8