deux mots pour désigner respectivement les habitants de la région et les citoyens de l’État,
sauf à adopter l’opposition « Moldave/Moldove » que l’on rencontre parfois.
Deuxième difficulté : dans une organisation qui travaille au moins en deux langues, les
mêmes mots n’ont pas le même sens dans une langue et dans l’autre. Le mot anglais « nation
» se traduit une fois sur deux par « pays » ; le mot « pays » a d’autres usages que « country ».
Ce recouvrement partiel des champs sémantiques entre les deux langues nous entraîne dans la
problématique bien connue des « faux amis », sources de confusions possibles, voire de
contre-sens.
Dans le domaine des minorités nationales, la situation à décrire est la suivante. Une fraction
d’une communauté linguistique et/ou culturelle se retrouve par suite d’un redécoupage des
frontières (parfois d’un déplacement de population) coupé de l’Etat dans lequel se trouve la
majorité de la communauté en question. Exemple : une communauté hongroise se trouve
politiquement rattachée à la Slovaquie. Ce sont donc des Hongrois (au sens 2) mais aussi des
Slovaques (au sens 1) !
Pour décrire ce genre de situation, il convient, on le comprendra, d’éviter les mots
polysémiques : « homeland », « patrie », « pays », souvent chargés en outre de connotations
affectives, romantiques ou idéologiquement marquées. L’anglais a donc créé plusieurs
concepts qui semblent s’être établis : « kin-state» (la Hongrie dans l’exemple ci-dessus) et «
kin-minority » (les « Hongrois » vivant en Slovaquie). Ce sont les termes adoptés par la
Commission de Venise. Ils ont l’avantage, par leur formation, de faire apparaître clairement
les relations entre les deux concepts.
S’ajoute à cela le concept de « home-state », qui n’est pas le homeland comme on risquerait
de le penser, mais le pays d’accueil, traduit sans ambiguïté en français par l’expression « État
de résidence ». L’anglais parle également en ce sens de « territorial state ».
Pour traduire « kin-state » en français, plusieurs mots sont en concurrence. Le meilleur choix
semble être « État-parent », expression très neutre, très factuelle, contrairement peut-être à «
mère-patrie », et qui prend facilement des connotations de sentimentalisme nostalgique ou de
« patriotisme ». Par contre, « nation-mère » serait possible si la « nation » de référence de la «
kin-minority » se trouve elle-même dans un État multinational, puisqu’il n’y a pas
nécessairement coïncidence entre un État et une nation. Dans tous les cas, cette « nation-mère
» est également dans « l’État-parent ».
La traduction de « kin-minority » est plus problématique. C’est génériquement une minorité,
mais qui se pense dans une relation à un État autre que celui dans lequel elle réside et dont
elle a la citoyenneté. Cette relation s’exprime de plusieurs manières : on parlera de tel État et
de ses minorités à l’étranger. On parlera d’une minorité de souche grecque, etc. Dans
d’autres cas, le mot « minorité » employé seul suffit à désigner l’idée, mais pour lever toute
ambiguïté et désigner clairement le concept, une expression comme « minorité exocentrée »
semble parfaitement convenir, au sens de « communauté dont le centre est ailleurs » (dans
son « État-parent »).
Ces quelques réflexions n’entendent pas épuiser le sujet. De toute façon, une langue ne cesse
d’évoluer, mais dans un domaine sensible, parfois difficile à cerner, et a fortiori dans un
contexte multilingue, il n’est pas vain de perdre un peu de temps à s’entendre sur les mots.
C’est autant de gagné par la suite.