La réponse légale à la question des soins sans consentement en psychiatrie 06 /2014 Jean VILANOVA – Juriste [email protected] 1 La psychiatrie est une spécialité qui, par son essence même, nécessite de la part du juriste une approche particulière. Certes, les droits du patient restent toujours inaliénables, qu’il s’agisse d’un patient psychiatrique ou de tout autre patient. Pour autant une telle spécialité qui ne touche pas à la mécanique de l’organe mais à celle de l’esprit doit, à ce titre, disposer de ses propres règles. Abordons ce qu’il en est dans un cadre très précis : celui des soins prodigués sans le consentement du patient. Un dispositif légal existe, la loi n° 2013-869 du 27 /09 /2013 ; une loi reformatée à la suite d’une décision rendue par le Conseil Constitutionnel le 20 /04 /2012 après que celui-ci ait invalidé deux des dispositions prévues par l’ancien texte alors en vigueur (loi du 5 /07 /2011). 1. Loi n° 2011-803 du 5 /07 /2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge – Les motifs de saisine du Conseil Constitutionnel Les soins en psychiatrie se déterminent selon trois exigences d’égale importance : la protection de la liberté individuelle du patient, la protection de sa santé et la prévention des atteintes à l’ordre public. Aussi, comment parvenir au respect de telles exigences lorsque la pathologie dont souffre le patient annihile ses capacités de discernement jusqu’à parfois conduire à l’abolition de toute faculté à consentir ou non aux soins qui lui sont proposés ? C’est là une question essentielle à laquelle il s’avère difficile mais nécessaire de répondre. Nous pensions disposer d’un outil susceptible de conduire à une solution : la loi n° 2011-803 du 5 /07 /2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ; un texte mesuré, un texte d’équilibre entre les droits et le respect de la personne humaine d’une part, la protection de la société d’autre part. Mais aussi un texte imparfait (comme toute création humaine) dont une association, le Cercle de réflexion et de propositions d’actions sur la psychiatrie a estimé qu’il justifiait, par la voie de la question prioritaire constitutionnalité (QPC), la saisine du Conseil Constitutionnel. Plus précisément, cette saisine a porté sur trois des dispositions de la loi : Le fait que n’y soit pas prévue une intervention systématique du juge pour les soins ambulatoires sans consentement. Le fait que le juge ne soit appelé à intervenir que tous les 6 mois après une première période d’hospitalisation de 15 jours. Enfin, la critique du caractère par trop restrictif, selon l’association, des sorties prévues pour les patients supposés dangereux, c’est-à-dire ceux séjournant en Unités pour malades difficiles (UMD) ou irresponsables pénalement. 2 2. La décision du Conseil Constitutionnel Le Conseil Constitutionnel a jugé conforme à la Constitution les deux premières dispositions mais a invalidé la troisième. Quels ont été ses arguments ? a. Sur la 1ère disposition : l’intervention systématique du juge pour les soins ambulatoires sans consentement n’apparaît pas comme une nécessité – Disposition valide – Par principe, les soins ambulatoires sans consentement relèvent d’un programme de soins (PDS) dont se charge le psychiatre de l’établissement après en avoir informé le patient et recueilli sans avis. Le PDS exige de la précision (justement afin que l’avis du patient ne puisse se former à partir d’une information viciée) et augurer de séjours dans un établissement. Le patient, selon les termes mêmes du Conseil… « ne saurait se voir administrer des soins de manière coercitive, ni être conduit ou maintenu de force pour accomplir les séjours en établissements prévus par la PDS. » L’article de la loi garant de ce droit régalien (article 3211-2-1 du code de la santé publique) s’avère conforme à la Constitution. Ainsi, durant les périodes d’hospitalisation définies dans le cadre du PDS, le patient n’en conserve pas moins la liberté de refuser les soins, voire de quitter l’établissement, même contre avis médical. Quant à la responsabilité de l’établissement et celle des médecins psychiatres qui contreviendraient à cette liberté, l’une et l’autre pourraient se voir engagées sur le terrain pénal. Le refus ou le non-respect par le patient du PDS peut justifier de la modification de celui-ci. Et il demeure enfin une dernière option, elle de l’hospitalisation sans consentement du patient. Dans ce cas, apparaît un droit en sa faveur d’un contrôle systématique du juge dans les 15 jours. Pour les Sages, il est patent que le texte laisse au patient l’exercice de ses libertés individuelles. b. Sur la 2ème disposition : un contrôle du juge tous les 6 mois n’attente pas à la Constitution – Disposition valide – Les Sages rejettent la critique d’un contrôle estimé trop tardif. Ils relèvent que le délai, certes long n’en reste pas moins le fait d’une décision judiciaire et non pas administrative. Et, durant ce délai, le patient ou son représentant peut à tout instant saisir par lui-même le magistrat. 3 c. La définition du « patient dangereux » et le traitement de ce patient – Disposition invalide – A partir de plusieurs faits divers dramatiques et médiatisés, chacun est à même d’avoir sa propre vision du patient dangereux. Le législateur de 2011 a tenu à distinguer le patient dangereux de celui qui ne l’est pas et à prévu, pour le premier nommé des mesures strictes en matière de permission de sortie ; ici la décision du préfet de région après avis d’un collège de soignants et l’expertise de deux psychiatres n’appartenant pas à l’établissement d’accueil. Et à quoi reconnaît-on un patient dangereux ? En ce qu’il se trouve en situation d’irresponsabilité pénale depuis moins de 10 ans et séjournant dans une UMD ou ayant séjourné dans une UMD pendant au moins une année depuis moins de 10 ans. Le Conseil Constitutionnel pointe le caractère pour lui trop vague de tout ceci. Les Sages s’attachent à la définition rapportée à un tel patient dont le constat est posé par la loi (art. 3222-3 du code de la santé publique) qu’il représente un danger tel que… « les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mises en œuvre que dans une unité spécifique. » Ils considèrent que la règle manque de rigueur et que l’équilibre entre la protection de la société et la liberté individuelle n’apparaît pas. Autre point jugé non conforme à la Constitution, la mesure qui prévoit de laisser au préfet la décision d’hospitalisation sans consentement d’un patient irresponsable du point de vue pénal privé d’une information préalable et sans que soient prises en compte la nature et la gravité de l’infraction commise. Et le Conseil Constitutionnel de laisser au législateur jusqu’au 1er /10 /2013 pour réformer la loi. Ce dernier conduira le travail à son terme peu avant l’expiration du délai fixé par les Sages. 3. Loi n° 2013-869 du 27 /09 /2013 modifiant certaines dispositions de la loi n° 2011-803 du 5 /07 /2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge Composée de 14 articles, comprenant 3 titres, la loi reprécise (art. 1er) les différents modes de prise en charge du patient en soins psychiatriques sans consentement ; soit sous la forme d’une hospitalisation complète, soit sous la forme ambulatoire, soit par le biais de soins à domicile. Dans les cas où il ne s’agit pas d’une hospitalisation complète, c’est le psychiatre de l’établissement qui établit le PDS. Lui seul a le droit de le modifier. Faut-il encore préciser qu’aucune mesure de contrainte ne peut se voir mise en œuvre à l’égard du patient ? En ce qui concerne les patients en hospitalisation complète, afin de favoriser leur réadaptation ou leur réinsertion sociale ou si des démarches extérieures sont nécessaires, des autorisations de sortie sont possibles. 4 Il peut s’agir de sorties accompagnées n’excédant pas 12 H. L’accompagnement est le fait du personnel de l’établissement, d’un membre de la famille ou de la personne de confiance préalablement désignée par le patient. La loi prévoit également des sorties non accompagnées d’une durée maximale de 48 H. L’autorisation est accordée par le directeur de l’établissement après avis favorable du psychiatre qui y est attaché. Dans le cadre de soins prodigués à la demande du représentant de l’Etat (SDRE) néanmoins, le préfet peut s’opposer par écrit à cette sortie par avis motivé. La loi fait disparaître le statut légal des UMD. Celles-ci ne perdurent plus qu’en tant que service de soins. Pour ce qui a trait à l’hospitalisation sans consentement suite à déclaration d’irresponsabilité pénale, la mainlevée relève du droit commun. Mais pour des faits punissables de 5 ans pour atteintes aux personnes et 10 ans pour atteintes aux biens, l’ancien régime de mainlevée nécessitant 2 expertises et l’avis d’un collège est maintenu. Notons enfin le renforcement du rôle du juge des libertés et de la détention (JLD). Au titre de la loi de 2011, il lui appartenait de se prononcer sur toute mesure d’hospitalisation sous contrainte dans un délai de 15 jours après l’admission. Le délai est désormais ramené à 12 jours. L’ensemble du texte porte ainsi le sceau d’une atténuation des contraintes. Conclusion Le patient psychiatrique est-il un patient comme les autres ? Le droit et la morale apportent une claire et même réponse à cette question. Le patient psychiatrique reste un patient comme les autres en ce sens qu’il dispose des droits identiques, inhérents à tous les patients et c’est heureux à plusieurs titres. Certains aspects, à nos yeux les plus importants se trouvent rappelés ci-après. Dans nos sociétés modernes, la pathologie psychiatrique conserve toujours un caractère péjoratif susceptible de marginaliser celui qui en est porteur. Or, celui-là doit être protégé de lui-même comme des autres. Il convient de rechercher un nouvel équilibre dans la relation de soins lorsque l’un de ses domaines les plus centraux – le consentement libre et éclairé du patient – est absent. Or, si le recueil du consentement du patient par le thérapeute constitue un fort marqueur de l’indispensable respect de la dignité humaine comment ce respect peut-il perdurer alors que, dans de nombreux cas, de consentement libre et éclairé il n’y a plus guère ? 5 C’est alors la responsabilité du législateur que de définir au mieux les conditions au soin non consenti. La loi s’y attache certainement. Mais que serait ce travail sans la collaboration étroite des soignants, des éthiciens, des familles ? La société aussi doit se protéger. Elle le fait d’ailleurs déjà contre de nombreuses autres maladies. Se protéger sans rejeter, sans ostraciser, dans le respect de la liberté et de la dignité du patient. Il nous semble que le cadre juridique en vigueur permet de tendre vers cette double nécessité. Mais bien entendu, rien n’est jamais acquis, ni dans un sens, ni dans l’autre. 6