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contrats avec profit justes. « En certaines circonstances il n’existe – en dehors du prêt – aucun
autre contrat qui soit véritable et juste. » La réponse ultime tient dans le maintien obstiné de la
différence entre deux pratiques. En quoi consiste cette différence ?
Le prêt se rapproche du don. L’encyclique cite Mt 5, 42 : « De qui veut t’emprunter ne te
détourne pas ». Le verset de Matthieu comporte en fait un premier membre de phrase qui dit :
« À qui te demande donne », laissant entendre d’un membre à l’autre que donner et prêter
relèvent de la même démarche. Secours temporaire, le prêt exhibe avec le retour attendu une
structure de réciprocité mutuelle. Les théologiens de Benoît XIV, qui lisaient et écrivaient en
latin, devaient être particulièrement sensibles à cette dimension : prêt se dit mutuum ; contrat
de prêt, contractus mutui. Le don quant à lui n’est certes pas temporaire, mais sa gratuité
risque de dissimuler la structure de mutualité sur laquelle il repose aussi. Prêter « de l’argent
ou du blé » (référence classique à Cicéron, Epistulae ad Atticum 11, 3, 3 ; De lege agraria 2,
83) sanctionne avant tout un rapport entre des personnes dont des difficultés passagères ne
mettent pas en cause l’égale dignité.
Pour les « autres contrats », ils encadrent une activité économique espérée fructueuse : le
rapport entre personnes et choses prévaut sur le rapport entre personnes. Encore l’encyclique
souligne-t-elle avec insistance l’égalité à maintenir entre les contractants, sous peine – non
d’usure, puisqu’il ne s’agit pas de prêt – « du moins d’une autre injustice véritable ».
En conclusion, le capitalisme n’est pas considéré immoral par essence, et une perspective
religieuse doit admettre sa légitimité dans des bornes « honnêtes » et « modestes ». Mais un
sortilège – le sort et le capital se disent par le même mot latin sors – pèse sur lui : la
propension à déborder son domaine, à s’étendre à toute transaction et relation, à rendre
intéressés les rapports humains quels qu’ils soient. Si l’Église catholique s’est exprimée peu et
tard sur les méfaits du capitalisme, elle a pourtant su, au beau milieu du 18e siècle, signaler
une différence théorique et pratique de vocabulaire et d’accent entre le prêt et l’investissement
capitaliste, et prévenir les confusions qui ont suivi.
René HEYER
La pensée du mois
« L’économie est moins comparable à une religion qu’à une théologie sans religion.
L’économie remplace la théologie, elle ne remplace pas la religion, car elle n’a rien à dire sur
ce qui est source de vie pour la personne humaine ni sur ce qui, dans l’être même de chacun,
le relie aux autres. »
François FLAHAULT, Où est passé le bien commun ?, essai, Paris, Mille et une nuits, 2011,
p. 14.
Lectures
Pierre DE LAUZUN, La finance peut-elle être au service de l’homme ?, Paris, Desclée de
Brouwer, 2015, 217 p.
Pierre de Lauzun, délégué général de l’Association française des marchés financiers
(AMAFI), publie depuis de nombreuses années sur les questions économiques et financières.
Face aux crises successives, l’auteur s’interroge sur la morale et l’éthique en ces domaines. Si
économie et finance sont au service de l’homme cela ne signifie-t-il pas que c’est au nom
d’une certaine « conception du bien, et donc une forme de morale et d’éthique ? » Bien connu
dans les milieux chrétiens, l’auteur aborde dans un ultime chapitre les questions de la gratuité