& théologie Le Courrier théologique des professeurs de la Faculté de théologie catholique (UNISTRA - Université de Strasbourg) N° 16, avril 2016 Billet Le capitalisme est-il moral ? C’est un lieu commun d’affirmer que l’Église catholique n’aurait guère été attentive à la mise en place du système capitaliste, au contraire, par exemple, des calvinistes. Un seul document magistériel serait à citer dans ce contexte : l’encyclique Vix pervenit du pape Benoît XIV aux évêques d’Italie, datée du 1er novembre 1745, qui répond à une question sur la légitimité du « prêt à intérêt ». Celui-ci est volontiers compris comme le ressort du système d’entreprise moderne, fondé sur l’engagement d’une masse d’argent dans le processus de production, pour un profit servant lui-même à l’accumulation du capital. La lettre de Benoît XIV encourage-t-elle ou non l’essor du capitalisme ? C’est la question qu’on pose en général à ce texte, selon une logique du permis-défendu. Mais s’agit-il vraiment ici de décrypter le fonctionnement d’un système économique ? Le pape explique dans son introduction qu’il a réuni en ensemble de théologiens pour discuter de la question et il livre ensuite un résumé en cinq points des résultats obtenus. Il explique d’abord que la nature du prêt demande « qu’il soit rendu autant seulement que ce qui a été reçu » : le profit supplémentaire qu’exigerait le prêteur serait usure, péché. Le deuxième point confirme et développe la définition donnée dans le premier, en insistant sur l’importance de l’équivalence dans l’échange, impliquée par l’égalité de chacune des parties selon une perspective de justice commutative. Mais voici que le troisième point fait référence à d’autres « titres » que peut s’adjoindre le contrat de prêt, puis à d’autres types de contrats stipulant que l’argent investi peut en rapporter : nous serions là dans une autre configuration que celle du prêt, configuration dont le point quatre souligne la licéité, pour peu que l’égalité de chacun des contractants soit assurée. Il s’agit en effet d’« alimenter le commerce et les négoces fructueux, en vue du bien commun ». Les commentateurs contemporains estimeront volontiers que la logique de l’investissement capitaliste est reconnue, en même temps que demeure affirmée la règle religieuse du prêt « simple et nu ». Tout le monde est content : les requêtes opposées sont également admises. Il y a cependant un point cinq. Celui-ci ne dit apparemment rien de plus que ce qu’on vient de lire. Il affiche simplement une limite : il n’est pas possible de trouver et disposer toujours des Page 1 - & théologie no 16 – Avril 2016 contrats avec profit justes. « En certaines circonstances il n’existe – en dehors du prêt – aucun autre contrat qui soit véritable et juste. » La réponse ultime tient dans le maintien obstiné de la différence entre deux pratiques. En quoi consiste cette différence ? Le prêt se rapproche du don. L’encyclique cite Mt 5, 42 : « De qui veut t’emprunter ne te détourne pas ». Le verset de Matthieu comporte en fait un premier membre de phrase qui dit : « À qui te demande donne », laissant entendre d’un membre à l’autre que donner et prêter relèvent de la même démarche. Secours temporaire, le prêt exhibe avec le retour attendu une structure de réciprocité mutuelle. Les théologiens de Benoît XIV, qui lisaient et écrivaient en latin, devaient être particulièrement sensibles à cette dimension : prêt se dit mutuum ; contrat de prêt, contractus mutui. Le don quant à lui n’est certes pas temporaire, mais sa gratuité risque de dissimuler la structure de mutualité sur laquelle il repose aussi. Prêter « de l’argent ou du blé » (référence classique à Cicéron, Epistulae ad Atticum 11, 3, 3 ; De lege agraria 2, 83) sanctionne avant tout un rapport entre des personnes dont des difficultés passagères ne mettent pas en cause l’égale dignité. Pour les « autres contrats », ils encadrent une activité économique espérée fructueuse : le rapport entre personnes et choses prévaut sur le rapport entre personnes. Encore l’encyclique souligne-t-elle avec insistance l’égalité à maintenir entre les contractants, sous peine – non d’usure, puisqu’il ne s’agit pas de prêt – « du moins d’une autre injustice véritable ». En conclusion, le capitalisme n’est pas considéré immoral par essence, et une perspective religieuse doit admettre sa légitimité dans des bornes « honnêtes » et « modestes ». Mais un sortilège – le sort et le capital se disent par le même mot latin sors – pèse sur lui : la propension à déborder son domaine, à s’étendre à toute transaction et relation, à rendre intéressés les rapports humains quels qu’ils soient. Si l’Église catholique s’est exprimée peu et tard sur les méfaits du capitalisme, elle a pourtant su, au beau milieu du 18e siècle, signaler une différence théorique et pratique de vocabulaire et d’accent entre le prêt et l’investissement capitaliste, et prévenir les confusions qui ont suivi. René HEYER La pensée du mois « L’économie est moins comparable à une religion qu’à une théologie sans religion. L’économie remplace la théologie, elle ne remplace pas la religion, car elle n’a rien à dire sur ce qui est source de vie pour la personne humaine ni sur ce qui, dans l’être même de chacun, le relie aux autres. » François FLAHAULT, Où est passé le bien commun ?, essai, Paris, Mille et une nuits, 2011, p. 14. Lectures Pierre DE LAUZUN, La finance peut-elle être au service de l’homme ?, Paris, Desclée de Brouwer, 2015, 217 p. Pierre de Lauzun, délégué général de l’Association française des marchés financiers (AMAFI), publie depuis de nombreuses années sur les questions économiques et financières. Face aux crises successives, l’auteur s’interroge sur la morale et l’éthique en ces domaines. Si économie et finance sont au service de l’homme cela ne signifie-t-il pas que c’est au nom d’une certaine « conception du bien, et donc une forme de morale et d’éthique ? » Bien connu dans les milieux chrétiens, l’auteur aborde dans un ultime chapitre les questions de la gratuité Page 2 - & théologie no 16 – Avril 2016 et du don en économie et finance. Sans l’écrire, la référence aux développements indiqués par le pape Benoît XVI dans l’encyclique Caritas in veritate est évidente. Une mise en pratique séculière, en quelque sorte ! Édouard TETREAU, Au-delà du mur de l’argent, Paris, Stock, 2015, 195 p. L’épigraphe de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium du pape François indique clairement l’intention de l’auteur dans cet essai. Conseiller en stratégie d’entreprises et chroniqueur au quotidien Les Échos, il dresse les causes de l’exclusion économique d’un nombre de plus en plus grand de personnes : la mondialisation, la numérisation et la financiarisation. S’appuyant sur l’enseignement social de l’Église, l’auteur s’interroge sur l’échec de ce que beaucoup considèrent comme la troisième voie. Décrivant les coulisses du voyage du pape François à l’ONU à New York en 2015, l’auteur appelle de ses vœux dans un ultime chapitre à « organiser un Bretton Woods des sociétés civiles et religieuses » pour proposer une réforme financière mondiale. Il s’agit, comme l’indique la quatrième de couverture, « Au-delà des idéologies, au-delà du mur de l’argent, au-delà de la prochaine crise financière mondiale, [de] remettre l’homme au centre. » Marc FEIX Nouvelles de la faculté et autres 8 avril 2016 (10 h-16 h): Journée d'études avec Raymond Massé en salle Fustel de Coulanges (Palais universitaire de Strasbourg). Raymond Massé (https://www.ant.ulaval.ca/?pid=87) est professeur à l’Université Laval (Québec) en anthropologie de la santé et en anthropologie de la morale et de l’éthique. Il vient de faire paraître un ouvrage Anthropologie de la morale et de l'éthique (Québec, Éditions les Presses de l'Université Laval, 358 p.) qu’il présentera lors de cette journée centrée sur l’éthique et les moralités dans leurs diverses déclinaisons culturelles et historiques, traduites en normes et valeurs qui, à la fois, expriment les conceptions locales du Bien et encadrent les pratiques pour en assurer la conformité morale. (voir http://ed.theologie.unistra.fr/agenda/evenement/article/une-journee-avec-raymondmasse/). Entrée libre, inscription ([email protected]) 20 avril 2016 : (8 h 45-17 h 30) : Journée d'études sur le thème : Liberté-SécuritéSurveillance, au Collège doctoral européen (46 boulevard de la victoire, 67000 Strasbourg). Les concepts de liberté-sécurité et les représentations que nous avons du terrorisme seront explorés d’abord sous l’aspect philosophique et sociologique, puis sur un plan plus pratique. Par exemple comment concilier in concreto liberté et sécurité sur Internet, dans l’espace public ? Comment gérer la tension entre état d’urgence et démocratie ? Que deviennent ces concepts face au pluralisme de nos sociétés ? (voir http://ed.theologie.unistra.fr/agenda/evenement/article/journee-detudes-liberte-securitesurveillance/ ) Entrée libre, inscription ([email protected]) 14-16 avril 2016 à Lourdes : Colloque Espérance et Vie pour les veufs/veuves : http://www.esperanceetvie.com/index.php?critere=agenda (avec une intervention de M.-J. Thiel le vendredi 15 avril). Lundi 25 avril 2016, 14 h en salle Fustel de Coulanges : inauguration du portrait restauré de M. Louis Canet, qui joua un grand rôle dans le maintien de la faculté de théologie catholique comme faculté d’État (1923-1924), en présence de son lointain successeur, M. Peaucelle. Page 3 - & théologie no 16 – Avril 2016 Du 1er au 15 mai 2016 en l’église Saint-Maurice, place Arnold à Strasbourg : la faculté de théologie catholique est partenaire de l’exposition, sous le haut patronage du Parlement européen, « Franz Stock (1904-1948) précurseur de la réconciliation franco-allemande ». De l’enfance à l’aumônier de l’enfer durant la Deuxième Guerre mondiale, puis le Séminaire des barbelés à la Libération, une trentaine de panneaux explicatifs ainsi que des objets personnels retraceront la vie de Franz Stock. Programme détaillé des conférences et concert sur le site : www.paroisse-maurice-bernard.eu 91e session des Semaines Sociales de France, Ensemble, l’éducation. Nouveau format : une période participative de mars à octobre 2016 pour contribuer, débattre et participer, suivie de deux jours de session à Paris (19-20 novembre 2016). Trois thématiques en débat : l’éducation, entre exclusion sociale et réussite ; l’éducation, apprendre à vivre en société ; éducation et vie professionnelle. Renseignements : www.ssf-fr.org. Voici le code d’intégration dans la Newsletter d’une petite vidéo de présentation de la démarche des SSF : <iframe width="360" height="202" src="https://www.youtube.com/embed/rmp9Ha0XAgc" frameborder="0" allowfullscreen></iframe> Voici l’adresse pour visionner la vidéo à part : https://youtu.be/rmp9Ha0XAgc Jeudi 24 et vendredi 25 novembre 2016 : à l’occasion du 80e anniversaire du Pr. Heinrich Pompey, journées d’études à la Faculté de théologie de Fribourg-en-Brisgau sur le thème Théologie de la charité. Fondements et perspectives d’une théologie du service. L’exercice de la charité dans ses différentes manifestations (soins médicaux, accompagnement psychologique, œuvres de solidarité…) sera réfléchi selon l’ensemble des dimensions théologiques et éthiques, pour ne pas opposer les dimensions individuelles et sociales du salut, mais pour en manifester les dimensions existentielles et spirituelles. Le colloque AETC Strasbourg 2017 en lien avec la faculté de théologie catholique se déroule pour la première fois en France. Du 30 août au 2 septembre 2017, il réunira plus de 200 théologiens de toute l’Europe sur le thème Philadelphia : le défi de la fraternité. Deux appels à contribution seront lancés à l’automne 2016 : un spécifique aux juniors (doctorants et postdoctorants) et un autre pour les ateliers durant le colloque lui-même. Contact : Marie-Jo Thiel, [email protected] Journée d’études le 19 avril 2016 organisée par l’IPR : « Changer nos regards sur la mission. A partir de quels terrains ? Pour quelles finalités ? Programme disponible sur http://theocatho.unistra.fr/maj/2015/Journ%C3%A9e_d%C3%A9tudes_19_avril_2016_Mme _AULENBACHER.pdf Journée d’études le 29 avril 2016 : « 1ère Journée sur l’Histoire de la Théologie Chrétienne de l’Antiquité au Moyen-Âge. Programme disponible sur http://theocatho.unistra.fr/maj/2015/I%C3%A8re_Journ%C3%A8e_d%C3%A9tudes_histoire _de_la_th%C3%A9ologie_pr%C3%A9sentation.pdf Page 4 - & théologie no 16 – Avril 2016