cognition sociale dans le trouble bipolaire chez le sujet age etude

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HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1
FACULTE DE MEDECINE LYON EST
2014 N°
COGNITION SOCIALE
DANS LE TROUBLE BIPOLAIRE CHEZ LE SUJET ÂGÉ.
ETUDE DES CAPACITES D’IDENTIFICATION DES EMOTIONS FACIALES
THESE
Présentée
A l’Université Claude Bernard Lyon 1
et soutenue publiquement le 14 octobre 2014
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Mathieu HERRMANN
Né le 17 juillet 1986 à Strasbourg
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1
FACULTE DE MEDECINE LYON EST
2014 N°192
COGNITION SOCIALE
DANS LE TROUBLE BIPOLAIRE CHEZ LE SUJET ÂGÉ.
ETUDE DES CAPACITES D’IDENTIFICATION DES EMOTIONS FACIALES
THESE
Présentée
A l’Université Claude Bernard Lyon 1
et soutenue publiquement le 14 octobre 2014
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Mathieu HERRMANN
Né le 17 juillet 1986 à Strasbourg
HERRMANN
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Serment d'Hippocrate
Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l'exercice de la
Médecine.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination.
J'interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou
leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les
lois de l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.
Je ne tromperai jamais leur confiance.
Je donnerai mes soins à l'indigent et je n'exigerai pas un salaire au-dessus de mon travail.
Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma
conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni ne
provoquerai délibérément la mort.
Je préserverai l'indépendance nécessaire et je n'entreprendrai rien qui dépasse mes
compétences. Je perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission.
Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois
couvert d'opprobre et méprisé si j'y manque.
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Dédicaces et Remerciements
A Monsieur le Professeur Thierry D’Amato
Vous me faites l’honneur de présider le jury de thèse et vous m’avez accordé votre confiance
pour mes premières responsabilités post-internat. Veuillez trouver ici le témoignage de ma
gratitude.
A Monsieur le Professeur Pierre Krolak-Salmon
Votre participation à ce jury est un honneur pour moi et je vous remercie de juger ce travail
alliant à la psychiatrie des aspects de gériatrie et de neurosciences. Merci pour les conseils
et pour ce dialogue indispensable entre psychiatrie de la personne âgée et les disciplines
médicales que vous représentez.
A Monsieur le Professeur Nicolas Franck
Je suis particulièrement honoré de votre présence dans ce jury. Je vous remercie
grandement pour votre enseignement et votre confiance lors de mon passage dans votre
service. La réhabilitation aura été une vraie découverte pour repenser la pathologie et le
soin en général.
A Monsieur le Docteur Jean-Michel Dorey
Merci pour m’avoir permis de partager l’aventure de cette étude et celles à venir. Tes
encouragements, tes conseils et tes retours ont été essentiels pour ce travail et le seront
pour ma pratique prochaine. C’est parti pour deux nouvelles années !
A Madame Catherine Padovan, Docteur en psychologie, neuropsychologue
Merci pour ces nombreux conseils et l’aide inestimable apportée à ce travail. Les longues
heures à parcourir et reprendre les données, m’expliquer des bases de statistiques, de
méthodologie et de neuropsychologie n’auront pas été vaines (enfin, j’espère !).
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(CC BY-NC-ND 2.0)
A tous ceux qui m’ont permis de me former et d’avancer dans la clinique et les soins, en
plus de partager de bons moments ! Les nombreuses approches ont été autant de
découvertes, toutes plus intéressantes les unes que les autres.
En particulier à Marion, Claude, Blandine, Anne-Laure, Nora et Brice. J’espère pouvoir être un
aussi bon « jeune psychiatre » que vous et pouvoir apporter autant aux internes que je
croiserai !
Ainsi qu’à Véronique, Florence, Jean-Michel et Françoise pour m’avoir fait découvrir la
gérontopsychiatrie (ou psychiatrie de la personne âgée, ou tout autre terme que l’on voudra
bien y apposer).
A toutes les équipes paramédicales sans lesquelles on ne pourrait grand-chose, chacun avec
leurs compétences spécifiques et leur bienveillance indispensable. A l’équipe du SUR pour
avoir éveillé un intérêt plus poussé envers la cognition sociale (entre autres !). Et bien sûr à
toute l’équipe du Z53 !
A tous ceux avec qui j’ai partagé l’apprentissage de cet Art, que ce soit à Strasbourg ou
à Lyon (voire les deux), déjà « Docteur » ou en devenir.
A mes parents, mes sœurs, ma famille et à mes amis. Les remerciements les plus courts
mais les plus forts !
Et à Aude. Tout simplement.
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HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Table des matières
Abréviations ............................................................................................................................. 15
Introduction.............................................................................................................................. 16
Première Partie : Cognition sociale et évolution du trouble bipolaire. Revue de la
littérature
1. La cognition sociale ........................................................................................................... 19
1.1.
Généralités et hypothèses physiologiques ................................................................ 19
1.1.1.
Définition de la cognition sociale ....................................................................... 19
1.1.2.
Aspects historiques ............................................................................................ 20
1.1.3.
Rôle de la cognition sociale ................................................................................ 21
1.1.4.
Principaux aspects de la cognition sociale ......................................................... 22
1.1.5.
Lien entre cognition sociale et d’autres aspects cognitifs ................................. 36
1.2.
Cognition sociale et vieillissement ............................................................................ 40
1.2.1.
Cognition sociale et vieillissement normal ........................................................ 41
1.2.2.
Apport des pathologies neurodégénératives ..................................................... 42
1.3.
Cognition sociale et trouble bipolaire ....................................................................... 44
1.3.1.
Perception des émotions faciales ...................................................................... 45
1.3.2.
Théorie de l’esprit .............................................................................................. 53
1.3.3.
Limites méthodologiques, facteurs confondants et fonctions exécutives ........ 58
1.3.4.
Impact clinique et social ..................................................................................... 59
1.3.5.
Aspects thérapeutiques...................................................................................... 62
1.3.6.
Chez la personne âgée avec trouble bipolaire ................................................... 63
2. Evolution du trouble bipolaire chez la personne âgée ..................................................... 64
2.1.
Modifications cliniques .............................................................................................. 64
2.1.1.
Hétérogénéité clinique du trouble bipolaire...................................................... 64
2.1.2.
Hétérogénéité de l’évolution ............................................................................. 67
2.2.
Modifications cognitives ............................................................................................ 70
2.2.1.
Symptômes cognitifs dans le trouble bipolaire .................................................. 70
2.2.2.
Déclin cognitif et évolution démentielle ............................................................ 71
2.3.
Facteurs influençant l’évolution du trouble bipolaire ............................................... 73
2.3.1.
Toxiques et comorbidités addictives .................................................................. 73
2.3.2.
Impact des traitements ...................................................................................... 73
2.3.3.
Facteurs psychosociaux ...................................................................................... 74
12
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
2.3.4.
Symptômes résiduels ......................................................................................... 74
Deuxième Partie : Etude des capacités d'identification des expressions faciales
émotionnelles
1. Comparaison des capacités d’identification des sujets bipolaires âgés et de sujets
témoins..................................................................................................................................... 77
1.1.
Introduction ............................................................................................................... 77
1.2.
Matériel et méthodes ................................................................................................ 78
1.2.1.
Participants......................................................................................................... 78
1.2.2.
Paradigmes expérimentaux................................................................................ 79
1.3.
Résultats .................................................................................................................... 80
1.3.1.
Caractéristiques de la population ...................................................................... 80
1.3.2. Analyse de la variance des tâches de détection du genre et de reconnaissance
des expressions faciales émotionnelles ............................................................................ 83
1.3.3.
Analyses de corrélation pour le groupe bipolaire .............................................. 85
2. Discussion générale ........................................................................................................... 87
2.1.
Corrélations avec les fonctions neurocognitives ....................................................... 90
2.2.
Corrélations avec les aspects cliniques ..................................................................... 90
2.3.
Limites ........................................................................................................................ 91
2.4. Apport de la cognition sociale dans l’évolution du trouble bipolaire et
retentissement sur le fonctionnement psychosocial ........................................................... 92
Conclusions............................................................................................................................... 95
Annexes .................................................................................................................................... 98
Annexe 1 : Critères DSM 5 des Troubles Bipolaires ............................................................. 98
Annexe 2 : Critères CIM-10 du Trouble Bipolaire ............................................................... 100
Bibliographie .......................................................................................................................... 101
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HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Illustrations
Figure 1 : Modèle des systèmes neuronaux en jeu dans la perception des visages par Haxby et
al. (2000) _________________________________________________________________ 25
Figure 2 : Structures cérébrales impliquées dans la reconnaissance des émotions faciales _ 28
Figure 3 : Schéma des processus d'analyse des expressions faciales en fonction du temps __ 32
Figure 4 - Organisation anatomofonctionnelle du rôle de la MSA dans les émotions ______ 38
Figure 5 : Graphique en forêt des différences des moyennes standardisées entre patients
bipolaires et patients contrôle dans la reconnaissance des émotions faciales____________ 46
Figure 6 : Graphique en forêt des différences des moyennes standardisées entre patients
bipolaires et patients contrôle en ToM __________________________________________ 53
Figure 7 : Exemple des expressions faciales émotionnelles présentées _________________ 79
Figure 8 : Exemple de morphing du genre masculin de 0% à 100% ____________________ 80
Figure 9 : Reconnaissance des émotions faciales chez les sujets âgés __________________ 85
Tableaux
Tableau 1 : Principales études explorant la perception des émotions faciales dans le trouble
bipolaire en phase euthymique, chez l’adulte .......................................................................... 52
Tableau 2: Principales études explorant la ToM dans le trouble bipolaire en phase
euthymique de l’adulte ............................................................................................................. 57
Tableau 3 : Sous-types de troubles bipolaires .......................................................................... 66
Tableau 4 : Caractéristiques démographiques, cliniques et neuropsychologiques .................. 82
Tableau 5 : Pharmacothérapies ............................................................................................... 83
Tableau 6 : Comparaison de la reconnaissance des émotions faciales dans les deux groupes
de sujets âgés ........................................................................................................................... 85
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HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Abréviations
CCA : Cortex cingulaire antérieur
CIM-10 : Classification internationale des maladies 10ème édition
COF : Cortex orbitofrontal
CPF : Cortex préfrontal
CS : Cognition sociale
DFT : Démence fronto-temporale
DSM : Diagnostic and statistical manual of mental disorders
EGF : Evaluation Globale du Fonctionnement
FAST : Functioning Assessment Short Test
IRMf : imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle
MADRS : Montgomery and Asberg Depression Rating Scale
MASC : Movie for Assessment of Social Cognition
MCI : Mild cognitive impairment
OMS : Organisation mondiale de la santé
REF : Reconnaissance des émotions faciales
RMET : Reading the mind in the eyes test
SNA : système nerveux autonome
STS : Sillon temporal supérieur
TB : trouble bipolaire
ToM : Theory of Mind (Théorie de l’esprit)
WHOQOL-BREF : World Health Organization Quality of Life-BREF
YMRS : Young Mania Rating Scale
15
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Introduction
Avec la schizophrénie, le trouble bipolaire est une des pathologies les plus emblématiques
de la psychiatrie, en particulier si on prend en compte la fameuse dichotomie kraepelinienne
des « psychoses chroniques ».
Le, ou plutôt les troubles bipolaires, représente un problème majeur de santé publique,
et ce au niveau mondial. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime ainsi qu’ils
représentent le 6ème « fléau mondial » en termes d’années de vies perdues ou vécues avec un
handicap1, avec notamment un risque suicidaire majeur et un retentissement fonctionnel
important.
Le trouble bipolaire peut se présenter sous des formes et des tableaux cliniques très
variés et variables entre différents individus mais aussi chez une même personne. La clinique
psychiatrique classique, déjà complexe est ainsi très sollicitée et le diagnostic précis, ardu.
Plusieurs approches s’intéressent à compléter cette clinique, soit dans un but diagnostique
comme l’imagerie et les explorations fonctionnelles et biologiques, sans grands résultats pour
l’instant, soit pour permettre une description fine des troubles inhérents et associés à visée
pronostique
ou
pour adapter des thérapeutiques. Parmi
ces approches celle
neuropsychologique s’est particulièrement développée avec des implications dans la prise en
charge des patients au quotidien.
Les données actuelles de la science permettent d’évoquer la présence de troubles
cognitifs tant lors des phases aiguës, maniaques ou dépressives, que lors des phases
euthymiques. L’intensité de ces troubles est extrêmement variable en fonction de ces phases
mais aussi de manière interindividuelle, alimentant la diversité à l’intérieur du groupe des
troubles bipolaires.
Certains travaux s’intéressent au domaine encore plus spécifique de la cognition sociale,
tentant de décrire et comprendre certains soubassements des relations sociales et
interpersonnelles.
Pathologie de l’humeur et des émotions, le trouble bipolaire interroge notamment sur
l’importance du lien entre émotions et cognition sociale, ainsi que sur le rôle de cette dernière
16
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
dans les troubles du comportement en situation sociale. Cette question se pose aussi de
manière globale lors des phases euthymiques, de plus en plus étudiées.
L’espérance de vie augmentant en population générale, mais aussi chez les personnes
souffrant de troubles bipolaires, se pose la question de l’évolution de ces troubles avec l’âge.
L’hétérogénéité et la pluralité des présentations cliniques paraissent être encore plus
marquées à travers le prisme du vieillissement. Cela semble particulièrement vrai en ce qui
concerne les aspects neurocognitifs. Un certain nombre de patients vont ainsi présenter un
tableau caractérisé par des troubles cognitifs et comportementaux, sans qu’ils ne puissent
être expliqués par une pathologie de type maladie d’Alzheimer ou apparentées. Ainsi par
exemple un tableau marqué par une apathie est parfois retrouvé avec un retentissement
fonctionnel sur la vie sociale au quotidien. En effet, les études s’intéressant aux troubles en
cognition sociale dans la maladie bipolaire évoquent, fréquemment, l’implication
fonctionnelle que ceux-ci pourraient avoir sur l’autonomie du patient.
A ce jour, il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux concernant la cognition sociale
dans le trouble bipolaire chez la personne âgée. Or il pourrait être intéressant d’explorer ce
nouvel axe dans cette population particulière, dans l’hypothèse où ces troubles pourraient
influer sur le fonctionnement psychosocial.
C’est ainsi que dans un premier temps, sous forme d’une revue de la littérature, nous
tenterons d’exposer les bases de la cognition sociale en règle générale puis, plus
particulièrement dans le trouble bipolaire. Nous nous intéresserons ensuite à l’évolution du
trouble bipolaire au cours du vieillissement ainsi qu’à son caractère hétérogène.
Dans un deuxième temps, nous présenterons les résultats d’une étude des capacités en
identification des émotions faciales de sujets âgés présentant un trouble bipolaire, comparé
à des sujets témoins. Nous discuterons ensuite ces résultats à l’aune des données chez les
sujets adultes jeunes présentant aussi un trouble bipolaire.
17
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Première Partie :
Cognition sociale et évolution
du trouble bipolaire.
Revue de la littérature
18
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1. La cognition sociale
1.1.
Généralités et hypothèses physiologiques
1.1.1. Définition de la cognition sociale
Le terme de cognition sociale (CS) peut regrouper une variété importante de concepts.
Tentons dans un premier temps de définir ce qui est devenu un domaine particulier dans le
champ des neurosciences, mais qui fait aussi appel à de nombreuses disciplines connexes dans
un dialogue avec des domaines de recherches comme la psychologie sociale, l’anthropologie,
l’éthologie et la philosophie.2
De manière générale, le terme de cognition désigne l’ensemble des processus mentaux
associés à la pensée. Il comprend des notions aussi diverses que l’intégration des différents
types de perception, l’attention, le langage, la mémoire, la planification, le jugement, la
communication, la capacité à généraliser et bien d’autres encore.
De manière générale, la CS renvoie aux mécanismes qui permettent les interactions entre
les individus d’une même espèce, en particulier les comportements sociaux divers et variés
que l’on retrouve notamment chez les primates3. L’Etre Humain partage avec de nombreuses
espèces animales la capacité de présenter des signaux particuliers comme les expressions
faciales et la posture du corps. Ces signaux, complétés dans certains cas par le langage, ont
une implication sur notre perception des émotions d’autrui, voire même, sur celles de
membres d’espèces différentes4. Certains de ces processus se retrouvent donc de manière
interspécifique, mais d’autres plus complexes seraient uniques à l’espèce humaine. Toutefois
les avancées en éthologie réduisent progressivement le nombre de ce qui paraissait être des
singularités humaines. La majorité de ces processus interviendraient de manière automatique,
d’autres, au contraire, nécessitent un traitement supérieur de l’information avec une action
et un contrôle plus conscient4. Ceux-ci seraient les plus spécifiques à l’espèce humaine.
L’ensemble de ces mécanismes pourraient avoir permis le développement du langage, et de
manière plus générale la culture, au sens global de ce qui est partagé et caractérise une société
ou un groupe social, selon la définition de l’UNESCO5.
Plusieurs fonctions cognitives et compétences particulières ont pu être définies et
regroupées sous le terme générique de CS. Ainsi on peut distinguer l’expression des émotions
(via le visage, la posture ou les caractéristiques du langage), l’attribution des états mentaux et
19
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
des intentions d’autrui (définie sous le terme de théorie de l’esprit), l’empathie, la
connaissance et l’intégration d’indicateurs sociaux en fonction du contexte, mais aussi le
contrôle des impulsions engendrant les capacités de comportement dans les relations
interpersonnelles et dans la société en général.
1.1.2. Aspects historiques
Si l’on constate un engouement important depuis les années 1990 puis 2000 on peut faire
remonter un intérêt scientifique à Charles Darwin qui publia en 1872 The Expression of the
Emotions in Man and Animals6. Cet ouvrage, bien que moins connu et moins révolutionnaire
que On the Origin of Species, fut populaire en son temps et un des premiers livres à inclure
des photographies. C. Darwin y étudie l’expression et le rôle des émotions dans différentes
espèces animales et chez l’Homme, notamment, grâce à une documentation acquise auprès
de relais dans le monde entier (photographies d’enfants, d’acteurs, questionnaires
concernant l’expression des émotions dans différentes cultures,…). Il y développe l’idée d’une
origine commune de la gestuelle et des émotions faciales et indique la nature universelle de
celles-ci, chez l’Homme, mais aussi chez ses proches cousins simiens.
De
manière
plus
anecdotique
Guillaume-Benjamin
Duchenne
utilisera
l’électrostimulation faciale et identifiera le sourire feint du sourire authentique (ou « sourire
de Duchenne », nécessitant la contraction du muscle orbiculaire de l’œil)7.
C’est dans le domaine de l’éthologie et en particulier de l’étude des primates qu’émergera
le concept et le terme de théorie de l’esprit (Theory of Mind, souvent abrégé par l’acronyme
ToM) dans un article de 1978 de D. Premack et G. Woodruf intitulé Does the chimpanzee have
a theory of mind? 8.
La « révolution » cognitiviste à partir des années cinquante et soixante et la psychologie
sociale permettront à l’intérêt porté à ce domaine de se développer et c’est ainsi
qu’apparaitra le terme de cognition sociale.
Par la suite l’essor des neurosciences jouera un rôle important dans le développement de
ces travaux. Des auteurs comme Damasio, Baron-Cohen, Frith et bien d’autres populariseront
alors ce domaine.
L’intérêt dans le champ de la psychiatrie, en dehors de l’autisme, ne se développera
toutefois que plus tardivement. Et c’est à partir des années 2000 que des études
20
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
commenceront à émerger concernant la schizophrénie puis bien plus récemment les troubles
de l’humeur.
1.1.3. Rôle de la cognition sociale
Comme indiqué précédemment les cognitions sociales permettent les interactions avec
autrui, ce qui joue un rôle essentiel pour la survie et, dans nos sociétés actuelles, pour la
qualité de vie.
Frith et Frith décrivent trois grands rôles remplis par ces cognitions4.
Premièrement, elles permettent d’acquérir des connaissances sur le monde extérieur à
travers l’expérience des autres, sans avoir à l’expérimenter directement. De manière primaire
on peut par exemple évoquer la reconnaissance du dégoût comme permettant une attitude
aversive face à un aliment non-comestible. Ou bien la reconnaissance d’une attitude de peur
ou d’inquiétude (via l’expression du visage, mais aussi la posture) peut être comprise comme
annonciatrice d’un danger.
Secondairement elles permettent d’en apprendre sur les autres personnes, prédire ce que
sont les personnes et quel pourra être leur comportement et leur réactions. 9 Frith et Frith
décrivent, par exemple, qu’un jugement de confiance est attribué extrêmement rapidement
à l’observation d’un visage. En effet dans une expérience les sujets pouvaient juger « digne de
confiance » un visage après seulement 100 milliseconde d’observation. Et ce jugement ne se
modifie pas avec un temps d’observation plus long10. Toutefois cela pourra ensuite évoluer
grâce aux interactions directes et à l’attribution d’intention.
Enfin elles permettent de créer un monde partagé en construisant une culture, une vision
du monde commune et un référentiel social qui permet un partage des tâches dans une
certaine complémentarité. Ce qui passe par des processus conscients mais aussi par d’autres
plus automatiques. Ainsi pour le langage on retrouvera des interjections pour montrer son
attention et inciter à la poursuite du discours (« hum », « ah »). Les regards permettent
d’orienter la prise de parole. Enfin il a été observé un processus d’imitations au niveau du
langage avec l’utilisation d’une syntaxe et d’un vocabulaire de plus en plus commun aux
participants.
De nombreuses difficultés se retrouvent au quotidien dans certaines pathologies où des
domaines de la CS peuvent être particulièrement atteints. Ainsi Damasio dans L’erreur de
21
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Descartes décrit plusieurs cas de lésions cérébrales ayant entraîné des déficits dans les CS et
le comportement en résultant, comme le fameux exemple de Phineas Gage11.
Les hypothèses et les travaux sont aussi nombreux concernant le lien entre CS et
pathologies psychiatriques. Ainsi dans le domaine de l’autisme, avec les travaux de BaronCohen et l’hypothèse d’un déficit en ToM qui aurait un impact sur certains symptômes
cardinaux de cette pathologie12. Toutefois des hypothèses plus récentes évoqueraient plutôt
un déficit du caractère motivationnel ou gratifiant des interactions sociales, sans qu’il n’y ait
de difficulté de représentation des états mentaux d’autrui (théorie de la motivation sociale) 13
Les troubles de la CS dans la schizophrénie font actuellement l’objet d’intenses recherches.
Des méta-analyses comme celle de Bora et al14 font notamment état d’une baisse des
performances en ToM. Ces troubles en CS contribueraient de manière importante au handicap
social des patients, même si cela est complexe à mettre en évidence d’un point de vue
méthodologique du fait des multiples variables à prendre en compte 13, 15. Une méta-analyse
de Fett et al16 évoque tout de même une contribution plus importante de la CS (dans un sens
plus large que la seule ToM) par rapport à la cognition non sociale quant au statut fonctionnel
des sujets souffrant d’une schizophrénie.
L’atteinte de la CS est aussi étudiée comme une hypothèse psychopathologique possible
de certains symptômes de la schizophrénie. Ainsi un trouble en CS et plus particulièrement en
ToM pourrait entraîner des difficultés d’ajustement comportemental, mental et verbal dans
la communication avec autrui (anomalies dans la pragmatique du langage) et ainsi être à
l’origine de symptômes comme l’hermétisme ou la bizarrerie du contact17. Pour Georgieff et
Jeannerod, délires et hallucinations pourraient résulter d’un trouble de la conscience de soi
différenciée d’autrui, soit de la ToM réflexive, ce que l’on peut observer via une difficulté
d’attribution de l’agentivité. Enfin un déficit dans l’anticipation de l’activité psychique d’autrui
pourrait être à l’origine d’une altération de l’organisation et de la production de l’activité
mentale et du langage et ainsi entraîner les anomalies du langage, de la pensée et de l’accès
au symbolique que l’on peut retrouver dans cette pathologie 17.
1.1.4. Principaux aspects de la cognition sociale
Le fonctionnement global de la CS est particulièrement complexe, impliquant de
nombreux mécanismes selon des voies parallèles et avec de nombreuses rétroactions, et
22
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
prenant en compte des stimuli multiples, à la fois internes et externes. Identifier précisément
les différentes structures en jeux est une tâche d’autant plus ardue qu’il existe une certaine
redondance, mais aussi du fait de la plasticité cérébrale, comme on peut le voir chez des
patients avec des lésions cérébrales2. Toutefois on peut différencier, de manière plus ou moins
arbitraires, différentes catégories, avec un traitement d’informations de complexité variable.
Deux grands domaines de la CS peuvent plus particulièrement être identifiés et sont présents
de manière importante dans les études. Nous décrirons ainsi plus précisément la perception
des émotions et plus spécifiquement la reconnaissance des expressions faciales, ainsi que la
ToM. Nous nous attarderons aussi sur les hypothèses concernant les mécanismes sous-jacents
ainsi que les modalités d’évaluation les plus fréquemment utilisées.
D’autres composants de la CS existent et peuvent être impliqués dans des aspects
pathologiques, notamment dans la schizophrénie. Evoquons ainsi le style attributionnel et les
biais inhérents, les perceptions sociales et les connaissances sociales qui sont avec la ToM et
la perception des émotions les cinq domaines délimités par le National Institute of Mental
Health18. Toutefois cette catégorisation, bien qu’utile, reste arbitraire et certains aspects se
recouvrent.
1.1.4.1.
Reconnaissance des visages et perception des émotions faciales
1.1.4.1.1.
Généralités
Le visage joue un rôle considérable dans les interactions et la connaissance sociale
d’autrui. Il est notamment un des déterminants les plus importants dans l’identification de la
personne, permettant d’accéder aux différentes informations sémantiques et épisodiques en
lien. Le visage donne de très nombreuses informations sociales et reconnaître le genre, l’âge,
l’origine ethnique permet aussi de catégoriser les identités et d’évoquer des hypothèses,
même si la personne est inconnue. Ainsi de nombreuses inférences vont être réalisées
concernant l’attractivité, le caractère cordial ou menaçant, la confiance ou la méfiance, les
compétences, les intentions. Quant à la communication verbale, l’observation du visage
permet de faciliter la compréhension auditive via la lecture labiale. Le visage d’autrui permet
aussi d’obtenir des informations sur l’environnement, notamment en dirigeant l’attention
vers des objets ou des évènements regardés par d’autres. Enfin il possède un rôle important
23
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
dans la communication non verbale, en particulier grâce à l’expression et à la reconnaissance
des émotions.19
Cette importance dans de nombreux domaines pouvant avoir un rôle évolutif majeur fait
que la perception du visage est probablement une des habilités visuelles les plus développées
chez l’être humain. Les capacités de traitement de l’information faciale sont ainsi fiables et
très rapides comme l’indiquent de nombreuses études. En moins d’une seconde on peut
identifier une personne, son sexe et inférer un état émotionnel. Des visages présentés de
manière subliminales peuvent influencer des réactions ultérieures 19,20.
Nous nous intéresserons tout d’abord aux mécanismes de reconnaissance des visages et
d’identité, puis à ceux prenant en compte la direction du regard pour enfin évoquer plus avant
la perception des émotions faciales et les articulations entre ces différents domaines.
1.1.4.1.2.
1.1.4.1.2.1.
Hypothèses neuroanatomiques et neurofonctionnelles
Reconnaissance des visages
La reconnaissance des visages intervient très tôt dans le développement, puisque dès la
naissance le nouveau-né se tourne préférentiellement vers des stimuli ayant des formes de
visages, probablement grâce à des voies subcorticales20.
Deux voies paraissent entrer en jeu pour le traitement des visages19 :
-
Une voie configurale : voie qui serait spécifique aux visages. Les informations
configurales jouent un rôle majeur dans la reconnaissance des visages et l’Homme est
capable de distinguer des variations très fines de distance entre les yeux, le nez et la
bouche, de l’ordre d’une minute d’angle visuel. Des expériences de manipulation de
ces distances entre les traits ou de renversement des visages permettent de mettre
en évidence cette importance des informations configurales. L’hypothèse d’un
traitement holistique est aussi mise en avant, prenant en compte l’importance des
traits, non pas de manière isolée mais s’intégrant dans une représentation globale où
les relations entre les différents traits sont inclus19. Cela explique notamment en quoi
la perception d’un visage peut être induite par un pattern visuel particulier évoquant
la configuration d’un visage, comme les peintures d’Arcimboldo, par exemple.
-
Une voie componentielle : voie non spécifique permettant un traitement basé sur les
composants (traits faciaux isolés par exemple) et qui serait impliquée dans le
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HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
traitement des visages à l’endroit, à l’envers, des traits isolés mais aussi d’autres
objets.
Le traitement configural ne se restreindrait toutefois pas uniquement aux visages mais
serait impliqué dans les activités nécessitant une expertise visuelle particulière (oiseaux,
chiens,…). Par contre chacun est expert en reconnaissance des visages, en partie du fait de la
longue période d’expositions répétées.
Cette expertise visuelle met en jeu le gyrus fusiforme latéral (GF), aussi nommé aire
fusiforme de la face, qui permet de traiter les aspects statiques du visage et donc l’identité
d’autrui. Les informations sémantiques, biographiques et la familiarité seraient liées aux aires
temporales antérieures (dont la partie antérieure du gyrus temporal moyen)21.
Haxby décrit un modèle des systèmes neuronaux humains impliqués dans la perception
des visages, dans lequel sont identifiés deux systèmes en fonction du traitement d’aspects
invariants ou changeants du visage.22
Figure 1 : Modèle des systèmes neuronaux en jeu dans la perception des visages par Haxby et al. (2000). Repris
de l'article de Krolak-Salmon et al (2006) 23
Au sein du système central le gyrus fusiforme est associé aux gyri occipitaux inférieurs et
au sillon temporal supérieur (STS). Ce dernier joue un rôle important dans la prise en compte
des mouvements biologiques, dont les composants dynamiques du visage comme la
25
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
perception du regard et des mouvements des lèvres. Notons qu’il est aussi activé lors de la
vision de visages immobiles, possiblement dans l’hypothèse d’un mouvement potentiel ou
dans l’évaluation d’aspects changeants du visage avec le mouvement. Ces trois régions du
cortex visuel extrastrié bilatéral, permettent ainsi de construire une représentation détaillée
du visage en environ 170 millisecondes24.
Le système étendu regroupe des régions intervenant aussi dans d’autres fonctions
cognitives permettant d’extraire un sens aux informations récoltées. Nous détaillerons le lien
avec les processus émotionnels par la suite.
1.1.4.1.2.2.
Direction du regard
La zone englobant les yeux et le pourtour de ceux-ci joue un rôle particulièrement
important, et ce pour tous les aspects de la communication sociale. Cette importance capitale
pour l’être social qu’est l’Homme est d’ailleurs renforcée par des modifications
morphologiques qui favorisent la lecture de cette zone et qui sont allés de pair avec les
modifications cérébrales en lien avec l’émergence de la CS25.
Face à un visage le regard s’oriente très rapidement vers les yeux et c’est la zone du visage
qui est le plus longtemps examinée, peu importe la tâche d’identification demandée. Ce qui
est encore plus prononcé pour les visages familiers26.
Cette zone pourrait être parmi celles qui varient le plus de manière interindividuelle, ce
qui permet notamment de reconnaître le genre ainsi que l’identité de la personne. De même,
il est possible d’identifier une émotion sur la base de modifications fines de la région oculaire,
que ce soit les émotions de base, ou des états psychiques plus complexes, mettant en jeu la
ToM et jouant un rôle important dans la communication non-verbale26.
Prendre en compte le regard d’autrui revêt une importance particulière pour le
monitoring des interactions sociales ainsi que pour diriger son attention, ou identifier des
sources potentielles de menaces.
D’un point de vue phylogénétique la détection de la direction du regard est plus primaire
que les processus d’attention conjointe, se retrouvant notamment chez les serpents et les
poulets. L’attention conjointe n’est présente que chez les grands singes. Chez le nourrisson on
peut observer des regards conjoints dès le sixième mois 21. Chez l’Homme, le regard direct a
évolué, passant d’un signal de danger à un stimulus pouvant favoriser les comportements
26
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
d’approche. Il favoriserait d’ailleurs la reconnaissance des émotions dites d’approches (joie)
alors qu’à l’inverse, un regard évitant favorise la perception des émotions de retrait (peur,
tristesse), notamment lorsque les expressions sont difficiles à reconnaître26.
Un regard direct est un prérequis pour les interactions sociales, à l’inverse un regard
détourné informe de l’intérêt de diriger son attention vers l’endroit ou l’objet regardé. Il s’agit
d’un mécanisme d’orientation de l’attention automatique, se déroulant très rapidement
(environ 200 ms) et avec un caractère automatique ou réflexe, qui est toutefois en partie
décrié, et qui serait dans tous les cas modulé par des voies descendantes « top-down »26.
De nombreuses voies neuronales semblent être en jeu pour traiter la direction du regard,
parmi lesquelles on peut noter l’amygdale, le STS, certaines régions temporales comme le GF,
et certaines régions frontales comme le cortex orbitofrontal (COF) et le cortex préfrontal
(CPF).
Certaines difficultés en CS présentées par des patients ayant un trouble du spectre
autistique (TSA) pourraient être liées à une anomalie dans l’examen de la zone oculaire qui
serait moins explorée et à une incapacité à extraire des informations utiles et nécessaires pour
les interactions sociales, sans qu’il n’y ait de déficit, en soi, de l’attention visuelle ou de
l’orientation du regard26. En ce qui concerne la schizophrénie les données sont, là aussi,
parfois contradictoires. Il semblerait qu’il n’y ait pas de déficit dans les capacités de perception
du regard en soi mais, à un niveau supérieur, une distorsion d’une attribution intentionnelle
au regard mettant en jeu la ToM27. D’autres études évoqueraient par contre des difficultés
dans l’identification de la direction du regard, avec une attribution d’un regard direct pour les
regards détournées avec le plus faible angle 2829.
1.1.4.1.2.3.
Perception des émotions faciales
Dans la suite d’Adolphs on peut tenter de séparer les émotions en deux groupes 2 :
-
Les émotions primaires : joie, peur, colère, dégoût, tristesse. Celles-ci apparaîtraient de
manière plus précoce lors du développement et de l’évolution. Leur expression est
comparable dans toutes les cultures30. Il y est fréquemment associé la surprise.
-
Les émotions morales ou sociales : culpabilité, honte, embarras, jalousie, fierté et les
autres états émotionnels dépendant du contexte social. Celles-ci requièrent une
représentation de soi comme membre d’une société. D’un point de vue adaptatif elles
27
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
permettent de réguler les comportements sociaux dans une optique plus globale pour
le groupe et à plus long terme. Bien plus complexes que les émotions de base, on n’a
que peu de connaissances sur leurs bases neuronales.
Comme évoqué précédemment avec le modèle de Haxby21 de nombreuses structures
cérébrales interviennent en collaboration pour la perception des visages, notamment en ce
qui concerne la perception et la reconnaissance des émotions faciales d’autrui. On distingue
ainsi les régions des cortex visuels occipitaux et temporopostérieur dont le GF et le STS mais
aussi les amygdales, les COF, les cortex somatosensoriels et les noyaux gris centraux (Figure
2).
Figure 2 : Structures cérébrales impliquées dans la reconnaissance des émotions faciales.
Sont représentés sous forme d’une reconstruction 3D : les amygdales (jaune), les cortex préfrontaux
ventromédian (rouge), le cortex somatosensoriel droit à savoir S-I, S-II et l’insula (vert). Les ventricules latéraux
sont représentés en bleu.
Reproduit d’après Adolphs (2002)
28
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
L’amygdale peut être sollicitée par des stimuli visuels via deux voies :
-
Une voie corticale passant par les cortex visuels et notamment par le GF via le faisceau
longitudinal inférieur. Les liens entre GF et amygdale sont bidirectionnels et l’activité
du GF peut ainsi être modulée par des informations en provenance de l’amygdale.
L’existence d’un lien bidirectionnel permet une intégration de processus cognitifs et
émotionnel mais aussi de moduler l’allocation de ressources vers une information
sensorielle spécifique, et de coordonner une réponse appropriée. L’amygdale joue un
rôle important dans le monitoring des émotions et lors de la présence de stimuli à
valeur sociale ; la saillance émotionnelle et le circuit de récompense sont ainsi impliqués
dans le développement de l’expertise visuelle. Il faut aussi noter qu’il existe un
phénomène de nouveauté puisque l’activation du GF s’atténue lorsqu’il s’agit de
visages déjà connus. L’amygdale présenterait aussi une activation plus spécifique à
certaines émotions, comme la peur ou les émotions négatives les plus saillantes.
D’un point de vue psychopathologique cela pourrait permettre d’expliquer en partie le
lien entre dérégulation émotionnelle et déficit du traitement des informations
visuelles, en particulier dans la perception des émotions31.
-
Une voie sous-corticale passant notamment par les colliculi supérieurs et les pulvinars
des thalamus. Cette voie est notamment activée lors de la présentation de manière
subliminale de visages exprimant la peur ainsi que dans ce que l’on appelle la « vision
aveugle » (blindsight) où, malgré une lésion du cortex visuel primaire, il persiste une
perception visuelle résiduelle de mouvements et d’expression faciale, en particulier la
peur24. Cette voie sous-corticale rapide serait préférentiellement activée par des stimuli
aversifs afin de permettre une réponse comportementale d’évitement, urgente qui
pourrait toutefois être modulée par le contexte et les motivations via les structures
préfrontales23.
Les études réalisées dans le cadre de lésions amygdaliennes bilatérales mettent en avant
des difficultés majeures à reconnaître la peur et, dans certains cas, les émotions négatives
(peur, colère, dégoût et tristesse). Des lésions unilatérales ne provoqueraient que des troubles
plus subtils. L’amygdale aurait ainsi un rôle dans la prise en compte des émotions liées aux
menaces ou au danger, ou en tout cas provoquant une réponse comportementale de retrait24.
Lorsque la personne regardée est familière l’amygdale présente moins d’activité. Un rôle lui
29
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
est aussi prêté pour évaluer le caractère sécure ou dangereux d’une situation et a fortiori d’un
interlocuteur21.
Une certaine latéralisation a été évoquée avec une meilleure perception des stimuli
subliminaux par l’amygdale droite et des messages conscients par la gauche.
Enfin on note une réduction de l’activation de l’amygdale lorsque l’on demande au sujet
d’identifier les émotions de manière explicite, ce qui s’accompagne d’une diminution des
réactions physiologiques. L’hypothèse principale est, ici, celle d’une inhibition de l’amygdale
par le cortex préfrontal24.
L’amygdale est aussi au centre de connexions multiples entre des zones cérébrales
diverses. Elle se situe ainsi à l’interface entre la perception des stimuli émotionnels (par des
voies ascendantes « bottom-up »), la connaissance de ces émotions (via des liaisons avec des
régions du néocortex et avec l’hippocampe) et les processus de réaction émotionnelle (soit
pour déclencher une réponse soit pour la simuler afin de préciser la connaissance de l’émotion
observée)32. L’amygdale paraît aussi jouer un rôle dans les stratégies d’exploration visuelles
comme évoqué par Adolphs et al en 2005 avec la description d’un cas d’atrophie bilatérale
des amygdales. Cette patiente présentait un déficit de reconnaissance spécifique à la peur,
qui s’est normalisé à partir du moment où elle centrait son regard sur la région oculaire33.
D’autres structures impliquées dans la perception des émotions sont localisées dans le
cortex préfrontal. On distingue notamment le cortex cingulaire antérieur (CCA) et le cortex
orbitofrontal (COF). A la différence de l’amygdale ces régions seraient mises en jeu lorsqu’une
tâche cognitive requiert une identification explicite de l’émotion. Le COF est toutefois
fortement interconnecté avec l’amygdale. Des lésions du COF peuvent entraîner des troubles
de la reconnaissance des émotions faciales ou vocales et du ressenti émotionnel, notamment
de peur. Cette région participe à la fois à la perception des émotions et à leur expression. Le
COF et le CCA sont aussi activés de manière préférentielle par des expressions de colère et de
peur, deux émotions à l’origine de fortes réponses végétatives qui pourraient être
déclenchées par ces zones cérébrales. Comme l’amygdale certaines zones du COF peuvent
présenter des réponses rapides (environ 120-150ms) à des stimuli émotionnels salient et
pourraient moduler des aspects précoces des processus de perception via une action topdown23, 24. Le COF a aussi probablement un rôle important dans l’intégration des différents
messages sociaux et dans le contrôle de la réponse.
30
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Les travaux d’Adolphs et Damasio mettent l’accent sur d’autres structures que sont les
cortex somatosensoriels, et plus particulièrement de l’hémisphère droit, se basant
notamment sur l’analyse de sujets présentant des lésions de ce cortex34. Dans la
reconnaissance des émotions faciales interviennent ainsi les aires sensorimotrices droites
primaires et secondaires, ainsi que l’insula (qui correspond à un cortex somatosensoriel
viscéral et donc associé aux sensations viscérales et à l’odeur) et le gyrus supramarginal
antérieur dans une moindre mesure. L’implication de ces cortex somatosensoriels est
expliquée par Adolphs et Damasio par le fait que l’observateur expérimenterait une réponse
émotionnelle en miroir de celle du stimulus, et représenter ces émotions dans le cortex
équivaudrait à simuler l’émotion observée et ainsi prendre connaissance de celle d’autrui.
L’expertise à reconnaître les émotions pourrait avoir une part innée mais aussi une part
expérientielle via ces mécanismes.
L’insula joue un rôle plus particulièrement dans la reconnaissance du dégoût, ce qui a
pu être mis en évidence par des observations en imagerie fonctionnelle (IRMf) ainsi que chez
des patients présentant des lésions. L’insula ventrale antérieure serait plus spécifiquement
impliquée comme évoqué par l’enregistrement de potentiel évoqué en réponse au dégoût
chez des patients épileptiques lors d’explorations préchirurgicales 35. Le cortex insulaire est à
l’intersection de nombreuses voies cérébrales, connecté à l’amygdale et à des circuits
gustatifs, olfactifs et viscéromoteurs, ce qui semble permettre une intégration multimodale
du dégoût dans cette région. L’insula est ainsi impliquée dans la perception du dégoût ressenti
par l’individu mais aussi dans la reconnaissance de celui exprimé par autrui 23.
Les noyaux gris centraux semblent jouer eux aussi un rôle dans la reconnaissance des
émotions faciales, en particulier pour des émotions comme la colère (avec un rôle plus
spécifique du striatum ventral), la peur et la tristesse. Ils paraissent être impliqués dans un
circuit comprenant l’insula et le COF avec un rôle dans le traitement des émotions agressives
et du dégoût23. Dans des pathologies comprenant une atteinte de ces noyaux gris centraux
comme la maladie de Parkinson ou la maladie de Huntington un trouble de la reconnaissance
du dégoût a été évoqué, et ce parfois de manière précoce aux troubles moteurs 24.
Ainsi la reconnaissance des émotions faciales n’est pas gérée par un seul et même
système neuronal mais bien probablement par plusieurs aires interagissant entre elles.
Certaines zones cérébrales semblent toutefois être impliquées plus spécifiquement pour
31
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
certaines émotions, c’est par exemple le cas pour le dégoût et l’insula. Les différentes
structures impliquées interviennent aussi selon des temporalités différentes (Figure 3)24. Un
traitement rapide sous-cortical existe aussi passant par l’amygdale comme évoqué
précédemment.
Figure 3 : Schéma des processus d'analyse des expressions faciales en fonction du temps
D’après Adolphs 2002
Concernant les aspects physiopathologiques de nombreuses recherches ont eu lieu dans
le cadre de la schizophrénie et mettent en avant des déficits dans la reconnaissance des
émotions faciales d’autrui, mais aussi de manière plus globale dans la compréhension et
l’expression de ses propres émotions36. Ces troubles se retrouvent lors des différents stades
32
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
de la maladie mais aussi lors de phases prodromiques, voire dans l’entourage familial
proche37. Une hypothèse privilégiée s’intéresse au processus d’extraction des informations
configurales, l’étendue des troubles rendant probable l’altération d’un mécanisme commun
aux différents types d’information faciale (identité, émotion, âge)38. Une altération du
traitement des informations relationnelles de deuxième ordre ainsi que des stratégies
exploratoires est aussi évoquée19.
Actuellement des programmes de remédiation cognitive se développent dans ce cadre-là,
citons par exemple, en France, le programme Gaïa39.
1.1.4.2.
Théorie de l’esprit
1.1.4.2.1.
Généralités
L’acquisition de la ToM est considérée comme une des bases essentielles à
l’intersubjectivité. Comme évoqué précédemment le terme a émergé dans l’éthologie suite à
un article de Premack et Woodruff chez le chimpanzé. Par la suite les neurosciences cognitives
ont tenté de développer cette théorie complexe à définir et mettant en jeu différents
mécanismes.
Georgieff évoque ainsi « une fonction ou aptitude innée propre à certains animaux
sociaux et surtout à l’homme, permettant d’ « accéder » à la vie psychique d’autrui et aux
« états mentaux » de ce dernier »17. Frith la définit de manière relativement similaire comme
« l’aptitude à prévoir ou à expliquer le comportement de nos semblables en leur attribuant
des intentions, des souhaits ou des croyances, c’est-à-dire en considérant qu’ils ont des états
mentaux différents des nôtres »13. On peut ainsi tenter de définir différentes composantes de
cette notion de ToM :
-
Capacité de représenter les états mentaux d’autrui (identification)
-
Capacité à distinguer ses propres états mentaux et croyances de ceux d’autrui
-
Capacité de se représenter de manière différenciée l’état du monde factuel et les
représentations de cette réalité matérielle par l’esprit de soi ou d’autrui
(« représentation d’une représentation » ou métareprésentation)17.
De manière plus globale la ToM peut être considérée comme une capacité de
métacognition (processus de pensée s’exerçant sur d’autres pensées)13.
33
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Différents termes se rapprochent peu ou prou de la ToM et sont parfois utilisés comme
synonymes dans la littérature comme « mentalisation » (mentalizing), « lecture d’états
mentaux » (mind-reading) voire même le terme d’empathie40.
On peut distinguer différents aspects de la ToM en fonction de la nature des
représentations mentales (ToM cognitive et ToM affective) et en fonction du niveau cognitif
de ces représentations (ToM de 1er, 2ème, 3ème, nème ordre)40.
La ToM cognitive correspond à la capacité à se représenter les connaissances qu’autrui
a sur le monde indépendamment d’une connotation émotionnelle. La ToM affective est la
capacité à se représenter les états affectifs d’autrui et ainsi à inférer et à comprendre les
émotions et les sentiments impliqués dans les actions et le comportement de l’autre40.
La notion et la fonction de métareprésentation existent à différents niveaux de
complexité plus ou moins grande. Ainsi la ToM de 1er ordre correspond à la capacité d’adopter
la perspective d’une personne, soit la représentation d’une représentation (« Je pense que X
pense à/que »). La ToM de 2ème ordre est la représentation d’une représentation d’une
représentation (« Je pense que X pense que Y pense à/que »). Plus on augmente dans les
ordres plus il est nécessaire d’adopter de perspectives simultanément, ce qui mobilise des
ressources cognitives plus importantes, notamment lors des tests40.
La ToM nécessite la mise en œuvre de deux processus fonctionnels que sont le décodage
et le raisonnement. Le décodage correspond à la perception et l’identification d’indices
comme par exemple la perception d’expressions faciales, d’actions motrices ou la prosodie. Il
recouvre des processus de détection, d’intégration et de confrontation d’indices de sources
multimodales. Le raisonnement nécessite l’accès à des informations stockées sous forme de
connaissances en rapport avec le contexte ou la personne, permettant une analyse de la
situation. Ce qui requiert l’implication de processus cognitifs de haut niveau.
La ToM a été particulièrement étudiée dans le champ de l’autisme, dès les années 1980,
avec l’hypothèse principale de déficits variables mais souvent majeurs en ToM.
A un degré moindre la schizophrénie paraît, elle aussi, associée à des difficultés de
compréhension des interactions d’autrui13, avec une atteinte de la ToM affective qui paraît
plus importante que pour la ToM cognitive. Ces déficits en ToM sont présents chez de
nombreux patients et dès le début du trouble, alors que la capacité de mentalisation était
probablement normale dans l’enfance. Par ailleurs l’impact fonctionnel de troubles en CS, et
en particulier en ToM, semble être particulièrement important. C’est ainsi que se développent
34
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
des stratégies thérapeutiques incluant des programmes de remédiation cognitive centrées sur
la ToM et d’autres aspects de la CS41. Parmi ceux existant en France citons par exemple
ToMRemed. D’autres programmes sont en cours de traduction comme le programme
américain SCIT ou sont en développement.
1.1.4.2.2.
Modalités d’évaluation
De nombreuses épreuves existent permettant d’évaluer les différents aspects de la ToM
dans des populations d’âges variés, la plupart de ces tests ayant initialement été développés
chez l’enfant. Ils permettent d’explorer la nature épistémique (connaissance qu’ont les
personnes sur le monde), affective ou volitionnelle des états mentaux.
Concernant les états mentaux épistémiques citons notamment les tâches de fausses
croyances qui permettent d’explorer la ToM de 1er et de 2ème ordre, où le sujet doit inférer
l’état mental d’une personne qui a une croyance erronée de la situation. Le plus connu est le
test de Sally et Anne élaboré par Perner et Wimmer (1983). Une histoire illustrée est présentée
à un enfant : Sally dépose une balle dans un panier et sort de la pièce. Pendant ce temps Anne
déplace la balle dans une boîte. Sally revient ensuite dans la pièce pour chercher sa balle.
L’enfant doit alors indiquer dans quel endroit Sally va chercher sa balle.
Les tâches d’attribution d’états mentaux affectifs sont souvent constituées de vidéos ou
de photographies (de visages ou uniquement de la région périorbitaire). Le sujet doit alors
inférer et désigner un état mental affectif, en général parmi plusieurs propositions. Citons
notamment le Reading the Mind in the Eye Test (RMET) de Baron-Cohen (1997) où seule la
région périorbitaire est présentée.
Les tâches d’attribution d’intention sont basées sur des situations présentées soit par
des extraits de films soit par des séquences d’images comprenant des personnages ou des
formes géométriques. Il s’agit ensuite de déterminer la fin logique de la scène.
Enfin des tâches mixtes permettent de combiner différents aspects de la ToM. Par
exemple le test des faux-pas sociaux de Baron-Cohen (1999) qui propose des situations de
maladresses sociales où un personnage présente un comportement ou des propos
inappropriés ou involontairement blessant pour son interlocuteur. Le sujet doit indiquer quel
est le faux-pas commis. Ce test nécessite donc de prendre en compte le caractère déplacé du
discours (ToM cognitive) et le caractère blessant pour l’interlocuteur (ToM affective).
35
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1.1.4.2.3.
Hypothèses neuroanatomiques et neurofonctionnelles
Deux modèles ont été proposés en ce qui concerne les mécanismes fonctionnels sousjacents à la ToM. Le premier modèle dit « modulariste » ou « théorétique » met en avant le
fait que le raisonnement sur les croyances et intentions d’autrui est issu de l’apprentissage et
de calculs cognitifs dépendant d’opérations mentales complexes de haut niveau. Ces
mécanismes cognitifs seraient spécifiques, autonomes et peu influencés par l’expérience. Le
second modèle est appelé « simulationniste » et a été développé plus tardivement. Dans ce
modèle la ToM est sous-tendue par l’activation de systèmes neurocognitifs spécialisés dans la
représentation de l’action intentionnelle et des émotions, simulant l’action ou l’émotion
présentées par autrui. Ce qui correspond en partie au rôle des cortex sensorimoteurs évoqué
par Adolphs et Damasio en ce qui concerne la perception des émotions. Cette hypothèse a été
particulièrement influencée et soutenue par la découverte des neurones miroirs par Rizzolatti
dans les années 199042. Celui-ci et son équipe ont en effet constaté que les cortex prémoteurs
et pariétaux sont activés lors de l’observation, la simulation (ou l’imagination), la préparation
et l’exécution d’une action, que ce soit chez soi ou chez autrui17.
A nouveau les études de lésions cérébrales ainsi que celles d’imagerie fonctionnelle ont
permis de mettre en évidence des aires cérébrales pouvant être impliquées dans la ToM. Les
lobes frontaux paraissent avoir une importance particulière, en particulier le cortex préfrontal
(CPF) médial, le CCA et le COF. Les régions temporopariétales et l’amygdale seraient aussi
concernées, notamment lors d’implications émotionnelles. Le débat concernant l’implication
de certaines zones n’est toutefois pas clos.
1.1.5. Lien entre cognition sociale et d’autres aspects cognitifs
1.1.5.1.
Emotions
Au dix-neuvième siècle William James et Carl Lange exposèrent une théorie des émotions
qui définit celles-ci comme « une réaction physiologique, organique, automatique, en réponse
à un stimulus extérieur »43. Pour eux ce n’est que dans un second temps que l’on observe une
prise de conscience de l’émotion. Une controverse émergea et d’autres auteurs mirent en
avant le schéma inverse, à savoir que l’émotion a la primauté et s’en suit une réaction
physiologique. Bien plus récemment Damasio et LeDoux ont décrit une émotion comme étant
« une réponse somatique (chimiques et neuronales et par extension les réponses corporelles,
36
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
neurovégétatives et cognitives en résultant) à un stimulus émotionnellement compétent. Le
but de ces réponses étant de garantir l’homéostasie du système de l’individu 44 ».
Les émotions ont un rôle adaptatif fort, comme l’avait pressenti Darwin. Elles sont à
l’interface entre l’organisme et les situations extérieures. Pouvoir exprimer et percevoir ses
émotions propres et celles d’autrui permet ainsi d’évaluer l’adéquation entre l’adaptation de
l’organisme et les situations extérieures44.
Elles jouent ainsi un rôle important, aidant à prendre des décisions par rapport au ressenti
interne et, surtout, permettant de communiquer aux autres des informations importantes
pour les interactions44. Par exemple chez l’enfant et chez certains animaux le comportement
social paraît très lié au vécu émotionnel, de manière presque brute. Chez l’adulte, au
contraire, cela semble plus régulé, sauf dans certaines pathologies et sous l’effet de toxiques2.
Comme évoqué précédemment on peut distinguer deux grands groupes d’émotions :
-
Les émotions primaires : joie, peur, colère, dégoût, tristesse.
-
Les émotions sociales : culpabilité, honte, embarras, jalousie, fierté et les autres états
émotionnels dépendant du contexte social.
Dans un de ses ouvrages les plus connus, L’erreur de Descartes, Damasio explore
notamment le lien entre émotions, cognition sociale et prise de décision, se basant sur
plusieurs cas de lésions cérébrales, notamment sur celui de Phineas Gage. Il observe
notamment que les systèmes cérébraux engagés conjointement dans l’émotion et la prise de
décision sont aussi impliqués dans la gestion de la cognition sociale et du comportement 11.
Ce que note aussi Adolphs2 qui met en avant trois types de structures qui s’articulent
ensemble :
-
Des régions spécifiques de cortex sensoriels de haut-niveau, impliqués dans la
représentation et la perception des stimuli et de leurs caractéristiques constitutives
-
L’amygdale, le striatum et le cortex orbitofrontal (COF) qui permettent d’associer ces
perceptions avec une réponse émotionnelle, un traitement cognitif et une motivation
comportementale
37
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
-
Des régions de cortex associatifs (Cortex préfrontal gauche, cortex pariétal droit, cortex
cingulaire antérieur et postérieur) qui ont un rôle dans la construction d’un modèle
interne de l’environnement social avec une représentation des autres personnes, leurs
relations avec soi et la valeur des actions de chacun dans un contexte de groupe social.
De leur côté Olsson et Ochsner décrivent le lien entre émotions et CS à travers l’attribution
d’états mentaux (habilité qu’ils nomment Mental State Attribution (MSA)), se rapprochant
d’un aspect de la ToM. Cette MSA interviendrait dans trois domaines : comprendre ses
émotions propres et celles des autres, apprendre des informations émotionnellement
significatives et réguler les réponses émotionnelles45. Pour ces domaines ils décrivent une
organisation anatomofonctionnelle distincte mais reliée (Figure 4). Ainsi se dégage une
répartition médio-latérale où les régions les plus proches de la ligne médiane concernent la
perception des émotions internes et les plus éloignées les représentations extérieures
(majoritairement via les centres visuospatiaux). Un second axe est l’axe antéro-postérieur
selon lequel se répartit la gestion des informations en fonction de la complexité (perceptions
de premier ordre dans les régions postérieures, se complexifiant avec le traitement des
régions plus antérieures les rendant plus « conscientes »). Enfin le dernier axe est dorsoventral, les régions dorsales traiteraient une information plus réflective et maîtrisée. Pour
résumer, les structures sous-corticales (amygdale et striatum) et postérieures (STS, CCA et
l’insula) permettent la compréhension, l’apprentissage et la régulation des émotions jusqu’au
moment où il est nécessaire de catégoriser et réfléchir ces émotions de manière plus
consciente, mettant en jeu des structures plus antérieures comme les régions du CPF
antéromédial et latéral.
Figure 4 - Organisation
Extrait d’Olsson et al 2007
anatomofonctionnelle
du
rôle
de
la
MSA
dans
les
émotions
38
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Certains patients cérébrolésés présentent des déficits dans le traitement des émotions.
Une lésion de l’amygdale ou du lobe temporal droit peuvent être à l’origine d’une anosognosie
socio-émotionnelle, se traduisant par une incapacité à percevoir les émotions faciales, les
mouvements corporels signifiants et la prosodie, limitant ainsi les interactions sociales. Une
alexithymie, soit la difficulté de reconnaître et décrire son propre état émotionnel, va souvent
de pair46.
1.1.5.2.
Fonctions exécutives
Les fonctions exécutives correspondent à un ensemble de processus cognitifs de haut
niveau regroupant notamment les capacités d’attention, de planification, de mémoire de
travail, d’inhibition et de sélection de l’information ainsi que le traitement de celle-ci. Ces
fonctions sont nécessaires à la réalisation d’un comportement dirigé vers un but et
permettent de s’adapter à des situations nouvelles.
On peut faire comme hypothèse que le comportement social résulte de l’intégration de
différentes informations venant à la fois du monde extérieur et intérieur. Il nécessiterait aussi
l’élaboration de différentes hypothèses puis la possibilité d’effectuer un choix entre celles-ci
et les confronter à la réalité. On peut donc aisément imaginer que les fonctions exécutives
soient particulièrement sollicitées dans ces moments.
Toutefois l’hypothèse d’un lien entre fonctions exécutives et CS est débattue,
particulièrement en ce qui concerne la ToM. Concernant la perception des émotions faciales
il n’y a que peu d’études explorant le lien avec les fonctions exécutives. Notons tout de même
celle de Henry et al qui ne retrouvent pas de corrélations entre un test de reconnaissance
d’émotions faciales et une évaluation des fonctions exécutives par un test de fluence verbale
chez des patients traumatisés crâniens et des sujets contrôles47.
Bien plus nombreuses sont les études qui explorent le lien avec la ToM. Par exemple, chez
le sujet sain, Bull, Phillips et Conway48 montrent que les performances sont abaissées en
condition de double tâche (mobilisation de la ToM et des fonctions exécutives) dans des tests
de fausses croyances, surtout en ToM cognitive de 2ème ordre. Dans certaines tâches de ToM
affective (inférence d’émotions à partir d’un regard) les capacités d’inhibition auraient un rôle
important à jouer48.
39
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Qu’il y ait un lien entre les fonctions exécutives et les tests de fausses-croyances peut
aisément s’envisager puisqu’il s’agit de pouvoir analyser la situation, comprendre son
déroulement et inhiber une réponse qui serait naturelle. Que les différentes études montrent
une plus grande difficulté lors des tâches de second ordre parait, là-aussi, logique. La réflexion
est par contre moins naturelle en ce qui concerne les tâches de ToM affectives.
Dans des contextes d’atteinte pathologique on peut aussi retrouver des corrélations du
même type. L’étude d’Henry et al cité plus haut retrouve ainsi une corrélation entre déficit en
ToM (inférence d’émotions à partir d’un regard) et en fonctions exécutives (fluence verbale)
chez des traumatisés crâniens47. Une revue de la littérature de Pickup met en avant une
corrélation dans 65% des cas entre ToM et fonctions exécutives chez des patients souffrant
de schizophrénie49.
A l’opposé d’autres auteurs se montrent plus circonspect sur l’importance de ce lien. Ainsi
Rowe et al notent que, chez des patients présentant des lésions frontales, les déficits en ToM
et en fonctions exécutives sont statistiquement indépendants50. Perner et Lang51 relatent ainsi
que 6 enfants présentant un syndrome de Prader-Willi ou de Williams-Beuren, réussissaient
bien aux tests de ToM, tout en échouant à ceux des fonctions exécutives. A l’inverse Fine et al
décrivent de bonnes capacités exécutives avec des difficultés en ToM chez un patient ayant
une lésion congénitale ou acquise précocement de l’amygdale gauche 52.
En fait, il semble que le lien entre fonctions exécutives et ToM est difficile à conceptualiser
dans l’état actuel en partie du fait de la grande diversité et variabilité des tests utilisés. Des
tests très ciblés sur un module particulier de la cognition sociale pourrait peut-être s’affranchir
d’une participation importante des fonctions exécutives, avec toutefois comme écueil de ne
pas être suffisamment écologique.
1.2.
Cognition sociale et vieillissement
Les premières études s’intéressant à la CS chez le sujet âgé datent de la fin des années
2000, notamment avec l’article de Happé, Winner et Brownell de 1998 s’intéressant à la ToM
dans le vieillissement normal. Des travaux se sont par la suite centrés sur l’évolution de la CS
dans les pathologies neurodégénératives du vieillissement, et actuellement le DSM 5 a inclus
un déclin de la CS dans les critères diagnostiques du Major Neurocognitive Disorder (qui
remplace le terme de démence)53.
40
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Pour cette partie nous nous baserons à de nombreuses reprises sur la revue de littérature
de Kemp et al de 2012 répertoriant la majorité des études sur le sujet54.
1.2.1. Cognition sociale et vieillissement normal
1.2.1.1.
Perception des émotions faciales
Comme évoqué précédemment la perception de ses émotions propres, voire celles
d’autrui, peut se ressentir de manière « physique », ces manifestations étant médiées en règle
générale par le SNA. Or chez la personne âgée s’opèrent des modifications, physiologiques de
l’action du SNA, ce qui pourrait influencer la réactivité émotionnelle. On note notamment une
réactivité cardiovasculaire moins importante que chez les plus jeunes pour des émotions
positives et négatives55.
L. Carstensen a par ailleurs développé une théorie de la sélectivité socioémotionnelle où
elle évoque une amélioration de fonctions émotionnelles avec l’âge, allant dans le sens d’une
meilleure régulation émotionnelle et d’un biais d’expérience émotionnelle en faveur d’une
augmentation relative des émotions positives face aux émotions négatives 56.
Une altération de la reconnaissance faciale de l’identité ainsi que de la perception des
émotions faciales ont été observées dans de nombreuses études54. Il a notamment été noté
une plus grande difficulté à reconnaître les émotions négatives (en particulier la peur) et
neutre, et ce même avec un temps de traitement des informations plus important, qui est par
ailleurs effectivement augmenté en règle générale chez les sujets âgés. Par contre la
reconnaissance de la joie et de la surprise semble relativement préservée comme noté dans
la méta-analyse de Ruffman et al57. Suzuki et al notent par ailleurs une corrélation avec les
habilités visuospatiales mais sans qu’il n’y ait de difficultés à la reconnaissance du genre. La
reconnaissance des expressions faciales serait liée à une cognition visuospatiale de plus haut
niveau nécessitant une manipulation de données et un raisonnement58. Des paradigmes
expérimentaux favorisant les stratégies d’exploration visuospatiales centrées sur la région
oculaire ont été proposés mais n’ont pas permis d’améliorer la reconnaissance des émotions
de peur et de colère chez des sujets âgés sains, à la différence de sujets présentant une
maladie d’Alzheimer33.
D’un point de vue neuroanatomique des études d’imagerie mettent en avant une
activation réduite de l’amygdale par rapport aux adultes jeunes pouvant se rapporter à la
41
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
moins bonne reconnaissance des émotions négatives. A noter par ailleurs que Iidaka et al ont
constaté, en sus, une réduction de l’activité dans l’hippocampe et dans le gyrus
parahippocampique lors de la perception d’émotions positives 59.
1.2.1.2.
Théorie de l’esprit
L’influence du vieillissement sur la ToM a été pour la première fois étudiée par Happé et al
en 1998 avec un résultat des plus étonnant mettant en avant la possibilité d’une amélioration
de la ToM avec l’âge. Toutefois les études suivantes ne seront pas aussi positives et montrent
un déficit lié à l’âge tant en ToM cognitive de second ordre qu’en ToM affective. Toutefois
entre 13 et 33% des personnes âgées auraient des capacités préservées voire améliorées
d’après une étude de Sullivan et Ruffman de 200454.
L’importance d’une atteinte exécutive a été particulièrement recherchée, et si un déclin
des fonctions exécutives et de l’intelligence fluide intervient de manière importante dans la
détérioration de la ToM (notamment cognitive) une partie en serait indépendante. En règle
générale le déclin en CS apparaissant avec le vieillissement normal serait ainsi partiellement
indépendant d’un déclin cognitif global54.
L’implication du lobe frontal dans ces processus est importante, comme évoquée plus haut.
Or on sait, grâce à des études de neuroimagerie, que les lobes frontaux font partis des régions
les plus touchées par le vieillissement, avec notamment une perte de substance grise dans le
CPF dorsolatéral, et une activité diminuée en IRMf, ainsi que des changements structurels du
CPF ventromédian. Toutefois pour faire face à ces modifications les sujets âgés vont pouvoir
recruter de manière plus importante les lobes frontaux via une activation bilatérale54.
Des régions sous-corticales sont aussi impliquées, leur intégrité étant importante pour la
cognition sociale, dont l’amygdale qui serait moins active, comme évoqué auparavant. Une
lésion située sur une des structures impliquées dans les boucles et les voies de la CS pourrait
créer un dysfonctionnement des réseaux cortico-sous-corticaux et ainsi des troubles en CS.
1.2.2. Apport des pathologies neurodégénératives
L’examen des déficits en CS dans certaines pathologies neurodégénératives et la mise en
lien avec la physiopathologie des troubles et les zones cérébrales atteintes permettent de
proposer des pistes quant au fonctionnement normal et les structures impliquées.
42
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Lors de la maladie d’Alzheimer, ainsi que lors d’un trouble cognitif léger (Mild Cognitive
Impairment : MCI) les troubles en CS retrouvés sont majoritairement des difficultés en ToM
cognitive de 2ème ordre ainsi que des troubles en reconnaissance des émotions faciales. Ceuxci concerneraient presqu’exclusivement la peur et s’aggravent avec la progression de la
pathologie. Ils seraient déjà présents pour des intensités faibles d’émotion chez des patients
présentant un MCI. La ToM affective paraît par contre préservée.
La plupart des auteurs évoquent toutefois que ces troubles sont probablement secondaires
aux déficits cognitifs. Ainsi les tâches de fausses croyances pour explorer la ToM de 2ème ordre
sont très demandeuses au niveau cognitif, en particulier en ce qui concerne la mémoire
épisodique et la mémoire de travail. En ce qui concerne la reconnaissance des émotions
faciales, d’autres facteurs seraient plutôt impliqués, comme la difficulté à choisir entre les
termes (en lien avec les dysfonctionnements exécutifs), ou des troubles dans la
reconnaissance d’éléments du visage sans valence émotionnelle et une diminution des
capacités verbales. Par ailleurs Hot et al ont montré dans une étude qu’une partie du déficit
dans la reconnaissance de la peur par rapport à des sujets sains de même âge est imputable à
des stratégies d’exploration visuospatiale déficientes. En effet avec un paradigme
expérimental focalisant l’attention sur les régions oculaires les capacités étaient améliorées,
tout en restant toutefois inférieures au sujets contrôles (eux même significativement moins
bons que des sujets plus jeunes dans la reconnaissance de la peur et de la colère)33.
On peut aussi émettre l’hypothèse que l’émergence de ces déficits dans la reconnaissance
des émotions soit en lien avec une progression de la pathologie du cortex entorhinal et de
l’hippocampe vers le STS. Les zones les plus impliquées dans la ToM (notamment les lobes
frontaux) sont par contre préservées lors des premières phases de la pathologie 54.
Par contre dans la variante frontale de la dégénérescence frontotemporale (DFT) les
déficits en CS sont nombreux affectant à la fois la reconnaissance des émotions faciales, les
différents type de ToM et les perceptions et connaissances sociales. Ces troubles sont en lien
direct avec la symptomatologie caractéristique de la pathologie, à savoir une modification de
la personnalité et du comportement avec apathie, manque d’empathie, désinhibition
comportementale avec comportement socialement inadapté, et une conscience de soi
altérée. Concernant la ToM on note des difficultés en 1er et 2ème ordre alors que les réponses
aux questions contrôles sont justes, de même pour la ToM affective (test des faux-pas sociaux
43
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
et RMET). L’implication des fonctions exécutives est discutée mais les déficits en ToM seraient
indépendants lors des premiers stades de la maladie lorsque les changements pathologiques
sont limités au COF et que les régions dorsolatérales ne sont pas encore touchées54.
La reconnaissance des émotions faciales est souvent explorée dans cette pathologie avec
la série de visages d’Ekman, permettant une bonne comparaison entre les études et étant
devenu un outil diagnostic. En effet des troubles de la reconnaissance des émotions sont
présents de manière globale, et plus particulièrement pour le dégoût et la colère. Les patients
auraient eux-aussi des difficultés à orienter leur regard sur la région des yeux 54.
Le raisonnement moral est lui aussi déficient avec une difficulté à reconnaître les violations
des normes sociales ainsi qu’à distinguer les transgressions « conventionnelles » des
transgressions « morales »54.
Enfin dans la maladie de Parkinson ainsi que dans certaines maladies apparentées (Maladie
à corps de Léwy, Dégénérescence cortico-basale, Paralysie supranucléaire progressive),
l’atteinte de circuits fronto-sous-corticaux pourrait être cause de difficultés en CS. Ainsi
l’atteinte du circuit frontostriatal dorsolatéral (impliquant le CPFdl) qui serait assez précoce
dans la maladie de Parkinson (via une déplétion dopaminergique de la tête du noyau caudé)
expliquerait des troubles en ToM cognitive. La ToM affective serait relativement épargnée
jusqu’à des stades d’évolution tardive où le circuit orbitofrontostriatal est atteint par la
dépletion dopaminergique striatale, alors qu’il ne l’est pas initialement. On note aussi des
troubles en reconnaissance des expressions faciales de manière globale avec une difficulté
plus grande pour le dégoût.
1.3.
Cognition sociale et trouble bipolaire
Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises une atteinte de la CS peut être présente
dans de nombreuses pathologies, à la fois neurologiques mais aussi psychiatriques, en
particulier la schizophrénie.
Le trouble bipolaire se caractérisant par l’alternance de phases d’effondrement dépressif
et de phases d’exaltation thymique il peut aussi être présenté comme un trouble des
émotions. L’idée d’une hyperréactivité émotionnelle comme étant au cœur du TB a été
soulevée par plusieurs auteurs qui indiquent notamment une probable persistance de cette
44
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
hyperréactivité lors des phases euthymiques, ce qui pourrait favoriser les épisodes thymiques
lors d’évènements de vie stressants60.
La constatation de troubles francs dans les interactions sociales lors des phases de
décompensation et le lien fort entre émotion et CS évoqué plus haut peut ainsi faire poser la
question de troubles en CS en lien avec le TB, à la fois lors des épisodes thymiques et durant
les périodes intercritiques. Toutefois certains patients peuvent avoir une très bonne
intégration socioprofessionnelle lors des périodes d’euthymie, interrogeant sur la présence
de trouble en CS et leur implication fonctionnelle.
1.3.1. Perception des émotions faciales
Plusieurs études se sont intéressées à la perception des émotions faciales lors des épisodes
maniaques. Celles-ci notent un déficit global de l’identification des émotions faciales par
rapport aux sujets sains61, 62, 63. Lembke et al évoquent la possibilité d’un biais émotionnel
positif lors des épisodes maniaques ayant noté une absence de difficultés à reconnaître la joie
et une confusion entre la surprise et la peur, cette dernière étant prise pour la première qui
représente une émotion moins négative. Ce biais émotionnel se retrouve aussi lors de tâches
mettant en jeu des processus d’inhibition et de traitement émotionnel comme le Go No Go
affectif ou le Stroop émotionnel60. Ils notent aussi une difficulté plus sélective à reconnaître la
peur, ce qui est aussi noté par Gray et al (2006)63, malgré une performance globale conservée.
Des études où la tâche consistait à coter l’intensité des émotions mettent en avant une
tendance à sous-estimer la tristesse (Lennox et al, 2004, Chen et al, 2006, Bermpohl et al,
2009)63.
Concernant la reconnaissance des émotions faciales lors d’épisodes dépressifs, certaines
études se sont centrées sur des patients présentant un TB. Les résultats de ces études sont
mitigés avec soit une diminution des capacités soit une absence de différence. Un biais
émotionnel a aussi été évoqué, inverse à celui retrouvé lors d’épisodes maniaques, c’est-àdire une sous-estimation de la joie63. Cela s’avère être relativement cohérent avec les résultats
d’études dans la dépression unipolaire, comme le notent Bediou et al64.En effet ils mettent en
avant une réduction de la perception des expressions faciales de joie et une augmentation de
la reconnaissance des expressions négatives (dont la tristesse), ainsi que des biais
d’interprétation avec attribution de la tristesse à des visages neutres ou ambigus. Un biais
45
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
attentionnel (détection plus rapide des visages tristes), et un biais mnésique (meilleure
mémorisation des expressions de tristesse) ont aussi été rapportés. La présence d’anomalies
de ce type se retrouverait par ailleurs chez des personnes à risque de dépression et pourrait
persister dans certains cas malgré la rémission.
Une méta-analyse s’intéressant à la CS chez des patients souffrant de TB en phase
euthymique a été réalisée par Samamé et al en 2011 65. Les principaux résultats en ce qui
concerne la perception des émotions faciales sont reportés dans la Figure 5. Nous avons
ensuite repris les différentes études dans le Tableau 1, en le complétant avec des études plus
récentes trouvées grâce à une recherche dans les bases de données Medline, ScienceDirect et
PsycINFO, ainsi qu’avec les revues de la littérature réalisées par Mercer et al en 201266 et par
Samamé en 201363.
La méta-analyse de Samamé met ainsi en avant une altération de la reconnaissance des
émotions faciales de taille réduite mais significative (d=0,35 ; p=0,01), avec une distribution
globalement homogène (Cf Figure 5). En s’intéressant à un sous-groupe où était uniquement
pris en compte des patients avec des critères d’euthymie plus stricts (définis par un score à
l’Hamilton Depression Rating Scale (HDRS) inférieur à 8 et à la Young Mania Rating Scale
(YMRS) inférieur à 8) les résultats restaient comparables et significatifs, malgré un faible
effectif (d=0,35 ; p=0,01).
Figure 5 : Graphique en forêt des différences des moyennes standardisées entre patients bipolaires et patients
contrôle dans la reconnaissance des émotions faciales. D’après Samamé et al, 2011.
46
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
En revanche les différences n’étaient significatives pour aucune des émotions basiques
prises une à une, notamment du fait du peu d’informations apportées par les études et du fait
de l’hétérogénéité de la répartition pour la peur et le dégoût (dans l’étude de Hammer et al
de 200267 le dégout était même mieux reconnu chez les sujets présentant un trouble
bipolaire).
Par ailleurs il n’était pas noté de corrélation avec l’âge, le niveau d’éducation, la durée
d’évolution de la pathologie et le sexe. Lors de traitements par antipsychotiques une
altération des capacités en reconnaissance des émotions faciales était notée, sans que cela ne
soit toutefois significatif. Le faible nombre d’études est ici aussi à prendre en compte.
Les résultats rapportés dans les études plus récentes sont globalement en faveur des effets
notés dans la méta-analyse, à savoir une altération faible mais significative de la
reconnaissance globale des émotions. Les résultats restent cependant contradictoires,
notamment en ce qui concerne des difficultés plus prononcées dans la reconnaissance d’une
émotion en particulier (comme la peur par exemple).
Une étude est aussi en cours actuellement au Centre Hospitalier le Vinatier mené par les
Dr JM Dorey et C. Padovan et bénéficiant d’un financement CSR. Onze patients présentant un
TB de type 1 euthymiques, âgés de 18 à 45 ans, ont été inclus et ont effectué une tâche de
REF ainsi qu’une tâche contrôle de reconnaissance du genre (Bediou et al)68. Les résultats
préliminaires de cette étude ont mis en avant une absence de différence significative entre le
groupe de patients et le groupe de sujets témoins, appariés en sexe et âge, pour la colère, la
peur et la joie. En revanche les patients présentant un TB ont montré une capacité accrue à
identifier le dégoût, et ce de manière significative.
Si l’on s’intéresse aux études d’imagerie fonctionnelle on peut là aussi noter certaines
particularités. L’implication du CPF paraît particulièrement importante avec globalement une
hypoactivation du CPFdl69. En ce qui concerne le CPF ventral les résultats sont moins précis
mais montrent dans tous les cas un dysfonctionnement. Le rôle de ces structures dans
l’intégration de l’information émotionnelle et la régulation de l’intensité émotionnelle et leur
dysfonctionnement pourrait expliquer les troubles de régulation de l’humeur, mais aussi une
impulsivité résiduelle70. Le rôle du CPF dans les fonctions exécutives peut, à nouveau, faire
poser la question de l’importance de ces processus dans les troubles de cognitions sociales.
Des structures sous-corticales limbiques seraient aussi en jeu avec notamment une
47
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
augmentation de l’activation amygdalienne lors de la présentation de visages apeurés68 ainsi
que du noyau caudé60. Ainsi est évoqué un déficit du système de régulation du comportement
émotionnel, à savoir le CPF, associé à une hypersensibilité du système impliqué dans
l’identification et la production des états affectifs60.
Enfin, notons que des patterns d’activation différents ont été retrouvés par Surguladze et
al chez des patients bipolaires et leurs apparentés au premier degré par rapport à des sujets
témoins. Ce qui laisse à supposer la possibilité d’une anomalie neurobiologique conséquence
d’une variabilité génotypique à risque pour le trouble bipolaire65.
48
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Etude
Sujets
Critères
d’euthymie
Résultat
Benito et al (2013) 71
44 TB sans
épisodes depuis
3 mois, sans
hospitalisations
depuis 12 mois
(39 TB1 et 5
TB2 ; 24 TBE),
48 SC
YMRS≤6, HDRS≤8
Diminution significative de la
reconnaissance, identification et
discrimination des émotions faciales de
manière globale chez TB ; même résultats
pour TBE
Stable depuis plus
2 mois
YMRS =2.3 (±1.8) ;
HDRS = 4.1 (±2.0)
Diminution significative de la REF globale et
significative pour chacune des 6 émotions
de base
Bio et al (2013)72
39 BP1 E, 40 SC
Demirel et al (2014)73
55 TBE
« délinquants »,
54 TBE
YMRS<7, HDRS<9
Difficulté pour les 2 groupes à reconnaître la
peur. Diminution significative de la REF
globale ; plus particulièrement peur
(significativement) ; latence de réponse
globale augmentée significativement pour
le groupe « délinquant »
David et al (2013)74
38 TB1 E, 41
TB1 maniaques,
31 TB1
dépressifs, 86
SC
YMRS HDRS sans
précisions.
Diminution significative de la REF globale ;
plus particulièrement peur
(significativement) entre euthymiques et
SC. Idem avec surprise et joie en plus pour
maniaques par rapport SC. Pas de
différences pour dépressifs.
Corrélation avec troubles des fonctions
exécutives (WSCT) pour euthymiques et SC,
pas pour maniaques et dépressifs
Dorey et al (2014)
11 TB1 E, 11 SC
YMRS<7,
MADRS<15
Absence de différence de manière globale.
Meilleure reconnaissance du dégout chez
les sujets bipolaires
Fulford et al (2014)75
60 TB1, 43 SC
MAS≤16 ;
MHRSD≤17
Absence de différences. Capacité à
identifier peur corrélée à meilleure qualité
de vie (QoLBD)
HDRS<15 ;
YMRS<12 (52
parmi les TB)
Absence de différence entre TB et SC.
Diminution significative de la REF globale
pour Sz
Lee et al (2013)76
68 TB
Cliniquement
stable lors du
mois précédent,
38 Sz, 36 SC
49
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Rowland et al
(2013)77
33 TB1 (12
euthymiques,
12 hypomanes,
1 déprimé, 8 en
épisode mixte),
56 Sz, 47 SC
Selon ISS et
clinique
Absence de différence entre TB1 et SC
Yalcin-Siedentopf et
al (2014) 78
57 TB1E, 40 Sz,
50 SC
MADRS≤8,
YMRS≤8
Diminution significative de la REF globale
chez TB1 par rapport SC. Plus
particulièrement pour dégoût et joie.
Altération plus importante de la
reconnaissance de visages joyeux lors de
score plus élevés à la MADRS chez TB1.
Cette importance de symptômes dépressifs
résiduels est aussi corrélée avec une plus
faible qualité de vie (WHOQOL-BREF)
Addington et al
(1998)
40 TB, 40 Sz, 40
SC
Stabilité clinique
Diminution significative TB par rapport SC
pour une tâche d’appariemment, meilleur
que Sz. Reconnaissance préservée
HDRS
TB1 moins précis à reconnaissance joie
Almeida et al (2010)
30 TB1 (15
euthymiques),
15 DU, 15 SC
Bora et al (2005)
30 TB1 E, 30 SC
HDRS<7, YMRS<6
Absence de différence
Bozikas et al (2006)
19 TB1 E, 30 SC
MADRS≤8,
YMRS≤8
Diminution des capacités dans une tâche
d’appariemment. Perception d’identité
faciale intacte
Derntl et al (2009)
62 TB1 et 2, 62
SC
MADRS≤18,
YMRS≤13
Diminution de la REF pour TB1
Foland-Ross et al
(2012)
24 TB1 E, 26 SC
HDRS≤7, YMRS≤7
Reconnaissance et appariemment préservé
pour la peur et la colère. Baisse significative
de l’activité du CPFvl droit pour TB1
Harmer et al (2002)
20 TBE, 20 SC
HDRS≤8, YMRS≤8
Reconnaissance facilité du dégoût
Hassel et al (2008)
19 TB1 E, 24 SC
HDRS<11,
YMRS<10
Absence de différence. Anomalies d’activité
souscorticale limbique et corticale
préfrontale dorsale à la présentation de
visages
Hassel et al (2009)
14 TB1 E, 17 SC
HDRS<14,
YMRS<10
Différences non significatives. Diminution
activité CPF dorsal chez TB1 à la
présentation de visages. Activité
souscortico-striatale majorée aux visages
neutres et joyeux chez TB1
50
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Hoertnagl et al
(2011)
47 TB1E, 45 SC
MADRS≤8,
YMRS≤8
Difficultés à la reconnaissance du dégoût et
de la joie
Hulvershorn et al
(2012)
75 TB1-2 (15E),
45 SC
HDRS<10,
YMRS<10
Absence de différences à une tâche
d’appariement. Anomalies d’activité
corticolimbique en réponse aux émotions
faciales négatives.
Ibanez et al (2012)
13 TB2 E, 13 SC
MADRS≤8,
YMRS<6
Précision préservée dans l’attribution de
valence. Anormalité corticale chez TB à
l’analyse émotions faciales
Jorgia et al (2008)
12 TB1, 12 SC
HDRS<14,
YMRS<7
Reconnaissance préservée de la tristesse.
Hyperactivité temporale et hypoactivité CPF
dorsomédial et ventrolatéral ainsi que gyrus
cingulaire dorsal
Kim et al (2009)
14 TB1 E, 14 SC
HDRS≤7, YMRS≤5
Reconnaissance joie, colère et neutre
préservées. Temps de réaction allongé.
Diminution de l’activation des neurones
miroirs.
Lahera et al (2012)
39 TB1-2 E
HDRS<8, YMRS<6
Difficultés globales de REF. Difficultés plus
importantes pour TB « low-functioning »
Lembke et al (2002)
24 TB1-2 (16 E),
10 SC
HDRS<10,
YMRS<10
Reconnaissance facilitée de la peur chez TB2
E
Lagopoulos et al
(2011)
11 TB1 E, 11 SC
HDRS≤6, YMRS≤6
Reconnaissance similaire dans les 2 groupes
pour visages neutres et dégoüt. Absence
d’activation frontale chez TB par rapport SC
Malhi et al (2007)
10 TB1 E, 10 SC
HDRS≤6, YMRS≤6
Temps de réponse allongé pour la peur et le
dégoût (TB1). A l’IRMf réponse augmentée
chez TB1 pour la peur, chez SC pour le
dégoût (activation différente de
l’hippocampe et de l’amygdale)
Martino et al (2008)
50 TB1-2 E, 30
SC
HDRS≤8, YMRS≤6
Diminution reconnaissance peur et dégoût
Martino et al (2011)
81 TB1-2 E, 34
SC
HDRS≤8, YMRS≤6
Diminution reconnaissance peur
Robinson et al (2008)
15 TB1 E, 16 SC
HDRS, YMRS
Appariement préservé. Hyperactivation
chez TB des régions du CPF inférieur.
Shamay-Tsoory et al
(2009)
19 TB1 E, 20 SC
HDRS≤9, YMRS≤7
Absence de différences
Soeiro-de-Souza et al
(2012)
39 TB1 E, 40 SC
HDRS, YMRS
Diminution REF
51
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Surguladze et al
(2010)
20 TB1 E, 20
APD, 20 SC
Attribution d’intensité préservée. Réponse
exacerbée du CPF médial, du putamen et de
l’amygdale à la présentation de signaux
émotionnels chez TB1 et APD.
Vaskinn et al (2007)
21 TB1 E, 31 Sz,
21 SC
IDS-C<30,
YMRS<12
Absence de différences à identification et
discrimination des émotions.
Venn et al (2004)
17 TB1-2 E, 17
SC
HDRS<8, YMRS<8
Absence de différences
Yurgelun-Todd et al
(2000)
14 TB, 10 SC
Stabilité clinique
Difficulté à reconnaître la peur. Réduction
de l’activité du CPF dorsolatéral et
augmentation de la l’activité de l’amygdale
chez TB à la présentation d’un visage
apeuré.
Tableau 1 : Principales études explorant la perception des émotions faciales dans le trouble bipolaire en
phase euthymique, chez l’adulte
TBE : Trouble bipolaire en phase euthymique ; TB1 : Trouble bipolaire de type 1 ; TB2 : trouble bipolaire de type 2 ; TB+ :
trouble bipolaire de type 1 avec caractéristiques psychotiques (hallucinations/syndrome délirant lors d’épisodes
thymiques) ; TB- : trouble bipolaire de type 1 sans caractéristiques psychotiques ; Sz : schizophrénie ; SC : sujets
contrôles ; APD : apparentés au premier degré ; REF : Reconnaissance des émotions faciales ; YMRS : Young’s Mania
Rating Scale ; HDRS : Hamilton Depression Rating Scale ; WCST : Wisconsin Card Sorting Test ; MAS : Bech-Rafaelson
Mania Scale ; MHRSD : Modified Hamilton Rating Scale for Depression ; QoLBD : Quality of Life in Bipolar Disorder ; ISS :
Internal State Scale ; SCID-IV : Structured Clinical Interview for the DSM-IV ; IDS-C : Inventory of Depressive
Symptomatology ; WHOQOL-BREF : World Health Organisation Quality of Life
52
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1.3.2. Théorie de l’esprit
Différents aspects de la ToM ont été étudiés dans le trouble bipolaire, et ce à l’aide de
nombreux tests rendant parfois la comparaison entre les études difficile. Ainsi des aspects
basiques ont été étudiés grâce aux tâches de Fausses croyances (1er ou 2ème ordre). Des
aspects plus complexes ont été investigués par le test de reconnaissance des Faux-pas. La
Hinting task et les Histoires étranges d’Happé évaluent la capacité de compréhension de sousentendus. Les tâches inspirées du Reading the Mind in the Eyes Test (RMET) de Baron-Cohen
mettraient plutôt en jeu des processus automatiques. D’autres tests comme le Movie for the
Assessment of Social Cognition (MASC) peuvent être utilisés pour explorer la ToM de manière
plus globale. Le Tableau 2 répertorie les principales études s’étant intéressées à la ToM chez
les patients bipolaires adultes en phase euthymique.
Plusieurs études mettent en avant une altération de la ToM à la fois dans les phases
maniaques et dépressives63. Concernant l’euthymie les résultats sont plus inconsistants mais
la méta-analyse de Samamé de 2012 permet tout de même d’évoquer une altération de la
ToM « totale » d’un niveau moyen à large (Figure 6), et ce significativement (d=0,79 ;
p<0,0001). L’hétérogénéité de la répartition peut être corrigée en enlevant deux études, sans
qu’il n’y ait de modification de la significativité.
Figure 6 : Graphique en forêt des différences des moyennes standardisées entre patients bipolaires et
patients contrôle en ToM. D’après Samamé et al, 2011
53
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Si l’on s’intéresse plus précisément aux différents aspects de la ToM on retrouve une
altération modérée (d=0,75) pour la ToM « basique » (fausses croyances) et une altération
plus importante pour la ToM « complexe » (d=0,86). Pour les tests basés sur le RMET le niveau
de l’altération est faible à modéré mais reste significatif (d=0,4). Deux études se sont
intéressées au lien entre aspects cognitifs et affectifs de la ToM évoquant des troubles en ToM
cognitive mais pas en ToM affective (Shamay-Tsoory et al, 2009, Montag et al, 2010)63.
Les études plus récentes s’inscrivent dans la même mouvance avec des résultats
hétérogènes mais en faveur d’une atteinte de la ToM de manière globale. L’étude de Thaler
et al79 présente un intérêt particulier car créant deux sous-groupes bipolaires de type 1
euthymiques en fonction de la présence d’une symptomatologie psychotique lors des
épisodes de décompensation thymique. Or les profils en CS des deux groupes s’avèrent
différents dans certains domaines de la ToM. L’hétérogénéité du trouble bipolaire se
répercute ainsi probablement dans les résultats.
Le fait que tous les domaines de la CS ne soient pas impactés de la même manière est par
ailleurs cohérent avec les hypothèses d’une CS qui serait un regroupement complexe de
différents processus avec des circuits cérébraux et des corrélats neuronaux variés, différenciés
mais pouvant interagir entre eux.
54
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Etude
Sujets
Critères
d’euthymie
Tâche ou aspect de la ToM exploré
Résultats
Benito et al (2013)
44 TB sans épisodes depuis 3
mois, sans hospitalisations
depuis 12 mois (39 TB1 et 5
TB2 ; 24 TBE)
48 SC
YMRS≤6, HDRS≤8
Hinting Task
Diminution significative des résultats
Purcell et al (2013)80
26 TB1
29 DU
28 SC
YMRS≤7, IDSC≤11
Revised RMET
Absence de différences entre les 3 groupes
pour la justesse des réponses.
Temps de réponse plus rapide pour TB1,
corrélé à trouble du fonctionnement dans le
quotidien à 12 mois
Rowland et al (2013)
27 TB1
47 Sz
47 SC
Selon ISS et
clinique
TASIT
Diminution significative des résultats entre
TB1 et SC pour la 3ème partie du TASIT
uniquement (Détection sarcasme,
mensonges ; inférences sociales).
Thaler et al (2013)
24 TB+
24 TB30 Sz
24 SC
Absence
d’épisodes
pendant 30 jours
comme définis
dans SCID-IV
BLERT, RMET, Hinting Task, AIPSS
(capacités sociales complexes et
identification émotions)
Diminution significative de la
reconnaissance d’émotion globale en vidéo
(BLERT) chez Sz et TB+ par rapport à SC et
TB-. Absence de différence entre TB- et SC.
Absence de différence significative pour la
Hinting task.
Diminution significative à l’AIPSS pour TB+,
TB- et Sz par rapport SC
55
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Van Rheenen et al (2013)81
49 TB (17 euthymiques, 4
hypomanes ou maniaques,
12 en épisode mixte, 16
déprimées)
49 SC
MADRS<8,
YMRS<8
Picture Sequencing Task (fausses
croyances, raisonnement sur relations
causales, connaissances sociales,
inhibition d’information inappropriée)
Erreurs significativement plus importantes
en fausses-croyances pour TB. Manque de
significativité pour les autres domaines.
Barrera et al (2012)
12 TB1-2 E, 12 SC
HDRS<7, YMRS<8
Faux-pas, RMET
Absence de différences au RMET. TB en
dessous des normes pour les Faux-pas, mais
sans différence significative avec SC
Bora et al (2005)
43 TB1 E, 30 SC
HDRS<7, YMRS<6
Hinting task, RMET
Atteinte chez TB1
Ibanez et al (2012)
13 TB2 E, 13 C
MADRS≤8,
YMRS≤6
Faux-pas, RMER
Absence de différence au RMET. Altération
de la reconnaissance des faux-pas
Inoue et al (2004)
16 TBE, 34 DU, 50 SC
HDRS<7
Fausses croyances 1er et 2ème ordre
Altération
Kerr et al (2003)
48 TB (13 E), 15 SC
Fausses croyances 1er et 2ème ordre
Absence de différences
Lahera et al (2008)
75 TB1 E, 48 SC
HDRS<8, YMRS<8
Histoires étranges de Happé
Altération
Lahera et al (2012)
39 TB1-2 E
HDRS<8, YMRS<6
Faux-pas
Pas de différences de manière globale.
Altération pour les TB « low-functionning »
par rapport aux « high-functionning »
Malhi et al (2008)
20 TB1 E, 20 SC
HDRS≤6, YMRS≤6
Tâches complexes de ToM
Altération. Activation corticale diminuée par
rapport SC
Martino et al (2011)
81 TB162 E, 34 SC
HDRS≤8, YMRS≤6
Faux-pas. RMET
Altération à la reconnaissance des faux-pas
McKinnon et al (2010)
14 TB1-2, 14 SC
Etat
subsyndromique :
7≤HDRS≤15,
YMRS<10
Fausses croyances de 1er et 2ème ordre
Altération
BDI
56
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Montag et al (2010)
29 TBE, 29 SC
HDRS<14,
YMRS<5
MASC
Altération de ToM cognitive
Olley et al (2005)
15 TB1 E, 13 SC
HDRS<12,
YMRS<12
ToM de 2ème ordre
Altération lors de tâches verbales, pas
visuelles
Shamay-Ysoory et al (2009)
19 TB1 E, 20 SC
HDRS≤9, YMRS≤7
Faux-pas, RMET
Altération de la ToM cognitive, pas de la
ToM affective. Absence de différence au
RMET
Wolf et al (2010)
33TB (11 E), 29 SC
HDRS<15,
YMRS<12
ToM de 1er, 2ème, 3ème ordre
Altération
Tableau 2: Principales études explorant la ToM dans le trouble bipolaire en phase euthymique de l’adulte
TB : Trouble bipolaire ; TB1 : Trouble bipolaire de type 1 ; TB2 : trouble bipolaire de type 2 ; SC : sujets contrôles ; REF : Reconnaissance des émotions faciales ; YMRS :
Young’s Mania Rating Scale ; HDRS : Hamilton Depression Rating Scale ; DU : dépression unipolaire ; IDS-C : Inventory of Depressive Symptomatology ; MADRS :
Montgomery Asberg Depression Rating Scale ; RMET : Reading the mind in the eyes test ; TASIT : The Awareness of Social Inference Test ; AIPSS : Assessment of
Interpersonal Problem Solving Skills ; BLERT : Bell-Lysaker Emotion Recognition Task ; BDI : Beck depression inventory ; MASC : Movie for the Assessment of Social
Cognition
57
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1.3.3. Limites méthodologiques, facteurs confondants et fonctions exécutives
Les résultats de ces différentes études sont donc en faveur d’une altération de la CS dans
les troubles bipolaires qui serait toutefois très modérée. Les données ne sont pas suffisantes
pour que l’on puisse avoir des certitudes, et encore moins pour soutenir l’hypothèse que ces
troubles puissent être considérés comme des marqueurs de traits.
En effet de nombreux autres facteurs peuvent être impliqués, en plus des limites
méthodologiques propres à chaque étude, à savoir principalement un risque d’erreurs de type
2 du fait de petits effectifs, mais aussi une variabilité des définitions de l’euthymie ainsi que
des instruments d’exploration de la CS.
Parmi ces facteurs confondant Samamé et al dans leur méta-analyse de 201265 n’avaient
pas retrouvé d’association entre les performances en REF ou en ToM et l’âge, le niveau
d’éducation, le sexe ou la durée d’évolution de la pathologie, dans des populations toutefois
relativement jeunes.
L’implication des traitements pharmacologiques était moins claire avec un effet négatif des
antipsychotiques sur la REF, sans que la significativité ne soit atteinte du fait du petit nombre
d’études. Une hypothétique influence des psychotropes est à prendre en compte, notamment
aux vues des résultats de plusieurs études chez le sujet sain. Ainsi les benzodiazépines ont une
influence négative dans la REF (Zangara et al 2002, Del-Ben et al 2010)65, 89. A l’opposé des
doses uniques d’inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) administrées là aussi chez le
sujet sain permettent d’améliorer la reconnaissance des expressions de joie, et ce
indépendamment des changements de l’humeur82.
L’hétérogénéité des résultats peut aussi être liée à des limites propres au TB et notamment
l’hétérogénéité de celui-ci. Ce que certaines études essayent de prendre en compte en
différenciant les types de TB, la présence ou non de symptômes psychotiques lors des
épisodes aigus, la persistance de symptômes affectifs de faible intensité (« subsyndromique »)
ainsi que la présence de troubles neurocognitifs lors des phases intercritiques.
Le rôle des fonctions exécutives doit lui aussi être pris en compte. Martino et al en 2011 et
David et al en 2014, entre autres, s’en sont préoccupés et les résultats sont intéressants. En
effet ils montrent une participation importante à la fois dans la REF et dans la ToM. Ainsi dans
l’étude de Martino et al la prise en compte de troubles en fonction exécutives dans les
58
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
analyses réduit la différence qu’il existait entre les groupes de sujets bipolaires et de patients
contrôles, ne permettant plus de les différencier dans des tâches de REF et de ToM. Il convient
tout de même de modérer la part de ces troubles car l’exposition aux psychotropes était aussi
prise en compte associée aux fonctions exécutives. Ils mettent en avant qu’environ 25% de la
variance dans des tâches de ToM pourrait être liée à des troubles attentionnels ou exécutifs.
De leur côté David et al ont mis en corrélation les capacités en REF et les fonctions exécutives
testées par le Wisconsin Card Sorting Test (WCST). Ils retrouvent ainsi que six des sept
variables du WCST sont corrélés avec la REF chez les sujets bipolaires euthymiques (et chez les
sujets contrôles) mais ne le sont pas lors d’épisodes de décompensation thymiques. Plusieurs
études ont aussi pu montrer une corrélation entre fonctions exécutives (capacités
d’inhibition) et régulation émotionnelle dans le TB et les apparentés au premier degré 74.
Une atteinte des fonctions exécutives impacte donc probablement la CS, toutefois il n’est
pas encore clairement établi à quel niveau et dans quelle intensité. Il faut aussi prendre en
compte que les tests de CS ne paraissent pas spécifiques à la CS et impliquent fréquemment
les fonctions exécutives.
1.3.4. Impact clinique et social
Plusieurs études mettent en avant une diminution de la qualité de vie et du sentiment de
bien-être chez des patients bipolaires, même en phase de rémission. A cela on peut aussi
ajouter un taux plus important de chômage et de conflits interpersonnels avec répercussion
sur la sphère sociale et familiale83,84. Toutefois on observe une hétérogénéité importante et
jusqu’à un quart des patients retrouveraient un bon niveau de fonctionnement, voire un
excellent niveau75. Ces atteintes du fonctionnement psychosocial et de la qualité de vie ont
des conséquences négatives augmentant la fréquence des rechutes thymiques ainsi que le
risque suicidaire85, et peuvent compliquer le processus de rétablissement. Plusieurs facteurs
ont été évoqués comme pouvant être prédictif d’un plus mauvais fonctionnement
psychosocial à long terme, citons ainsi en premier lieu la persistance de symptômes dépressifs
de manière subsyndromique, mais aussi de troubles cognitifs (mémoire verbale et fonctions
exécutives)86. D’autres études ont questionné le rôle de la iatrogénie, des comorbidités
addictives, des symptômes psychotiques, de l’histoire du trouble (début précoce, durée
d’évolution, nombres d’épisodes) ainsi que d’un bas niveau de fonctionnement prémorbide 87.
Dans une étude de 2010 Depp et al se sont plus particulièrement intéressés aux compétences
59
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
sociales et au fonctionnement dans les relations interpersonnelles et ont mis en avant une
corrélation importante entre ce fonctionnement et des symptômes dépressifs persistants 88.
La présence de troubles en CS pourrait aussi être importante à prendre en compte dans ce
contexte, voire même être considérée comme un facteur déterminant car impliqué dans les
interactions sociales qui paraissent être cruciales dans le fonctionnement au quotidien.
Plusieurs études ont d’ailleurs mis en avant le rôle de la CS comme facteur prédictif du
fonctionnement social dans la schizophrénie 16. Malgré ces hypothèses, peu d’études ont été
réalisées dans le cadre du trouble bipolaire et les résultats sont, là aussi, parfois
contradictoires et d’une faible puissance, semblant à nouveau refléter l’hétérogénéité des
troubles bipolaires.
Les premières études à avoir inclus le fonctionnement psychosocial dans des études de CS
datent de 2011. Ainsi Martino et al notaient une corrélation négative entre reconnaissance de
la peur, du dégoût et le fonctionnement psychosocial. Toutefois ces variables n’étaient pas
des facteurs prédictifs indépendants du fait de troubles neurocognitifs comme facteurs
confondants89. Hoertnagl et al ont mis en évidence, dans une étude centrée sur la qualité de
vie comprenant 47 patients avec un trouble bipolaire de type I, des difficultés à la
reconnaissance de la peur et de la joie. Après correction, seule la bonne reconnaissance de la
joie était corrélée positivement avec la plupart des domaines de qualité de vie explorés par
l’échelle de l’OMS (WHOQOL-BREF). Il est à noter par ailleurs que le score global à la WHOQOLBREF était plutôt bon (64,6/100) mais que les résultats les plus bas étaient retrouvés dans la
sous-section concernant les relations sociales90.
Fulford et al75 n’ont pu démontrer de lien particulièrement clair entre un trouble de
reconnaissance des émotions faciales et qualité de vie mesurée par la Brief Quality of Life in
Bipolar Disorder (QoLBD), notamment du fait d’une absence de différence entre patients et
sujets contrôles à la reconnaissance des émotions faciales. Ils notent toutefois que la capacité
à bien reconnaître la peur est corrélée positivement à la qualité de vie après avoir pris en
compte les facteurs démographiques et les symptômes thymiques chez les sujets bipolaires.
Dans une autre étude les mêmes auteurs mettent en avant une corrélation entre un meilleur
score à une évaluation subjective de la perception des émotions et la qualité de vie mesurée
par le WHOQOL-BREF75. A noter aussi que la présence de symptômes de dépression, même
faibles, influe sur l’évaluation subjective de la qualité de vie.
60
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Aydemir et al, dans une lettre à Acta Psychiatrica Scandinavica en réponse à la métaanalyse de Samamé et al, rapportent les résultats d’une étude qu’ils ont menée et qui met en
avant une corrélation entre l’identification, la discrimination des émotions faciales et
différents domaines du fonctionnement psychosocial (participation aux activités sociales, aux
activités de la vie quotidienne ainsi qu’aux loisirs, prise d’initiative et sentiment d’autonomie).
Ils ne retrouvent cette corrélation que lors des phases euthymiques et pas lors des épisodes
de décompensation thymique91.
Dans une étude récente Van Rheenen et al85 se sont intéressés au lien entre
fonctionnement psychosocial subjectif (grâce à la QoLBD) et objectif, mesuré par l’échelle
d’Evaluation Globale du Fonctionnement (EGF), la cognition sociale (création d’un score
composite regroupant une évaluation de la ToM et de la REF) et la régulation émotionnelle
(Difficulties in Emotion Regulation Scale). Comparé à un groupe témoin les scores de
fonctionnement psychosocial étaient significativement diminués et surtout corrélés à la
régulation émotionnelle, qui est, elle, particulièrement liée à la présence de symptômes
dépressifs. Ils émettent ainsi l’hypothèse que des troubles de la régulation émotionnelle
entraineraient le maintien de symptômes thymiques dépressifs avec une implication sur le
fonctionnement psychosocial.
Lahera et al87 ont exploré cette problématique avec un design différent en créant deux
groupes de patients avec TB de type I ou II mais différant par leur niveau de fonctionnement
global (faible et haut) en utilisant l’échelle Functionning Assessment Short Test (FAST), plus
précise que l’EGF, permettant notamment d’explorer différents domaines. Les résultats
montrent une atteinte significative de la cognition sociale tant au niveau de la reconnaissance
des émotions faciales qu’à un test de faux-pas sociaux chez les patients avec un bas niveau de
fonctionnement. Un déficit cognitif a aussi été mis en évidence, notamment en ce qui
concerne l’attention soutenue. Par contre on ne note pas de différences entre le groupe à
haut niveau de fonctionnement et un groupe témoin, tant en CS qu’en neurocognition. Une
corrélation a aussi été retrouvée entre le score FAST et les performances au faux-pas sociaux,
au test attentionnel ainsi qu’avec la présence de symptômes dépressifs subsyndromiques.
Corrélation qui persiste pour la CS verbale (faux-pas) après régression logistique mais avec
une influence des symptômes thymiques, même atténués, ce qui pour les auteurs paraît être
61
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
le point le plus important. Ils font en effet le lien entre ces symptômes thymiques persistants,
les troubles en CS et le fonctionnement global.
Ainsi des troubles en CS lors de l’euthymie semblent avoir un rôle, mais ne peuvent être
considérés comme les déterminants principaux d’un plus mauvais fonctionnement
psychosocial. Les symptômes thymiques résiduels, même à un niveau très modéré semblent
avoir une influence importante, peut-être en lien avec une dérégulation émotionnelle. De
même en ce qui concerne les déficits neurocognitifs. Il est aussi probablement important de
prendre en compte les conséquences psychosociales des troubles du comportement lors des
épisodes maniaques mais aussi dépressifs.
1.3.5. Aspects thérapeutiques
La présence de troubles en CS chez un certain nombre de patients avec un trouble bipolaire
et l’influence probable sur le fonctionnement psychosocial global chez ceux-ci, fait qu’il peut
être intéressant de développer des stratégies thérapeutiques en lien. L’influence de
symptômes dépressifs subsyndromiques sur ces différents aspects comme noté
précédemment peuvent en faire une des premières cibles en adaptant le traitement
pharmacologique et en proposant une prise en charge psychothérapique adaptée.
Les stratégies de remédiation cognitive utilisées dans la schizophrénie pourraient aussi
s’avérer bénéfiques, en les adaptant au besoin, au trouble bipolaire. Plusieurs programmes de
remédiation cognitive ont été développés dans la schizophrénie et certains, comme nous
l’avons déjà évoqué, sont centrés sur la CS42. Lahera et al ont ainsi proposé un de ces
programmes, la Social Cognition and Interaction Training (SCIT) à des patients présentant un
trouble bipolaire ou schizoaffectif (majoritairement des patients présentant un trouble
bipolaire de type I). Les premiers résultats sont plutôt positifs avec une amélioration modérée
de la reconnaissance des émotions faciales, une amélioration importante de l’identification et
de la discrimination des émotions faciales dans deux autres tâches, une amélioration minime
du score à la Hinting Task évaluant la ToM, ainsi qu’une diminution minime à modérée des
biais d’attribution à l’Ambiguous Intention Hostility Questionnaire (AIHQ). Toutefois il n’était
pas retrouvé d’amélioration à l’EGF92.
En dehors d’un aspect thérapeutique certains auteurs ont évoqué la possibilité d’une
implication diagnostique des différents profils de cognition sociale. Ainsi Mourão et al ont
62
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
tenté de distinguer dépression unipolaire de dépression bipolaire à l’aide d’une analyse des
patterns d’activité neurale en IRMf en réponse à la présentation de visages neutres et joyeux
d’intensité variable. Les résultats préliminaires permettaient une distinction significative mais
tout de même peu précise et dans une faible population93.
1.3.6. Chez la personne âgée avec trouble bipolaire
Une recherche sur les bases de données MEDLINE, Psycinfo et Science Direct (réalisée le
27 avril 2014) n’a pas permis de trouver de données dans la littérature scientifique concernant
la CS dans les troubles bipolaires du sujet âgé.
Toutefois, à notre connaissance, il existe deux travaux universitaires qui se sont intéressés
au sujet.
Ainsi E. Pongan a consacré son mémoire de deuxième année de master en
neuropsychologie à l’étude de la reconnaissance des émotions faciales chez des patients
bipolaires vieillissants94. Malgré un faible effectif elle note une altération de la reconnaissance
des émotions faciales dans le groupe bipolaire comparé à un groupe contrôle apparié en âge,
sexe et niveau d’études. Cette difficulté se retrouve dans toutes les émotions testées mais
uniquement pour de faibles niveaux d’expressivité (morphing à 20%). Pour des stimuli
ambigus de ce type il est possible que le traitement de l’information nécessite un traitement
plus cognitif qu’émotionnel, ce qui peut être mis en lien avec un trouble des fonctions
exécutives, aussi retrouvé chez les patients dans cette étude. Un lien entre ces déficits et un
émoussement affectif ou une présentation apathique dans le trouble bipolaire vieillissant est
aussi évoqué par Pongan.
Etonnamment il est aussi retrouvé une meilleure reconnaissance de la peur pour un
morphing de 40% chez les sujets bipolaires. L’auteure indique le possible rôle d’une
augmentation de la taille de l’amygdale chez le sujet bipolaire. La faible taille de l’échantillon
doit tout de même faire relativiser ce résultat.
L. Cohen a pour sa part consacré sa thèse d’exercice à la ToM dans les troubles bipolaires
du sujet âgé95 qu’elle explore à l’aide d’un test de reconnaissance des faux-pas sociaux ainsi
que d’un RMET. Les effectifs sont, là aussi, faibles (11 patients avec un trouble bipolaire de
type I ou II et 11 sujets contrôles) et aucune différence n’a pu être retrouvée entre les deux
groupes. Il faut aussi noter que l’âge moyen des groupes restait relativement jeune (65,6 ans
63
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
pour le groupe bipolaire et 67,5 pour le groupe contrôle) et que le groupe bipolaire était peu
homogène quant à l’âge de début, le nombre d’épisodes et le type du trouble. Elle peut
toutefois mettre en avant une corrélation entre les performances aux tests neurocognitifs (en
particulier pour les fonctions exécutives) et la ToM.
Il n’y a ainsi que très peu de travaux concernant la CS chez le sujet âgé présentant un
trouble bipolaire.
2. Evolution du trouble bipolaire chez la personne âgée
2.1.
Modifications cliniques
2.1.1. Hétérogénéité clinique du trouble bipolaire
2.1.1.1.
Historique
Les premières descriptions des états maniaques et mélancoliques datent de l’Antiquité
grecque dont Hippocrate mais surtout Arétée de Cappadoce qui au Ier siècle après J.-C. décrit
un lien entre ces deux états et leur alternance chez un même patient96.
C’est le psychiatre allemand Emil Kraepelin, un des pères de la nosographie moderne, qui
créera l’entité et le terme de « maladie maniaco-dépressive » à la toute fin du XIXème siècle.
Ce concept regroupe en fait plusieurs entités nosologiques dont la folie circulaire décrite par
le français Jean-Pierre Falret en 1854, la manie, la mélancolie, la dépression récurrente, la
dysthymie, la cyclothymie et la mélancolie d’involution. C’est le critère d’une évolution
cyclique qui était prééminent pour Kraepelin, en opposition à l’évolution progressive de la
dementia praecox, dont le terme apparaît, lui aussi, dans la 6ème édition de son traité de
psychiatrie (1899), à la base de la fameuse dichotomie kraepelinienne 97.
Cette caractéristique cyclique prenait même pour Kraepelin un aspect plus important que
les symptômes présentés et certaines descriptions de maladie maniaco-dépressives qu’il a
réalisées se rapprochent plus d’un trouble schizo-affectif voire d’une schizophrénie selon les
classifications actuelles.
L’intégration de différentes entités nosographiques sous un concept global a eu ses
détracteurs, de même que la dichotomie kraepelinienne. Citons ainsi le psychiatre allemand
Karl Kleist qui après des études à Strasbourg puis dans la clinique de Kraepelin à Munich
64
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
identifiera plusieurs « psychoses cycloïdes » et introduira le terme de bipolarité. Avec Karl
Leonhard et Carl Wernicke il sera à l’origine d’une classification des psychoses endogènes
regroupant trente-cinq psychoses97. De même Kretschmer et Kasanin mettront en avant le
trouble schizo-affectif soulevant la question de l’étanchéité entre schizophrénie et maladie
maniaco-dépressive. Enfin, le fait que l’évolution puisse être déficitaire dans certains cas de
maladie maniaco-dépressive et favorable dans certains cas de schizophrénie a, là aussi, fait
revoir ce concept98.
De manière plus récente la remise en cause de la dichotomie kraepelinienne a été étayée
par des études d’épidémiologie, notamment en ce qui concerne l’agrégation familiale avec
une coagrégation des troubles schizophréniques et bipolaires, comme évoquée par l’étude de
Gershon et al, puis par plusieurs autres études, avec l’hypothèse d’un continuum de
vulnérabilité. Des études de jumeaux suggèrent, de leur côté, des facteurs de vulnérabilité
spécifiques à la schizophrénie, ainsi que d’autres spécifiques au trouble bipolaire, mais aussi
certains communs aux deux et aux troubles schizo-affectifs98.
L’avènement du DSM-III en 1980 sous l’égide de R. Spitzer consacrera à la fois le retour
de la pensée de Kraepelin en termes de nosographie globale mais aussi les travaux de
Wernicke, Kleist et Leonhard en ce qui concerne la séparation de troubles bipolaires et
unipolaires99. Cette partition sera reprise dans la CIM-10 en 1992 au sein des troubles de
l’humeur. Le DSM-IV en 1994 introduira la partition du trouble bipolaire en deux grands types
plus selon la polarité que selon la cyclicité : le trouble bipolaire de type I et le trouble bipolaire
de type II, en fonction de l’intensité de l’épisode d’exaltation thymique, respectivement
maniaque ou hypomaniaque. Distinction qui persistera dans les versions suivantes du DSM.
Un type III a aussi été proposé pour les patients présentant un virage de l’humeur
pharmacoinduit (antidépresseur mais aussi corticoïdes et autres traitements).
La notion de spectre bipolaire a été évoquée et défendue par Gerald Klerman. Il entend
par là l’idée que des présentations cliniques variées (phénotypes) sont sous-tendues par un
patrimoine génétique commun (endophénotype apparenté). Ce qui permet notamment
d’introduire les notions de facteurs de risque et de vulnérabilité ainsi que les approches
dimensionnelles. Klerman propose par ailleurs de décrire six sous-types principaux de troubles
bipolaires (Tableau 3 : Sous-types de troubles bipolaires d'après G. Klerman (in ML. Bourgeois. Dichotomie
unipolaire-bipolaire et spectre bipolaire dans les troubles de l'humeur).
65
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Sous-type de troubles bipolaires
Caractéristiques cliniques
BP I
Manie (et dépression)
BP II
Hypomanie et dépression
BP III
Manie ou hypomanie pharmacologique
Pas d’épisodes spontanés
BP IV
Personnalité cyclothymique
BP V
Histoire familiale de trouble bipolaire
Sans symptômes personnels « significatifs »
BP VI
Manie unipolaire
Cycles rapides
Manie secondaire
Manie Dysphorique
Etats mixtes
Tempéraments (Akiskal)
Tableau 3 : Sous-types de troubles bipolaires d'après G. Klerman (in ML. Bourgeois. Dichotomie unipolairebipolaire et spectre bipolaire dans les troubles de l'humeur)
2.1.1.2.
Nosographies actuelles
Dans le DSM-5 publié en 2013 les troubles bipolaires sont séparés des troubles dépressifs
et ainsi il n’existe plus de grande catégorie « troubles de l’humeur » comme dans les versions
précédentes. Ils sont positionnés entre les troubles du spectre schizophrénique et les troubles
dépressifs à dessein, « en reconnaissance de leur place comme pont entre ces deux classes
diagnostiques en terme de symptomatologie, histoire familiale et génétique »53. Il persiste
une distinction en deux grandes catégories, à savoir le trouble bipolaire de type I et de type II
(les critères diagnostiques sont donnés en annexe). Sont aussi évoqués le trouble
cyclothymique, le trouble bipolaire associé à une autre affection médicale, le trouble bipolaire
dû à un abus de substance et le trouble bipolaire non classé ailleurs.
La CIM-10 inclut les troubles bipolaires dans les troubles de l’humeur (affectifs), les
critères diagnostiques sont donnés en annexe. Il n’y a pas de distinctions précises en soustypes, si ce n’est en fonction de l’épisode thymique actuel (polarité et sévérité)100. Une des
autres différences avec le DSM-5 est qu’il est nécessaire pour pouvoir parler de trouble
66
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
bipolaire d’avoir eu au moins un épisode de chaque polarité (maniaque/hypomane et
dépressif ou mixte qui peut compter pour les deux polarités).
Les classifications actuelles favorisent donc à l’heure actuelle une vision globale, plus
catégorielle que dimensionnelle de ces troubles, même si certaines avancées sont notées par
Angst dans le DSM-5101. Une approche dimensionnelle bien que conceptuellement
intéressante achoppe toutefois sur le manque de données scientifiques et la difficulté à
l’intégrer dans la pratique clinique.
L’hétérogénéité dans les présentations cliniques peut se voir en fonction de la rythmicité
des troubles, de leur intensité ou sévérité, de la présence de symptômes psychotiques, de la
durée des épisodes, de la réponse pharmacologique, de la persistance de symptômes
intercurrents, soit thymiques soit cognitifs, de la présence d’un tempérament affectif
particulier, etc…
La présence de marqueurs de traits du trouble bipolaire, ou en tout cas du spectre
bipolaire pourrait avoir un impact non-négligeable. La cognition sociale avait été envisagée
dans ce but-là, hélas, comme vu précédemment, les résultats ne sont pour l’instant pas
probants et cela ne semble qu’ajouter à l’hétérogénéité clinique. L’apport de la CS pourrait
résider autre part, comme argument supplémentaire de certains sous-types ou comme
marqueur de troubles du fonctionnement psychosocial et possible cible thérapeutique. Ou
encore comme facteur prédictif d’une évolution particulière lors du vieillissement.
Comme la population générale, les patients présentant des troubles bipolaires
bénéficient de l’allongement de l’espérance de vie. La question de l’évolution de ces troubles
se pose ainsi et notamment savoir s’il y a un profil hétérogène qui pourrait s’exacerber avec
le vieillissement.
2.1.2. Hétérogénéité de l’évolution
Le caractère évolutif d’un trouble psychiatrique fait parti des caractéristiques qui
permettent sa définition. Ainsi la séparation en TB de type I et TB de type II dans le DSM-IV a
pu aussi se justifier par une certaine stabilité diagnostique sur le long-terme puisque, d’après
le DSM-5 seul 5 à 15 % des patients présentant un TB de type II vont présenter un épisode
maniaque et ainsi remplir les critères de TB de type I53.
Toutefois l’implication probablement importante de l’environnement dans l’expression
des troubles psychiatriques rend complexe l’observation de l’évolution de ce qui pourrait être
67
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
des troubles différents. L’hétérogénéité clinique parait être encore plus importante chez les
sujets âgés avec le vieillissement jouant un effet de prisme.
La distinction entre évolution déficitaire de la dementia praecox et la présence de phases
asymptomatiques dans la maladie maniaco-dépressive était extrêmement importante pour
Kraepelin. Pourtant il avait pu noter dans ses écrits une augmentation avec l’évolution du
trouble de la durée des épisodes associée à une diminution des intervalles libres. Ces
observations sont à rapprocher de la théorie du « kindling » développée par Post97. Dans son
modèle Post établit une relation entre le stress psychosocial et l’évolution des troubles de
l’humeur, dont les troubles bipolaires. Son hypothèse se base sur un phénomène particulier
le « kindling » qui correspond à une diminution progressive de l’intensité de courant électrique
nécessaire pour provoquer une crise épileptique chez la souris, allant ensuite vers une
autonomisation du trouble. En ce qui concerne les troubles bipolaires le même phénomène
pourrait ainsi être en jeu. Un stress psychosocial majeur serait ainsi impliqué lors des premiers
épisodes puis par la suite l’importance des stress nécessaires irait de manière décroissante,
voire jusqu’à une certaine autonomisation. Les études s’intéressant à cette théorie font face
à des difficultés méthodologiques importantes et les résultats sont contrastés, même s’ils
semblent globalement en faveur, notamment dans certains sous-groupes (plus de six épisodes
thymiques et diminution de l’intervalle libre)102. Des études comme celle de Rosa et al142
suivant le fonctionnement psychosocial chez des patients ayant eu un ou plusieurs épisodes
thymiques sont aussi en faveur d’un modèle de « staging » du trouble où la répétition
d’épisodes contribue à une altération du fonctionnement psychosocial. Le probable effet
neurotoxique des épisodes de décompensation est à prendre en compte dans ce contexte,
avec en plus la persistance de symptômes dépressifs lors de la rémission.
Certains auteurs comme Angst, Osher et Colom, ont aussi mis en avant une distinction du
trouble bipolaire et de son évolution en fonction de la polarité prédominante du trouble. Il y
aurait ainsi pour la moitié des sujets souffrant d’un trouble bipolaire de type I et de type II une
polarité prédominante. Pour l’autre moitié celle-ci est évoquée comme « indéterminée ».
Pour plus de 50 % des patients chez lesquels une polarité a pu être déterminée celle-ci est de
type dépressive. Notons aussi que la polarité de l’épisode initial serait prédictive de la polarité
globale par la suite103.
68
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Chez les sujets bipolaires âgés les épisodes maniaques seraient de moindre intensité que
chez les sujets jeunes. Par contre il n’y aurait pas de différences en ce qui concerne la présence
de symptômes psychotiques. Pour certains auteurs la fréquence d’épisodes mixtes seraient
plus élevée. D’autres évoquent par ailleurs un certain amendement symptomatique chez les
sujets âgés104. Il y aurait aussi moins de troubles du cours de la pensée, une euphorie moins
intense, remplacée par une irritabilité et plus d’éléments délirants de persécution, ainsi que
plus de symptômes confusionnels et de troubles du comportement à type d’agitation et
d’instabilité motrice. Il a aussi été rapporté une augmentation de la durée des phases de
décompensation avec des périodes euthymiques plus courtes et une augmentation de la
fréquence des cycles rapides105. Nivoli et al, suite à une étude de cohorte, évoquent une
polarisation dépressive plus forte chez les patients âgés avec une prévalence plus importante
de caractéristiques mélancoliques106. Depp et al ont mené une revue de la littérature sur le
sujet, concluant notamment pour les caractéristiques avec le degré de preuve le plus fort, en
une baisse de la prévalence avec l’âge, une diminution de la fréquence des abus de
substances, une association à des troubles neurologiques plus fréquente lorsque le premier
épisode maniaque est tardif et une hétérogénéité de la présentation et de l’évolution 107.
Plusieurs auteurs ont proposé une distinction du trouble bipolaire chez le sujet âgé en
fonction de l’âge de début du trouble (avant ou après 50 ans en règle générale). Les formes
tardives auraient plus de comorbidités neurologiques nécessitant des explorations plus
poussées104. Il faut aussi prendre en compte les bipolarisations tardives de troubles ayant eu
un aspect unipolaire dépressif initial. D’autres études ont proposé de prendre en compte l’âge
de début du premier épisode comme facteur permettant de créer des sous-groupes avec
évolution et pronostic spécifique. Ils distinguent ainsi un sous-groupe à début précoce (avant
21 ans) qui présente un pronostic évolutif plus sévère avec un nombre plus élevé de
comorbidités, de cycles rapides, de tentatives de suicides et une plus grande prévalence de
facteurs de risques cardiovasculaires108. Dans une étude de cohorte récente de 593 patients
suivis en ambulatoire, Nivoli et al ont comparé les caractéristiques cliniques et sociodémographiques de patients jeunes et âgés (plus de 65 ans). Le groupe de patients âgés
présentait une symptomatologie majoritairement dépressive, avec des caractéristiques
mélancoliques plus fréquentes. De nombreux biais sont par contre à prendre en compte,
69
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
s’agissant peut-être d’une cohorte de « survivant » et comprenant aussi des patients ayant un
début des troubles plus tardifs (après 40 ans), avec une hétérogénéité importante106.
2.2.
Modifications cognitives
2.2.1. Symptômes cognitifs dans le trouble bipolaire
Le retour à un état initial lors des phases intercritiques fait partie des concepts remis en
cause depuis plusieurs années dans le trouble bipolaire. En effet, au-delà du côté cyclique cher
à Jannet et à Kraepelin, qui est une des caractéristiques principales du trouble, les recherches
mettent en évidence la persistance de symptômes lors de ces phases intercritiques, et
notamment la présence de troubles neurocognitifs. Notons que certains, comme Bora et al,
avaient proposé d’inclure ces déficits dans les critères du DSM-5 pour le trouble bipolaire109.
Toutefois ceux-ci ne seraient pas présents chez tous les patients lors des phases
euthymiques. Gualtieri et al ont ainsi noté une fréquence de trente pour cent109. Des déficits
neurocognitifs sont présents de manière plus globale et en plus grande fréquence lors des
épisodes de décompensation, et ce, peu importe la polarité de l’épisode.
L’impact de ces troubles cognitifs est à prendre en compte, pouvant retentir sur le
fonctionnement psychosocial et donc la rémission fonctionnelle, mais aussi sur l’observance
et l’adhérence au traitement médicamenteux.
Les domaines cognitifs les plus touchés sont la mémoire, les processus attentionnels, les
fonctions exécutives et la vitesse de traitement ; soit des troubles comparables à ceux
retrouvés dans la schizophrénie mais avec une intensité moindre. Par contre le
fonctionnement intellectuel global serait préservé109.
Les déficits attentionnels concernent l’attention soutenue, à la fois lors des épisodes
thymiques et en euthymie. Il est intéressant de noter que des troubles du même ordre sont
retrouvés chez des apparentés sains et que les déficits attentionnels paraissent stables dans
le temps (d’après une étude de suivi sur deux ans). Toutefois les résultats sont hétérogènes
en fonction des patients109.
Concernant la sphère mnésique on constate une atteinte de la mémoire de travail. Deux
métaanalyses (Arts et al, 2008 et Kurtz et al, 2009) ne concordent toutefois pas en ce qui
concerne l’intensité du déficit et son hétérogénéité. Plusieurs facteurs confondants sont à
70
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
prendre en compte (niveau d’éducation, présence de symptômes psychotiques, traitements
médicamenteux,…). On retrouve aussi un déficit en mémoire épisodique verbale dans
l’ensemble des phases de la pathologie109.
Les fonctions exécutives sont, elles-aussi, altérées dans les troubles bipolaires, ainsi que
chez les apparentés sains. Ces déficits paraissent être présents de manière précoce et seraient
relativement stables. Toutefois certaines études mettent en avant une aggravation avec la
récurrence des épisodes thymiques. On retrouve aussi une altération de la vitesse de
traitement des informations, et ce indépendamment de l’action des psychotropes. Cette
atteinte se retrouve aussi chez les apparentés au premier degré 60.
Il semblerait exister un lien entre la présence de déficits cognitifs et une évolution plus
sévère du trouble bipolaire. Notons aussi la présence plus fréquente de ces atteintes,
notamment mnésiques, dans le trouble bipolaire de type 1 et ceux ayant eu des épisodes
thymiques avec caractéristiques psychotiques109.
2.2.2. Déclin cognitif et évolution démentielle
On retrouve une hétérogénéité en ce qui concerne les déficits cognitifs chez la personne
âgée, encore plus que chez l’adulte, avec une grande variabilité du niveau de fonctionnement.
Le vieillissement dans le trouble bipolaire parait être particulièrement hétérogène et il y
pourrait y avoir une évolution démentielle dans certains cas, de manière indépendante
d’autres pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou de pathologies
liées à une cause vasculaire109.
De manière globale la prévalence de pathologies démentielles dans le trouble bipolaire
est estimée à 4,5% par Sajatovic et al, et à 19% par Nunes et al104. Dinghers et al ont noté dans
une étude suivant des patients âgés, plusieurs années après un épisode maniaque, une
incidence de démence dix fois plus élevée que celle attendue par rapport à l’âge. Ce à quoi il
faut ajouter un nombre important de décès110. Et d’après une méta-analyse d’Ownby et al104
il semblerait que ce risque augmente avec la fréquence des épisodes de décompensation
thymique majeure, soulevant à nouveau l’hypothèse d’une neurotoxicité de ceux-ci.
Gildengers et al135 montrent pour leur part une dégradation cognitive plus rapide des sujets
bipolaires, par rapport à des sujets sains sur une durée de trois ans. Par rapport à la population
générale l’apparition des troubles seraient plus précoce. Notons par ailleurs que les patients
71
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
dont le trouble a débuté avant 50 ans paraissent avoir plus de risque de développer des
troubles cognitifs. Le risque accru de démence est aussi aggravé par la présence d’un abus de
substance, comorbidité fréquente, et de facteurs de risques vasculaires104.
L’hypothèse d’une aggravation des troubles cognitifs avec le temps dans le trouble
bipolaire
est
toutefois
décriée
par
certains,
partisans
d’une
hypothèse
neurodéveloppementale et non pas neurodégénérative. Ainsi Martino et Strejilevich ont
comparé deux groupes de patients bipolaires, 24 « jeunes » (moins de 40 ans) et 23 plus âgés
(plus de 60 ans)111. Les résultats de cette étude n’étaient pas en faveur d’une évolution des
troubles cognitifs devant une absence de différences significatives dans le profil cognitif. Par
contre ils n’excluent pas la possibilité de sous-groupes de patients pouvant présenter des
détériorations cognitives, en particulier ceux avec un début de maladie plus tardif. Samamé
et al65 ont pour leur part réalisé une méta-analyse d’études longitudinales suivant l’évolution
des symptômes cognitifs chez des patients adultes présentant des troubles bipolaires. Cette
méta-analyse s’avère ne pas être en faveur d’une évolution progressive des déficits cognitifs.
Notons tout de même que la durée moyenne de suivi n’est que de 4,62 années. Pour ces deux
articles se pose par ailleurs la question d’autres biais, et en particulier les effets des
traitements, qu’ils soient neuroprotecteurs ou aggravant certains troubles.
Plusieurs éléments peuvent rapprocher les troubles cognitifs des sujets âgés souffrant
d’un trouble bipolaire de ceux présents dans les démences frontotemporale (DFT). On
retrouve fréquemment un syndrome dysexécutif s’accompagnant de troubles visuospatiaux
ainsi qu’un tableau d’atteinte mnésique cortico-sous-corticale105. Un syndrome frontal
comportemental est aussi plus fréquemment retrouvé avec une prédominance de l’apathie
et, de manière moins fréquente que dans les DFT, une négligence physique et une indifférence
affective111. Pour leur part Velakoulis et al dans une revue de la littérature isolent un sousgroupe au sein de patients présentant une DFT qui se caractérise par un début plus précoce
et une présentation phénotypique psychiatrique de type schizophrénique ou bipolaire avec
une évolution lente. Rhys et al isolent eux-aussi un sous-groupe particulier à évolution très
lente, dans lequel on ne retrouverait par ailleurs aucune anomalie en imagerie morphologique
et métabolique106.
Notons aussi que certains auteurs comme Rizzo et al112 avancent que le TB peut être
considéré comme une pathologie du « vieillissement accéléré », certaines anomalies
72
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
physiopathologiques observées dans ce trouble pouvant être retrouvées dans le vieillissement
physiologique et pathologique (altérations des structures cérébrales, troubles cognitifs,
dérégulation des mécanismes en lien avec le stress oxydatif, le métabolisme amyloïde, des
dérégulations immunologiques, l’immunosénescence, une insuffisance neurotrophique et un
raccourcissement des télomères).
2.3.
Facteurs influençant l’évolution du trouble bipolaire
2.3.1. Toxiques et comorbidités addictives
Les comorbidités addictives sont extrêmement fréquentes dans le trouble bipolaire, plus
que dans les autres pathologies psychiatriques. Une enquête du National Insitute of Mental
Health de 1990 retrouvait ainsi une prévalence de 56,1 % vie entière pour l’abus de substance
ou la dépendance de substance. La comorbidité addictive a une implication particulière sur
l’évolution du trouble. En effet les épisodes thymiques sont plus longs et souvent avec une
symptomatologie plus sévère. A l’inverse les phases intercritiques sont plus courtes et au final
les cycles sont plus rapides. L’association à une modification des rythmes sociaux due aux
comportements addictifs augmente encore le risque.113
2.3.2. Impact des traitements
L’efficacité des traitements thymorégulateurs n’est plus à démontrer. L’arrivée des sels
de lithium puis des anticonvulsivants et des antipsychotiques atypiques a permis d’améliorer
l’évolution des troubles bipolaires.
Toutefois l’impact de ces molécules est à prendre en compte, notamment en ce qui
concerne les symptômes cognitifs comme les troubles attentionnels, les troubles mnésiques
ou un ralentissement global. L’intensité de cet impact est controversée. Il est difficile de savoir
si ce type de symptômes est un effet secondaire du traitement, une conséquence de
symptômes dépressifs résiduels, ou un symptôme du trouble en soi persistant en phase
euthymique. Le lithium et l’acide valproïque seraient les traitements ayant le plus de
complications de ce type114. Certaines études chez le sujet sain et souffrant de trouble
bipolaire mettent d’ailleurs en avant une diminution des performances en vitesse de
traitement et en mémoire verbale115. L’effet serait plus important avec les antipsychotiques,
lors de polythérapies, lors de posologies élevées ou lors d’associations avec des
benzodiazépines ou des molécules anticholinergiques 116.
73
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
De manière paradoxale mais de plus en plus documentée, il est à noter qu’un traitement
par lithium pourrait avoir un effet neuroprotecteur en activant les facteurs neurotrophiques
comme le BDNF ou en protégeant les neurones de l’apoptose et de l’action toxique du
glutamate117. Le lithium pourrait ainsi moduler des voies liées au vieillissement avec une perte
neuronale plus faible, une diminution du stress oxydatif, une modulation du système
immunitaire et des télomères plus longs112. Une action neurotrophique aurait aussi été notée
avec la lamotrigine et le valproate117. Les thymorégulateurs pourraient aussi, tout simplement,
améliorer les déficits neurocognitifs en réduisant les symptômes subsyndromiques et le
nombre de rechutes118.
2.3.3. Facteurs psychosociaux
La présentation d’un grand nombre de troubles psychiques peut être influencée par la
présence d’évènements de vie majeurs ou de facteurs de stress chronique. L’évolution d’un
trouble bipolaire peut être conditionnée par ces évènements, au moins en partie, suivant un
modèle stress/vulnérabilité. Une interaction entre des facteurs génétiques et des facteurs
psychologiques et environnementaux paraît être à l’origine de l’expression de la maladie et
des différentes phases. Les évènements bouleversant les rythmes sociaux (Social rhythm
disruption) paraissent ainsi avoir une implication, notamment dans le déclenchement
d’épisodes maniaques, comme évoqué par Ehlers et al119. Les évènements de vie précoce
paraissent aussi jouer un rôle important dans le développement du trouble, notamment via
une plus grande réactivité ultérieure aux évènements. On note aussi des différences entre les
individus souffrant d’un trouble bipolaire dans leur réactivité aux stress, en fonction de traits
cognitifs ou de type de personnalité123.
2.3.4. Symptômes résiduels
Depuis quelques années la phase intercritique ou euthymique fait l’objet de nombreuses
recherches. Celles-ci mettent en avant la persistance de symptômes résiduels chez des
patients en rémission syndromique (c’est-à-dire ne remplissant plus les critères du DSM). Dans
une étude d’Azorin et al120, les patients présentant des symptômes résiduels avaient présenté
significativement plus d’épisodes maniaques avec caractéristiques psychotiques, des durées
d’épisodes plus longues, des comorbidités addictives et anxieuses ainsi qu’un délai plus long
avant l’instauration d’un traitement thymorégulateur. D’autres études mettent en avant un
74
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
risque de récidive maniaque ou dépressive plus important en présence de symptômes
résiduels ainsi qu’un temps avant récurrence d’épisode jusqu’à cinq fois plus court. Ces
symptômes subsyndromiques auraient aussi un impact non-négligeable dans le
fonctionnement psychosocial, ne permettant pas d’atteindre une rémission fonctionnelle. Ils
influeraient aussi sur la santé somatique, le sommeil, les cognitions et les émotions. Dans
l’étude EMBLEM (European Mania in Bipolar Evaluation of Medication) 64% des 1656 patients
inclus ont atteint une rémission symptomatique après un épisode maniaque ou mixte alors
que seul 34% de ces mêmes 1656 patients étaient en rémission fonctionnelle121.
Certains auteurs évoquent aussi la présence d’une hyperréactivité émotionnelle lors des
phases intercritiques. Ainsi certains sujets bipolaires présenteraient une réponse
émotionnelle plus forte aux stimulations environnementales, même lors de stimulus neutre.
Ils auraient aussi une plus grande labilité émotionnelle au cours de la journée. Cette
hyperréactivité émotionnelle pourrait favoriser un plus grand nombre de rechutes thymiques.
122
75
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Deuxième Partie :
Etude des capacités
d'identification des expressions
faciales émotionnelles
76
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1. Comparaison des capacités d’identification de sujets
bipolaires âgés et de sujets témoins
1.1.
Introduction
Ainsi qu’évoqué lors de la première partie de ce travail il n’y a, à notre connaissance, pas
de travaux dans la littérature internationale s’étant intéressés à l’évolution de la cognition
sociale chez les sujets âgés présentant un TB. Si une thèse d’exercice a bien exploré la ToM
dans ce contexte95, il n’y en aurait aucune sur les capacités d’identification des émotions
faciales dans cette population spécifique.
La méta-analyse réalisée par Samamé et al en 201265 chez des patients avec un TB en
phase euthymique concernait des sujets relativement jeunes et ne mettait en avant qu’un très
faible, mais significatif, déficit en reconnaissance des émotions faciales. Les auteurs restaient
toutefois prudents quant à ces résultats et les études suivantes 71,72,74,78, vont globalement
dans le même sens.
L’évolution des pathologies avec le vieillissement est un point de santé publique
important à l’heure actuelle devant l’avancée en âge de la population et notamment de
personnes présentant des pathologies chroniques, dont des pathologies psychiatriques.
Plusieurs facteurs différents sont à prendre en compte lors de l’exploration de la REF,
notamment les capacités neurocognitives dont les fonctions exécutives74,90 qui sont
susceptibles d’être impactées chez certains patients bipolaires 123 et en particulier chez des
patients âgés124.
Un autre point qui peut être intéressant à explorer est le lien qui peut exister entre les
caractéristiques cliniques du trouble, pouvant jouer sur la présence de troubles en cognition
sociale. Soit, via la présence de symptômes subsyndromiques comme évoqué par Lahera et
al87, soit suite au nombre d’épisodes thymiques et à la durée d’évolution, dans une hypothèse
neurotoxique et neurodégénérative.
L’objectif principal de cette étude était ainsi d’explorer les capacités en REF de sujets âgés
non déments présentant un TB en phase euthymique comparés à des sujets témoins. Les
objectifs secondaires étaient d’explorer les corrélations avec les caractéristiques cliniques et
neuropsychologiques.
77
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1.2.
1.2.1.
Matériel et méthodes
Participants
Seize sujets ont été recrutés au sein de la population des consultants d’un Centre MédicoPsychologique et d’un Hôpital de Jour psychiatrique pour personnes âgés de la région
lyonnaise.
Les critères d’inclusion étaient les suivants : âge supérieur à 60 ans, diagnostic de TB de
type I ou de type II selon les critères du DSM-IV TR avec un premier épisode thymique avant
40 ans, en phase euthymique (définie par un score inférieur ou égal à 7 à la YMRS et inférieur
ou égal à 15 à la MADRS), et sans modification du traitement pharmacologique lors du mois
précédent l’inclusion.
Les critères d’exclusion étaient les suivants : diagnostic de démence selon les critères
DSM-IV TR et le score à la Clinical Dementia Rating (CDR), conduite addictive, antécédent de
sismothérapie lors des trois derniers mois, présence d’autres troubles de l’axe I du DSM-IV TR,
présence d’antécédent neurologique ou de traumatisme crânien, pathologie somatique
instable, surdité et cécité.
Ce premier groupe comprenait ainsi 11 patients présentant un TB de type I et 5 un TB de
type II.
En parallèle seize sujets témoins ont été inclus, appariés en âge, sexe et niveau
socioculturel. Aucun ne présentait d’antécédents de pathologie neurologique ou de conduite
addictive. De même il n’y avait pas d’antécédents familiaux au premier degré de pathologies
psychiatriques et aucun des témoins n’était apparenté aux sujets inclus dans le premier
groupe. Enfin aucun ne présentait de pathologie démentielle, ceux-ci ayant des résultats dans
les normes à une exploration brève du fonctionnement neurocognitif par le MMSE, le test des
Cinq Mots de Dubois, le test de l’horloge, le Trail Making Test (TMT) A et B, les matrices de la
WAIS III, et le dessin de figures complexes.
La neurocognition était évaluée de manière plus précise dans le groupe des sujets avec
TB à l’aide du MMSE, du RL/RI-16 pour la mémoire épisodique verbale, de la DMS 48 pour la
mémoire de reconnaissance visuelle, de la DO 80 pour le langage et du test de la figure
complexe de Rey-Osterrieth pour les processus visuo-constructifs. Les fonctions exécutives
78
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
ont été plus spécifiquement explorées par des tests ayant des normes adaptées à la classe
d’âge des personnes incluses dans l’étude. Les sujets ont ainsi passés certains sous-tests de la
WAIS III comme le code pour la vitesse de traitement et la mémoire des chiffres avec l’empan
endroit et inverse pour la mémoire de travail. Le TMT et un test de fluence verbale lexicale et
catégorielle ont permis d’évaluer la flexibilité mentale. Enfin les capacités d’inhibition ont été
explorées par un test de Stroop et deux sous-tests de la Batterie Rapide d’Efficience Frontale
(BREF) que sont le « go-no-go » et l’épreuve des consignes conflictuelles.
1.2.2.
Paradigmes expérimentaux
1.2.2.1. Tâche de catégorisation d’expression faciale
Les capacités d’identification des expressions émotionnelles faciales ont été évaluées
dans les deux groupes par une tâche de reconnaissance développée par Bediou et al 68. Ce
test consiste en la présentation sur un écran d’ordinateur de photographies de visages, l’une
après l’autre. Chaque photographie représente soit un visage neutre soit une des émotions
suivantes : joie, peur, colère, dégoût. Pour chaque émotion six niveaux d’intensités
différentes ont été réalisées grâce à des techniques de morphing, variant de 0 (neutre) à
100%. Les participants devaient choisir la bonne expression parmi cinq propositions
affichées sur l’écran.
Figure 7 : Exemple des expressions faciales émotionnelles présentées
79
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
1.2.2.2. Tâche de reconnaissance de genre
En complément une tâche de reconnaissance de genre68 a été proposée aux sujets. Cette
épreuve a été réalisée comme tâche contrôle de l’absence de déficit visuospatial. Cette tâche
implique plus particulièrement les aspects invariants du visage (voir à ce propos le modèle
d’Haxby et al évoqué p.2322). Dans cette tâche les sujets devaient indiquer si la photographie
du visage présentée sur l’écran était plutôt un visage de femme ou un visage d’homme.
Comme pour la tâche de REF les photographies ont bénéficié d’une technique de morphing
allant de 0 (sexe indéterminé) à 100% (identité du genre prototypique).
Figure 8 : Exemple de morphing du genre masculin de 0% à 100%, d'après Bediou et al (2005)
1.3.
Résultats
Les données cliniques et démographiques des populations de sujets bipolaires sont
présentées dans le tableau 4. Les données concernant les traitements pharmacologiques sont
récapitulés dans le tableau 5.
1.3.1.
Caractéristiques de la population
1.3.1.1. Age, niveau socioculturel et niveau de MMSE
L’âge moyen des deux groupes ne différait pas significativement et était de 73,94 ans (-/+
4.79) pour le groupe bipolaire et 73,88 (5.84) pour le groupe contrôle (F(1,30)=0.018; p>0.05).
En ce qui concerne le niveau socioculturel moyen (1, 2 ou 3 selon la classification
internationale), l’analyse de variance de Krukal Wallis montre que les deux groupes ne se
différenciaient pas (2.62 pour le groupe bipolaire et 3,06 pour le groupe témoin (H(1,32)=1,55
; p>0.05).
80
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Quant au MMSE moyen, l’analyse de variance de Krukal Wallis montre que les deux
groupes était significativement différents, avec un MMSE retrouvé à 25,62 (+/- 3,46) pour le
groupe bipolaire et à 28.93 (+/- 1,48) pour le groupe contrôle (H(1,32)=11,84 ; p<0.005). Ces
résultats sont conformes à ceux retrouvés dans la littérature et ne sont pas synonymes de
syndrome démentiel dans le groupe bipolaire comme en témoignent les résultats à la CDR et
au bilan neurocognitif. Un syndrome démentiel était par ailleurs un critère d’exclusion.
1.3.1.2. Caractéristiques du groupe bipolaire
La durée moyenne d’évolution était de 44,88 ans (+/- 11,67). L’euthymie était bien
contrôlée et on retrouve des scores moyens de MADRS à 3,97 (+/-3,63) et de YMRS à 1,81 (+/1,47) soit relativement bas avec un faible écart-type et donc peu de symptômes
subsyndromiques.
Les patients bipolaires présentaient des troubles en mémoire épisodique verbale avec un
profil sous-cortical. De même, les fluences lexicales étaient plus basses que ce qu’il est attendu
dans la population générale pour la même catégorie d’âge.
Parmi les patients 25% avaient un traitement comprenant du lithium associé soit à un
antidépresseur (18,75%), soit à un antipsychotique (6,25%). Presque la moitié des patients
(43,75%) avait un traitement par antidépresseur, soit en monothérapie (12,5%) soit en
association avec un antiépileptique (6,25%), du lithium ou un antipsychotique (12,5%). 37,5°%
bénéficiaient d’un antiépileptique, en monothérapie (6,25%) ou en association avec un
antidépresseur ou un antipsychotique. Douze et demi pour cent des patients avaient une
monothérapie antipsychotique. Vingt-cinq pour cent avaient un traitement concomitant
comprenant des benzodiazépines et un seul patient des béta-bloquants.
81
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Groupe Bipolaire
Groupe contrôle
Moyenne (ET)
Moyenne (ET)
16 (TBI=11, TBII=5)
16
10/6 (62,5/37,5)
10/6 (62,5/37,5)
Age, années
73,94 (4,79)
73,88 (5,84)
Durée d’évolution, années
44,88 (11,67)
-
2 (1,369)
-
1,91 (1,35)
-
0,813 (1,073)
-
MADRS
3,97 (3,63)
-
YMRS
1,81 (1,47)
-
MMSE
25,62 (3,46)
28,93 (1,48)
CDR
0,07 (0,17)
-
Apathy Inventory
1,6 (2,03)
-
Rappel libre
26,5 (6,14)
-
Rappel total
44,8 (3,12)°
-
14,56 (4)
-
Catégorielle
21,56 (8,03)
-
Set 1
92,25 (8,53)
-
Set 2
89,38 (11,49)*
-
2,4 (0,67)
-
2,93 (0)
-
Empan endroit
6,19 (2,22)
-
Empan envers
3,72 (1,51)*
-
Mémoire de chiffres
8,125 (3,00)
-
Code (copie)
11,6 (4,90)
-
Code – code (copie)
-3,44 (3,37)
-
TMT A
74,17 (46,02)
-
TMT B
249,23 (139,85)
-
TMT B-A
182,28 (140,93)*
-
27,29 (25,63)
-
1 : 6,67
2 : 13,33
4 : 73,33
5 : 6,67,
-
n
Sexe : femme/homme, n (%)
Episodes dépressifs majeurs, n
Episodes maniaques ou hypomaniaques, n
Tentatives de suicide, n
RL/RI-16
Fluence verbale
DMS-48
BREF
Lexicale
Go-no-go
Consignes conflictuelles
WAIS-III
TMT
Test de Stroop, score d’interférence
Figure complexe de Rey-Osterrieth, type : %
NS (p>0,5)
p<0,001
Tableau 4 : Caractéristiques démographiques, cliniques et neuropsychologiques
* : Résultat inférieur aux normes pour la tranche d’âge
82
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
n (%)
Equivalent
chlorpromazine (mg)
Equivalent
diazépam (mg)
Moyenne (ET)
Moyenne (ET)
Monothérapie antipsychotique (AP)
2 (12,5)
85,71 (14,29)
-
Monothérapie anticonvulsive (AC)
1 (6,25)
-
-
Monothérapie antidépressive (AD)
2 (12,5)
-
-
AP & lithium
1 (6,25)
75
-
AP & AC
3 (18,75)
341,67 (243,34)
-
AP & AD
2 (12,5)
133,33 (66,67)
-
Lithium & AD
3 (18,75)
-
-
AC & AD
2 (12,5)
-
-
Benzodiazépine
4 (25)
-
6 (2,26)
Béta-bloquant
1 (6,25)
-
-
Traitement
concomitant
Tableau 5 : Pharmacothérapies
1.3.2.
Analyse de la variance des tâches de détection du genre et de
reconnaissance des expressions faciales émotionnelles
Les analyses de la variance ont été réalisées avec le logiciel Statistica®.
1.3.2.1. Tâche de détection du genre
Les moyennes de bonnes réponses ont été calculées pour chaque morphing et pour
chaque groupe. Le facteur inter-sujets est le type de patients (bipolaire vs témoin). Le facteur
intra-sujets est le genre du visage (morphing 0, 20, 40, 60, 80, 100). Le seuil de significativité
alpha a été fixé à 0,05. Les données ont été transformées en rangs selon la méthode de
Conover et Iman125 dans la mesure où les niveaux de morphing 40 % et 100 % ne suivaient pas
la loi normale.
Cette transformation des données en rangs nous a permis de calculer l’effet d’interaction
entre les facteurs Morphing du genre et Type de sujets.
L’analyse de variance révèle une absence d’effet d’interaction entre le facteur Morphing
et le facteur Type de sujets (F(1,30)=0.82; p>0.05). Seul le facteur Morphing est significatif
(F(1,30)=13.13; p<0.0005). Ainsi il existe un effet du morphing sur le taux de bonne réponse
83
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
quel que soit le groupe de sujets. Les patients bipolaires et les sujets témoins présentent des
performances similaires quant à la reconnaissance du genre.
1.3.2.2. Tâche de reconnaissance des expressions faciales émotionnelles
Les pourcentages de bonnes réponses pour les expressions faciales de colère, de dégoût,
de peur, et de joie et neutre dans chaque groupe de sujets (bipolaire vs témoin) ont été
transformés en rang selon la méthode de Méthode Conover et Iman dans la mesure où les
performances aux émotions de dégoût et de peur ne suivaient pas la loi normale. Cette
transformation des données en rangs nous a permis de calculer l’effet d’interaction entre les
facteurs Emotion (colère, dégoût, peur, joie) et le Type de sujets. L’expression faciale «neutre»
a été traitée séparément au niveau statistique dans la mesure où la condition neutre
correspond à une condition contrôle. Par ailleurs, au niveau neuropsychologique, l’expression
faciale « neutre » n’a pas le même statut, car non émotionnelle.
Le seuil de significativité alpha a été fixé à 0,05.
Les données sont présentées dans le tableau 6 ainsi que représentées dans la figure 9.
1.3.2.2.1.
Condition contrôle : expressions faciales neutres
Les moyennes de bonnes réponses ont été calculées pour chacun des deux groupes. Le
facteur inter-sujets est le type de sujet (bipolaire vs témoin). L’analyse de variance révèle une
absence d’effet d’interaction entre les deux groupes (F(1,30)= 2.39; p>0.5). Ainsi, les patients
bipolaires reconnaissent de façon similaire les expressions faciales neutres.
1.3.2.2.2.
Expressions faciales émotionnelles : Colère, Dégoût, Peur, Joie
Les moyennes de bonnes réponses ont été calculées pour chaque émotion et pour chaque
groupe. Le facteur inter-sujets est le type de sujet (bipolaire vs témoin). Le facteur intra-sujets
est le type d’émotions (colère, dégoût, peur, joie). Le seuil de significativité alpha a été fixé à
0,05.
L’analyse de variance révèle un effet d’interaction significatif entre le facteur type de
sujets et le facteur émotion (F(1,30)= 3.05; p<0.0005). L’analyse des effets simples révèle que
les patients bipolaires, comparativement aux sujets contrôles, reconnaissent globalement
moins bien l’émotion de colère (42 % vs 61 %, (F(1,30)= 10.50; p<0.003), l’émotion de dégout
(54 % vs 67 %, (F(1,30)= 4.62; p<0.05) et l’émotion de peur (38 % vs 57 %, (F(1,30)= 12.10;
84
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
p<0.002). En revanche, il n’y a pas de différence significative entre les 2 groupes pour la
reconnaissance de la joie (F(1,30)= 0,06; p>0.05).
Emotion
Groupe Bipolaire
- Pourcentage de
bonnes réponses
Groupe témoins Pourcentage de
bonnes réponses
Colère
42 (+/-4,2)
61 (+/-2,4)
Dégoût
54 (+/-5,8)
67 (+/-3,5)
Peur
38 (+/-4,4)
57 (+/-2,5)
Joie
83 (+/-2)
83 (+/-1,8)
61 (+/-4,6)
71 (+/-4,6)
Neutre
Tableau 6 : Comparaison de la reconnaissance des émotions faciales dans les deux groupes de sujets âgés
Reconnaissance des émotions faciales chez les sujets
âgés
100
Bonnes réponses (%)
90
80
70
60
50
40
30
20
Colère
Dégoût
Groupe Bipolaire
Peur
Joie
Groupe Témoin
Figure 9 : Reconnaissance des émotions faciales chez les sujets âgés
1.3.3.
Analyses de corrélation pour le groupe bipolaire
Les relations entre les performances à la tâche de catégorisation des expressions faciales
émotionnelles (colère, dégout, peur, joie) et les caractéristiques cliniques et neurocognitives
85
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
des patients bipolaires ont été mesurées à l’aide d’une analyse de corrélation Bravais Pearson,
les données suivant la loi normale. Des analyses de corrélations ont été réalisées séparément
pour les caractéristiques cliniques, et les performances aux différents tests neurocognitifs à
l’aide du logiciel Statistica®.
1.3.3.1. Caractéristiques cliniques : MADRS, YMRS
Les analyses révèlent une corrélation positive entre la reconnaissance de l’émotion de
joie et le score à la YMRS (r=0,57 ; p<0,05). Ainsi, mieux la joie est reconnue, et plus fort est
le score à la YMRS.
1.3.3.2. Caractéristiques neurocognitives
1.3.3.2.1.
Tests évaluant la mémoire épisodique (RL/RI 16 items, DMS 48)
Une corrélation positive existe entre la reconnaissance du dégoût et les résultats au set 1
de la DMS 48 (r=0,52 ; p<0,05). Le set 1 évalue l’encodage des informations en mémoire à
long-terme, et comporte une forte composante attentionnelle.
Une corrélation positive existe entre la reconnaissance de la joie et les résultats au set 2
de la DMS 48 (r=0,65 ; p<0,05). Il est à noter que les erreurs au set 2 de la DMS 48 sont
majoritairement de nature dysexécutive.
Ainsi, mieux l’émotion de joie et de dégoût sont reconnues, meilleures sont les
performances mnésiques dans une tâche de mémoire incidente.
1.3.3.2.2.
Epreuve des codes (WAIS-III)
Les analyses révèlent une corrélation positive entre la reconnaissance du dégout et les
épreuves de codes-copie (r=0,67 ; p<0,05) et de code (r=0,82 ; p<0,001). Une corrélation
négative (r=-0,66 ; p<0,005) est présente entre la reconnaissance du dégoût et la composante
exécutive du code (Code – Code copie). Ainsi, plus le ralentissement exécutif est faible, et
meilleure est la reconnaissance du dégoût.
1.3.3.2.3.
Epreuve Mémoire des chiffres (empan, WAIS-III)
Les analyses révèlent une corrélation positive entre la reconnaissance du dégoût et le
score à l’épreuve Mémoire de chiffres (r=0,60 ; p<0,05). Ainsi, mieux le dégoût est reconnu,
et meilleur est le score au subtest Mémoire de chiffres.
86
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Une corrélation négative (r=-0,50 ; p<0,05) est présente entre reconnaissance de la joie
et le score à l’épreuve Mémoire de chiffres et plus particulièrement entre la taille de l’empan
endroit (r=-0,65 ; p<0,05). Ainsi, moins la joie est reconnue et plus la taille de l’empan endroit
est élevée.
1.3.3.2.4.
L’épreuve de Stroop (Stroop Victoria)
Les analyses révèlent une corrélation négative entre la reconnaissance du dégout et le
score d’interférence (r=-0,59 ; p<0,05). Ainsi, plus l’interférence est grande, et moins bonne
est la reconnaissance du dégoût.
1.3.3.2.5.
Le TMT (Greffex)
Les analyses révèlent une corrélation négative entre la reconnaissance du dégout et le
score au TMT A (r=-0,63 ; p<0,05). Il n’y a pas de corrélation significative entre la
reconnaissance du dégout et le score TMT B- TMT A. Ainsi, plus la vitesse d’exécution du TMT
A est lente, et moins bonne est la reconnaissance du dégoût.
1.3.3.2.6.
Les fluences verbales
Les fluences verbales explorées étaient les fluences catégorielles avec le critère
« Animaux », et les fluences lexicales avec le critère « Lettre P ».
Les analyses révèlent une corrélation positive entre la reconnaissance du dégout et le
nombre de mots produits aux fluences lexicales (r=0,61 ; p<0,05). Ainsi, plus le nombre de
mots évoqués à la lettre P est élevé, et meilleure est la reconnaissance du dégoût.
2. Discussion générale
L’objectif principal de cette étude était de comparer les capacités d’identification des
émotions faciales de sujets âgés souffrant d’un trouble bipolaire, de celles de sujets témoins
appariés. Pour atteindre cet objectif, un protocole de catégorisation d’expression faciale a été
proposé à des sujets âgés bipolaires et contrôles appariés en âge, en sexe, et en niveau socioculturel.
Les résultats de notre étude montrent que les sujets âgés bipolaires identifient
significativement moins bien les expressions émotionnelles faciales que les sujets contrôles.
87
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
Les capacités en REF de nos sujets âgés avec TB dépendaient de la valence des émotions : les
émotions négatives (colère, dégout, peur) étaient mal identifiées au contraire de l’émotion
positive (joie) qui était reconnue normalement.
Ces données suggèrent que les patients bipolaires âgés se comportent différemment des
patients bipolaires jeunes en REF. En effet les données de littérature portant sur les sujets
bipolaires jeunes montrent peu ou pas d’altération dans leur capacité de REF, contrairement
à ce qui peut être observés dans d’autres pathologies psychiatriques comme la schizophrénie
ou l’autisme. Cette absence d’altération notable de la REF (sauf pour le dégoût) a été
également mise en évidence dans une étude préliminaire non publiée utilisant exactement la
même méthodologie expérimentale que notre travail (Dorey et al). L’altération des capacités
de REF pourraient être liées à un effet spécifique du vieillissement chez les sujets bipolaires.
Dans notre étude, les sujets bipolaires âgés souffrent d’un déficit ciblé en REF pour les
émotions négatives. Ce déficit pourrait être mis en lien avec des perturbations spécifiques de
certaines aires cérébrales. Les méta-analyses d’imagerie cérébrale (Selvaraj et al127) chez les
patients avec un TB mettent fréquemment en avant une diminution du volume de la
substance grise dans les régions frontales et temporales. Des études plus spécifiques aux
sujets âgés font aussi état d’une diminution du volume de substance grise dans les régions
frontales. Il est possible que les troubles en REF de notre étude soient secondaires à une
altération de ces structures cérébrales antérieures connues pour être impliquées dans la
reconnaissance des émotions négatives. Il aurait d’ailleurs été intéressant d’associer une
imagerie cérébrale à notre étude, de même que de comparer les patients bipolaires à un
groupe de patients présentant une DFT, dont la présentation clinique peut parfois se
rapprocher de celle de patients bipolaires âgés.
Pour l’émotion positive explorée (joie), notre étude montre des capacités de détection
similaires pour les sujets avec un TB et pour les sujets contrôles. La reconnaissance de la joie
impliquerait les régions postérieures, occipitales, avec une charge cognitive peut-être plus
faible. Notons que le lobe occipital est globalement préservé dans le TB. Rappelons aussi que
lors du vieillissement physiologique la reconnaissance de la joie est préservée, à l’inverse des
émotions négatives. Les données issues des pathologies neurodégénératives concordent aussi
avec ces résultats. Ainsi les troubles en reconnaissance de la joie n’arrivent que tardivement,
88
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
alors que les émotions négatives sont altérées précocement dans la DFT et, dans une moindre
mesure, dans la maladie d’Alzheimer. La préservation de l’identification des émotions
positives apparait donc cohérente avec les données de neuro-imagerie et les données issues
d’autres pathologies connues pour présenter des déficits en REF.
Concernant l’émotion de dégoût, il semblerait que celle-ci soit plus particulièrement
sensible au vieillissement dans le trouble bipolaire. Dans notre étude, les patients bipolaires
âgés présentaient une hyporeconnaissance du dégoût contrairement aux sujets contrôles. En
revanche, dans l’étude préliminaire de Dorey et al, des sujets jeunes avec TB présentaient une
hyperreconnaissance
du
dégoût
comparativement
aux
sujets
témoins.
Cette
hyperreconnaissance du dégoût chez des sujets adultes avec TB a aussi été observée par
Harmer et al67. Hyperreconnaissance qu’elle met en relation avec des modifications plus
spécifique des ganglions de la base et en particulier une augmentation du noyau caudé. Le
dégout n’étant pas une émotion à proprement social, elle émet aussi l’hypothèse que cette
reconnaissance accrue du dégoût pourrait être associée à une estime de soi plus faible et une
anxiété accrue.
Dans notre étude le dégoût est la seule émotion corrélée à certains tests neurocognitifs.
En particulier, la reconnaissance du dégoût est liée aux fonctions exécutives et notamment
avec la vitesse de traitement de l’information. En effet, il semblerait que le dégoût soit traité
plus lentement que d’autres émotions32. La question de l’implication des structures cérébrales
intervenant dans la reconnaissance du dégoût, en particulier l’insula, peut se poser. Au niveau
neuroanatomique, il existerait un lien entre le cortex frontal (dont le COF) et l’insula via
l’amygdale et les noyaux gris centraux. L’insula serait d’ailleurs à l’interface de systèmes
disparates impliqués dans la cognition, les actions et les émotions. Or plusieurs méta-analyses
chez des patients bipolaires dont celle de Selvaraj et al 127 laissent à supposer une diminution
de la substance grise dans différentes régions cérébrales dont l’insula, ainsi que dans le cortex
préfrontal ventral droit, le cortex temporal et le claustrum. Là-aussi des explorations
d’imagerie morphologique pourraient être utiles afin d’observer les structures temporales
chez des sujets âgés, la plupart des études précédentes ayant été réalisées chez des sujets
avec une moyenne d'âge relativement jeune.
89
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
2.1.
Corrélations avec les fonctions neurocognitives
Les résultats concernant les aspects neurocognitifs et les corrélations avec la
reconnaissance de l’émotion de dégoût sont cohérents avec des études décrivant un rôle des
fonctions cognitives, et en particulier les fonctions exécutives, dans les capacités de REF74,89.
Par ailleurs certaines études, s’étant intéressées aux fonctions neuropsychologiques dans le
TB et leur évolution avec le vieillissement, sont en faveur d’un déclin, suivant une hypothèse
neurodégénérative126127. Les profils cognitifs décrits dans ces études sont globalement
comparables à ceux retrouvés dans notre étude, c’est-à-dire des déficits en vitesse de
traitement, en flexibilité mentale et en mémoire verbale épisodique avec un profil
neuropsychologique sous-cortical129. Pour Gualtieri et Johnson les patients avec un TB
présenteraient ainsi déclin neurocognitif accéléré lié à l’âge128. Apahamian décrit dans une
étude récente que les sujets bipolaires, non-déments, ont des performances plus basses à des
tests cognitifs brefs, comme le MMSE129.
Dans notre étude, ce lien entre fonction cognitive et REF a surtout été mis en évidence
pour le dégout avec une corrélation positive entre le score au MMSE et la reconnaissance du
dégoût chez les sujets avec un TB. On observe aussi des corrélations négatives entre les
performances aux tests explorant les fonctions exécutives et la reconnaissance du dégout : les
fluences verbales lexicales en 2 minutes (GREFEX) évaluant la flexibilité mentale, les codes
(Wais-III) évaluant la vitesse de traitement, le test du Stroop Victoria évaluant les capacités de
contrôle de l’inhibition. En ce qui concerne les résultats au test de Stroop, le défaut de contrôle
de l’inhibition observé peut provenir d’un défaut en vitesse de traitement idéomoteur de
l’information (en témoignent les corrélations observées entre les Codes Wais-III et la
reconnaissance du dégoût, ainsi que la corrélation négative entre TMT A (GREFEX) et la
reconnaissance du dégoût).
2.2.
Corrélations avec les aspects cliniques
Un autre objectif secondaire consistait à explorer les corrélations entre ces capacités en
REF et les caractéristiques cliniques (score à la YMRS, MADRS, nombre d’épisodes dépressifs,
maniaques ou hypomaniaques, nombre de tentatives de suicide).
Aucune corrélation n’a été observée dans notre étude entre le nombre d’épisodes
dépressifs, maniaques ou hypomaniaques, le nombre de tentatives de suicide et les capacités
90
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
en REF. Il convient pour ces résultats d’évoquer un probable biais de rappel avec une
minimisation du nombre d’épisodes et possiblement l’hétérogénéité des groupes bipolaires
type I et type II. Il est possible qu’une corrélation entre le nombre d’épisodes et des troubles
de la REF existe mais ne soit pas observable dans cette étude du fait de la trop faible puissance
statistique du fait du petit échantillon. L’hypothèse sous-jacente à ces réflexions est celle de
l’existence de processus neurodégénératifs avec une neurotoxicité des épisodes thymiques.
Certains auteurs comme Lahera et al ont aussi suggéré que les symptômes
subsyndromiques, en particulier dépressifs, puissent altérer la cognition sociale 87. Aucune
corrélation n’a été retrouvée avec le score à la MADRS dans notre étude mais l’euthymie avait
été contrôlée comme facteur d’inclusion avec une moyenne basse et un faible écart-type. Par
contre une corrélation positive a été notée entre la reconnaissance de la joie et le score à la
YMRS, évoquant le biais positif décrit par Lembke et al dans les épisodes maniaques 61.
2.3.
Limites
En ce qui concerne l’étude chez les sujets âgés, la faible puissance statistique est à prendre
en compte, pouvant probablement expliquer l’absence de significativité de certains résultats,
en particulier pour les objectifs secondaires. Le faible effectif des deux groupes peut en effet
être un facteur limitant. Par contre le fait d’avoir des résultats significatifs sur un effectif de
cette taille, avec des tests statistiques robustes et adaptés à la taille des groupes, est
intéressant pour l’objectif principal, laissant supposer une différence forte.
Par contre, du fait des effectifs réduits, l’exploration des caractéristiques cliniques a été
limitée, ne permettant pas, par exemple, de prendre en compte des sous-groupes de patients
selon le type de TB, ce qui aurait été intéressant vu l’hétérogénéité du trouble et l’hypothèse
de déficits plus marqués dans le TB de type I130. L’exploration des corrélations avec les aspects
neurocognitifs laisse entrevoir des liens importants, significatifs en ce qui concerne le dégoût.
Un manque de puissance peut masquer des corrélations avec la reconnaissance des autres
émotions.
Enfin il n’a pas été possible d’étudier l’impact des traitements sur les performances en
REF du fait de la taille des groupes. Il aurait été intéressant de procéder à une analyse
statistique par type de traitement. En effet, dans notre échantillon, quatre patients ont des
benzodiazépines. Or, comme évoqué précédemment, des études chez des volontaires sains
91
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
ont évoqué une influence négative des benzodiazépines sur la reconnaissance de la colère et
de la peur131. En outre, dans notre échantillon, un patient bénéficiait d’un traitement par
bétabloquants, qui peut avoir une influence négative sur la reconnaissance de la tristesse132.
A l’inverse il y aurait un effet positif des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
(ISRS, prescrits chez plus de la moitié des patients dans notre étude) sur la reconnaissance de
la peur et de la joie82.
2.4.
Apport de la cognition sociale dans l’évolution du trouble bipolaire et
retentissement sur le fonctionnement psychosocial
D’autres pistes s’ouvrent aux vues de ces premiers résultats et des données de la
littérature. Etudier la cognition sociale dans le trouble bipolaire chez le sujet âgé présente un
intérêt allant bien au-delà de l’exploration d’une symptomatologie clinique supplémentaire
uniquement descriptive.
L’évolution de la cognition sociale avec le temps pourrait être en faveur de la théorie du
trouble bipolaire comme d’une pathologie d’un vieillissement accéléré, accentué, comme
évoqué par Rizzo et al112. L’atteinte de la REF et, peut-être plus globalement de la CS, pourrait
être considérée comme une évolution physiopathologique du TB, en lien avec une
neurotoxicicté des épisodes thymiques. Mais elle pourrait aussi permettre de mieux identifier
des sous-groupes de patients plus à risque d’une évolution péjorative en termes de
fonctionnement psychosocial, de troubles du comportement ou d’une potentielle évolution
démentielle. Dans ces cas, il y aurait un intérêt à offrir un accompagnement et des stratégies
thérapeutiques adaptées.
D’autre part les troubles en REF pourraient être marqueurs d’une évolution démentielle
plus sévère du TB. Ils pourraient aussi être un signe précurseur d’une maladie de type
Alzheimer et syndromes apparentés comorbides, dans lesquels des déficits en REF peuvent
être présents dès un stade précoce, voire lors du MCI. Une étude longitudinale avec des
effectifs suffisamment importants pourrait être particulièrement intéressante à ce titre.
Hot et al33 ont notamment décrit un déficit dans la reconnaissance de l’émotion de peur
chez des patients âgés présentant un stade précoce de la maladie d’Alzheimer. La particularité
de cette étude est que les auteurs ont noté une amélioration de la REF lorsqu’ils proposaient
un paradigme expérimental obligeant les patients à focaliser leur attention sur les zones
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oculaires et périorbitaires, suggérant des troubles dans le scanning visuoperceptif. Or des
études, comme celle de Bestelmeyer et al133 chez des sujets adultes jeunes et celle de Lebert
et al134 chez des sujets âgés, évoquent la présence de déficits visuospatiaux. Dans notre étude
l’absence de différences dans la tâche de reconnaissance du genre entre les deux groupes
(bipolaire et contrôle) permet toutefois de dire que les aspects invariants du visage restent
suffisamment bien analysés pour réussir cette tâche contrôle. Il est par contre possible que
les stratégies d’exploration des éléments dynamiques du visage, et notamment la région des
yeux, importante pour la reconnaissance des émotions, soient déficitaires. Ce qui rejoint
l’hypothèse d’une perte des stratégies visuoattentionnelles, qui pourrait peut-être bénéficier
d’une prise en charge de type remédiation cognitive.
Une autre question à privilégier dans un second temps est celle concernant le
retentissement de ces troubles dans la présentation clinique et les conséquences dans la vie
quotidienne. Les difficultés à identifier les émotions faciales peuvent probablement avoir une
implication sur la qualité des interactions sociales et en conséquence sur le fonctionnement
psychosocial. Une moindre reconnaissance des émotions négatives tels la peur, le dégoût, la
colère et la tristesse exprimées à faible intensité est en défaveur du patient qui ne pourra
réagir suffisamment tôt et ne sera adapté ni à la situation ni à l’échange. En conséquence cela
pourrait entraîner des troubles dans le fonctionnement psychosocial, du fait d’une mauvaise
compréhension et d’un mauvais ajustement par rapport à autrui, ainsi que par rapport à sa
propre perception des émotions. Chez les sujets adultes jeunes avec TB des corrélations de ce
type ont été mises en avant par Lahera et al87 et évoquées par Aydemir et al91. D’autres études
n’ont pas pu confirmer ces résultats dans des populations qui étaient toutefois jeunes et en
début de pathologie.
Chez la personne âgée, ces troubles en REF pourraient aussi être corrélés, via cette
difficulté à percevoir ses propres émotions et celles des autres, à une plus faible expressivité
émotionnelle confinant à l’apathie, comme évoqué dans certains tableaux d’évolution
démentielle de troubles bipolaires.
Si un retentissement sur le fonctionnement psychosocial existe, il sera alors important de
s’intéresser à des prises en charge thérapeutiques adaptées. La remédiation cognitive centrée
sur la CS mais aussi sur les fonctions exécutives pourrait avoir un intérêt, comme évoqué par
Lahera et al92 qui ont proposé le programme SCIT à des patients jeunes. Aux vues de la
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littérature, d’autres aspects sont à prendre en compte, comme les symptômes
subsyndromiques, en adaptant au mieux les soins de manière globale, tant pharmacologiques
que psychothérapiques que sociaux, afin d’obtenir la meilleure rémission qui soit. De même
les pharmacothérapies sont à adapter de manière à avoir le rapport bénéfice/risque le plus
adapté, et ce d’autant plus chez des personnes âgées souvent sensibles à des modifications
de faible intensité.
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Conclusions
La cognition sociale s’intéresse à des processus qui sous-tendent les relations
interpersonnelles et humaines à la base du fonctionnement social.
Une altération de ces cognitions peut se traduire par un retentissement sur le
fonctionnement psychosocial de l’individu, dont les relations avec autrui. L’animal
« politique » (ou social) qu’est l’Homme, comme l’indiquait Aristote, se définit grandement
par sa capacité d’être en relation avec ses pairs et par le besoin d’échanges réciproques pour
se construire et mener son existence dans les meilleures conditions.
Un grand nombre de pathologies psychiatriques présente comme symptômes une
altération du lien avec autrui, ainsi que de la gestion des émotions. S’intéresser à la cognition
sociale, sorte de « base cognitive » à ces problématiques, permet ainsi d’apporter des
éléments dans la compréhension de ces pathologies complexes, que sont notamment la
schizophrénie et le trouble bipolaire.
Bien sûr il ne s’agit pas de « scientificiser » ou « cognitiviser » l’échange qui doit garder
une spontanéité, une inventivité et une liberté, et ce d’autant plus qu’il se trouve être aussi à
la base de la relation soignante et des soins psychothérapiques. Mais prendre en compte des
difficultés en cognition sociale, s’il y en a, peut permettre de relativiser des troubles associés
et mieux comprendre certains aspects, afin de les intégrer aux soins et à la connaissance que
le patient a de lui-même.
Le trouble bipolaire fait partie des pathologies pour lesquelles une altération de la
cognition sociale a été évoquée, à l’instar de la schizophrénie et de l’autisme. Toutefois les
résultats des études s’étant intéressées à ce domaine, et notamment à la reconnaissance des
émotions faciales chez des sujets adultes jeunes, ne laissent présager qu’une très faible
altération. Samamé et al en 2012 restaient ainsi prudents suite à leur méta-analyse chez des
patients euthymiques. Prudence qui reste la règle, si l’on prend en compte les études publiées
par la suite.
De nombreux biais sont à prendre en compte, en particulier l’hétérogénéité de la
catégorie de « trouble bipolaire ». Comme pour les aspects cognitifs plus globaux il paraît
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probable que seuls certains types de patients puissent présenter un déficit en cognition
sociale.
Un autre point à évoquer est la question du vieillissement du trouble bipolaire.
L’hypothèse d’une neurotoxicité des épisodes thymiques est maintenant fréquemment
évoquée. Il pourrait ainsi y avoir une influence particulière sur les différents domaines
cognitifs et possiblement sur la cognition sociale, alors que les capacités en cognition sociale
se modifieraient déjà avec le vieillissement physiologique.
Toutefois, à notre connaissance, aucun article de la littérature scientifique ne s’était
jusque-là intéressé à ce sujet bien spécifique.
L’étude présentée dans ce travail a comparé les capacités d’identification des émotions
faciales entre des sujets âgés souffrant d’un TB et des sujets témoins. Elle a mis en évidence
une différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne l’identification des
émotions négatives que sont la peur, la colère et le dégoût. Aucune différence ne ressortait
par contre pour la joie.
Ces premiers résultats s’avèrent être en faveur d’un trouble de la reconnaissance des
émotions faciales chez des sujets bipolaires âgés avec l’hypothèse d’une dégradation lors de
l’évolution de la pathologie.
Dans cette étude nous avons aussi recherché des corrélations entre des facteurs cliniques
et neuropsychologiques. Les hypothèses sous-jacentes étant celles d’une aggravation des
troubles avec l’importance de l’évolution de la pathologie (durée d’évolution, nombre
d’épisodes thymiques), avec la présence de symptômes subsyndromiques ainsi qu’avec des
troubles en neurocognition, et en particulier des fonctions exécutives. Si les résultats laissent
à supposer une influence des troubles des fonctions exécutives, en particulier dans la
reconnaissance du dégout, il n’en est pas de même pour les hypothèses concernant les aspects
cliniques. Ce qui est probablement à mettre en lien avec la limite principale de cette étude qui
est son faible effectif et donc son manque de puissance statistique. Enfin de façon cohérente
avec la littérature un lien a été retrouvé entre la reconnaissance de la joie et les symptômes
d’exaltation thymique subsyndromiques, sous forme d’un biais émotionnel positif.
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Un des autres aspects à explorer plus précisément est le retentissement fonctionnel de
ces troubles. Il parait donc essentiel de pouvoir aussi évaluer l’intérêt de développer des prises
en charge plus spécifiques, comme la remédiation cognitive. Il conviendrait tout au moins
d’adapter les stratégies afin de prendre en compte certains facteurs modulant les
performances en cognition sociale comme la composante iatrogène, les facteurs cognitifs
comme les fonctions exécutives, ainsi que la persistance de symptômes subsyndromiques.
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Annexes
Annexe 1 : Critères DSM 5 des Troubles Bipolaires
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Annexe 2 : Critères CIM-10 du Trouble Bipolaire
F31 – Trouble affectif bipolaire
Trouble caractérisé par deux ou plusieurs épisodes au cours desquels l’humeur et le
niveau d’activité du sujet sont profondément perturbés, tantôt dans le sens d’une élévation
de l’humeur et d’une augmentation de l’énergie et de l’activité (hypomanie ou manie),
tantôt dans le sens d’un abaissement de l’humeur et d’une réduction de l’énergie et de
l’activité (dépression). Les épisodes récurrents d’hypomanie ou de manie sont classés
comme bipolaire (F31-8).
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Herrmann Mathieu : Cognition sociale dans le trouble bipolaire chez le sujet âgé. Etude des
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Nbr f. 104 ill. 9 tab. 6
Th. Méd : Lyon 2014 n°
Résumé :
La cognition sociale s’intéresse à des processus qui sous-tendent les relations
interpersonnelles à la base du fonctionnement social. Le trouble bipolaire fait partie des
pathologies pour lesquelles une altération de la cognition sociale a été évoquée, à l’instar de la
schizophrénie et de l’autisme. Toutefois les résultats des études s’étant intéressées à ce
domaine, dont la reconnaissance des émotions faciales, chez des sujets adultes jeunes ne
laissent présager qu’une très faible altération. Une étude a été réalisée afin d’évaluer un des
aspects du vieillissement de la cognition sociale dans le trouble bipolaire en comparant les
capacités d’identification des émotions faciales entre un groupe de patients âgés bipolaire et
un groupe de sujets témoins. Cette étude a mis en évidence une différence significative entre
les deux groupes pour l’identification d’émotions négatives (peur, colère et dégoût). Aucune
différence ne ressort pour la joie. De plus on note une corrélation avec les performances en
fonctions exécutives. Ces résultats sont en faveur d’un trouble de la reconnaissance des
émotions faciales chez des sujets bipolaires âgés avec l’hypothèse d’une dégradation lors de
l’évolution de la pathologie et d’un lien avec des troubles en neurocognition. Un
retentissement fonctionnel est à explorer de même que l’intérêt de prises en charge
spécifiques, comme la remédiation cognitive, en plus d’adapter des stratégies prenant en
compte des facteurs pouvant entrer en jeu dans la cognition sociale comme la iatrogénie, les
fonctions exécutives et la persistance de symptômes subsyndromiques.
MOTS CLES :
Trouble bipolaire - Sujet âgé - Cognition sociale - Emotion faciale - Euthymie Vieillissement
JURY :
Président : Monsieur le Professeur Thierry D’AMATO
Membres : Monsieur le Professeur Pierre KROLAK-SALMON
Monsieur le Professeur Nicolas FRANCK
Monsieur le Docteur Jean-Michel DOREY
DATE DE SOUTENANCE :
Mardi 14 octobre 2014
Adresse de l’auteur :
[email protected]
HERRMANN
(CC BY-NC-ND 2.0)
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