Quelle place pour l`enfant dans la prise de décision en pédiatrie

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Archives de pédiatrie 12 (2005) 1068–1074
http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/
Mémoire original
Quelle place pour l’enfant dans la prise de décision en pédiatrie ?
How paediatric residents involve children
during medical decision-making?
N. André a,*, J. Gaudart b, J.-L. Bernard a, B. Chabrol c
a
b
Département d’oncologie pédiatrique, hôpital pour enfants de « La Timone », boulevard Jean-Moulin, 13885 Marseille cedex 05, France
Équipe biomathématiques et informatique médicale, LIF -UMR 6166 - CNRS, faculté de médecine de Marseille, boulevard Jean-Moulin,
13385 Marseille, France
c
Département de pédiatrie générale, hôpital pour enfants de « La Timone », boulevard Jean-Moulin, 13885 Marseille cedex 05, France
Reçu le 6 septembre 2004 ; accepté le 5 février 2005
Disponible sur internet le 01 avril 2005
Ce travail a été présenté en communication orale lors du congrès national de la Société française de pédiatrie à Lille le 4 juin 2004
Résumé
Objectif. – Décrire les pratiques des internes en pédiatrie concernant l’implication de l’enfant dans la décision médicale et évaluer les
relations entre ces pratiques et les caractéristiques des internes (âge, sexe, expérience...).
Patients et méthodes. – Étude multicentrique transversale anonyme réalisée auprès de 45 internes en pédiatrie. L’autoévaluation de leur
pratique par les internes a été recueillie par l’intermédiaire d’un questionnaire écrit.
Résultats. – Quatre-vingt-deux pour cent des internes en pédiatrie informaient l’enfant, mais le partenariat avec l’enfant diminuait lorsqu’il
s’agissait de lui demander son avis, de lui présenter d’autres choix ou de respecter son refus. Les obstacles principaux au partenariat avec
l’enfant étaient : le manque de compétence de l’enfant et la situation médicale présente. Aucune relation statistiquement significative n’a pu
être mise en évidence entre les pratiques des internes et leurs caractéristiques.
Conclusion. – Le partenariat avec l’enfant lors de prise de décision médicale en pédiatrie varie selon les internes et en fonction du degré
d’implication demandé. L’éducation pourrait permettre d’augmenter la participation de l’enfant.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Objective. – To describe how paediatric residents involve children during medical decision-making and evaluate the relationship between
practice patterns and residents characteristics.
Population and methods. – We conducted a prospective multicentric anonymous written survey. Self-reported involvement of children by
45 french paediatric residents in practice pattern was collected and analysed.
Results. – Most residents reported they informed patients in more than 50% of the cases (82%). Only a minority of the residents asked for
consent, respected children refusal or presented other choices to the treatment. The main reasons that explain the lack of partnership are
children incompetence and the medical situation. No statistically significant relationship between practice patterns and residents characteristics was found.
Conclusions. – Partnership with children varies across residents and according to the level of involvement considered. No statistical
differences were obtained to explain variations between residents’attitude toward involvement of children. Nevertheless medical education in
ethics or decision-making could increase partnership with children.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (N. André).
0929-693X/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.arcped.2005.02.009
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Mots clés : Consentement éclairé ; Internes
Keywords: Ethics; Informed consent; Child; Decision-making
Tu as des projets que j’ignore...
Antoine de Saint-Exupéry (Le petit prince)
La prise de décision en médecine est un problème difficile
et quotidien. Il concerne les phases de choix diagnostiques et
thérapeutiques [1–4]. En pédiatrie, ce problème est rendu
encore plus complexe : d’une part en raison d’une rencontre
médicale où se retrouve non plus le couple médecin–patient
mais un trio pédiatre–enfant–parents et d’autre part à cause
du caractère immature et évolutif de l’enfant.
La pratique de la médecine est historiquement paternaliste
[5,6]. En effet, de par leur nature, les connaissances médicales sont longtemps restées inaccessibles aux non-spécialistes.
Les patients étaient alors obligés d’accepter ce monopole de
l’information et des soins, et de subir passivement les choix
médicaux faits pour eux et à leur place. Le paternalisme médical s’applique naturellement et avec davantage de force à
l’enfant. Pourtant ces choix déterminent des événements les
concernant, impliquant leur être et peuvent avoir de lourdes
conséquences sur leur vie à court, voire à long terme. À
l’inverse, certaines décisions médicales sont futiles et sans
réelle importance sur leur devenir et, dans ces conditions,
imposer une décision à l’enfant n’est pas une nécessité.
Récemment de nouveaux modèles de décision médicale ont
été proposés [1,6], essayant de faire une plus grande place
aux désirs et préférences des patients et notamment des enfants
[7–18].
La reconnaissance des droits de l’enfant en médecine
résulte de la convergence de deux tendances. Selon la première, la place et les droits de l’individu sont de plus en plus
grands dans nos sociétés occidentales. En effet, il existe un
déplacement de la notion d’intérêt de groupe vers celui de
l’intérêt individuel [1]. Ce phénomène touche également nos
enfants. La volonté grandissante des enfants de contrôler leur
destin et les décisions les concernant se traduit par exemple
par la survenue de procès médiatisés confirmant la nouveauté, l’intérêt et la surprise de la communauté adulte pour
ces changements d’attitudes [17]. L’autre tendance repose sur
la démocratisation de la reconnaissance de leur entité et de
leurs compétences avec notamment les travaux de Dolto [19]
et de Brazelton [20].
Découlant de ces deux phénomènes, de nombreuses chartes et propositions témoignant de leurs droits dans un contexte
médical sont apparues : charte des droits de l’enfant, droits
de l’enfant hospitalisé, droits de l’enfant mineur, convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 octobre 1989 et plus récemment la loi du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et la qualité du système de santé. Le
deuxième colloque d’éthique en pédiatrie, organisé par la
Société française de pédiatrie, qui s’est déroulé en novembre
2003 sur l’information des enfants et de leur famille, a per-
mis de faire le point sur les cadres juridiques, philosophiques
et pratiques de ce problème [21–23].
Ainsi, dans notre société tous les éléments semblent rassemblés pour la reconnaissance de la place de l’enfant dans
les décisions médicales le concernant : émergence des droits
de l’enfant et mise en place de nouveaux modèles de décision médicale.
Mais l’enfant doit-il être systématiquement informé,
écouté, suivi devant une décision médicale à prendre ? Selon
quels critères ? Existe-il des dangers à écouter et suivre
l’enfant ? Comment promouvoir ce partenariat tout en continuant à remplir notre rôle de protecteur de l’enfant ? En
d’autres termes, quelles sont les limites du partenariat avec
l’enfant [24–29] ? La situation devient encore plus complexe
quand parents, médecins et enfants ne sont pas d’accord et
quand les perceptions de l’intérêt supérieur de l’enfant par
les différents protagonistes divergent.
En pédiatrie, l’information et le recueil de l’avis des enfants
sont essentiellement assurés par les médecins seniors, clé de
voûte dans l’interface enfants/parents et médecins, en particulier dans les décisions aux enjeux importants. Les internes
en pédiatrie, médecins en formation, sont également largement impliqués dans l’information, le recueil du consentement des enfants. Le problème de la place de l’enfant dans la
décision médicale a fait l’objet de nombreuses publications,
en particulier sur la place de l’avis de l’enfant dans la recherche médicale. Néanmoins, la littérature médicale est plus restreinte sur la place de l’enfant concernant les décisions médicales quotidiennes et, à ce jour, aucune étude, à notre
connaissance, n’a été réalisée sur l’opinion des pédiatres sur
ce sujet.
Soucieux de mesurer le chemin qu’il reste à faire dans ce
domaine, nous nous sommes attachés à aborder la question
en nous intéressant à l’étude de l’évaluation par les internes
en pédiatrie de leur pratique, de leur niveau de formation et
de sensibilisation sur ce problème selon différents degrés
d’implication de l’enfant.
1. Patients et méthodes
Cette enquête a été menée du mois de mars au mois d’août
2003 auprès des internes en pédiatrie des trois facultés de
médecine de Marseille, Nice et Montpellier. Le questionnaire comprenait quatre questions. Les trois premières correspondaient aux trois degrés d’implications croissantes de
l’enfant dans la décision médicale [13] : l’information, le
recueil de l’avis de l’enfant, le respect de sa décision et donc
de son refus éventuel. Nous y avons ajouté une quatrième
question dans laquelle nous demandions aux internes s’ils
présentaient d’autres choix à l’enfant. Cette question nous
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Tableau 1
Caractéristiques de la population étudiée
Sexe
Âge (moyenne et écart type)
Nombre d’années de pratique de la pédiatrie (moyenne et écart type)
Nombre d’internes ayant un ou plusieurs enfants
Formation en éthique médicale
Formation en décision médicale
permettait de mieux comprendre à quel niveau du processus
décisionnel les internes incluaient l’avis de l’enfant. Dans un
deuxième temps, les principaux obstacles à l’application de
l’enfant pour chacun de ces niveaux d’implication devaient
être choisis dans une liste proposée d’items.
Soixante questionnaires ont été distribués. Quarante-cinq
ont été recueillis (75 %). Sur les 45 questionnaires, 43 (95 %)
étaient analysables. Les caractéristiques de la population sont
rapportées dans le Tableau 1.
Les données ont été saisies à l’aide du logiciel Excel 5.0
(Microsoft©). L’analyse statistique a été réalisée dans le service de biostatistique de la faculté de médecine de Marseille
à l’aide du logiciel SPSS10,0.5 (SPSS Inc.). Une analyse descriptive a été réalisée dans un premier temps. Une recherche
de lien entre les réponses obtenues et les caractéristiques des
internes a secondairement été réalisée à l’aide d’un test de
Kruskal-Whallis pour les données non qualitatives et par un
test exact de Fisher après regroupement des données, en raison des effectifs trop faibles, selon les différents degrés de
l’implication de l’enfant.
2. Résultats
2.1. Information du patient
Quatre-vingt-six pour cent des internes ont indiqué qu’ils
informaient l’enfant dont ils avaient la charge dans plus de la
moitié des cas. Pour 53 % d’entre eux, l’information était
presque toujours dispensée. À l’inverse, 14 % avouaient
n’informer l’enfant que dans moins de la moitié des cas.
Les deux obstacles à l’information de l’enfant les plus fréquemment cités étaient les compétences insuffisantes de
l’enfant et les caractères d’urgence ou de dangerosité du pro-
11 hommes/32 femmes
27,5 ± 2,3
2,6 ± 1,9
9
17
5
blème médical. Le troisième obstacle était le fait que l’information soit donnée aux parents. Pour deux internes, ce sont
les parents qui s’opposaient à ce que l’enfant reçoive l’information afin de le protéger. Comme l’indique la Fig. 1, le manque de temps et le manque de savoir-faire ont été plus rarement évoqués. Néanmoins, parmi les internes qui citaient le
manque de savoir comme obstacle à l’information des enfants,
certains rapportaient le manque d’aide notamment l’absence
de brochures ou de documentation vidéo qui leur aurait permis d’expliquer plus facilement et dans un langage adapté
des situations parfois complexes.
2.2. Demande de consentement (Fig. 2)
Le consentement éclairé est actuellement admis comme la
base de la décision et de la pratique médicale. Le consentement éclairé passe nécessairement par l’information du patient
et par la demande de l’avis du patient. Pourtant, 74 % des
internes ont indiqué qu’ils ne sollicitaient l’avis de l’enfant
que dans moins de la moitié des cas. Parmi eux, 35 % ne
demandaient presque jamais l’avis de l’enfant. De façon logique, 100 % des internes qui n’informaient les enfants que
dans moins de la moitié des cas, ne leur demandaient pas leur
avis non plus.
Les obstacles au recueil de l’avis de l’enfant étaient ici
aussi le manque de compétence de l’enfant et la situation
médicale. Les autres raisons invoquées étaient moins fréquentes (temps, parents).
2.3. Refus de l’enfant (Fig. 3)
Lorsque l’enfant exprimait un désaccord avec la conduite
à tenir choisie, la grande majorité des internes (82 %) ne modifiait pas leur décision. Les raisons invoquées étaient alors
Fig. 1. Obstacles à l’information du patient.
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Fig. 2. Obstacles à la demande du consentement.
Fig. 3. Obstacles au suivi du refus de l’enfant.
l’absence d’autres choix possibles et le refus des parents de
modifier la décision initiale selon les désirs de l’enfant. De
façon intéressante, les compétences de l’enfant ne semblaient pas être ici un obstacle. Par ailleurs, deux internes ont
exprimé le besoin du recours à un médecin plus expérimenté
pour résoudre le problème et/ou reprendre les explications
afin de mieux faire comprendre à l’enfant leur choix.
2.4. Présentations d’autres choix
La présentation d’autres choix à l’enfant est une des caractéristiques du niveau d’implication maximum de l’enfant [13].
Près d’un tiers des internes ne présentait jamais d’autres choix
et 72 % d’entre eux présentaient d’autres choix dans moins
de la moitié des cas. Les obstacles principaux étaient, comme
le montre la Fig. 4, l’absence d’autres choix et les caractéristiques de la situation médicale.
cale (58,1 % d’absence d’enseignement), enfant (79 % sans
enfants), durée de la formation pédiatrique en cours (moyenne
2,6 ans ; écart-type 1,9 ans) n’a influencé de façon statistiquement significative les réponses obtenues, même en regroupant les réponses en deux catégories : implication de l’enfant
dans plus de la moitié ou moins de la moitié de cas. Il faut
remarquer ici la faible taille de l’échantillon, qui, dans les
méthodes statistiques non paramétriques, n’assure probablement pas une puissance suffisante. Néanmoins, certaines tendances se dessinent, comme par exemple l’influence du sexe
des internes (pour chacun des trois niveaux de fréquence de
recueil de l’avis de l’enfant — moins de la moitié des cas,
plus de la moitié, presque toujours — les femmes représentent respectivement 66,7, 71,4 et 78,3 %) ou d’une formation
antérieure en éthique médicale ou en décision médicale (les
internes ayant suivis une formation représentent respectivement 16,7 50 et 43,5 %) sur l’information des enfants ou le
recueil et le suivi de leur avis.
2.5. Recherche de facteurs influençant l’importance
de la place de l’avis de l’enfant
3. Discussion
Dans notre étude, aucun des facteurs retenus (sexe 74,4 %
de femmes), âge (moyenne 27,5 ; écart-type 2,5 ans), enseignement antérieur en éthique médicale ou en décision médi-
Notre étude montre que les internes en pédiatrie impliquent l’enfant dans la décision médicale (plus de 80 % des
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Fig. 4. Obstacles à la présentation de choix.
internes informent l’enfant dans plus de la moitié des cas) et
que le partenariat avec l’enfant diminue de façon nette
lorsqu’il s’agit de lui demander son avis et le prendre en
compte ou lui présenter d’autres choix.
Cette dissociation a déjà été observée lors d’une étude examinant l’implication d’une vingtaine d’enfants hospitalisés
et de leurs parents lors de soins [30] et de nombreuses explications ont été proposées telles que : le refus de l’enfant de
participer à la décision, la capacité de l’enfant à comprendre
une situation et des explications, l’urgence de la situation, le
devoir de protection des parents ou de l’équipe médicale, le
manque de données sur les conséquences de l’implication des
enfants, le manque de temps... [17,24,30–34]. Selon notre
étude, les obstacles majeurs sont d’une part la gravité,
l’urgence ou la spécificité de la situation médicale et, d’autre
part, le manque de compétences de l’enfant. Ces deux critères sont des obstacles souvent mentionnés dans la littérature
[17,24,33,34]. Néanmoins, s’il est effectivement difficile
d’impliquer l’enfant en situation de détresse vitale, la grande
majorité des situations se prête à l’implication adaptée de
l’enfant [26,35,36]. Par ailleurs, cette dissociation traduit peutêtre le fait que l’enfant ne ressent pas les mêmes besoins lorsque la situation est menaçante [37].
Les compétences insuffisantes de l’enfant sont un obstacle fréquemment cité dans notre étude et dans la littérature
[14–18,30–34,]. Sans doute existe-t-il un amalgame entre
compétences et âge de l’enfant et il vaudrait mieux parler de
niveau de développement. En effet, ce raccourci s’accompagne d’un paternalisme « par défaut » qui facilite nos décisions [17]. Pourtant, les difficultés d’évaluation des compétences de l’enfant ainsi que l’absence de détermination des
compétences nécessaires et suffisantes au partage d’une décision médicale doivent nous amener à nuancer cet obstacle. Il
semble donc indispensable qu’à la notion légale de majorité
reposant sur l’âge et ouvrant la porte à la participation dans la
décision médicale, se substitue le concept de compétence ou
de niveau de développement. Néanmoins, des outils permettant d’évaluer les compétences de l’enfant doivent être développés.
En accord avec d’autres études [9,25,34,37], les parents
représentent aux yeux des internes un des principaux obsta-
cles au partenariat avec l’enfant. Apporter l’information aux
parents pourrait ainsi dispenser de la donner aux enfants. De
même, les parents constitueraient le deuxième obstacle au
respect du refus de l’enfant face à une décision médicale en
s’y opposant. Ceci est en accord avec les conclusions de
Aubert-Fourmy concernant la participation à la recherche biomédicale dans laquelle les enfants expriment que l’information est l’affaire du médecin, mais où le consentement et la
décision finale restent une affaire de famille [9]. Comme le
suggère Ross, les parents peuvent intégrer leurs enfants dans
une perspective familiale [24] et il peut alors exister des intérêts divergents entre ceux de la famille et de l’enfant
[13,25,26]. Les parents jouent alors aussi leur rôle de protecteurs face à des décisions de leur enfant qu’ils jugeraient non
adaptées. Néanmoins, une éducation des parents sur les différents enjeux et par conséquent la justification de l’implication de l’enfant dans la décision médicale contribuerait sans
doute à la promotion des droits de l’enfant dans ce contexte
[38].
De façon surprenante, et contrairement à certaines études
[2], le manque de temps et le manque de savoir-faire sont
rarement cités comme des obstacles par les internes. Dans
notre étude, deux internes ont mentionné le manque de support pour les aider dans l’information de l’enfant. Deux autres
nous ont indiqué avoir recours aux médecins seniors pour
proposer d’autres choix ou faire face au refus de l’enfant.
Pourtant, le manque de temps est un argument classique pour
expliquer la non-implication de l’enfant [2], et la façon de
dispenser l’information à l’enfant de façon adaptée à ses capacités est un problème reconnu [39,40].
Comme déjà mentionné dans la littérature [33], notre étude
montre que des choix sont rarement proposés aux enfants.
Pourtant, plusieurs types de choix peuvent être présentés. Certains peuvent être sans implications sur les résultats attendus
comme le choix de la voie d’administration de certains médicaments ou le choix du site d’injection d’un vaccin. Par
ailleurs, le manque de présentation de choix confirme la place
de l’avis de l’enfant dans la prise de décision chez les internes pour lesquels le partenariat avec l’enfant ne sert pas à
construire la décision mais se réduit à donner une informa-
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tion. Pourtant, la présentation de choix est une attitude très
constructive. Par exemple, concernant les traitements (voie
d’administration du médicament, présence ou non des parents
pour un geste...), elle donne à l’enfant le sentiment d’avoir
une certaine maîtrise sur la situation et induit une meilleure
adhésion au traitement.
Certaines limites concernant ce travail doivent être apportées. Notre étude repose sur l’autoévaluation par les internes
de leur pratique concernant la mise en place d’un partenariat
avec l’enfant dans les décisions médicales le concernant. Cette
autoévaluation est difficile et une étude reposant sur l’évaluation des pratiques des internes par un observateur externe
apporterait une information plus fiable.
Ensuite, certaines réponses sont sans doute influencées par
les stages réalisés par les internes. Ainsi, un interne n’ayant
pratiqué que de la réanimation et de la néonatalogie impliquera moins l’enfant qu’un interne ayant réalisé des stages
dans des services d’urgences ou de pédiatrie générale. Dans
notre étude, quatre internes ont ainsi précisé que leurs pratiques actuelles ne reflétaient pas leurs convictions sur ce sujet.
Nous avons volontairement choisi de demander une évaluation de leur pratique et ceci de façon globale et non pas en
fonction du type d’activité. Ce choix rend l’autoévaluation
plus difficile, mais un fractionnement des réponses selon le
type d’activité aurait rendu l’analyse des données difficile.
Enfin, le nombre de participants est restreint. Ainsi, dans
notre étude, aucun des facteurs retenus (sexe, âge, enseignement antérieur en éthique médicale ou en décision médicale,
le fait d’être parent, durée de la formation pédiatrique en
cours) n’influence de façon statistiquement significative les
réponses obtenues. Néanmoins, quelques tendances se dégagent, et comme le suggérait Davis [40], l’existence d’une formation antérieure en éthique médicale ou en décision médicale semble favoriser le partenariat avec l’enfant et ceci aussi
bien pour ce qui concerne la présentation de choix que pour
le recueil de son avis. La plus grande implication des enfants
par les internes ayant bénéficié d’une formation en éthique
médicale ou en décision médicale suggère qu’une meilleure
connaissance du problème et des enjeux sous-jacents améliorerait la participation de l’enfant. En effet, les concepts de
niveaux d’implication croissants de l’enfant selon ses compétences [9–11,13,16,41] ou les différents modèles de partenariat dans la décision médicale [6] sont des notions dont
l’apprentissage permet de cerner avec une plus grande justesse les fondements et les limites de l’implication de l’enfant
dans la décision médicale. Par exemple, impliquer l’enfant
via la demande de son avis ne veut pas systématiquement
dire que l’on va suivre cet avis et l’implication maximale de
l’enfant dans la décision médicale n’est pas toujours indiquée.
4. Conclusion
Notre étude montre qu’une grande majorité des pédiatres
en formation informe l’enfant sur les choix médicaux le
1073
concernant. Néanmoins, quand il s’agit d’associer d’avantage l’enfant dans la décision, la part des internes qui impliquent l’enfant diminue de façon spectaculaire : s’il a droit à
l’information, l’enfant n’est donc pas encore considéré comme
un réel partenaire avec lequel la décision peut être partagée.
Ce phénomène est lié principalement à la complexité de l’évaluation des compétences de l’enfant et à l’impossibilité de
faire partager la décision en raison de la gravité ou de
l’urgence de la situation.
Ainsi, le partenariat avec l’enfant dans la décision médicale requiert, non pas un seul modèle, mais plusieurs modèles qui se superposent partiellement [10,13,16,41] selon
l’absence de compétences, des compétences croissantes et des
compétences des enfants comparables à celles des adultes.
Les particularités de l’enfant liées, entre autres, à son acquisition progressive de compétences ne doivent donc pas nous
entraîner de principe vers le paternalisme médical. Nous ne
devons pas réduire la décision médicale à l’instant de la décision proprement dite, ni à l’analyse experte médicale, mais la
reconnaître comme l’ensemble du processus qui conduit à
décider de mettre en œuvre une action, processus durant lequel
le médecin doit être le pivot de la synthèse des données médicales et extra-médicales. C’est ainsi que l’enfant considéré
par le pédiatre comme un partenaire naturel potentiel de la
décision médicale devient un être à part entière.
Comme le suggère nos résultats, certains des obstacles évoqués semblent contournables par l’éducation des médecins.
Néanmoins l’objectif n’est pas de suivre systématiquement
l’avis de l’enfant. Il s’agit d’un écueil à éviter : les enfants
doivent être impliqués dans la décision médicale non seulement dans la mesure de leurs capacités, mais également en
fonction de leurs désirs et besoins. L’objectif d’inclure
l’enfant de façon adaptée à la décision médicale ne doit en
aucun cas être ou être perçue comme une déresponsabilisation du pédiatre et des parents.
Nous défendons ici une conception de la pédiatrie qui semblera idéale, théorique à certains, éloignée de la pratique quotidienne de chacun. La transposition de ces idées dans « le
vrai monde », le monde clinique, n’est pas une utopie si on
s’oblige à faire participer les enfants dans la mesure de leurs
capacités et de leurs souhaits. Les enjeux sont réels, multiples et en accord avec les changements profonds de la place
de l’individu et de l’enfant dans la société et les modifications des pratiques de la médecine. Donner une place à l’avis
de l’enfant en pédiatrie contribue au respect de l’enfant en
tant qu’individu à part entière. Il permet à l’enfant, en lui
donnant une certaine possibilité de contrôle de la situation,
une meilleure adaptation à sa maladie et une meilleure adhésion au traitement notamment s’il s’agit de maladie chronique. Il lui permet d’exercer ses capacités grandissantes d’autonomie, de rationalité, indispensables à son développement.
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